mercredi 31 janvier 2018

En mémoire de Gandhi

Le 30 janvier 1948, Gandhi était assassiné par un fondamentaliste hindou. À l'occasion des 70 ans de sa mort parait en France Le Pouvoir de la colère (Ed. Marabout) écrit par son petit-fils Arun Gandhi, qui a vécu deux ans avec lui. Pour lui, les préceptes de non-violence prônés par Gandhi sont toujours d'actualité.

"Aujourd'hui, nous voyions tellement de violence partout dans le monde qu'il est venu le temps de repenser à la non-violence pour canaliser la colère", explique au micro de RTL Arun Gandhi, âgé de 83 ans.




(RTL)



L'homme Gandhi n’a pas toujours été à la hauteur de ses paroles et de son prophétisme. Gilles Van Grasdorff, qui vient de publier les Vies cachées de Gandhi(Cerf) et Éric Vinson, coauteur avec Sophie Viguier-Vinson de Mandela et Gandhi. La sagesse peut-elle changer le monde ? (Albin Michel) en conviennent. Ils invitent pour autant à ne pas disqualifier un homme exceptionnel.



On connaît la quête spirituelle de Gandhi, transcendant les religions, sa posture non violente, son combat indépendantiste. Mais sa face cachée apparaît désormais et fait de l’ombre à sa légende. Que peut-on dire de sa vie familiale ?
Gilles Van Grasdorff. Né en 1869 dans une famille de commerçants aisés, il a été marié à 13 ans, selon la tradition. Avec son épouse Kasturbai, les débuts se passent mal. Dès ses 19 ans, après une terrible crise d’adolescence, il entame une quête de spiritualité, de vérité, qui va durer toute sa vie. Il s’était promis de former son épouse, illettrée, mais ne l’a pas fait. Il l’a souvent délaissée, parfois battue, et lui a imposé la chasteté. Mais Gandhi n’a jamais répudié Kasturbai, ce qu’il aurait pu faire dans ce monde violent. Et elle est morte dans ses bras, en 1944.
Éric Vinson. Gandhi est un homme de son temps, dans un monde où l’épouse obéit à son mari. Il se révèle prophétique mais en parole, en se disant par exemple favorable à l’égalité homme-femme dans le mariage, sans la mettre en pratique. Cela heurte nos valeurs. Comprenons que Gandhi se situe très loin de notre culture. La chasteté conjugale, hormis dans quelques milieux catholiques, nous est incompréhensible.
G.V.G. En Inde, cette pratique traditionnelle relève de la brahmacharya – la maîtrise de soi, le renoncement. De même, on lui a reproché d’imposer à ses nièces de dormir nues à ses côtés. Mais sans relations sexuelles. Il s’agissait pour lui d’exercices de résistance au désir.










