samedi 10 août 2013

Tu t'abandonneras à la contemplation avec Philippe Mac Leod

   Plutôt que par la figure traditionnelle du reclus, contempler se comprendra mieux par l’attitude qui consiste à s’exposer au regard de la lumière, en ouvrant largement le nôtre, en le lui offrant comme un long tapis déroulé sous ses pas. La contemplation décline tout le registre de la perception, mais dans le sens de l’accueil, du libre accès : entendre, voir, laisser résonner, laisser pénétrer, sentir, intérioriser ; percevoir, recevoir, saisir, prendre conscience d’une réalité qui nous échappe, qu’on laisse filer – la saisir au vol, la retenir, pour s’en imprégner et y entrer davantage.

   Percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Laisser s’élargir l’instant présent, non plus d’avant en arrière, comme nous le faisons d’habitude, vers le passé et l’avenir, mais de haut en bas et de droite à gauche, à la mesure de l’espace qui nous environne. Abandonner un moment le souci de l’information, le savoir sommaire, la fiche technique qui accompagne chaque chose, pour la regarder en intégrant ce qu’il y a d’invisible autour d’elle, cette auréole de solitude lumineuse qui l’enveloppe comme une mandorle. Il est une sorte d’intimité du réel, qui m’est intérieur comme je lui suis intérieur. Non pas une humanisation de la moindre chose, en lui prêtant mon âme et mes sentiments, mais en l’appréhendant dans la totalité d’un être du monde qui résonne en chacune de ses cellules vivantes, dans le bibelot isolé, le plus petit brin d’herbe, pourvu que nous les regardions avec une attention purifiée, dégagée de nos préoccupations immédiates.

   Regardons l’arbre pour lui-même, dans la lumière dorée qui lui fait comme une seconde écorce. Regardons-le sans trop d’insistance, sans peser de tout notre poids sur sa présence légère et silencieuse. Laissons-le se déployer dans l’azur du ciel à la manière d’un élan gratuit et généreux, une explosion muette, et sur le fil à peine tendu de ce regard attentif sans curiosité, présent et distrait à la fois, se fera entendre le murmure intérieur : vous regardiez un arbre et vous percevez l’universel.

L’exercice, cependant, est délicat : s’abandonner à l’attention. Savant mélange d’effort, de vigilance, et de distance, presque de détente. C’est dans cet équilibre difficile, nécessairement instable, que la vie peut donner toute sa lumière, que l’esprit devient une aventure, l’être, un espace libre et exaltant. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt – les visages, les ombres et les lumières, les grands ciels gris ou les infinis d’azur. Essayez, vous verrez, Dieu vous parlera autrement.

C’est tout cela que doit porter notre action : cette plénitude, cette présence qui laisse affleurer le tréfonds où elle s’enracine. Mais pour y parvenir, il nous faut suspendre un moment le regard, l’immobiliser pour que ses eaux se clarifient, attendre patiemment que tous les sables remués retombent au fond, que la surface redevienne lisse. Le retourner vers soi aussi, plus souvent, non pas s’observer, se crisper, mais s’exposer à cette lueur fragile qui remonte des confins de notre être, comme un murmure des commencements, le rayonnement d’un premier matin qui en nous, à chaque instant, chaque battement, renouvelle son miracle fondateur. Contempler, sans rien forcer, sans même parfois le savoir, c’est s’ouvrir à cet instant immémorial, cette éclosion bleue de la terre primitive, comme un fond d’éternité et de paix derrière chaque objet, chaque heure, chaque visage qui apparaît, chaque geste, s’il sait ne pas en troubler la surface. Rechercher cette clarté : Dieu se respire si l’on vit la réalité dans une complète transparence.

Contempler, c’est percevoir avec notre esprit, notre chair intérieure. Essayez, fréquemment, n’importe quand, sur un banc, dans la rue, dans un train, dans un square ou une forêt. Vous verrez, Dieu vous parlera autrement.

