vendredi 31 janvier 2020

La pratique spirituelle



Le café théo inter-tradition reçoit Emmanuel Desjardins qui assure depuis 2014, la direction spirituelle du Centre de Hauteville fondé par son père Arnaud Desjardins.

Ecouter l'interview
(source RCF janvier 2020)


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jeudi 30 janvier 2020

Méditations possibles... (1)


Méditer veut dire "devenir un témoin". Dans la méditation vous devez donc tout simplement devenir le témoin de vos pensées et de vos émotions ainsi que des sensations physiques qui sont en vous, mais sans jamais vous arrêter dessus. C'est un processus de déconnexion avec votre ego et un processus de déconditionnement mental.

Pourquoi méditer ?

La méditation aide à nous sortir de ce monde de pensées et d'émotions et à entrer dans un état de silence. Une fois le vide obtenu, la vie devient plus légère et plus harmonieuse. C'est d'ailleurs une bonne indication de votre niveau de méditation : Si vous vous sentez calme, détendu et que vous avez trouvé la paix intérieure, c'est que vous méditez correctement. Pour finir, la méditation permet de lâcher prise et par voie de conséquence de développer l'intuition. Il y a plusieurs méthodes de méditation, en voici deux principales. Choisissez celle qui vous conviendra le mieux. La méditation vous aidera également à lutter contre le stress, le trac, la fatigue et l'énervement.

Exercice numéro 1 : Le témoin

Cette technique est très ancienne et c'est la forme de méditation la plus simple qui existe. Asseyez-vous confortablement et fermez les yeux. Détendez-vous. Soyez simplement conscient de votre respiration. Portez votre attention sur le ventre, qui se soulève légèrement à chaque inspiration, puis se vide à chaque expiration. A chaque fois que votre attention s'évade, ramenez-la avec souplesse sur la respiration. Aucune tension, aucun effort, aucun contrôle n'est nécessaire.
Il suffit de se laisser aller dans la respiration en étant conscient de l'air qui entre et de l'air qui sort. Continuez ainsi pendant au moins quinze minutes. Si vous entrez vraiment dans cette méditation, vous perdrez toute notion de temps et d'espace. Si vous le souhaitez, vous pouvez utiliser une musique de relaxation ; la musique et la méditation s'accompagnent souvent de manière harmonieuse.
Il est possible que vous éprouviez des difficultés à rester concentré sur la respiration ou que vous ressentiez une agitation intérieure ; cela est tout à fait normal et chaque jour est différent. Rappelez-vous la règle de base de la méditation : "pas de jugement, pas d'attente". Avec le temps, vous parviendrez plus facilement au calme intérieur et toute agitation disparaîtra peu à peu. Vous ressentirez un besoin croissant de vous retrouvez avec vous-même et de vous laissez aller au gré de la respiration, source de la vie.
Source : Féminin bio
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mercredi 29 janvier 2020

Dites-leur de viser haut ! (2)

par Gilles Farcet (suite)

…. Si les « éveillés » et témoins plus ou moins auto proclamés d’une « néo spiritualité » paraissent pousser comme des champignons en Europe et en Amérique du Nord, les « amis spirituels » dignes de ce nom, dûment formés par une sérieuse ascèse (par « ascèse » il ne faut pas entendre la pratique d’austérités et autres mortifications mais une « saddhana », un travail structuré mené dans le temps sous la conduite d’un guide disposant de « moyens habiles ») se font de plus en plus rares. Peut-être parce que c’est une chose de donner quelques conférences et séminaires pour un auditoire vis à vis duquel aucun engagement n’est pris, et que c’en est une autre, une toute autre, que de devenir l’associé intime d’une personne dans son combat contre l’illusion sous toutes ses formes, à travers les vicissitudes de l’existence concrète abordée comme l’ashram par excellence.

C’est une chose que de dispenser la bonne parole, c’en est une autre, une toute autre, que de consentir à accompagner, et de ce fait à inévitablement servir de nourriture aux projections, attentes, résistances et manœuvres inconscientes de personnes investies dans ce que le poète René Daumal voyait comme la vraie guerre sainte.

Les amis spirituels sont rares, que dire alors d’un couple d’amis spirituels ! Car Eric et Sophie, à maints égards très différents l’un de l’autre, sont un couple, partenaires dans la vie et sur la voie, parents de deux enfants, ce qui confère une puissance et une pertinence supplémentaire à leur témoignage.

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Les chapitres du présent livre, où alternent la parole de Sophie et celle d’Eric, reflètent bien la complémentarité de leurs deux styles.

Exposant hors pair des subtilités de l’enseignement, Eric en aborde les fondements avec beaucoup de finesse, de rigueur et d’acuité pédagogique. Il s’appuie sur sa vaste culture pour, au fil des nombreuses citations dont il illustre son propos, nous faire toucher l’universalité des lois qui régissent le chemin spirituel, par-delà les époques et civilisations.

Sophie n’est pas en reste en matière de clarté pédagogique. Ses développements sur les pensées et les émotions, notamment, nous emmènent dans les arcanes des fonctionnements humains et donnent à pressentir très concrètement le travail possible à partir de cette matière. Mais Sophie fait aussi preuve d’un art consommé de l’anecdote : elle s’y entend à partager des échantillons de sa vie de mère et d’épouse, ainsi que des souvenirs de sa fréquentation d’Arnaud pour en extraire des pépites spirituelles.

On se trouve donc en présence d’une « voie à deux voix », d’un alliage qui est plus que la somme des deux parties. Fidélité n’est pas servilité, enseignement vivant n’est pas reproduction.

Aussi ce livre n’est-il pas une synthèse par Eric et Sophie Edelmann de l’enseignement d’Arnaud Desjardins mais une transmission par Eric et Sophie, dans leur style propre d’une part de ce qu’ils ont assimilé de l’enseignement reçu à travers Arnaud Desjardins.

Reste que ce livre véhicule à mon sens l’essentiel de cet enseignement. Le lecteur touché par cet ouvrage aura naturellement à cœur de se tourner vers ceux d’Arnaud, certainement vers ceux élaborés par Daniel Roumanoff pour restituer la parole de Swami Prajnanpad…

Cependant, j’ose dire que le livre d’Eric et Sophie pourrait en lui-même suffire à un aspirant sur la voie réellement déterminé en tant que matière première de travail, tant il me parait exhaustif dans son approche des thèmes fondamentaux.