Sa prétendue homosexualité a fait scandale.
G.V.G. En Afrique du Sud, où Gandhi travaille comme avocat de 1893 à 1914, il a entretenu une relation intime avec Hermann Kallenbach. Ce Juif allemand, architecte de renom, s’installe avec Gandhi et abandonne tout pour lui. Leur amour dépasse la sexualité. L’important est le lien spirituel de fraternité. Et le Kama-sutra parle de l’homosexualité sans condamnation. Kallenbach finance sa lutte pacifiste, comme toutes ses expériences de diététique et de végétarisme. Avec lui, Gandhi écrit les plus belles pages de sa vie, et fait naître le satyagraha (la non-violence active).
Mais peut-on changer le monde en étant homme de compromis ? Les œuvres complètes de Gandhi font 100 volumes !
Gandhi était-il un homme autoritaire ?
É.V. Son côté autoritaire semble lié à sa quête viscérale, radicale, à l’intensité de son action, de ses idéaux. Il peut faire penser à l’Hernani de Victor Hugo, affirmant : « Je suis une force qui va ! » Son attitude cause des dégâts sur ses proches, dont il ne se préoccupe guère. Sa famille devait suivre, de même que l’intendance… Mais peut-on changer le monde en étant homme de compromis ? Les œuvres complètes de Gandhi font 100 volumes ! C’est un génie, le créateur d’une forme de vie, un peu comme François d’Assise. Or, les grands hommes ont tendance à tout écraser sur leur passage. Et leur existence est rarement à la hauteur de leur œuvre. Mais pour Gandhi, qui disait « ma vie est mon message », c’est plus gênant que pour d’autres.
G.V.G. Gandhi était un « sale bonhomme », caractériel, dur avec son épouse, avec ses enfants. En partie parce qu’il n’arrive pas à se situer spirituellement, fréquentant des musulmans, des chrétiens, des jaïns et des théosophes, ce mouvement spirituel et ésotérique lancé en 1875 à New York, qui veut mener l’homme à la sagesse et faire advenir une fraternité universelle. Sans adhérer formellement à la Société théosophique, Gandhi a été très influencé par ses animateurs, notamment Annie Besant (1847-1933).
Le Gandhi politique interroge également. Comment le héros de l’indépendance de 1947 a-t-il été si longtemps très fidèle à l’Empire britannique ?
É.V. Attention aux anachronismes. Le Gandhi universaliste, héros de l’indépendance, s’est construit durant des décennies. Comme la plupart des enfants de sociétés colonisées, il est d’abord fidèle à l’Empire. Son premier mouvement consiste à demander à Londres l’égalité civique pour les Indiens, d’ailleurs promise par la reine Victoria dès 1858. Longtemps loyaliste, il entre en rébellion peu à peu, et de façon claire à la fin de la Grande Guerre seulement.
Le Gandhi universaliste, héros de l’indépendance, s’est construit durant des décennies. 
G.V.G. Influencé par les théosophes, qui rêvaient à une future indépendance, il décide de soutenir l’Empire. Ne pouvant se battre du fait de sa santé, il crée à Londres une section de secouristes, l’Indian Ambulance Corps, comme quelques années auparavant en Afrique du Sud, lors de la guerre des Bœrs. En août 1914, il lance un appel à s’engager aux côtés des forces britanniques et canadiennes. Quelque 1,7 million d’Indiens partent pour le front en Europe. Gandhi et les nationalistes indiens espèrent que, en mettant en sommeil la lutte contre l’Empire britannique, celui-ci leur offrira l’indépendance. Ils ne l’ont obtenu qu’après la Seconde Guerre mondiale, le 15 août 1947.
É.V. Avec les Britanniques, Gandhi vit un rapport ambivalent de haine-amour, de fascination réciproque. Dans sa quête d’identité, il incarne une première mondialisation, celle de la Belle Époque. Un moment d’explosion des relations entre les cultures. Entre Inde, Afrique du Sud et Angleterre, Gandhi vit sur trois continents !
L’un des buts du satyagraha est de convertir l’adversaire, fût-il le diable.
Ses relations avec Hitler sont aussi problématiques. Dans une lettre, Gandhi l’appelle « cher ami »…
É.V. Gandhi est tout à fait cohérent : il s’adresse aux ennemis, comme à tout le monde. L’un des buts du satyagraha est de convertir l’adversaire, fût-il le diable. Aujourd’hui, on se sert de ces lettres contre lui, alors qu’il fut l’un des seuls à essayer de parler à ce démon, de le rappeler à son humanité.
G.V.G. Il porte en lui l’amour des ennemis, à la suite de Jésus-Christ. Il est fasciné par le Sermon sur la montagne. Sans aucune naïveté, dans ses lettres de juillet 1939 et de décembre 1940, Gandhi cherche vraiment à amener Hitler au satyagraha.
É.V. Face à la catastrophe mondiale qui débute, il se sent un devoir moral d’essayer de convertir l’extrême violence, envers et contre tout. Pour le philosophe Vincent Cespedes, le héros fait « tout ce qui est en son pouvoir pour rendre possible l’impossible ». De nos jours, Gandhi aurait écrit au chef de Daech. Peut-être idéaliste, il avait espoir dans la nature humaine, même chez le tyran le plus endurci.
Que dire de son rapport aux Noirs sud-africains 
et des accusations de racisme ?
É.V. Quand il arrive en Afrique du Sud en 1893, Gandhi se voit comme un gentleman anglais, qui s’identifie au colonisateur. Et au départ, il lutte contre l’assimilation des Indiens aux kaffirs (« nègres ») par les Blancs. Aujourd’hui, cela nous choque… Mais, brancardier lors d’une révolte, il réalise la violence extrême de l’armée anglaise contre les Zoulous. Tardivement, vers 1910-1911, il rompt enfin avec tout racisme. S’il a trop longtemps porté les mêmes œillères que tout le monde, il a aussi ouvert les yeux plus vite que la plupart. On l’ignore trop souvent aujourd’hui, et l’on déboulonne ici ou là ses statues. Regardons plutôt sa trajectoire.
S’il a trop longtemps porté les mêmes œillères que tout le monde, il a aussi ouvert les yeux plus vite que la plupart.
Peut-on l’accuser de manque d’humilité ?
G.V.G. L’humilité apparaît dans les mots de Gandhi, dans toute son œuvre. Seule compte pour lui la quête de vérité et de Dieu. Pour mener son action en Afrique du Sud et aux Indes, il fallait être hors norme.
É.V. Vouloir changer le monde témoigne d’un certain manque d’humilité, n’est-ce pas ? À moins que ce ne soit justement en diffusant l’humilité que Gandhi a tenté une aventure aussi surhumaine.
Faut-il encore définir Gandhi comme un saint, 
un modèle, un héros ?
G.V.G. Pour moi, la sainteté n’existe pas chez l’être humain. Comme nous tous, Gandhi a cherché à se connaître, à se réaliser, à se découvrir. Or, Gandhi n’a jamais vraiment découvert qui il était.
É.V. Saint, héros, sage : Gandhi combine ces catégories. On imagine les saints « unidimensionnels » et confits en religion. C’est une erreur. Ils sont humains, donc multiples et en mouvement. L’hagiographie les a réduits à une image d’Épinal. Or, selon Nelson Mandela, « un saint est un pécheur qui cherche à s’améliorer », et le Mahatma n’aurait pas dit autre chose. Gandhi n’est ni un ange ni un démon : riche d’une ardeur idéaliste hors du commun, il demeure un humain, avec toute sa complexité. Mais aussi un modèle, car nous avons besoin de ces derniers pour nous construire, notamment les jeunes. Certains enferment tel personnage dans sa supériorité, en le jugeant d’une autre espèce que la nôtre. Je préfère penser que, en connaissant mieux et en osant admirer une figure comme Gandhi, il est possible de grandir. 

