vendredi 16 mars 2012

Maurice Béjart : rencontre avec Taisen deshimaru...

Dans le geste bien fait, on retrouve l’artisanat. Voir travailler de vrais artisans me fascine : je trouve une telle beauté dans la précision de leurs gestes... Je pourrais passer des heures à regarder un potier. Avez-vous vu des cuisiniers japonais couper des morceaux de viande à une vitesse folle, dans des structures géométriques d’une perfection totale ? C’est hallucinant. On retrouve cette beauté dans tous les métiers techniques exigeant des gestes précis, efficaces, et toujours variés. La religion s’est elle aussi attachée à retrouver les gestes justes à travers les différents rituels...


Lorsque j’ai donné à Paris "la Messe pour le temps présent" après l’avoir créée à Avignon, j’ai dit à Deshimaru combien je serais heureux de l’avoir pour spectateur de ce ballet. Il m’a répondu : "D’accord, mais je veux venir sur scène." Or, durant toute la représentation, je me tenais à genoux dans un coin de la scène et rythmais l’action avec des percussions. Deshimaru s’est installé à côté de moi et est demeuré assis en méditation pendant les deux heures du ballet. Je l’aimais profondément. Il m’a certainement beaucoup influencé du point de vue spirituel, mais sans jamais peser... Nous suivions des voies parallèles, et tant de choses se transmettaient entre nous par le rire, le regard, l’amitié. J’allais le voir à chacun de mes passages à Paris. Je me revois encore arrivant au dojo à n’importe quelle heure... Il me voyait et s’écriait : "Béjart est là ! Du champagne !" Je ne sais pourquoi il m’avait associé au champagne, moi qui ne bois jamais... Il me fallait donc me plier à ce rite. Oui, mon amour pour lui était réel, immense... J’étais malade, et il m’a soigné par d’extraordinaires massages. Puis il m’a initié au zazen, nous avons comparé certains mouvements de danse à la pratique zen de la marche rituelle... Mais ce qui dominait avant tout, c’était ce sentiment de profonde amitié.


... cette immobilité du zazen est on ne peut plus dynamique, elle repose sur une tension de haut en bas qui paradoxalement, débouche sur le vrai relachement. En fait, il y aurait beaucoup à dire, mais je répugne à parler de ces choses, je ne trouve pas les mots. Finalement, sans doute serait-il plus intéressant de parler de cette pièce que de s’entretenir de moi puisque ce moi précisément, je n’y crois pas !


Maurice Béjart