La nature des émotions et leur possible disparition, la manière de travailler avec elle plutôt que contre elles, la pratique sur les pensées, l’écueil de la culpabilité, l’importance de la compassion, la culture de la réceptivité, la place de la dimension dévotionnelle bien comprise, l’importance de la vigilance … Tous les piliers de la pratique sont ici abordés de manière limpide et toujours exigeante.

Il y a largement là de quoi travailler. J’y ai moi-même trouvé une nourriture pour ma pratique, et parfois entrevu de nouvelles dimensions dans l’exigence de la démarche, en particulier pour ce qui touche aux émotions et à la communion.

Le remarquable chapitre qu’Eric consacre, nombreuses citations à l’appui, à la proximité de la « quatrième voie » transmise par Monsieur Gurdjieff avec celle issue de Swami Prajnanpad est important. Il montre comment, par-delà les cultures et continents, le vingtième siècle a vu émerger ce qui lui était nécessaire, à savoir la voie vécue dans le monde dit profane, partant de l’implacable constat de la toute puissance de la « mécanicité » chez l’être humain.

Enfin, à travers quelques souvenirs et paroles d’Arnaud glanées dans la proximité vécue avec lui à Mangalam, ce livre donne à entrevoir des facettes moins publiquement connues du maître qu’il était, au-delà de l’inlassable pédagogue et exposant de la voie que beaucoup ont eu la possibilité d’approcher, en particulier à Hauteville. Certains passages donnent un aperçu vertigineux de son exigence et de la toute autre perspective qui l’habitait. Il n’avait pas son pareil pour, alors qu’on ne s’y attendait pas, dans des contextes informels et pour ainsi dire « entre deux portes » laisser tomber pour le bénéfice des proches qui se trouvaient là une remarque inoubliable qui raisonnait de manière stridente dans le sommeil ambiant. On trouvera ici quelques exemples de ces « chocs » infligés l’air de rien.

Eric et Sophie, il convient de le préciser, ne se revendiquent pas « sages » ; ils ne se comparent pas à leur maître, lequel, d’ailleurs, ne se comparait pas non plus au sien ! S’ils prétendent quoi que ce soit, c’est d’être au mieux de leurs capacités, consacrés au service de la transmission.

C’est la profondeur et l’intensité de cette consécration qui cimente ces pages et fait la valeur de ce qu’Eric et Sophie ont à donner bien au-delà de leurs personnes. …

Comme d’autres lieux où a vécu un être de grande dimension spirituelle, Mangalam est aujourd’hui un sanctuaire imprégné d’une présence. Tout comme à Hauteville, le dernier ashram fondé par Arnaud en France et où il passa les seize dernières années de son existence- quand il n’était pas au Québec- le visiteur réceptif s’y sent nourri d’un climat bien particulier, d’une densité à couper au couteau en certains endroits.

Mais si cette dimension pourrait à elle seule justifier un passage à Mangalam, elle n’est pas sa raison d’être. Mangalam n’est pas avant tout un lieu de pèlerinage mais un foyer spirituel vivant, porté par son passé, rayonnant dans le présent et tourné vers l’avenir.

Je voudrais donc terminer cette introduction par une réflexion participant de l’évidence : le temps passe vite et tout en ce monde est soumis à la loi du changement. Si bien que les « fenêtres d’opportunité » ne demeurent pas indéfiniment ouvertes.

Quand j’ai rencontré Arnaud pour la première fois au Bost, il était de dix ans plus jeune que ne l’est Eric à l’heure où j’écris ces lignes. J’étais trop immature pour avoir réellement conscience de la nature fugace des lieux, des personnes et des contextes, y compris les plus précieux. Et cependant, et je m’en félicite, assez déterminé pour ne pas tergiverser et m’investir autant que je le pouvais, même si je n’avais évidemment pas réellement conscience de l’aventure en laquelle je m’embarquais.

A celles et ceux qui, à travers ce livre, vont découvrir cet enseignement, et se sentir appelés à aller plus loin que la lecture je citerai la belle chanson de U2, « When Love comes to town » :
"When love comes to town I'm gonna jump that train
When love comes to town I'm gonna catch that flame »
« Quand l’amour viendra en ville je vais sauter dans ce train
quand l’amour viendra en ville je vais attraper cette flamme »

Ne laissez pas se refermer cette fenêtre d’opportunité. Et à celles et ceux qui connaissent déjà cet enseignement, voire se sont déjà rendus à Mangalam, je dirai … la même chose ! Nourrissez-vous, ouvrez-vous à l’aide aujourd’hui disponible

Parce que quand l’amour passe par chez nous, c’est toujours la première fois.

DITES-LEUR DE VISER HAUT ! (Éditions du Relié, 2020)

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mardi 28 janvier 2020

Dites-leur de viser haut ! (1)


Gilles farcet : C'est une joie d'annoncer la parution du livre important et attendu d'Eric et Sophie Edelmann. Le plus simple , pour en parler ici, me parait de partager de larges extraits de l'introduction que j'ai eu le privilège de rédiger à leur demande. 
Les personnes intéressées peuvent, en cliquant aller sur le site de Mangalam, l'ashram animé par Eric et Sophie au Québec, dans la lignée d'Arnaud Desjardins et Swami Prajnanpad.


« Quand l’amour vient en ville » …

Le livre que vous avez en main est un objet improbable, rare, et par conséquent précieux.
Plusieurs raisons à cela. La première, dont les autres découlent, est qu’il s’agit d’un livre de spiritualité, l’exposé d’une perspective autre, ouvrant sur un ordre de réalité radicalement différent.

Ces pages ne relèvent pas d’un « partage » d’expérience se voulant fulgurant. C’est bien de leur vécu que les auteurs témoignent ; mais le vécu en question ne procède pas d’une expérience qui aurait un beau jour fondu sur eux. L’expérience ici partagée participe d’une lente et patiente maturation, d’une intégration plutôt que d’une sidération.


Ce dont les auteurs témoignent avant tout, c’est de leur pratique, autrement dit d’un travail structuré, certes à mettre en acte ici et maintenant mais dont les fruits se récoltent avec le temps, comme le veut la loi de la nature. Ce livre expose avec soin et précision ce que dans le bouddhisme ou l’hindouisme on nomme un « dharma », mot que l’on pourrait traduire par « doctrine » si ce mot n’en était pas venu à suggérer un système poussiéreux et rigide. On optera donc, faute de mieux pour le terme « enseignement », lui-même quelque peu suspect dans le contexte ambiant.


