dimanche 5 mai 2013

Aller mieux dedans pour agir mieux dehors avec Jacques Dechance

Cultiver la confiance et réveiller nos consciences, c'est le double conseil de Jacques Dechance. Pour ce thérapeute et "entraîneur de vie", le développement personnel n'a de sens que s'il nous fait agir dans le monde. En retraçant les grandes étapes de son parcours, il nous offre le livre de sa vie, mais aussi de "nos" vies, un guide interactif de la quête spirituelle qui donne le courage de cultiver une autre intelligence et invite le lecteur, par des méditations et des exercices, à oser sa propre quête intérieure.

Vous avez consacré votre vie au sens. Vous racontez votre itinéraire en commençant par ce que vous appelez "Le livre de la Quête". Pourquoi ?

Le facteur déclencheur de mon livre, c'est mon fils. En le voyant grandir, je sens de plus en plus le poids de notre responsabilité : quel héritage, quelle planète allons-nous transmettre à nos enfants ? J'ai voulu raconter mon histoire comme une série d'événements qui réveillent l'âme, une succession de résiliences vécues grâce à des rencontres déterminantes. Chacun doit avoir sa quête, la mienne n'est pas "le" modèle à suivre, mais mon livre peut donner un élan au lecteur pour sa propre recherche, une sorte de permis de vie.

Pouvez-vous résumer votre itinéraire en quelques grandes lignes ?

J'ai vécu une adolescence mouvementée où j'ai "étreint" la vie avec ses joies et ses extrêmes, c'est là que j'ai rencontré le monde des arts martiaux avec ses maîtres, sa base de méditation bouddhiste et son éducation à la confiance, puis, devenu adulte, j'ai découvert le monde de la santé avec les médecines alternatives et son approche attentive du corps. Après le professorat d'éducation physique, j'ai pu travailler intensément, dix ans durant, sur la conscience du corps et faire de grandes rencontres, avec notamment le vieux sage Karlfried Graf Durckheim en Allemagne, (et son approche fine de la dimension de l'être), avec des thérapeutes junggiens en France, mais aussi avec un maître zen comme Taisen Deshimaru ou des moines orthodoxes , lors d'un séjour au Mont Athos. Ces expériences ont nourri la création de mon centre "Le corps à vivre" que j'ai animé à Bordeaux durant douze ans. Les voyages et les formations m'ont aussi modelé durant cette période de ma vie. Le voyage en solitaire, notamment dans le désert et au Népal, a été pour moi une forme de résilience. Dans les années 80-90, sous l'influence des mouvements humanistes américains venant des États-Unis, on travaillait sur soi sans se poser de question.

Et derrière ce travail personnel, s'est dessinée pour vous une recherche spirituelle ?

Partagé entre les deux traditions bouddhiste et orthodoxe, ma foi s'est construite en approchant les religions avec une forme de discernement et de doute. Faire dans sa vie une plongée dans une religion, en fréquentant assidument les rituels, les textes et les maîtres est un atout extraordinaire, mais tout aussi important est de faire face à sa vérité intérieure. Il faut savoir prendre du recul par rapport à sa propre pratique, oser parfois en sortir pour chercher son honnêteté spirituelle au delà des dogmes et peut être retrouver ensuite sa tradition -ou une autre !- avec ce détachement et cette clarté nécessaires à toute quête intérieure. Au delà de la recherche de vérité, il est nécessaire d'accorder de l'attention au silence qui pacifie. Prendre le temps de méditer sur le sens de nos vies et de nos actes, de marquer aussi les étapes de l'existence par des gestes, des événements, des pratiques symboliques est essentiel. C'est une manière d'aiguiser sa conscience, de prendre du recul et d'intégrer les changements dans nos vies. "On ne résout pas un problème, disait Albert Einstein, avec la manière de pensée qui l'a créé".

La véritable quête de sens passe, écrivez-vous, par le retour au réel. Que voulez-vous dire ?

On ne peut continuer à se former soi-même si on ne se frotte pas à la réalité. Le risque, en travaillant seulement sur soi, c'est se retrouver dans une sorte de planque hors du monde. Nombre de "maîtres" en développement personnel manquent de ce réel. Le monde de l'entreprise, où j'anime aujourd'hui de nombreuses formations, m'a ramené à ce quotidien, à ce réel dur de la vie au travail. Il me ramène aussi à cette nécessité de retravailler sans cesse sur l'égo pour passer de l'égoïsme à l'altruisme.