Une vie de lutte

1869 Naissance de Mohandas Karamchand Gandhi, à Porbandar (Gujarat, Inde).
1888-1891 Études à Londres. Il rentre en Inde 
deux jours après avoir été admis au barreau.
1893 Conseiller juridique 
en Afrique du Sud (il y restera plus de 20 ans).
1904-1906 Théorisation 
et mise en pratique de 
son principe de protestation non violente (satyagraha).
1915 Retour en Inde. Fondation d’un premier ashram dans le pays.
1919 Massacre d’Amritsar : lors de protestations, des Indiens commettent 
des violences. Les autorités britanniques font tirer sur la foule.
1922 Condamné à six ans 
de prison, il en fait deux.
1930 Marche du sel.
1942 Appel à la grève générale pour forcer les Britanniques à quitter le pays.
1947 Indépendance de l’Inde.
1948 Il meurt assassiné 
par un nationaliste hindou, 
à Delhi.


source : La Vie

mardi 30 janvier 2018

Juste...Merci


Si fragile et si plein de vie,
Mon nom est simplement merci.




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dimanche 28 janvier 2018

Développement fraternel avec Sébastien Henry


Dans “Ensemble” (éditions Les Arènes), l’écrivain Sébastien Henry nous encourage à “agir pour soi et pour les autres”. “Depuis des années, on parle de développement personnel - et je trouve cela très bien, précise Sébastien Henry - il est temps maintenant de passer au développement fraternel”.

S’engager pour les autres, cela s’apprend, nous dit en substance l’auteur dans ce livre préfacé par Matthieu Ricard - qui a lui-même publié un important ouvrage sur l’altruisme.

La notion d'entraide ne va pas de soi. L’altruisme a même été combattu par des intellectuels comme Ayn Rand, dont l’œuvre a connu un immense succès aux Etats-Unis, nourrissant la nouvelle droite américaine. Selon Rand, l’altruisme est immoral, car il entend sacrifier nos propres intérêts.

S'appuyant sur de nombreux travaux scientifiques, Sébastien Henry nous apprend que l’engagement pour les autres s’avère un puissant levier pour expérimenter une vie plus épanouie et tournée vers les autres. 

La gratitude, facteur de bien-être

Selon les travaux de la neuroscientifique Tania Singer, l’entraînement spécifique à la compassion a des effets tangibles, “favorise des ‘comportements pro-sociaux’, c’est-à-dire des gestes ou des paroles orientés vers l’augmentation du bien-être et de ceux qui nous entourent”.

Les conclusions des travaux en psychologie positive vont dans le même sens, raconte Henry : premièrement, “ressentir de la gratitude est un facteur de bien-être”, deuxièmement, “notre capacité à ressentir de la gratitude, tout comme notre optimisme, peuvent faire l’objet d’un entraînement et être développés”.

C’est de cet “entraînement à la fraternité”, déjà développés dans certaines écoles, que l’auteur promeut dans “Ensemble”, livrant au passage une série d’exercices très pratiques, s’inspirant notamment de la méditation, qu’il pratique depuis 15 ans.

L’auteur s’appuie également sur son expérience personnelle. “Tous les lundis, je vais à l’hôpital accompagner des personnes en fin de vie. En partant, j’ai pu dire ‘merci’, ce qui a surpris les patients : ‘C’est moi qui devrais vous dire merci !’ Je ne fais pas cela pour moi, bien entendu, mais je constate à quel point ces échanges peuvent être beaux et enrichissants”.

source : l'Obs.