Quoique limpide, cet enseignement n’a rien de simpliste. Il ne repose pas sur une poignée de concepts « choc » mai relève plutôt d’une science subtile, déploie une riche palette aux multiples facettes qu’on ne peut appréhender sans un minimum d’effort et de rigueur. Il ne brosse pas l’humain à gros traits mais l’aborde au contraire dans toute sa complexité, ses tours et détours, ses contradictions, sa merveille et sa tragédie.

On n’a donc pas là un ouvrage « facile », même s’il est tout à fait abordable. Ce livre n’entre pas dans le registre des recettes instantanées. Les auteurs ne font pas de rabais.

La spiritualité ici présentée a cela de - désormais - inhabituel qu’elle est d’ordre traditionnel.

Cet enseignement ne participe pas d’une génération spontanée. Il ne se revendique pas « sauvage », ne récuse pas fièrement toute référence, ne balaie pas d’un trait de plume l’héritage du passé. Il est transmis dans le cadre d’une lignée de maîtres et de disciples parfaitement identifiée et régulièrement évoquée. Les auteurs ne se présentent pas comme des phénomènes jaillis de nulle part mais se veulent maillons d’une chaîne. Par-delà les références à leur lignée spécifique, ils émaillent leur propos de citations puisées dans maintes époques et courants, inscrivant ainsi leur démarche dans une aspiration immémoriale de l’humain, manifestée en tout temps et sous toutes les latitudes.


Et pourtant, quoique traditionnelle en cela qu’elle procède d’enseignements millénaires, la spiritualité ici partagée est une spiritualité vivante. Vivante, c’est à dire vécue et vivable aujourd’hui, ici et maintenant dans le contexte qui est le nôtre. S’il rend hommage à une lignée, ce livre ne témoigne pas d’un passé. Son propos n’est pas de susciter la nostalgie d’un monde révolu, peuplé de maîtres et de disciples aussi grands que morts.

La force de ce livre, ce en quoi il constitue une si bonne nouvelle, c’est qu’il présente une démarche contemporaine, vécue et transmise au jour le jour par des enseignants en pleine activité à l’heure où j’écris ces lignes, dans un contexte qui n’a rien d’exotique : en Amérique du Nord, dans un lieu facilement accessible, à une heure et demie de Montréal.

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avançant dans ma lecture du livre d’Eric et Sophie, je renoue avec l’émerveillement éprouvé par le chercheur à la découverte d’un enseignement vivant, complet et accessible. Je me réjouis pour ces lecteurs, jeunes ou moins jeunes, peu importe, qui, éprouvant des impressions du même ordre, vont se sentir appelés à aller plus loin, et qui plus est vont pouvoir le faire, s’ils le veulent vraiment.

Arnaud Desjardins était élève de Swami Prajnanpad, Eric et Sophie Edelmann sont élèves d’Arnaud Desjardins par qui ils ont été personnellement guidés et qu’ils ont côtoyé de très près (pendant près de quarante ans en ce qui concerne Eric et une trentaine d’années pour ce qui est de Sophie).

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dimanche 26 janvier 2020

De commencement en commencement...


Après quelques essais timides en fin d'année, l'hiver s'est bien installé cette fois : branches nues tendues de leur habituelle façon mélodramatique vers le ciel gris et lourd ; terre noire, avec ici et là quelques touffes d'herbe jaunies par la neige ; manque d'entrain et soirées trop longues : même le silence de la salle de méditation semble parfois pesant, comme sous le poids de l'obscurité qui nous entoure. Comme une envie d'hiberner, de se laisser porter par l'immobilité. Et pourtant... il suffit d'un peu de résolution, d'une bonne épaisseur de vêtements, écharpe et grosse veste, gants et bonnet, de quelques pas dans la forêt et surtout d'un œil attentif. Alors vous apercevrez quelques signes, oh très légers, qui disent que cette immobilité du monde et du temps n'est qu'apparente. Ici un minuscule bourgeon, osant à peine se détacher de sa branche, là, effleurant la terre, une jeune pousse, brin d'herbe ou perce-neige, on ne sait encore, montre le bout de son nez et, au bout de leurs aiguilles, quelques pins ont une petite poussée verte, de ce vert tendre et doux, prometteur de parfums et de brumes. « De commencement en commencement... », dit un Père de l'Église.


Aujourd'hui, toute la forêt me le rappelle : il n'y a rien de figé, rien de terminé ; le monde renaît à chaque instant, il n'y a que des commencements. Malheureusement je ne les vois pas souvent, car je ne regarde plus vraiment. Dans notre maison de pierre blottie au creux de la montagne, j'ai vécu de nombreux hivers avec leur mois de janvier qui doucement nous emmène vers la lumière, alors... je ne regarde plus. Je regarde le calendrier qui m'indique la continuité, mais je ne vois plus rien de ce qui apparaît sous mon nez et illumine le monde. Ces petits bouts de vert, ces merveilleuses promesses pourtant me le disent : le monde vient de naître ! Réveille-toi ! Ouvre les yeux, ouvre le cœur... ! Je promène avec moi une grosse valise pleine de souvenirs, de projets, de moments joyeux ou tristes et certains jours tout cela tourne dans ma tête, me rendant aveugle au monde et à son éclat, insensible à sa beauté...
Ah ! Lâcher un peu ma vie pour m'ouvrir à ce qui est là, apparu juste à l'instant, ce que je n'ai encore jamais vu, car aucun hiver ne se ressemble lorsque le regard est tout neuf. Aucun arbre ne frémit dans le vent sans changer imperceptiblement la forêt, aucun rocher ne se pare de soleil et d'ombre sans changer la mousse qui le pare ; aucune goutte d'eau ne reflète une paillette de lumière sans changer la lumière de toutes les rivières. Ce que cet instant contient, il m'appartient de le regarder et le découvrir, parce que tout ce que j'ai vu, tous ces hivers passés, tout ce que je sais du jeu des saisons, pâlit devant lui. Cet instant-ci n'a jamais été vécu, il m'est occasion de contempler la splendeur du monde, de pénétrer sa danse. Ce regard m'ouvre au changement parce qu'il ouvre mon cœur. Infini de cet instant, infini du cœur qui lui répond. Ou bien est-ce le cœur sans limites qui permet cette aspiration ? Plutôt une rencontre de deux infinis. Cœur et monde se retrouvent, se relient ; ma fragilité devient sienne, et sa force devient mienne. Je respire avec l'arbre, je joue avec la rivière, je me creuse avec la pierre... Le monde est aussi vaste que ce bourgeon fragile qui contient tant de promesses et aussi fragile que ces rochers qui naissent de la terre. De commencement en commencement, le monde révèle la merveille et mon cœur est gratitude.
Joshin Luce Bachoux est nonne bouddhiste, elle anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche. Auteure de Tout ce qui compte en cet instant, chez Points Vivre.
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vendredi 24 janvier 2020

Sur le chemin de l'émerveillement...

