dimanche 14 mai 2017

Le miroir sans tache... avec Philippe Mac Leod

Que vient dire la conscience dans l'ordre du monde ? Non point cette faculté de raisonner, si prompte à se mettre en branle, ni même cette propension à tirer des plans sur la comète, imaginer, projeter, calculer, supputer, mais cette insaisissable proximité de la connaissance, cette sorte de toile de fond qui nous soutient et nous tient en éveil, comme on parle d'un bruit de fond dans l'univers, un rayonnement dont la diversité tirerait son origine.
En cette fin d'après-midi, d'une douceur comme suspendue, d'une paix qu'on reçoit toujours comme un don d'exception, je suis comme immobilisé par la lumière que je contemple en son étalement, incapable de me lever de la chaise, d'amorcer un vouloir quelconque, de susciter une action dans cet espace que je ne voudrais pas froisser, qui ne semble avoir éclos que pour les yeux, le silence, l'amour. Des entrelacs de la porte vitrée, les rayons obliques jouent avec un bonheur sans cesse renouvelé, se plaisant à marier le bois et la pierre, à marcher sur le carrelage comme Jésus sur les eaux, à s'attarder sur la porcelaine d'une vieille théière ou à chevaucher les barreaux de la cage d'escalier, d'un effleurement qui transforme la matière sans la renier, dans l'offrande de l'un à l'autre.
Si je ne bouge pas, c'est que quelque chose en moi s'ouvre, avec lenteur et délicatesse. Je n'ai plus besoin d'agir dans un espace, l'espace lui-même a pris possession de tous mes recoins et m'habite comme si un rayon égaré - aussi fin, aussi pénétrant, aussi subtil et rapide que l'esprit dans le livre de la Sagesse - avait poussé loin sa progression, pour ouvrir les scellés d'une âme encore trop confinée sous les replis de réflexions sans lendemain.
La pensée qui s'opère alors - car c'en est une - ne se saisit d'aucun concept, d'aucune notion, elle est celle d'un regard qui s'arrondit comme un miroir du monde, miroir tendu au mystère, à l'invisible qui est la trame du visible, vaste parabole captant les tremblements d'une profondeur de la vie depuis les commencements, miroir de l'être à travers les mille soubresauts du créé, ses infinies variations, ses inflexions dans le silence.
L'instant se prolonge, d'une ampleur, d'une vastitude de l'infime se déployant tel un bouton, une fleur lumineuse portant au jour le monde qui se cache en celui-ci et en se prolongeant éveille des clartés toujours plus loin en moi, sans qu'il soit possible de bien définir ce qui est dedans ou dehors, tant l'unité est grande, l'équilibre entre le réel et l'âme d'une perfection rare, la paix pouvant se traduire en plénitude, en joie discrète, et comme dans la Bible accompagner les temps messianiques d'un accord premier enfin retrouvé.
Oui, qu'est-ce que la conscience ? Car c'est au fond une question qui surgit en même temps que l'émerveillement, comme si cet accord retrouvé nous offrait une autre connaissance de nous-même. N'est-elle pas essentiellement contemplative, réalisant non seulement notre unité intérieure mais l'unité de l'homme et du monde ? Et la contemplation, n'est-elle pas ce moment de conscience rendue à sa pureté originelle, comme un œil qui s'ouvre, l'être au fond de cet œil suffisant à la plénitude de la vision ? 
On pleurerait devant tant de beauté, tant de grandeur dans un seul moment d'être. On aurait envie de s'y accrocher comme à une certitude infaillible au milieu de la confusion des mots et des sentiments.
Mais on n'emporte rien. On a vu, une fois. On a touché terre comme pour la première fois, d'une manière unique, et c'est pour jamais.

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