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vendredi 26 janvier 2018

Apprendre à « Etre » avec un arbre

Quand on sort dans la nature, si l’on s’applique à être tout simplement là avec un arbre, pendant un moment, à regarder où l’on s’appuie contre son tronc, on commence alors à ressentir sa force, sa sérénité, même si le vent souffle, même s’il pleut. On est conscient, sans penser. On découvre l’essence même du monde en lui et par conséquent en nous.

Nous pouvons faire de même avec les gens au lieu de les « étiqueter » d’emblée comme nous le faisons généralement. Lorsque nous rencontrons une personne, certaines pensées et jugements nous viennent à l’esprit. Nous l’avons déjà cataloguée et ne sommes donc plus vraiment en communication avec elle, mais avec nos propres critères. Plus on se ferme à la réalité, moins l’on s’émerveille de la vie qui se déploie continuellement en soi et des rencontres que l’on fait. Laissons-nous donc surprendre et gardons notre innocence à l’égard des autres.  

Françoise Réveillet  
Petites pensées pour voyager léger

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jeudi 25 janvier 2018

« Mon père m’a placé par amour »

«Je suis né dans une oasis du Sahel algérien. Je me souviens du désert qui s’étendait à perte de vue et de la joie immense des villageois lorsque la pluie s’annonçait.
Ma mère est morte lorsque j’avais 4 ans. Il ne me reste rien d’elle, pas même une photo. Mon père, le forgeron du village, modelait les outils de la vie quotidienne. C’était un musicien et un poète. Puis le “progrès” est entré dans notre vie avec les colons français venus pour exploiter la houille du sous-sol de notre région.
Les cultivateurs du village furent les premiers à descendre dans la mine. Comme ils n’avaient plus besoin d’outils, mon père dut se résoudre à y descendre aussi, pour nous faire vivre. Je l’ai vécu comme une aliénation. J’étais malheureux de le voir revenir le soir, le visage noir de poussière de charbon, fermé, triste et silencieux. La musique n’enchantait plus notre maison…

« Renier l’islam n’a pas été sans problème »

Pour m’offrir la chance de choisir ma vie en toute liberté, mon père me confia à un couple de Français. Avec eux, j’ai découvert l’amour absolu et l’idéal de justice que porte le message du Christ. Son “aimez vos ennemis” m’a profondément rejoint.
Pourtant renier l’islam n’a pas été sans problème. Je le ressentais durement lorsque je retournais au village pour les vacances. J’imagine aujourd’hui combien me confier à des Européens, catholiques de surcroît, a été une décision courageuse et douloureuse pour mon père. Il a fait ce choix avec la conviction profonde que c’était pour mon bien, malgré le déchirement que cela a occasionné pour nous deux.
Cette grande souffrance est aujourd’hui dépassée, mais je dois reconnaître qu’elle a fondé mon choix d’une vie qui bannit toute forme d’aliénation. J’ai toujours essayé d’être en cohérence avec ce que je dis. Je cultive ma terre, selon les règles de l’agroécologie, mais pour moi être écologiste, ce n’est pas uniquement manger bio et bannir les pesticides, c’est une éthique qui s’applique aussi à la façon dont on considère les gens autour de soi. »


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source : La Croix 

mercredi 24 janvier 2018

Co-création


"Pour les lois de la thermodynamique et de l'entropie, tout ce qui est créé est entraîné tôt ou tard de l'ordre au désordre. Tout finit bien sûr par s'affaiblir et se débiliter, tout ce qui était juste devient faux avec le temps, tout ce qui était beau et lisse se craquelle... 
Mais au lieu de nous en affliger, nous devrions voir là la sagesse primordiale de la création qui ne nous livre pas une fois pour toutes un réel achevé, parfait et durable, mais nous invite en permanence, dans le respect des lois ontologiques et des structures d'un ordre de l'amour, à réactualiser, à remettre à neuf ce qui s'étiole, à réinventer des contenants et des contenus, à faire que soit neuf ce qui était hier usé, que soit étincelant ce qui était hier terni. 
Nous sommes en permanence nécessaires à la création quotidienne du monde. 
Nous ne sommes jamais les gardiens d'un accompli mais toujours les cocréateurs d'un devenir."