Au cours de ces dernières années, il s’est appliqué à partager la beauté " bien trop sous-estimée " de l’être humain. Si Matthieu Ricard voit comme une évidence la lumière de ses maîtres spirituels qui rayonnent l’éveil et la liberté intérieure, il s’émerveille autant d’un regard innocent d’enfant que du sourire édenté d’un vieillard tibétain. C’est en 2011 que paraissait son livre de portraits joyeux, 108 sourires. Cette galerie de bonheur, il avait choisi de la partager pour sortir du " syndrome du mauvais monde " qui voudrait que la nature humaine soit fondamentalement viciée.
Cette fois, c’est son amour inconditionnel pour "la part sauvage du monde", ainsi que l’exprime la philosophe Virginie Maris, qu’il diffuse à travers Émerveillement. Cent photos inédites des sommets himalayens aux sentiers de Patagonie, le tout accompagné de textes engagés, comme un cri du cœur pour nous rappeler les enjeux écologiques auxquels nous faisons face aujourd’hui. Des endroits où, devant l’immensité de l’espace, la méditation est aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous. Hommage à la beauté sous toutes ses formes.

Racontez-nous de quelle manière s’est fait ce livre...

Matthieu Ricard : j’ai vécu un demi-siècle dans l’Himalaya et je rêvais depuis l’enfance de me rendre en Patagonie, en Islande. J'ai été émerveillé par la beauté de ces endroits. Je me souviens d’un matin où, me réveillant un matin sur les hauts plateaux d’Islande, j'ai vu la neige blanche sur la lave noire et j'ai ressenti l’émerveillement. Et si je n'imaginais pas publier un guide de ces régions, j’ai réalisé que ce terme me permettrait de réunir dans un même ouvrage les rivières gelées du Yukan et le delta de l’Irrawaddy en Birmanie. C’est une humble contribution à ce vaste mouvement qui vise à essayer, en dépit de la tiédeur des politiques et des intérêts pour les énergies fossiles, d’être un peu raisonnable et de ne pas trahir les générations à venir. 

Qu’est-ce que l’émerveillement pour vous ? 

C’est une notion très simple, que l’on ressent en présence de certaines personnes, ou dans certains lieux. Un moment de grâce où l’on se sent parfaitement bien au fond de soi-même. Il se traduit par un sentiment d’immensité intérieur ou extérieur : la vastitude du ciel, un paysage infini. Et l’immensité existe aussi dans le microcosme d’une mousse et des fourmis qui courent à droite à gauche.
C’est aussi l’effacement du Moi, soit le contraire de l’épidémie de narcissisme qui prévaut ces temps-ci. Le sentiment d’appartenance, d’interdépendance d’où naît la responsabilité universelle vis-à-vis des plus démunis, des autres espèces, des générations à venir… Tout cela prend brusquement une autre dimension lorsqu’on s’émerveille. On touche la texture de la lumière, des glaciers qui brillent. Il ne faut pas se fixer dessus, mais on peut quand même nourrir cet état et se le remémorer pour retrouver la paix intérieure. Le temps se dissout dans un moment de grande gratification intérieure. L’attention est soutenue sans effort. C’est joyeux.
Le contraire de l’émerveillement c’est le désenchantement, la lourdeur, la dépression, le renfermement sur soi, la rumination. L'émerveillé ne rumine pas. Il est dans la fraîcheur du moment présent, il n’a pas de crainte, de jalousie, d’animosité. L’émerveillement va de pair avec la liberté intérieure. 

Va-t-il également de pair avec l’amour ?  

Bien sûr, car lorsque les gens s’émerveillent, ils sont plus altruistes. C’est aussi bon pour les enfants qui doivent aller davantage en nature pour ouvrir leur cœur et leur esprit, comme l’explique la biologiste Rachel Carson dans Printemps silencieux. Des études californiennes ont également montré que les enfants au contact de la nature sont plus créatifs et imaginatifs pour résoudre des problèmes lorsqu’ils rentrent en classe, inspirés par la façon dont la nature complexe résout des problèmes. La revue scientifique britannique The Lancet a consacré un article sur le risque accru à la schizophrénie et la dépression pour les enfants des villes totalement coupés de la nature. Je pense aussi au livre The last child in the wood, de Richard Louv, qui fait état de cette déconnexion avec la nature. Enfin, des études japonaises montrent que marcher en forêt est bon pour la santé. Tout cela est prouvé, ce n’est pas un truc New Age ! 

Comment s’émerveiller des petits riens du quotidien ? 

On peut s’asseoir sur un banc, dans un parc ou même chez soi pour observer l’émerveillement intérieur. Nous en avons largement disserté avec mes amis Christophe André et Alexandre Jollien dans le livre Vive la liberté intérieure. C’est l’un des états d’esprit mentaux les plus "émerveillants", car la liberté intérieure est scintillante, fraîche, plus sous le joug de pulsions d’attraction et répulsion, libre des toxines mentales d’animosité, de jalousie, d’arrogance, d’obsession, etc. 

Est-on égaux face à l’émerveillement, ou est-ce qu’il y a un apprentissage pour s’émerveiller jour après jour ? 

Je ne sais pas si des études ont été réalisées pour savoir si nous disposions tous des mêmes facultés d'émerveillement. En revanche je sais qu'en ce qui concerne le flow, l’expérience du flux (état mental décrit en psychologie positive par l'absorption totale d'une personne par son occupation, ndlr), certaines personnes entrent dans le flux plus facilement, tandis que d’autres peuvent être blasées devant un magnifique paysage.  

