vendredi 12 octobre 2018

S’il m’était donné de comprendre !


Cette exclamation définit la mentalité de l’homme occidental.
S’il m’était donné de comprendre pourquoi il faut exercer l’absolue immobilité pendant zazen ? S’il m’était donné de comprendre la différence entre ce que Dürckheim appelle « le corps que l’homme “a” » et ce qu’il appelle « le corps que l’homme “est” » ?
S’il m’était donné de comprendre le pour quoi de cette marche lente (Kin Hin) entre deux périodes d’assise ?
S’il m’était donné de comprendre à quoi bon pratiquer zazen, alors je pourrai commencer à pratiquer !


Les promoteurs d’une méditation dite moderne, soi-disant inspirée de la méditation bouddhiste (qualifiée comme étant la méditation ancestrale), répondent à ces questions et à bien d’autres. Avec comme garantie l’impérieuse nécessité de l’objectivité scientifique.
Voici ce qu’écrit un chercheur en neurosciences (1) : « Il y a aujourd’hui beaucoup de recherches sur le cerveau des moines qui méditent qui démontrent ce qui se passe lorsque nous méditons. » Ne serait-il pas plus objectif, et donc rationnel, de conclure que ces recherches démontrent ce qui se passe lorsque « ce » moine médite ? La méditation est un champ d’expérience individuel. Comme l’écrivait C.G. Jung « Les éléphants ça n’existe pas ; il y a chaque fois un éléphant ! » Ce qui échappe au chercheur scientifique obsédé par les mesures quantitatives (scanner, IRM, ECG, etc.) c’est le vécu subjectif, le vécu intérieur intime de la personne qui médite. La méditation ancestrale n’a rien à faire de l’entendement dans lequel s’enferme l’esprit occidental.

L’entendement ! Ce mot désigne la faculté intellectuelle de comprendre, de concevoir, de saisir ce qui est intelligible. L’entendement est le moyen de la connaissance raisonnée par opposition à la connaissance sensorielle et intuitive.
La présence au Centre, le mois dernier, d’Hirano Roshi, confirme combien Graf Dürckheim a intégré ce que, après avoir séjourné au Japon pendant une dizaine d’années, il désignera comme étant l’esprit oriental ; la clé de compréhension de la méditation proposée par le Bouddha, il y a plus de vingt-cinq siècles.
A peine installé au Japon (1938) Graf Dürckheim, docteur en philosophie et docteur en psychologie, cherche à comprendre ce qu’est le zen en se fondant sur cet entendement propre à la tradition occidentale. Jusqu’au jour où Daisetz Teitaro Suzuki (2) lui dit, avec conviction, qu’il est impossible de réaliser ce qu’est le zen en prenant appui sur la pensée discursive, sur le raisonnement, sur l’esprit - dans son fonctionnement intellectuel. La seule façon d’aborder le zen est de se soumettre à la pratique d’un exercice. Exigence d’autant plus étonnante pour l’homme occidental qui entend que, parmi les exercices qui lui sont proposés, il y a, par exemple, le tir à l’arc traditionnel (Kyudo), l’art du combat au sabre (Kendo), la calligraphie (Shodo) ou la méditation silencieuse et sans objet (zazen).
Il a fallu beaucoup d’abnégation et d’humilité, à ce professeur de faculté, pour ne pas rester enfermé dans l’approche du réel à laquelle il était accoutumé et de s’engager sur une Voie qui n’est autre qu’un chemin d’exercice et d’expérience enseigné par un Maître. Dans le monde du zen il est dit que : « Le chemin est la technique ; la technique est le chemin ».

Voici la réponse d’Hirano Roshi à un participant qui lui disait ne pas comprendre l’importance donnée à l’exercice de la marche lente (très lente) proposée entre deux périodes de zazen. « Lorsque après zazen nous exerçons l’exercice de la marche (Kin Hin) l’attention aux pieds est importante. Notre façon de marcher fait partie des pratiques importantes dans le zen. Les personnes qui ont beaucoup pratiqué se remarquent par la beauté et la dignité de leur manière de marcher. Dans la vie de tous les jours nous devons accomplir avec sérieux et ardeur ce que nous avons à faire à l’instant ; chaque chose, une par une, soigneusement sans la bâcler ». Le maître zen ne cherche pas à savoir ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’il exerce la marche lente. Il découvre, au cours d’une pratique quotidienne sans cesse renouvelée, que cet exercice participe au processus de transformation de soi-même ; jusqu’à l’expérience du grand calme qui émane de notre vraie nature, de notre propre essence.
La réponse du maître zen attire l’attention sur le vécu intérieur de la personne en chemin. Aux thèses savamment élaborées “à propos” de la méditation et des exercices méditatifs, le zen préfère l’exercice de la contemplation silencieuse de ce qui en chaque être humain est avant la science, avant la psychanalyse, avant la philosophie, avant la pensée, avant les raisonnements. Qu’est-ce qui est avant ? A l’origine ? Au commencement de notre existence ? Très simple : l’infaisable ! Ce qui n’est pas du ressort de « Je pense parce que je suis un être pensant » mais de « Je vis parce que je suis un être vivant ». Par exemple, d’instant en instant je respire et je n’y suis pour rien. S’il m’était donné de comprendre !

Je ne pratique pas la méditation zazen afin de comprendre quoi que ce soit. Je pratique quotidiennement cet exercice afin de me laisser saisir par l’infaisable ; les actions de l’être qui participent à l’épanouissement de l’être humain, au devenir soi-même. Je respire, donc je suis ! Et peu m’importe ce qui se passe dans le cerveau lorsque j’engage l’attention à JeInspireJeExprireJeInspireJeExprireJeInspireJeExprireJeInspireJeExprire… Ce que je découvre, ce que je sens et ressens, ce qui toujours de nouveau m’étonne c’est que, au cours de cet exercice, tout en moi se calme.

(1) Richard Davidson – chercheur en neurosciences – Université du Wisconsin – Madison. 
(2) Daisetz Teitaro Suzuki (1870-1966) a joué un rôle important dans l’intérêt pour le zen en Occident. C’est ce savant du zen qui a introduit Graf Dürckheim dans l’école où il a pratiqué le tir à l’arc. Lire la préface du livre de Eugen Herrigel : le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc (1953) Ed Dervy.


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