Christiane Singer - Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi

mardi 23 janvier 2018

Mieux s'aimer... pour mieux aimer les autres. (2)

Y a-t-il un risque à se donner au-delà de ses forces ?
Sans aucun doute. Nous n'avons pas à être des amis, des pères, des collègues parfaits, mais à être d'abord responsables de notre propre existence ; on peut s'engager pour les autres, mais pas les sauver. Malgré ma longue expérience de la méditation, j'ai longtemps cru que mon devoir de bienveillance passait par le sacrifice, notamment pour mon compagnon très malade et en pleine détresse. « Sauvez votre peau ! » : cette parole d'un ami thérapeute a été un déclic. Et du jour où j'ai assumé que je ne pouvais sauver mon ami, que je pouvais être là, que je pouvais l'aimer et l'aider sans me sacrifier pour autant, je lui ai laissé la possibilité de trouver en lui-même sa propre solidité. Il nous faut sortir de cette fausse dualité entre mon mauvais égoïsme et la prééminence de l'autre à qui je devrais tout.
Il nous faut sortir de cette fausse dualité entre mon mauvais égoïsme et la prééminence de l'autre à qui je devrais tout.
On a fait de « l'autre » un totem écrasant, dites-vous. Pourquoi ? Où sont les fautifs ?
« Je ne vaux rien, et ce qui compte, ce sont les autres ! » Nous devons cet impératif catégorique aux philosophies occidentales ! Notons au passage un changement de vocabulaire révélateur : on est passé du « prochain »  – celui qui m'est proche !  – à un « autre » complètement abstrait. Je peux aimer mon prochain, mais comment puis-je aimer « l'autre » ? C'est au XIXe siècle qu'Auguste Comte a inventé l'altruisme, la meilleure réponse, selon lui, à notre égoïsme... Or, cela ne fait que renforcer le problème. Autrui n'est pas séparé de moi. Le croire est une folie ! Tout autant l'égoïste qui croit pouvoir vivre sans s'ouvrir à l'autre que l'altruiste qui croit que cela passe par le déni de soi font fausse route ! La philosophie n'a jamais demandé de se sacrifier soi-même sur l'autel de la raison. Dans Ménon, Socrate invite tout être humain – et même l'esclave ! – à parler en son nom, à réfléchir par lui-même en interrogeant le sens de son existence.
La théologie chrétienne serait-elle aussi victime de ces dérives ?
Bien sûr ! Je suis frappé de voir qu'on identifie le christianisme au péché originel et qu'on en a fait la source de toutes nos culpabilités. On a retenu cette idée que si l'homme se regarde, il se voit forcément mauvais. Or il suffit d'ouvrir les Évangiles pour voir que le Christ ne cesse de montrer sa capacité à aimer chacun comme il est, aussi imparfait soit-il. Sa parole n'est jamais écrasante, on le voit dans sa rencontre avec la Samaritaine. Il l'aime plus qu'elle ne s'aime et la conduit, à partir de cet amour-là, à se prendre elle-même, la pécheresse, en considération. S'aimer sans condition, simplement parce que je suis un être humain, ce message est d'une vraie modernité. À l'ère de l'auto-exploitation, où nous n'avons plus le droit de nous arrêter pour nous écouter, nous retrouver, être attentifs à nos ressentis, c'est révolutionnaire. Le malentendu de notre temps est là : ce n'est pas par l'auto-contrôle que l'on parvient à s'aimer, mais par un don gratuit que nous pouvons nous octroyer à nous-mêmes, ou plus simplement accepter de recevoir.
Je rejoins la vision de la philosophe Simone Weil d'un amour de soi qui est d'abord l'amour de la vie qui nous habite.
S'aimer soi-même n'empêche donc pas l'ouverture au monde ?
Le « moi » n'est pas une identité dangereuse qui nous enfermerait sur nous-mêmes, mais plutôt une énigme à rencontrer. Ni mes angoisses, ni mes colères, ni mes peurs ne me résument totalement. Je reste toujours « autre », à découvrir. « Deviens ce que tu es », conseillait déjà le poète lyrique grec Pindare au Ve siècle avant notre ère. Le mythe de Narcisse nous parle de cette aventure d'advenir à soi. À l'opposé de l'individualisme égoïste de notre temps, je rejoins la belle vision de la philosophe Simone Weil (1909-1943) d'un amour de soi qui est d'abord l'amour de la vie qui nous habite. Le narcissique est le contraire du vaniteux, qui est loin de lui-même et qui a besoin que tous reconnaissent qu'il est génial. Le narcissique  – celui qui s'est rencontré  – est en paix avec lui-même, n'a pas besoin qu'on lui dise qu'il est le meilleur. Il ne reste pas à se regarder dans le miroir, mais s'engage pour le monde. C'est la peur qui sépare des autres, pas l'amour de soi. L'alternative n'est donc pas de s'occuper de soi ou des autres, c'est un même mouvement, car l'amour n'est pas un gâteau : la part que je m'octroie, je ne l'enlève pas aux autres.
Qui peut nous aider aujourd'hui à trouver cet amour juste et à sauver notre peau ?
Les spirituels qui nous parlent de ce don incroyable d'être aimé au-delà de soi-même. Les bons thérapeutes qui nous aident à retrouver notre socle par la rencontre véritable : ils nous permettent d'aimer enfin ce que nous sommes. Enfin, les poètes qui nous parlent de la confiance en la vie et de l'humanité qui nous habite. Je pense ici particulièrement à Rainer Maria Rilke, qui m'a guidé pour ce livre, avec notamment sa figure du « Narcisse exaucé » : dans sa rencontre avec lui-même, le monde entier lui est donné.