Les enfants ont cette faculté, par exemple ? 

On retrouve en effet dans les textes bouddhiques qu’un enfant a cette fraîcheur qui n’est pas prise dans les projections mentales qui nous font dire que cela doit être perçu comme beau ou laid. Ce sont des surimpositions que l’on ajoute à la réalité qui n’est ni belle, ni laide, ni rien du tout. Un enfant n’a pas de jugement, voit la beauté, n’impose pas d’étiquettes. 

Si vous étiez un paysage dans lequel vous aimeriez vous fondre, lequel serait-ce ? 

Le ciel intérieur de la compassion et de la sagesse de mon maître spirituel, voilà un petit paysage qui n’est pas habituel ! Nous avons un esprit assez fragmenté, rétréci, confus, c’est pour cela qu’on essaye de s’en sortir. Quelqu’un qui a atteint l’éveil a un esprit vaste, sans contrainte, libre des poisons mentaux. On dit que c’est comme l’espace dans un petit pot : lorsque les parois du petit pot se brisent, l’espace se fond en l’immensité du ciel. Il y a une pratique qui consiste à mêler son esprit limité au vaste esprit d’un maître spirituel. Cette union est l’émerveillement ultime. 

Y a-t-il une expérience d’émerveillement particulièrement forte que vous aimeriez partager avec nos lectrices ? 

Je pourrais parler de certains paysages incroyables au Tibet. Je me rappelle m’être assis un matin d’octobre au bord du lac Manasarovar, à 4300 m d’altitude. La température était tombée à - 10 degrés la nuit précédente. Au lever du soleil, fendant le silence absolument extraordinaire, j’entends sans les voir des canards écarlates. Et soudain, au loin, j’aperçois deux petits canards. C’est comme si le son avait volé sur la surface du lac. À ce moment-là, j’ai ressenti comme une fusion entre l’intérieur – l'expérience spirituelle – et l’extérieur – la nature – en méditation. 
Par ailleurs, mes plus forts moments d’émerveillement ont lieu sans aucun doute en présence de maîtres spirituels, le Dalaï-lama ou mes premiers maîtres, Kanguiour Rinpoché ou Khyentsé Rinpoché. Assis en silence en leur présence pendant des heures, c’est au-delà de toute description. 

L’émerveillement est-il une source d’émotions qui apportent la complétude contrairement à des plaisirs plus ordinaires ? 

Le bonheur n’est pas une succession ininterrompue de sensations plaisantes. Cela c’est une bonne recette pour l’épuisement, au contraire. Le bonheur est une qualité d’être intérieure qui se cultive avec chacun de ses attributs : bienveillance, liberté intérieure, force d’âme, présence attentive, etc. 

Qu’avez-vous envie de transmettre au monde aujourd’hui ? 

Je me sens plutôt comme un passeur d’idées. Récemment, on m’a par exemple poussé à concevoir une application de méditation, "Imagine Clarity". J’ai tenu à le faire sérieusement, sur la base des textes traditionnels et des paroles de mes maîtres en les rendant accessibles à des non-bouddhistes. L’idée est de cultiver la compassion ou la présence attentive, l’équilibre émotionnel, la présence éveillée, etc. J’essaie de mettre certaines choses à disposition d’un public occidental sans pour autant les dénaturer, les édulcorer ni en retirer la substance. Bien sûr on ne peut pas aller dans toute la profondeur et la vastitude de la voie bouddhiste, mais on a tous besoin de bienveillance !
Tous ses droits d’auteur sont reversés à son association, Karuna-Schechen, fondée il y a vingt ans. Elle met en œuvre des projets humanitaires pour les populations défavorisées d’Inde, du Népal et du Tibet. Chaque année les dons permettent d'aider 380 000 personnes dans le domaine de la santé, de l’éducation et des services sociaux, dans des endroits reculés où les ONG ne vont pas. 

Source : FemininBio

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jeudi 23 janvier 2020

La voie de la bonté


"Il m'est donné de comprendre que la vraie bonté ne se réduit pas à quelques bons sentiments ou sympathies de circonstance, encore moins à une sorte d'angélisme naïf ou bonasse. Elle est d'une extrême exigence. Parce que le mal est dans le monde sous toutes ses formes, le plus terrifiant étant celui que les hommes infligent aux autres hommes. L'homme, cet être doué d'intelligence et de liberté est "capable de tout". 
Beaucoup d'âmes sont tendues vers l'élévation, sachant que là réside la vraie liberté. À l'autre bout de la chaîne, beaucoup d'autres, aveuglées par différents désirs, s'enfoncent dans la noirceur, d'une férocité et d'une cruauté sans borne. Ceux qui s'engagent dans la bonté auront à affronter les épreuves, souvent au prix de leur vie. Les chercheurs du vrai et du beau savent que sur la Voie, la souffrance est un passage obligé par lequel on peut atteindre la lumière.
Dans le tragique d'un monde enténébré, au plus noir de la nuit, la moindre lueur est signe de vie, une luciole qui passe, une étoile qui file, un feu qui prend... 

Je dirais une fois encore que chaque âme, aussi fragile et minime soit-elle, est invitée à témoigner de son vécu, d'un destin entrelacé d'enchantement, d'allégresse, de douleur, de frayeur, de remords, de regrets. Tout est appel, tout est signe. Tel est le sens de la Voie, laquelle doit continuer sa marche de transmutation et reprendre un jour tout ce qui est de Vie."
François Cheng
De l'âme- Cinquième lettre

