dimanche 11 mars 2012

La paix n’a pas de prix avec Alexandre Jollien

Un jour où mon humeur était ­plutôt chagrine, sans me demander plus avant ce qui me ressourcerait véritablement et durablement, j’ai foncé dans une grande librairie pour acheter l’ouvrage qui aurait réponse à tout et soignerait un mal-être profond. Évidemment, je ne l’ai pas trouvé et tandis qu’agenouillé par terre, je regardais défiler les titres des volumes curateurs, une femme m’a accosté et m’a dit, assénant le coup de grâce : « Vous savez, la conférence que vous avez donnée en novembre… Eh bien, après, j’ai fait une dépression, à cause de vous ! » `


Par terre, désemparé, je me suis contenté de sourire, de l’écouter, sans mot dire. À ses yeux, elle était entrée en dépression tant elle avait été bousculée par mes propos. Je n’ai pas eu le courage de lui dire que je n’étais pas tout à fait en forme ce jour-là ni que je doutais qu’une conférence puisse constituer l’unique élément déclencheur d’un épisode dépressif. Bref, je me suis écrasé avec le ­sentiment de m’être nié.


Cette aventure révèle que trop souvent, je crois devoir acheter une paix intérieure, une tranquillité. Le prix ? Se taire, aller dans le sens des gens, ne jamais contredire. La peur de ne pas être aimé me rend servile, presque prêt à tout. Pourtant, devant les rayonnages de livres, un homme à terre a réalisé que ni la paix ni la joie ne coûtaient ce prix. Au contraire, elles étaient gratuites et données.
Pour sortir du désarroi, je me suis confié à un ami qui m’a fait comprendre à quel point je jouais un rôle, et qu’une petite phrase vraie aurait peut-être apaisé mon interlocutrice et le paumé en face d’elle. Un « je crois que non ! » aurait désamorcé une situation tendue. Effectivement, je ne pense pas posséder un pouvoir surhumain qui pourrait rendre heureux ou malheureux les auditeurs. Mais lorsque je ne suis pas d’accord, au lieu d’oser un prudent mais convaincu « je crois que non », je me tais et me cache.


Comment faire preuve de liberté sans écraser, comment écouter l’autre sans s’écraser ? Peut-être d’abord en observant comment j’aime mes enfants. Ils n’ont pas besoin de faire quoi que ce soit pour être aimés. Je les accueille tels qu’ils sont, je me réjouis de leur existence. Souvent, je dis à mon fils : « Tu pourrais cramer la baraque, je t’aimerais quand même. » Bien sûr, j’ajoute aussitôt : « Mais je te le déconseille vivement ! » Jamais, pourtant, je ne me voue un tel amour. Je dois en faire des tonnes pour me trouver aimable alors qu’il suffit d’être, simplement. Pire, je crois que les autres vendent leur amour à des conditions précises : je dois être aimable, aller dans leur sens…
Pour tisser l’allégorie marchande, je dirais que je brade mon amour, que je l’offre au plus offrant en pensant le monnayer, le troquer. Je te rends ce service pour que tu me rendes la monnaie de ma pièce en m’appréciant inconditionnellement. Je fais le beau afin que tu me trouves bien. Et si le remède venait précisément de celles et ceux que j’aime librement ? Lorsque je regarde ma femme et mes enfants, par exemple, j’expérimente que je suis aimé sans condition. Il me suffit d’être. Les jours de chagrin, je suis accueilli comme un papa et comme un mari.


À vouloir chercher l’approbation partout, je me coupe assurément de tous ces yeux bienveillants qui ne réclament rien que moi et qui m’invitent à devenir pleinement ce que je suis plutôt qu’à jouer un rôle et à m’échiner à acheter ce qui est heureusement hors de prix.


Source : La Vie