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source : la Vie

lundi 22 janvier 2018

Mieux s'aimer... pour mieux aimer les autres. (1)

On s'aimerait trop, on ne serait pas assez altruiste. C'est tout l'inverse, nous dit Fabrice Midal, philosophe et fondateur de l'École occidentale de méditation. Et d'inviter à relire le mythe de Narcisse, qui est mal compris. Être narcissique, ce n'est pas être égoïste, c'est être bienveillant avec soi pour... mieux aimer les autres. 

De livre en livre, celui qui médite depuis 30 ans et qui a fondé l'École occidentale de méditation dénonce la course à la performance que nous imposent nos rythmes de vie et de travail, mais aussi l'idéal de perfection qui traverse la société, avec l'illusion de pouvoir « tenir » grâce à des outils antistress, comme le serait la méditation. En 2017, son précédent ouvrage, Foutez-vous la paix !, visait déjà à nous déculpabiliser de ne pas être « zen ». Cette fois, en réhabilitant le mythe mal interprété de Narcisse, le philosophe nous invite à avoir de la tendresse pour soi, comme on l'aurait pour un ami.
Que nous raconte le mythe grec de Narcisse ?
J'ai longtemps cru que Narcisse était l'être qui s'aime trop. Or, c'est tout l'inverse. Le mythe nous conte l'histoire d'un enfant à qui on a prédit qu'il vivra vieux s'il ne se connaît pas. Il grandit donc éloigné de tous les miroirs. Il est beau, mais se croit vilain petit canard. Loin de lui-même, il ne sait pas vraiment qui il est. Un jour, se mirant dans l'eau d'une source, Narcisse découvre un beau jeune homme et tombe amoureux de sa propre image, de cet étranger qui n'est autre que lui-même. Quand il finit par se reconnaître, il est heureux et se transforme en fleur blanche au cœur d'or, le narcisse, la première à éclore après l'hiver.
Ce mythe ferait écho aux souffrances de notre temps ?
Oui ! Car jamais nous n'avons vécu aussi loin et avec une telle défiance de nous-mêmes. Si, au XXe siècle, le mythe d'Œdipe était l'emblème de la psyché humaine, de cet homme écrasé par la loi du père, bravant l'interdit et qui cherche sa singularité, celui de Narcisse nous parle de l'être fragmenté d'aujourd'hui, qui s'auto-exploite et cherche sa cohérence. Conduit par la quête de performance, l'homme contemporain ne respecte plus ses besoins, il ne s'autorise plus à se reposer et se donne jusqu'à l'effondrement. Les risques d'épuisement psychologique  – dont le saisissant burn-out !  – sont les nouveaux virus du siècle. Chacun s'efforce en permanence d'être au top : bon professionnel, bon parent, bon compagnon, bon citoyen... s'instrumentalisant lui-même comme une machine. On le voit avec les jeunes enfants, qui ont déjà l'angoisse de plus en plus tôt de ne pas être à la hauteur. Il en découle des déficits d'attention, signe de ce stress qu'on leur impose pour rentrer dans la performance scolaire, en les évaluant de plus en plus tôt. Il est urgent de retrouver qui nous sommes, de faire la paix avec nos corps et nos esprits.
Être narcissique, ce n'est pas être égoïste, c'est avoir de la tendresse pour soi. 
Quelle nouvelle image de nous-mêmes Narcisse nous propose-t-il d'habiter ?
Le mythe nous invite à regarder dans le miroir pour retrouver notre vulnérabilité et les limites de notre propre humanité. Voir en moi « l'humaine condition », écrivait Montaigne. Être narcissique, ce n'est pas être égoïste, c'est avoir de la tendresse pour soi. C'est se regarder dans le miroir pour ne plus être trop loin de soi-même, pouvoir se témoigner de l'amitié  – comme à un ami dont on connaîtrait les défauts  – et se reconnaître des talents pour les faire grandir. Nous n'avons pas assez d'amour narcissique. À cet égard, il est symptomatique de constater que lorsque je demande aux participants de mes sessions sur l'amour bienveillant d'identifier une qualité qu'ils possèdent ou un acte bénéfique qu'ils ont accompli dans leur vie, plus de la moitié n'y parvient pas spontanément...
Ce serait donc en reconnaissant nos fragilités que nous pourrions retrouver confiance ?
Le psychiatre américain Milton Erickson raconte que, appelé un jour auprès d'une femme dépressive qui vivait isolée de tous, il lui a fait cette étonnante prescription : ayant repéré dans sa maison une bouture de violette dont la patiente prenait grand soin, il lui a demandé d'acheter dix pots garnis de fleurs et dix pots vides et de remplir ces derniers de boutures pour les offrir un par un aux autres villageois. L'existence de cette femme en a été bouleversée. En retour de ces cadeaux qui réveillaient en elle le plaisir et l'élan vital, elle a reçu compliments et reconnaissance jusqu'à devenir une personnalité appréciée de son village. L'histoire montre qu'un narcissisme bien orienté n'est pas une méthode de plus pour cultiver l'estime de soi, mais une image de soi-même à habiter, une confiance à nourrir pour retrouver sa vitalité et s'engager sur la voie de la transformation.