Fresque restaurée venue de la maison du bracelet d'or à Pompéi

mardi 21 janvier 2020

Perception directe



" Dans le silence, la joie, la paix, se trouve l’approfondissement de la perception.
La réflexion vous coupe de la vie, le raisonnement vous éloigne, alors que la perception, c’est un pôle direct sur le silence. C’est un art.
En Inde, on apprend à écouter la musique. C’est très rare de pouvoir écouter la musique sans avoir appris, sans nommer, sans juger, sans précéder ce qui va arriver, sans se remémorer la note finie, sans trouver harmonique, disharmonique, sans dire c’est ceci, c’est cela. Quand vous allez à l’opéra, vous voyez des gens qui vivent cet art : ils s’assoient, ils n’attendent rien, ils se donnent complètement à l’instant, vous sentez un corps complètement ouvert. Quelquefois, quand les premières notes surgissent, vous les voyez pris d’un tremblement, ils sont complètement habités, cela vient d’un très grand « lâcher prise ». Également quand le dernier mouvement s’est résorbé dans le silence, vous voyez ces gens qui laissent complètement se mourir le son en eux. Ils mettent longtemps à applaudir ou à taper des pieds.
On peut apprendre à écouter la musique, à regarder une sculpture, à goûter le vin, c’est un art. C’est profondément civique, c’est cela finalement la moralité du point de vue de l’Inde : apprendre à ressentir sans conceptualiser, sans préférer, sans juger ; uniquement ouverture sensorielle.
Quand vous écoutez la vie, il n’y a que la paix, mais quand vous pensez, vous jugez, vous refusez, il n’y a que la violence. La paix profonde vient de cette totale ouverture à la sensorialité. "

Eric Baret
Le Sacre du Dragon Vert, Editions Almora
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dimanche 19 janvier 2020

Relire son année, sa semaine, sa journée


Le début de l'année est une occasion de prendre de « bonnes résolutions » et de se retourner sur les mois écoulés. Un exercice que l'on peut aussi faire plus régulièrement, à la fin d'une journée, d'une semaine ou d'un mois.

« Les événements qui ont été vécus ne sont rien par eux-mêmes. Seule compte la manière dont nous les faisons nôtres en leur donnant un sens. L'homme qui ne revient pas sur ce qu'il a vécu reste à la surface de lui-même. Il n'y a pas d'expérience dans la pure facticité de l'événement. La relecture est le passage au langage et rien n'est réellement humain qui n'accède au langage », écrivait Joseph Thomas, jésuite, longtemps rédacteur en chef de la revue Christus. Être de mémoire, l'homme n'habite réellement le présent qu'à la condition de porter un regard sur son passé. Comment faire concrètement ? Familière de l'exercice, la tradition ignatienne propose une méthode de « relecture ».

Distinguer l'épaisseur du quotidien

Ni introspection - c'est-à-dire discussion de soi avec soi-même - ni examen de conscience ou bilan de moralité, la relecture est plutôt une « prière d'alliance » qui consiste à s'adresser à Dieu comme à un ami à qui je raconte ma journée ou ma semaine. Revoir mes pensées, mes actes, mes paroles pour prendre conscience de ce qui est survenu en moi. Et ainsi me rendre présent à l'action de Dieu dans ce que j'ai vécu, et saisir la véritable épaisseur de mon quotidien : « Le Seigneur est en ce lieu et moi je ne le savais pas » (Genèse 28, 16). « Je prie à partir de ma propre histoire qui est aussi une histoire sainte car le Seigneur y est présent », explique Frédéric Fornos, prêtre, dans son B.A-BA de la prière (Fidélité). L'enjeu est de « mieux comprendre comment Dieu travaille dans ma vie, dans celle des autres, dans le monde, complète Paul Legavre, directeur du centre spirituel jésuite d'Île-de-France, Manrèse. Cela suppose de croire que Dieu n'est pas absent du monde mais qu'il se communique sans cesse à nous ». 
Repérer la finesse du travail de l'Esprit saint dans mon quotidien pour ne pas être comme les neuf lépreux de l'Évangile qui, une fois guéris par le Christ, ne reconnaissent pas la source de leur libération et passent à côté de leur rencontre avec Jésus, tandis qu'un seul revient vers lui se jetant à ses pieds (Luc, 17). « De nos jours, on cherche surtout l'intensité des moments qui peuvent apparaître décousus les uns des autres. Il y a un enjeu spirituel à faire le lien entre les divers événements que nous vivons, à sentir le mouvement d'ensemble d'une journée, relève Frédéric Fornos. Prendre chaque soir dix minutes pour s'arrêter et regarder sa journée peut changer une vie ! »

Être attentif à l'écho des événements en moi

Quelle attitude adopter pour conduire cette prière de relecture ? On peut commencer par se rendre présent à Dieu. Physiquement d'abord, en trouvant un moment favorable - le soir ou en fin de semaine par exemple - ainsi qu'un lieu propice au silence, chez soi ou dans une église. Je peux débuter par un geste pour signifier ma disponibilité (un signe de croix par exemple), prononcer une simple prière « Seigneur me voici devant toi », en lui demandant d'examiner ma semaine avec son regard, et non selon mes propres critères, pour éviter de ruminer les mêmes événements ou les mêmes émotions qui feraient écran à la prière. 
Puis je fais défiler ma journée, ma semaine ou mon mois. Les lieux fréquentés, les personnes rencontrées, les actions entreprises... Mais aussi, pourquoi pas, les évènements plus collectifs « comme la crise des gilets jaunes ou le mouvement social des retraites », suggère Paul Legavre. Je choisis tel souvenir, tel visage, telle conversation. En observant leur écho en moi. « Relire sa journée demande d'être à l'écoute du retentissement affectif en soi des événements et des rencontres vécues. Comment ce que j'ai pu dire ou faire m'a-t-il affecté ? Comment tout cela résonne-t-il en moi : est-ce de l'ordre de l'ouverture (paix, joie, dynamisme) ? ou de la fermeture (tristesse, irritation, sécheresse) ? », détaille Frédéric Fornos. Cette semaine m'a-t-elle laissé dans la paix, la joie, ou ai-je ressenti de la tristesse, de la lassitude ? Quand ? Pourquoi ? « Dieu travaille, et cela se traduit par des mouvements intérieurs en nous, qu'on appelle des motions spirituelles. Certaines sont suscitées par l'Esprit saint, d'autres par celui que saint Jean appelle le "père du mensonge", le "diable" », explique Paul Legavre. « C'est en fonction de ces mouvements en moi que je vais pouvoir reconnaître ce qui me conduit davantage vers la vie ou pas », complète Frédéric Fornos. 
Mais ces « motions » ne sont pas de simples émotions, « sinon nous serions dans le seul registre psychologique et affectif, souligne Paul Legavre. Elles sont le propre de Dieu, elles viennent d'un autre que nous. Distinguer ce qui vient de moi, et ce qui est en moi le retentissement de l'oeuvre de Dieu demande un long travail. » On peut repérer par exemple que participer à une maraude procure une joie nouvelle, différente de celle du devoir accompli. Une joie qui me signifie que Dieu vient à moi par ce biais-là. « L'enjeu n'est pas le développement personnel mais l'accueil du royaume de Dieu dans ma vie », insiste-t-il.

