vendredi 18 avril 2014

L'absolu à fleur de terre avec Marie Cénec

...Toute mon enfance, puis durant mon adolescence, la foi a été un lieu de ressourcement, en particulier lorsque ma place d’aînée dans une fratrie de cinq enfants me contraignait à des responsabilités prématurées. Je me posais aussi beaucoup de questions existentielles : quel est le sens de la vie ? Pourquoi la souffrance ? Et Dieu dans tout ça ? Pas à pas, l'angoisse de vivre s’est mue en apaisement : c'est comme si une graine de paix avait éclos en moi, prenant petit à petit de plus en plus de place. Une véritable conquête d’un espace de liberté intérieure.

«Ne crains pas, crois seulement »
Cette phrase de confiance m’a bouleversée. Je l’ai entendue à l’âge de 15 ans de la bouche d’un pasteur pentecôtiste. « Va de l’avant », « N'aie pas peur de vivre », voilà ce qui vibrait en moi. Si je me disais croyante, je n'en étais pas moins un peu allergique aux églises. Non baptisée, je vivais ma foi seule, dans un cœur à cœur direct avec Dieu. Mais ce jour-là, j’ai soudainement eu envie d’être à la place de ce pasteur, face et avec les personnes présentes. Le désir de transmettre cette foi vivante qui m’animait, de prêcher, est né à ce moment-là.

L’absolu à fleur de terre. Voilà comment je qualifierais ma vie spirituelle. Entière de tempérament, j’ai dû peu à peu réviser mes exigences, envers moi-même, les autres et le monde, pour y poser un regard plus doux. Avant cela, il m’a fallu partir en guerre, aller au bout de mes questionnements. Sur la souffrance et certains sentiments d’in-justice, sur mes incapacités et mes faiblesses. Ce combat a aussi été vécu dans la maladie. À 25 ans, j’ai eu une grave thrombose-j’en porte aujourd’hui encore des séquelles. Confrontée à ma finitude, j’ai réalisé que je ne pouvais pas tout faire comme je le voulais et qu’en moi pouvaient cohabiter vulnérabilité et vitalité.

J’ignore à quel point l'expérience de la maladie a contribué à mon désir d’être pasteure, mais la question a refait surface, après la première intuition de mes 15 ans. Encore une fois, je devais me frotter à mes résistances : « Pasteure, c’est tout de même pas classique ! » « Auras-tu les épaules pour porter cette responsabilité ?» « Vas-tu toujours assumer le prêche de paroles te paraissant parfois un peu “folles” ou mystérieuses ?» « Vas-tu toujours avoir l’énergie pour vivre cette “intranquillité paisible” qu’est la foi ? » D’un autre côté, mener une petite vie confortable et lisse ne me correspondait pas. Je me suis donc engagée sur la voie du ministère. Au bout d’une semaine de stage pastoral, j’étais conquise.


Porter une parole au cœur du monde, la faire vivre inlassablement dans les grandes et petites choses du quotidien, voilà le sens que je veux donner à ma vocation de pasteure. Je crois en une Parole incarnée, celle qui descend dans le cœur, en se frayant un chemin dans le corps. Un corps, des émotions, une intelligence qui peuvent être réconciliés, unifiés. C’est ce que j’expérimente dans mon atelier « Évangile en pleine conscience », que j’anime à l’Espace Fusterie, un centre spirituel et culturel situé en plein cœur de Genève. Lors de cette session hebdomadaire d’une durée de 45 minutes, j’invite les fidèles ou curieux d’un jour à se réapproprier la Parole autour de trois temps : la prise de conscience de son corps et de sa respiration, la méditation de la Parole et enfin la prière. Trois temps d’harmonisation du corps et de l’esprit pour une disponibilité à soi, à la Parole et à l’autre.

Une harmonisation intérieure que je m’évertue à cultiver autour de moi, en particulier dans les lieux où je travaille. Je crois en effet que le soin apporté à son environnement est vecteur d’apaisement et de ressourcement. De jolis coussins, une douce lumière, un agréable fond musical... mais aussi des symboles, comme des bougies, nous rappellent que nous sommes appelés à vivre la beauté et l’éclat de Pâques. Tous les jours.

Marie Cénec 
(source La Vie)

Vendredi saint : Se situer face à la souffrance

Ce que vit Jésus

Après avoir fait flageller Jésus, Pilate le livre aux grands prêtres pour être crucifié (Marc 15, 15). Cette mort en croix demeure pour nous chrétiens un événement central. C'est pourquoi, à la suite de grands théologiens, comme le cardinal Ratzinger devenu Benoît XVI, nous devons en comprendre la juste signification pour éviter de tomber dans des logiques mortifères. Que veut-on dire en affirmant « le Christ est mort pour nous » ? Faut-il comprendre que « le sang de Jésus est le prix d'une dette exigée par Dieu en compensation de l'offense infligée à son honneur par le péché des hommes ? » Le Père aurait-il obligé son Fils à mourir pour être vengé du péché de l'humanité ? A-t-Il programmé le supplice et la mort de Jésus ? Non, le Père ne veut pas la mort de Jésus ! L'œuvre de mort vient des hommes, l'œuvre de vie vient de Dieu. Le christianisme n'introduit pas la souffrance et la mort, mais il les prend en compte parce qu'elles existent. Le Christ nous précède et nous permet de les traverser par et avec Lui. Ce qui rachète et libère, ce n'est pas la souffrance du Christ en elle-même, c'est qu'au cœur d'une intense souffrance physique, morale, d'une tristesse insondable, de l'abandon, la trahison, l'échec, il demeure un homme pleinement vivant, espérant, aimant, toujours relié au Père, alors même qu'il traverse un désert intérieur.

Ce que j'en fais

Nous avons à notre tour à nous situer consciemment face à la souffrance. Car, ayant choisi un chemin de vérité, nous la rencontrerons, par le seul fait, déjà, de renoncer à des habitudes, des types de relations auxquelles nous étions accoutumés, mais qui ne nous menaient nulle part. Comme le soulignait mon ami le père Xavier Thévenot, la souffrance peut écraser, isoler, épuiser les forces vives de la personne. Nous avons donc à la combattre, non à la rechercher, ce qui serait violer la première loi de la vie. Mais lorsqu'elle est là, nous devons la vivre de telle façon qu'en jaillisse de la vie. Doit-on, dès lors, « offrir ses souffrances », comme on le disait souvent ? Ce que l'on a à offrir, c'est notre choix de la vie dans une situation de souffrance, non notre souffrance en elle-même. Ce qui importe, c'est donc la façon dont, guidés par l'Esprit-Saint, nous allons mobiliser nos ressources, pour inventer de nouvelles façons d'être, pour donner quand même un sens à notre existence.

Que signifie « porter sa croix » ?

Les Pères de l'Église interprétaient la croix en s'attachant à la direction de ses branches. La verticale représente le Verbe, la Lumière, l'Esprit-Saint, la grâce. L'horizontale, la terre, la chair, la matière, l'être humain. À l'intersection des deux se trouvent Jésus le Christ, le médiateur, le rédempteur qui permet qu'un bien émerge d'un mal. Porter sa croix pourrait ainsi signifier consentir à ce que le Verbe illumine notre chair. Nous avons alors à sortir de notre verrouillage intérieur pour accueillir l'Amour et la Lumière, c'est-à-dire la vérité sur nous-mêmes. C'est le début d'un chemin de remise en ordre, de restauration, en Christ, dans le souffle de l'Esprit-Saint, pour vivre pleinement notre dignité d'enfant de Dieu appelé à faire advenir le Royaume.

Simone Pacot