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source : la Vie

dimanche 21 janvier 2018

Les conseils de Marie-Noëlle Garrigou pour cultiver l'émerveillement



À travers l’art sacré de l’icône et de la mosaïque, 
cette orthodoxe est en quête de la beauté insoupçonnée.




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1. Immergez-vous dans la lumière

Quand il y a beaucoup d'ombre, il y a aussi beaucoup de lumière. C'est ce qui fait la richesse tout en contrastes de nos paysages - pensez à un ciel de montagne ! - et de nos existences, surtout quand surviennent les épreuves. Dans ces moments-là, ne vous laissez pas attirer et happer par les ténèbres mais, au contraire, immergez-vous et hydratez-vous dans la lumière. Plus vous cultiverez cette lumière, moins les ténèbres auront d'emprise sur vous et pourront atteindre la profondeur de votre être. Autrement dit : traversez la nuit de la Croix les yeux fixés sur la lumière de la Résurrection.

2. Retrouvez votre regard d'enfant

Cette immersion dans la lumière passe par l'attention à l'amour et à la beauté qui se cachent en toute chose, personne ou événement. Ne vous arrêtez pas aux apparences, aux écorces extérieures, aux ouï-dire et prêt-à-penser, mais donnez-vous la peine de chercher, d'ouvrir, de creuser, de gratter, de sonder... Demandez au Seigneur Son regard d'enfant pour voir avec le cœur et, ainsi, ne jamais cesser de vous émerveiller. Car découvrir des trésors et des merveilles derrière la banalité, l'absurdité, la violence ou l'âpreté apparente de l'existence, c'est cela l'émerveillement !

3. Recherchez l'humilité joyeuse

Deux fleurs me touchent particulièrement. La petite violette à l'odeur subtile et extrême : souvent cachée, elle ne se laisse découvrir qu'à celui qui s'abaisse et courbe l'échine. Et la magnifique rose trémière frisant parfois les 2 m de hauteur : on ne peut l'admirer qu'en levant la tête tel un insecte au pied d'une fleur. Ces deux attitudes tout autant physiques qu'intérieures, charnelles que spirituelles, me remettent à ma juste place et me ramènent à cette humilité joyeuse qui est une source intarissable d'émerveillement. Rien de tel, je vous l'assure, que de marcher en pleine nature !

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samedi 20 janvier 2018

11 ans déjà !!!


Ce blog à 11 ans et 4747 publications. 
Merci à celles et ceux qui me font confiance 
et me témoignent leur présence. 


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Ma déclaration de responsabilité face à la vie


1- J'accepte complètement et sans aucune arrière pensée que tout ce qui s'est produit dans ma vie, et ce qui arrive en ce moment dans mon existence, et tout ce qui peut se produire dans l'avenir, me fournit des occasions précieuses pour apprendre et grandir. Personne d'autre n'est à blâmer pour la négativité ou la douleur dont la nature émotionnelle fait l'expérience. Je ne chercherai aucune exception à cette croyance, même quand la cause apparente de mon problème est totalement indépendante de moi.

2- Je chercherai à toujours assumer entièrement ma responsabilité, tout en refusant la culpabilité. Plutôt que de chercher des excuses pour ce qui marche mal, je m'efforcerai de comprendre ce qui se passe, puis chercherai des moyens pour corriger la situation. J'assume la responsabilité entière de mes choix. J'affirme que nulle personne ou situation ne peut me faire sentir inférieur(e), rejeté(e), inadéquat(e) sans mon consentement, et que j'ai le libre choix de donner ou de refuser ce contentement.
 