Merci, pardon, s'il te plaît : trois étapes

Très concrètement, cette relecture peut se faire en trois étapes : « merci, pardon, s'il te plaît ». « Merci » pour « repérer comment Dieu s'est donné à moi, dans des choses élémentaires de la vie, qui ouvrent mon cœur à la beauté et à la bonté de sa création », explique Paul Legavre. « Pardon » car « à la lumière de ce "merci", des zones d'ombres apparaissent où je me suis dérobé à la vie, à l'amour ». Je peux alors identifier mes enfermements, manquements ou amertumes, et les confier à la miséricorde de Dieu. Enfin, le « s'il te plaît » consiste à se tourner vers demain, pour choisir un point concret afin de vivre davantage l'alliance avec Dieu et lui demander l'aide de son Esprit saint. Saluée par le pape François, le « merci, pardon, s'il te plaît » est aussi une bonne école de prière pour les plus petits. Dans une catéchèse de mai 2015, François fait également de « ces mots simples qui font d'abord sourire », les garants de relations « solidement enracinées dans l'amour du bien et dans le respect de l'autre ».
Félicité de Maupeou
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samedi 18 janvier 2020

Mots inventés du soir...


Le bonheur
dessin: Egon Schiele 1890-1918
les amants 1909

"Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Ève.
Tout se passe pour la première fois.
J’ai vu une chose blanche dans le ciel. On me dit que c’est la lune, mais
que puis-je faire avec un mot et une mythologie ?
Les arbres me font peur. Ils sont si beaux.
Les animaux tranquilles s’approchent pour que je dise leur nom.
Les livres de la bibliothèque n’ont pas de lettres. Quand je les ouvre, elles surgissent.
Parcourant l’atlas je projette la forme de Sumatra.
Celui qui brûle une allumette dans le noir est en train d’inventer le feu.
Dans le miroir, il y a un autre qui guette.
Celui qui regarde la mer voit l’Angleterre.
Celui qui profère un vers de Liliencron est entré dans la bataille.
J’ai rêvé Carthage et les légions qui désolèrent Carthage.
J’ai rêvé l’épée et la balance.
Loué soit l’amour où il n’y a ni possesseur ni possédé mais où tous deux se donnent.
Loué soit le cauchemar, qui nous dévoile que nous pouvons créer l’enfer.
Celui qui descend un fleuve descend le Gange.
Celui qui regarde une horloge de sable voit la dissolution d’un empire.
Celui qui joue avec un couteau présage la mort de César.
Celui qui dort est tous les hommes.
Dans le désert, je vis le jeune Sphinx qu’on vient de façonner.
Rien n’est ancien sous le soleil.
Tout se passe pour la première fois, mais éternellement.
Celui qui lit mes mots est en train de les inventer."

Jorge Luis Borges 1889-1986

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vendredi 17 janvier 2020

Sous les étoiles...




Ce soir, comme assez souvent, je suis sorti à la nuit pour ma dernière marche de la journée (la compulsion des 10 000 pas, n'est ce pas ...) sur le chemin qui mène à la propriété ou j'habite, en pleine campagne poitevine. Le ciel étoilé était splendide, clair, et beaucoup de "merci" à l'univers me sont montés. Merci de contempler ce ciel, de m'en nourrir, de marcher, de respirer l'air de la nuit avec mes poumons de presque 61 ans ... Du coup, je partage un texte de chanson, inspiré au départ par celle de Dylan, Shooting Star. Ce n'est pas une traduction mais une très très libre adaptation.




Je suis sorti sous les étoiles

et j'ai senti ta présence
tu avais su percer le voile
le voile des apparences
et moi j'ai tant essayé
de te suivre, d'y arriver
je suis sorti sous les étoiles
je me suis senti accompagné
Je suis sorti sous les étoiles
et j'ai vu ma vie défiler
je me suis juré que je resterais digne
de ce que tu m'avais enseigné
que je saurais grandir tout en restant fidèle
à ce qu'on avait partahé
je suis sorti sous les étoiles
j'ai su qu'il me faudrait veiller
j'écoute le vent
j'écoute la nuit
qui me font pressentir
ce qui n'a pas de prix
j'entends la rumeur de la vie
C'est le premier instant
c'est le dernier moment
je sens que tout commence et finit maintenant
je te rejoins
je te suis
je suis sorti sous les étoiles
et je me suis senti relié
au frères et aux amis
que tu avais aidé
à mûrir et à cheminer
ceux qui sont toujours là
ceux qui s'en sont allés
ceux qui doivent encore arriver
je suis sorti sous les étoiles
j'ai su qu'il fallait continuer


jeudi 16 janvier 2020

Légèreté !



Sur la route, allège-toi. Quitte tes valises trop lourdes. Ne sens-tu pas qu’elles pèsent au bout de tes bras, qu’elles altèrent ton pas ?
Déleste-toi. Ne conserve que l'essentiel. Les êtres qui soustraient avancent plus loin et plus sûrement que ceux qui ajoutent. Avance à ton rythme. Rien ne presse. N’aie pas peur.
Perdre n’est pas se perdre.

Judith Wiart

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mardi 14 janvier 2020

Et je suis sur la terre...

Voici un extrait du nouveau et premier recueil de poèmes de Sabine Dewulf avec des aquarelles de Caroline François-Rubino, qui paraîtra le 15 janvier.







A Matthieu Ricard


Au réveil est le livre
de l’infini ta paume fait l’épreuve

le fort s’est rompu

demeure seul ce pont d’air vif
d’une lacune à l’autre

froissement bruissement de feuilles accordées
piqûre d’or des renoncules
joie sans morsure du temps
tes sensations reprennent gouvernail
l’espace est une vasque

gratitude adressée
à personne

petite tu étais quand l’impasse accrochait
moqueries à ses masques
toi tu cherchais la clef

clef d’or ouvre l’ici
où la source reconnaît l’évidence
le revers du mystère

seuil franchi sans retour

*
Ayin œil et source fondus
implose toute chose

ni dedans ni autour
le nulle part déborde



Editions L'herbe qui tremble, 2020


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lundi 13 janvier 2020

Le cerveau, notre meilleur ennemi

Voici une explication des raisons de notre possible disparition. La conclusion nous indique que seul le travail sur soi peut sauver l'homme de ces fonctionnements primaires.

