lundi 13 septembre 2010

Lire un mandala...

Tous les mandala ne sont pas éphémères. La plupart sont peints sur du tissu avec de vraies couleurs. Ils ne comportent aucune référence au monde phénoménal et demeurent enfouis dans la nuit des monastères. Cet art naît entre le VIIème siècle, époque où le bouddhisme pénètre le Tibet, et le XIème siècle. Terme sanskrit qui signifie «disque» ou «cercle», diagramme où les couleurs et les figures sont déployées autour d'un axe central, le mandala est destiné à la méditation. Lui seul réunit toute la gamme des déités du panthéon tibétain.
Le chiffre cinq gouverne le mandala. Dans son disque, dominent tour à tour cinq ères, cinq enceintes, cinq Bouddhas ou Jinas : vainqueurs. Cinq couleurs rythment ce diagramme : le bleu foncé, le jaune, le rouge, le vert et le blanc. A chacune, correspond une passion. Au bleu, la colère, au jaune, l'orgueil, au rouge, la concupiscence, au vert, la jalousie, au blanc, les ténèbres mentales. Cette peinture recèle un enseignement qui annonce la psychanalyse, la physique des particules élémentaires, la notion de patrimoine génétique ! Certains ont parlé à son propos de «gymnastique mentale».
Lire un mandala, c'est le parcourir du regard en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre, en traverser des yeux les aires colorées, en franchir les différentes enceintes, pour finalement en atteindre le centre. Mais non sans s'être au préalable délesté de nos passions, non sans avoir réalisé que ce «moi», à la fois acquis et inné, dont nous sommes si fiers en Occident, tout compte fait, n'est qu'une illusion. Au centre, figure la conscience claire et supérieure à laquelle on doit s'identifier. Des initiés parlent d' «extinction du moi», d'«éveil». Alors, le monde phénoménal qui nous entoure, et dont l'existence devait à nos sens à présent domptés, apparaît à son tour comme une illusion. Mais la physique des particules élémentaires ne nous enseigne-t-elle pas que la matière, en apparence immobile, solide, est en réalité composée d'atomes, de neutrons, d'ondes ? Ainsi la roue du temps n'est-elle pas destinée à flatter notre sens esthétique.
Au Tibet, l'art pour l'art n'existe pas. Ces couples en union disent le mariage de la connaissance et de la sagesse. Ces Jinas harmonieux, la route qu'il faut emprunter. Ces démons vigoureux, qu'il est dangereux de s'abandonner à ses passions. Cette sensualité à l'œuvre est d'abord au service de l'esprit, du vide. Et du bien. Car celui qui parvient à cette «extinction du moi», celui-là devient plus disponible aux autres ; la pratique du vide annonce celle de la compassion. Art millénaire, éminemment canonique, respectueux des règles, art utile, le mandala n'en fait pas moins appel aux artistes les plus doués. Plus les démons font peur ou plus les étreintes sont fortes, ou les Bouddhas songeurs, ou les couleurs intenses, en somme plus l'indicible s'inscrit dans le mandala, et plus cette œuvre gagne en richesse spirituelle.
Jean-Pierre Barou (auteur de «L'oeil pense», Balland)
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