Philippe Mac Leod 
(source : La Vie)


A propos de la certitude avec Arnaud Desjardins

Mais qui se sent vraiment établi dans la certitude ?
Pourtant il n'y a pas de vie possible dans le doute. Et un être humain ne peut vivre dans la certitude que si ses
activités sont reliées les unes aux autres, si, autour d'une vérité centrale, métaphysique et religieuse, il peut organiser - rendre vivantes comme un organisme - toutes ses autres activités sans exception...

En procédant méthodiquement vous allez peu à peu vous libérer du christianisme incomplet de votre enfance
et accéder à une foi d'adulte. Si vous posez la question avec une intense sincérité : « Où réside la vérité? », peu à peu, de la profondeur, la réponse montera, non pas comme une réponse qui vous est donnée du dehors et dont votre intellect s'empare mais comme une vérité certaine.
Et de cette façon-là vous éviterez le syncrétisme, parce que la certitude vient de l'intérieur...

On pourrait dire d'une manière générale que la tragédie du chercheur spirituel est de mettre peu et mal en pratique l'enseignement auquel il adhère. Et pourquoi en est-il ainsi? Parce qu'il n'est pas certain, au vrai sens du mot certain. Et en même temps, comment acquérir une véritable certitude si ce n'est en vérifiant par vous-mêmes, afin que l'expérience vous appartienne en propre et soit inscrite dans la totalité de votre être? Vous n'aurez cette certitude qui vient de la vérification que si vous mettez en pratique, et vous ne mettrez en pratique que si une première conviction est déjà suffisante.

Par ailleurs, l'Épître aux Hébreux, dont on ignore d'ailleurs l'auteur, nous propose une définition très intéressante de la foi : « La foi est une manière de posséder déjà ce qu'on espère, un moyen de connaître des réalités qu'on ne voit pas ». Une autre traduction donne : « La foi est le fondement de ce qu'on espère et la preuve de ce qu'on ne voit pas ». Ou encore : «la certitude des choses invisibles».
N'y a-t-il pas déjà un abîme par rapport à notre conception habituelle de la foi si le mot "pistis" signifie preuve et que la foi est définie comme la certitude des choses invisibles.
Le terme invisible nous fait tout de suite penser à cet autre mot-clé de l'hindouisme qui est le mot voir. Une
même racine a donné veda en sanscrit, videre en latin, c'est-à-dire vision. Je ne crois pas trahir les textes en
disant que la foi est la vision des choses invisibles. Et si elles ont été vues, c'est bien qu'elles peuvent l'être sous certaines conditions et non pas crues parce que votre curé vous a dit que sinon vous irez en enfer.

Vous pouvez faire grandir votre certitude, vous pouvez faire grandir votre vision des choses qui sont pour vous encore invisibles à l'heure qu'il est, vous pouvez changer jusqu'à ce que vous soyez en mesure de les voir...

Arnaud Desjardins
Extraits de "En relisant les évangiles"


Etre vivant avant tout avec Bernard Campan (4)

Dans ce cheminement, quelle place a pour vous la vie familiale, la vie conjugale ?
Une très grande place. On parlait de vocation, eh bien ! J'ai vraiment l'impression que ma femme et mes enfants en font partie. Ces dernières années, quand j'ai écrit mon propre film, j'ai moins tourné car ça correspondait à l'arrivée de notre deuxième enfant, Nina, qui a dix ans aujourd'hui. Notre premier, Loan, avait cinq ans ; donc je me suis dit : « Ils sont petits, il faut que j'en profite le plus possible et qu'on passe du temps ensemble '. J'ai très peur de louper ça, d'avoir des regrets. Alors j'essaie d'être présent au mieux, le plus possible, d'être un père à l'écoute. J'essaie aussi de ne pas trop vouloir leur inculquer ce que moi-même j'ai peine à découvrir, la spiritualité par exemple. J'essaie de ne pas trop leur donner de leçons et d'apprendre d'eux le plus possible.

