jeudi 2 mars 2017

Père absent... avec Guy Corneau

Selon le psychanalyste jungien Guy Corneau, créateur au Canada de groupes de parole pour hommes, le père qui n'assume pas toute sa fonction paternelle crée des « fils manqués ».

Comment définiriez-vous le père manquant ?
Ce n'est pas tant son absence physique qui est en cause, que son retrait psychologique de la vie de famille et de l'éducation des enfants. Il ne participe pas à leurs jeux, ne s'intéresse pas à leur scolarité et à leurs loisirs. Enfermé dans une culture du pouvoir et du silence, il vit comme à côté des siens et n'assume pas sa fonction paternelle entendue comme ce qui aide l'enfant à baliser son chemin, à mettre des mots sur ce qu'il vit, à dessiner des idéaux et à donner du sens à la vie. La présence active d'un père conduit son enfant, a fortiori si c'est un fils, à s'organiser intérieurement. À canaliser son énergie et à s'ouvrir aux autres.
C'est le rôle de la fameuse triangulation, chère à Freud ?
Oui, le père, s'il joue son rôle, c'est-à-dire s'il entre dans une relation non seulement éducative mais aussi affective avec son enfant, lui permet de sortir de la relation fusionnelle avec sa mère. Il l'aide ainsi à entrer en société. Il aide aussi la maman à rompre avec cette symbiose étouffante et à se rappeler qu'elle est aussi et même d'abord une femme désirée par son conjoint avec qui elle fait couple, avant de former un duo parental.
Beaucoup d'hommes seraient violents parce que leurs pères ont été absents ou n'ont pas posé de limites à leurs fils. Ce serait le cas des djihadistes notamment...
Prenez les frères Kouachi, les assassins de Charlie Hebdo. Ils sont allés de foyer d'accueil en foyer d'accueil et ils ont trouvé comme père de substitution un imam emprisonné, qui leur a donné les béquilles qu'ils recherchaient. On connaît la suite... Les djihadistes, et plus généralement les jeunes qui rejoignent les gangs violents, sont victimes d'un défaut de construction identitaire lié à un défaut de triangulation. Souvent, ils sortent d'enfances chaotiques où ils ont manqué de père ou de mère.
Vous préférez parler des rôles paternel et maternel en les dissociant des sexes masculin ou féminin. Pourquoi ?
Traditionnellement, les hommes étaient enfermés dans la fonction éducative. Censés être cadrants, ils devaient être autoritaires et abandonner la fonction affective aux femmes. À elles d'être proches des enfants, cajolantes, confidentes, de passer beaucoup de temps avec eux. Il faut sortir de ces stéréotypes. Force est de constater que certains hommes se débrouillent mieux avec le rôle maternel que bien des femmes. Et, réciproquement, bien des femmes incarnent mieux la loi que leurs conjoints. Pourquoi enfermer les uns dans telle case et les autres dans telle autre ? Aujourd'hui, tout est rebattu et c'est, de mon point de vue, un progrès historique, car les enfants ont tout à y gagner. On sait désormais avec certitude qu'une éducation autoritaire et cassante ne fonctionne pas bien et qu'elle produit souvent bien des dégâts psychologiques.
Quels conseils donnez-vous aux papas pour bien assumer leur mission éducative ?
D'abord, de s'occuper avec tendresse de leurs enfants le plus tôt possible et de créer ainsi un attachement bénéfique de l'enfant au papa. Ensuite, si le couple parental se sépare, les papas peuvent et doivent continuer à trouver leur place, êtres proches et soucieux des leurs. Parfois, ce sera même plus facile qu'avant la séparation. Enfin, aux hommes qui éprouvent de grandes difficultés à construire une relation juste avec leurs fils et filles, je suggère d'entreprendre une thérapie. Elle seule les aidera à dénouer des noeuds anciens, à ne pas répéter ce qu'ils ont vécu avec leurs propres pères.