lundi 7 décembre 2020

Confinement et nostalgie

  


  « Le monde d’après ne sera plus comme le monde d’avant ! » 

Cette opinion est pour les uns une source d’inquiétude et pour d’autres une espérance. Il n’empêche qu’il en est ainsi depuis toujours. Étant au bord d’une rivière, contemplez l’eau qui coule … coule … et demandez-vous comment vous allez faire pour vous baigner une fois encore dans l’eau du jour d’avant ou du jour d’après ? 

Le refus de la loi de l’impermanence s’enracine dans cette part de nous-même définie comme étant l’EGO. 


L’ego ? Lorsque je demande à Graf Dürckheim ce qu’est l’ego, il me répond : « L’ego ? c’est cette entité, cette représentation mentale de soi-même, qui pense : moi je suis moi et je veux rester moi ! ». 

En même temps, il semble qu’une nostalgie autre que le désir de revenir au monde d’avant, profite du confinement pour sourdre du plus profond de notre nature humaine. « L’impression, me disait une participante à une retraite,  que manque quelque chose d’essentiel à ma manière d’être, qui me permettrait —dans le monde tel qu’il est aujourd’hui—, de pouvoir donner sens au simple fait de vivre. La méditation serait-elle le moyen de combler ce manque ? ».

 


A sa question, il me faut répondre que c’est là le sens de l’exercice appelé ZAZEN : « l’éveil de l’homme à sa vraie nature en tant qu’être humain » ; à son être essentiel, qui n’est pas l’ego.  Mais je ne suis pas sûr que ce soit la visée de ce qu’on entend aujourd’hui comme étant la MÉDITATION, cet exercice qui met l’accent sur l’utilisation du mental (mind) et participe au développement des potentialités de l’ego. Est aujourd’hui proposée, sous le nom de méditation, une méthode qui participe à ce qu’on appelle le développement personnel.

Curieuse naïveté que celle d’imaginer que en restant enfermé dans le MOI, domaine de l’angoisse et des états qui l’accompagnent, je vais pouvoir assurer ma sécurité, mon confort et ma santé ! 

Graf Dürckheim écrit : « Si l’homme occidental perçoit l’impasse à laquelle sa pensée l’a conduit, il sera obligé de —prêter l’oreille— à la voix de son être essentiel insaisissable par la pensée objective ».

Prêter l’oreille ! Accueillir ! Être touché ! 

Ces mots, bien mieux que le mot —méditation—, traduisent exactement le kanji ZEN.

 


Nous devons au maître Zen Sôtô Hirano Katsufumi Rôshi (1) un puissant éclairage sur la différence entre Zazen et méditation :  « Il y a mille et une façon de méditer ; il n’y a qu’une façon de pratiquer zazen ! »    « On ne pratique pas zazen avec le mental (Mind) ! »    « Zazen est avant tout une manière d’être en tant que corps ! ».

 

ZA-ZEN ? Ce n’est pas un nom, un substantif. C’est une action. 

 

Za, ce n’est pas une posture, une assise ; c’est une action du tout corps-vivant que je suis qui, d’instant en instant s’organise et se réalise. Za, c’est se poser dans l’espace-vécu et le temps-vécu (ce qui me libère de mes égarements dans l’espace-pensé et le temps-pensé). 

Zen, ce n’est pas quelque chose ; c’est l’action qui consiste à prêter l’oreille, à accueillir ce qui se présente d’instant en instant grâce à ce processus du corps-vivant qu’est le sentir. Nous rencontrons ce qu’on appelle la vie, le monde, grâce à nos cinq sens. La pensée nous écarte du réel en fabriquant des représentations du réel.

Pour avoir la chance de toucher, ou d’être touché, par l’essentiel il faut se glisser dans le sentir. C’est l’attention portée à la profondeur d’une qualité sensorielle qui donne accès à l’expérience qu’est notre vraie nature.

 

C’est tout ? Oui. Et c’est d’autant plus stupéfiant pour notre esprit occidental, sans cesse animé par l’exigence de faire quelque chose, au point de croire que si je ne fais rien, rien ne se fera ! D’où l’importance de s’entraîner à la réalisation d’une action inhabituelle : l’exercice de l’absolue immobilité. Là où est la parfaite immobilité, il n’y a pas de place pour l’ego !

 

On ne pratique pas zazen avec le mental ; zazen est un exercice vital.

 


Vital
? Oui, corporel ! 

S’agit-il d’une gymnastique dans laquelle on engage cet outil qu’est le corps qu’on A (Moi et quelque chose mon corps) ? Non. Il s’agit de passer de l’idée « J’ai un corps (Körper) » à l’expérience que « Corps je suis (Leib) ». Expérience que ce que j’appelle la vie n’est pas dans le corps ; expérience que le corps (Leib) est la vie qui d’instant en instant prend forme.   

Le corps-vivant n’est pas quelque-chose. La vie n’est pas dans le vivant ; le vivant est la vie qui, d’instant en instant, se réalise et s’organise dans une forme pensée comme étant matérielle. Tout ce qui vit — devient ce qu’il est et est ce qu’il devient — selon un ordre des choses qui n’est pas du ressort de l’ego ; le mental n’a rien à faire dans ce processus vital.

 

Tout se complique ! Non, tout devient plus simple ! Parce que si notre vraie nature, notre être essentiel est insaisissable par la pensée, cela ne signifie pas qu’il soit inconnaissable. Le chemin de connaissance est un chemin d’exercice et d’expérience. 

Aussi bien, revenons à zazen, cet exercice si différent de ce qu’on appelle méditation :

Être là, assis, dans la verticalité intérieure et la forme corporelle voulue par cet ensemble d’actions infaisables qu’est l’acte de vivre. ET, sentir qu’en ce moment : je inspire. « JeInspire » et moi je n’y suis pour rien. « JeInspire », en un mot, sans intervalle entre ce que je nomme « Je » et ce que je nomme « Inspire » ; parce qu’il n’y a ni distance ni écart de temps entre le sujet et le verbe. Pas de dualité. 

Et voilà qu’en ce moment, pour ce moment, « JeExpire » et moi, je n’y suis pour rien.

 

À quoi bon reprendre, jour après jour, cet exercice qui n’est pas un exercice mais une manière d’être de tout soi-même. C’est ce que, au cours de son séjour au Japon, Graf Dürckheim demande au vieux moine auprès duquel il pratique zazen : « en quoi consiste votre exercice que vous pratiquez depuis tant d’années ? « 

Réponse : « Ah, c’est difficile ! Je cherche à vraiment libérer le va-et-vient du souffle (KoKyu) et c’est curieux, lorsque j’y arrive … TOUT EN MOI SE CALME ».

 

Tout en moi se calme ! Nostalgie on ne peut plus légitime en ce temps de confinement …

 

Zazen est vraiment différent de ce qu’on appelle aujourd’hui méditer !

 

Jacques Castermane

 

(1) Hirano Katsufumi Rôshi : ENSEIGNEMENTS Propos recueillis par J. Derudder (www.tenchijin-zenkai.fr)


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