3- Je refuse la croyance au hasard, qui est un des principaux mécanisme de déresponsabilisation dans notre culture. Je suis conscient que que je crée ma propre réalité par ma façon d'accueillir et d'interpréter les évènements de la vie. Je chercherai systématiquement les moyens et les solutions plutôt que les excuses et les refuges. Je préfèrerai l'ouverture et le risque plutôt que la passivité et la sécurité.

4- Je choisis de me respecter totalement, en toutes circonstances, quelques que soient les erreurs que je puisse commettre, et d'accorder ce même respect à toute forme de vie - humaine, animale ou végétale - que je rencontre.

5- Je dis OUI à la vie, OUI, OUI et encore OUI.

Extrait de "Plus jamais victime" - Pierre Pradervand



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vendredi 19 janvier 2018

Ouvrir l'oeil... de l'enfant


"....les grandes personnes semblent s'installer dans la vie comme dans leurs propres meubles .Comme si la table de leur repas et le lit de leur repos n'étaient pas des fourmilières d'atomes grouillants ! ce grouillement ,n'importe quel enfant le perçoit ! mais tu préfères te taire pour ne fâcher personne.
Ils sont si fiers de leurs meubles ! Ils s'efforcent de le tenir en place leur monde ! Ils le préfèrent entouré de bandelettes ,momifié ,ligoté plutôt que prendre le risques de le voir se déplacer, se transformer.
Or être enfant te précipite dans des espaces non surveillés où les objets les plus usuels ,un presse-orange, un casse-noix montrent leur visage glapissant, leur gueule tournée vers toi . 

Et jamais personne ne soupçonne que dans une fente du parquet, à quelques mètre de là ...vient de disparaître une horde de loups ................................
A la manière du vent qui fait surgir de grandioses formations de nuages ,les dissipe, les ébouriffe, les décoiffe, les effiloche, métamorphosant les formes en d'autres formes ..............................
Et le vertige qui étreint celui qui le contemple le met au cœur du REEL ......C'est cette irréalité fondamentale et irréductible de la réalité qui est, pour les adultes, le tabou des tabous .......Que te reste -t-il ,enfant sinon faire semblant chaque matin de croire que tu habites la même maison " .

Christiane Singer
" Les sept Nuits de la reine " p 87

jeudi 18 janvier 2018

Silence avant la renaissance...




Le 18 juin (1942) ..jeudi matin 8 heures 
" Entre ma machine à écrire ,un mouchoir et une bobine de fil noir ,ma rose thé se fane .Elle est d'une beauté et d'une délicatesse presque insoutenables . En s'étiolant doucement et avec résignation ,elle commence à quitter cette vie courte et froide .Elle est si fragile ,si charmante et d'une telle grâce dans sa mort lente que j'en ai presque le cœur brisé . Une rose thé aussi ,il faut la laisser mourir tranquillement en silence ,au lieu de s'y cramponner avec passion et désespoir .Avant ,je pouvais être inconsolable et ressentir une tristesse incompréhensible à la vue d'une fleur fanée .Mais il faut aussi apprendre à accepter le dépérissement dans la nature sans y opposer de résistance . Et savoir qu'il y a toujours une nouvelle floraison . "


 Etty Hillesum ;La paix dans l'enfer

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mercredi 17 janvier 2018

Au noyau de l'Être


La passion est destructrice parce que je tente de la retenir, d'en faire ma chose, ma propriété.

Or, je souffrirai jusqu'à en mourir - et beaucoup savent que ces mots ne sont pas exagérés - jusqu'à l'instant où je "passerai au travers". Le sens de la souffrance, c'est de traverser. Nous vivons dans une époque tellement poltronne qui nous protège, qui nous apprend surtout à ne pas souffrir, à rester en surface, à ne pas entrer dans les choses. Tout est superficiel.

Or "il n'est pas de petites portes, il n'est que de petits frappeurs". La passion nous offre une chance de traverser le mur des apparences.

[…] Alors seulement commence la responsabilité envers le monde, quand on s'aperçoit combien de choses on fait souffrir de sa souffrance, combien de choses et de gens et d'êtres étouffent de notre étouffement, de notre ressentiment, de notre haine, que de choses sont prises dans le réseau de nos désespoirs, que de choses nous entraînons dans nos dépressions, combien de plantes meurent autour de nous dans notre appartement, combien de morts entraînent nos dépressions.

[…] rester en contact avec la profondeur, se pencher sur ce qui m'habite, sur ce silence des entrailles. Quelque chose en moi sait que rien ne peut m'arriver, que rien ne peut me détruire. C'est ce noyau infracassable en nous, ce noyau infracassable du divin en chacun de nous. Alors la peur cesse et quand la peur cesse, il y a un drôle de morceau en moins d'horreur sur la Terre!

Christiane Singer, extrait de Terre du ciel

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