C'est là qu'intervient ce que vous nommez "l'art de l'action courageuse" sans laquelle la vie n'aurait pas de sens. Qu'entendez-vous par là ?

Le sage Dogen recommande : "Si nous ne pratiquons notre voie avec tous les êtres avec toutes les choses dans l'univers, alors ce ne sera pas la vraie voie". Le but de la vie est bien de se réconcilier avec soi mais pour se réconcilier avec le monde et agir. La grandeur de l'homme n'est pas dans ce qu'il est mais dans ce qu'il rend possible. Il s'agit de mettre de la cohérence dans sa vie pour créer avec les autres, de relier nos comportements individuels à ces valeurs que sont l'altruisme, la solidarité, la fraternité, la coopération. La sagesse écosystémique, qui inscrit l'homme au centre et non plus au sommet du vivant -et qui fait référence au concept d'"écosophie", forgé en 1960 à Oslo par le philosophe Arne Naess-, est peut-être la nouvelle religion du XXI ème siècle. Nous commençons enfin aujourd'hui à raisonner à travers une conscience décentrée de soi, une conscience de l'interdépendance entre toutes choses.

Comment cela se manifeste-t-il ?

Je vois déjà cette sagesse à l'oeuvre dans le monde à travers plusieurs pôles d'action : le développement de la recherche scientifique sur la bio diversité, l'économie circulaire aussi avec ces nombreux entrepreneurs et "agitateurs créatifs" qui innovent au service de la solidarité et du vivant. Je pense aussi au développement du social business et à toutes ces nouvelles propositions d'argent éthique, ces fonds de solidarité qui proposent de mettre vos avoirs au service de la vie. Ce sont autant de pistes d'actions courageuses qui sont capables de motiver les jeunes générations. On ne peut plus se permettre d'aujourd'hui d'agir sans cette conscience de la trame dans laquelle nous sommes tous inclus. Appartenant au même village planétaire, il nous faut lutter contre l'égocentrisme et l'anthropocentrisme, cesser de se vivre comme le centre de l'univers et de croire que l'accélération de l'être passe par l'avoir. Notre première tâche est d'articuler le mieux être à la recherche de la simplicité.

Développer son attention au monde, mais aussi avoir le courage de renouveler sa vie, c'est la responsabilité de chacun ?

Nous avons tous un fort potentiel de résilience si nous savons regarder notre vie comme une trajectoire de sens et une suite de petites grâces. Ces moments de lumière -la science le prouve aujourd'hui- ont un impact aussi important sur nos neurones que les traumatismes. Les thérapies ne nous le disent pas assez : un événement en apparence négatif peut révéler un cheminement constructif un an après. Il nous faut donc adopter une attitude paradoxale : faire confiance en la vie et en même temps continuer à agir. En "captant" les petites grâces comme un radar, il appartient à chacun de travailler à rendre ses décisions bonnes, à ne pas les regretter. Le risque majeur d'aujourd'hui est de tomber en dépression. L'homme contemporain est soit dans la fébrilité, soit dans la déprime. Tout l'enjeu de nos vies -et de nos sociétés !- est de passer de l"excitation-dépression" à l'"intensité sérénité".

Trouver en somme l'attitude juste entre l'engagement et le recul nécessaire pour vivre ?

Chacun peut apprendre à relier en lui la contemplation et l'action, l'être et l'avoir, pour vivre à la fois impliqué et détaché. Mon parcours et mes rencontres m'ont amené à développer une vision globale et reliée de l'être humain. J'ai créé en 1980 la pédagogie Reliance qui s'adapte tout autant au parcours individuel qu'au contexte de l'entreprise. Il s'agit, par des exercices quotidiens, de faire le lien entre la plénitude du corps, l'ouverture du cœur et l'éveil de la conscience et d'apprendre à relier l'état contemplatif à l'action créatrice. Le fin connaisseur des traditions orientales Arnaud Desjardins voyait deux visions possibles du monde, celle qui morcelle et celle qui unit. Dans cet esprit d'unification, je propose à mon lecteur de s'entraîner à être mieux dedans pour agir mieux dehors.


Pratiquez le sourire intérieur, pour vous recentrer et rayonner la paix au quotidien




source : La Vie