Le concept du mental est central dans les enseignements traditionnels de l’Inde. Arnaud reprend ce thème d’une très belle façon dans son livre "En relisant les Évangiles", où il interprète la parabole ce la Samaritaine.
Quand le Christ ajoute : « Tu as eu cinq maris, et l’homme que tu as maintenant n’est pas ton mari », ce passage doit-il être compris littéralement ou bien revêt-il un autre sens ? Etant donné la brièveté des Evangiles, il est impossible qu’il y ait un chiffre, une précision qui ne nous concerne pas, nous, aujourd’hui, qui ne nous parle pas de nous, dans nos erreurs, nos tâtonnements, notre espérance.
Dans son Commentaire de l’Evangile, Lanza Del Vasto donne une explication de ce passage. Les cinq maris désignent nos cinq sens et le sixième qui n’est pas son mari correspond à ce que les hindous appellent le sixième sens, c’est-à-dire le mental (manas). Le mental n’est pas la vérité de nous-mêmes ; il s’est forgé peu à peu par les influences diverses que nous avons reçues et par l’éducation (qui, si j’ose m’exprimer ainsi, pensent à notre place et même ressentent à notre place) ; il est constitué de tout ce qui n’est pas vraiment personnel et juste en nous. Beaucoup de nos pensées ne sont faites que de citations prises ici ou là, beaucoup de nos émotions ne sont que des imitations dues aux influences culturelles.
[...] Qui n’est pas touché par cet entretien magnifique au bord du puits de Jacob : « Je te donnerai à boire d’une eau qui fera que tu n’auras plus jamais soif » ? Mais, il y a plus encore, qui nous donne à réfléchir. L'âme, la réalité profonde en nous, notre être essentiel est "marié", uni, confondu avec les cinq sens et nous interdit la vision de la réalité ultime ; et nous vivons avec ce sixième sens, le mental qui regroupe l’ensemble de nos conceptions et de nos opinions et se surajoute aux cinq sens pour nous exiler encore plus du réel.
Quant à l’état de conscience ordinaire, que l’on nomme « état de veille », il correspondrait à peu près à une identification complète entre le sujet et ce qui est perçu, sans aucune introspection sur la part des conditionnements psychologiques qui sont à l'œuvre Le processus est automatique et inconscient. C’est la position par défaut en l’absence d’un regard introspectif et d’une pratique de la vigilance.
Dans cet état de veille ordinaire, l’individu est gouverné par de fausses lois, des visions erronées. Il projette, sur autrui ou sur le monde, un imaginaire (attentes, fantaisies, interprétations, etc.) qu: ne correspond pas à la réalité objective des phénomènes. En pensée, nous retranchons de la réalité ce qui ne nous convient pas pour ajouter des éléments imaginaires, créant finalement une illusion qui nous convient mieux que ce qui est. D’où un sentiment global d’insatisfaction, de manque et de souffrance. Tous ces mécanisme: d’adaptation plus ou moins efficaces relèvent du domaine de la psychologie et de la psychanalyse et ils ont été abondamment étudiés.
Homo sapiens, sans introspection ni compassion, demeure un primate plus ou moins agressif et destructeur, même s’il possède une carte de crédit et un portable. La démonstration n’est plus à faire*.
Quant à la démarche du chercheur spirituel, elle implique d’être à l’affût de ce mental qui vient tout colorer et qui voile la vision pure des phénomènes. Avec de la vigilance et un regard introspectif capable de percevoir ces conditionnements, de prendre du recul vis-à-vis d’eux et de les considérer avec bienveillance, il devient possible ce stabiliser le mental et de tourner son regard vers la source de .a Conscience. Ainsi peut se développer la position intérieure du Témoin, la part la plus proche de la pure Conscience, de l’Êtreté.
... Une partie essentielle du travail de l’aspirant spirituel, une fois qu’il a pris conscience de l’omniprésence du mental dans sa vie, consiste à nettoyer et à rectifier cette lentille déformante, afin de voir ce qui est avec un minimum de distorsion et, éventuellement, ce se situer comme Témoin libre du mental. C’est le but de tous les chemins de la sagesse.
Le mental crée des conflits, la Paix les dissout.
* Desjardins, Arnaud, En relisant les Évangiles, Paris, La Table Ronde, 1990, p. 84-85.
*Lire à ce sujet : Harari, Yuval Noah, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin Michel, 2015.
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