Quels sont vos projets, tant personnels que professionnels ?
J'ai parlé tout à l'heure de faire la suite des Trois frères. Ce n'est pas encore tourné et l'écriture n'est pas finie. Mais c'est évidemment un projet important ! Je viens de tourner un film qui est le numéro 3 du Cœur des Hommes, un film de Marc Esposito. Il sortira en octobre prochain.
Des projets, j'en ai plein. Avec Alexandre Jollien, aussi, on a des projets : comment mettre sur scène notre amitié, comment faire partager ça ! On a fait des conférences ensemble. Ce n'est pas facile pour moi de témoigner de ma spiritualité à ses côtés, lui qui est tellement lumineux et charismatique. II aurait voulu en faire une sorte de spectacle, un spectacle improvisé : nous n'avons pas encore trouvé ! Nous avons également le projet de faire un film ensemble... Et je voudrais faire un deuxième film personnel, que je n'arrive toujours pas à écrire...

Percevez-vous votre évolution ?
Oui. J'ai de plus en plus confiance et foi dans la vie, mais ce qui évolue moins, c'est cette confiance en moi. Fondamentalement, quelque chose est inscrit : « Je n'ai pas confiance en moi ». L'autre jour, j'avais écrit une lettre, et j'ai voulu la faire lire à trois quatre personnes pour savoir si je pouvais l'envoyer, si elle était digne d'être envoyée. C'est difficile pour moi : je suis très perfectionniste et la dévalorisation va de pair. C'est justement parce que je me sens nul que je vise la perfection. C'est épuisant, en particulier dans l'écriture, de viser toujours une forme de perfection, et de se sentir nul au fond de soi. Ce manque de confiance en moi, aujourd'hui je m'en libère, mais je ne lutte pas contre, ce n'est pas possible. J'en émerge progressivement. Je le vois, j'en souris. On parlait de l'humour, c'est extraordinaire quand je vois à quel point parfois je me minimise. Et l'orgueil ! L'orgueil que je peux avoir, c'est risible ! Je laisse le mécanisme fonctionner et j'essaie de ne pas m'identifier à ce mécanisme.

La crise vous semble-t-elle encore devant nous ? 
Quelqu'un a dit : "Je plains l'humanité d'être dans d'aussi mauvaises mains que les siennes ". Je pense aussi à ce texte de Fred Vargas : " On a utilisé le monde, et maintenant on paie l'addition", texte magnifique sur ce sujet ; c'est superbe ce que Fred Vargas a écrit. Tout ça, c'est fort. Et puis quand vous dites : « Cette
crise qui arrive c'est fort aussi, parce qu'aujourd'hui on a envie de dire : " La crise, elle n'arrive pas, elle est là, mais elle arrive aussi, elle ne cesse d'arriver et de s'amplifier ". 
La crise a tellement de formes ! J'ai peur mais, justement, ça me pousse à être le plus possible ouvert, épanoui, pour pouvoir à mon tour me tourner vers les autres ; parce que dans les années à venir il y aura un besoin d'aide beaucoup plus grand qu'on ne l'imagine. Je pense qu'on va au devant de périodes très sombres. Je ne veux pas noircir le tableau, mais je pense qu'on n'est qu'au début... 
Donc, si j'ai quelque chose à faire. c'est déjà d'essayer de m'ouvrir le plus possible. afin de pouvoir m'ouvrir au monde. Je pense qu'il y aura beaucoup à faire, et tant mieux d'ailleurs. Je suis optimiste d'une certaine manière. Comme les forces, tout s'équilibre à un moment. La souffrance n'est pas à désirer, pourtant, quand elle est là, il y a un équilibre que l'on peut retrouver. Si nous avons une part à jouer, moi et tous ceux qui peuvent le faire, c'est de nous ouvrir à la souffrance du monde. 
Arnaud disait : " A chaque action, est-ce que vous participez à la guérison du monde ou à la maladie du monde ? Posez-vous la question ». 

Interview de Bernard Campan dans la belle revue "Reflets" (mars 2013)
(photos des lieux : Gandha)