Le cerveau humain est une arme fatale. une « merveille » construite sur un principe pervers.
Paradoxe : la presse s’inquiète pour le climat puis annonce la vente de milliers d'avions. Sommes-nous collectivement stupides? Si oui, pourquoi ?

Éléments de réponse de Sébastien Bohler dans un livre passionnant, Le Bug humain. Par Fouad Laroui


C'est par les Akkadiens que Sébastien Bohler commence ses « leçons de l’Histoire ». Après un fort accroissement démographique, ils se heurtèrent aux limites de la culture du blé. La terre se tarit. La civilisation s’éteignit comme une population de bactéries dans un tube à essai qui dévorent la nourriture, se multiplient puis meurent quand il n’y a plus rien à manger. Un acarien ne se pose pas de question non plus : s’il peut manger, il le fait et ne réfléchit pas à l’avenir. Mais nous sommes quand même plus avisés que les Akkadiens et que les acariens? 

Non, en fait. Il se pourrait que le passage sur Terre d’Homo sapiens ne dure que le temps d’un battement de cils comparé à celui des cœlacanthes, ces fameux poissons fossiles, ou des requins. Pourquoi? C’est là qu’il faut s’intéresser à cette arme fatale qu’est le cerveau humain. Cette « merveille » est construite sur un principe pervers. Le cortex, siège de l’inventivité, de l’imagination, de tout ce qui nous fait homme, est le fruit d’une évolution récente. Il doit cohabiter avec ce qu’il y a de plus primaire en nous : le striatum, au cœur du cerveau. Nous avons le même striatum que les souris, et il n’a que cinq objectifs : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, glaner de l’information (pour mieux atteindre les trois premiers objectifs) et faire tout cela avec le minimum d’effort. 
Et voilà le défaut de câblage de l’homme, le problème fondamental : son superbe cortex est au service de son très primitif striatum. Quoi qu’il invente, c’est le striatum qui s’en servira. Nous sommes ses esclaves. Il exerce son pouvoir sur l’ensemble de nos actes. Comment? Par la dopamine. Sur ce point, nous ne sommes pas différents de la lamproie. Lorsque ce poisson trouve une proie et s’en nourrit, son striatum libère de la dopamine, la « molécule du bonheur », ce qui renforce les circuits neuronaux qui ont mené à bien l’opération. C’est un apprentissage, en fait - un apprentissage agréable. Apparus sur Terre plusieurs centaines de millions d’années après la lamproie, nous ne fonctionnons pas autrement.

Obsédé, le striatum? Il ne pouvait pas en être autrement : « La sélection naturelle n’a conservé que des individus dotés de striatums fonctionnant de cette manière. [...]
Cet aiguillon qui leur disait : “Va, mange autant que tu peux [...]. Copule autant que tu peux [...]. Montre-toi plus important que les autres [...]. Avale autant d’informations sur le monde que tu pourras.” »

Le lecteur de Bohler retrouvera ici les trois formes de libido distinguées par saint Augustin il y a quinze siècles : libido sciendi (le désir de savoir, la curiosité), libido sentiendi (désir sensuel, charnel) et libido dominandi (la volonté de pouvoir). Avant lui, Aristote disait que le désir d’apprendre, comme le désir tout court, était naturel. La science contemporaine a donc confirmé ces intuitions. Mais à la différence d’Aristote, cet apôtre de la modération et du juste milieu, notre striatum ajoute : « Et fais cela plus que les autres, sinon ce sont tes gènes qui seront submergés par ceux de tes concurrents. En conséquence, ne te modère surtout pas. »

C’est là le nœud du problème, qui explique l’impasse dans laquelle l’espèce humaine se trouve. 
« Maîtrisant toujours plus de technologies pour assouvir nos besoins, nous sommes incapables de nous modérer. » Seuls dans le règne animal, nous disposons d’un cortex. Il a imaginé la révolution industrielle, l’agriculture intensive, la biotechnologie. Elles conjuguent leurs efforts pour satisfaire la boulimie du striatum - en vain : il est insatiable. Pour Freud, l’inconscient mène la danse. En lisant Bohler, on peut se demander si ce n’est pas, à l’intérieur du striatum, ce petit îlot du plaisir qu’est le noyau accumbens. Nous sommes plus « agis » par lui que par notre volonté consciente. Qu’en aurait pensé Sartre, pour qui l’homme choisit librement ses actes ?


L’obsession du statut social 

La libido dominandi se traduit dans une société « évoluée » par la recherche d’un statut social supérieur. Thorstein Veblen étudia, il y a plus d’un siècle, les motivations des consommateurs aux États-Unis. Quand l’individu est à l’abri du besoin, sa principale motivation devient le désir d’émuler ou de dépasser le voisin. La consommation devient « ostentatoire » et conduit au gaspillage. 
Comme souvent chez Bohler, il s’agit de thèmes connus, mais qui prennent ici une dimension scientifique : leur soubassement physiologique est dévoilé. Le fait de regarder un individu en battre un autre dans une compétition sportive nous donne un shoot de dopamine. Dommage que personne n’ait pensé à placer Jacques Chirac dans un scanner pendant qu’il regardait un match de sumo : on aurait vu son striatum s’illuminer chaque fois qu’un des gros bébés en projetait un autre au-delà du cercle sacré... Le Corrézien rêvait inconsciemment de se mettre dans le sillage d’une de ces montagnes de chair pour aller mettre une raclée à un autre chef de meute, François Mitterrand ou Édouard Balladur...

Dans une expérience réalisée à Oxford en 2018, on montre à des singes les logos de Nike ou de Coca-Cola, en leur donnant la possibilité de cliquer sur un bouton pour les revoir. Ils ne le font pas. Mais si on montre brièvement ces mêmes logos à côté de la photo d’un singe dominant, ils se mettent à cliquer de façon compulsive pour les revoir - même si la photo du mâle alpha n’y figure plus ! 
Ils « désirent » maintenant ces marques en elles-mêmes puisqu’elles sont associées à un rang social supérieur... Quant aux adolescents, leur cerveau est un pur striatum : les parties frontales qui seraient aptes à le freiner ont encore un temps de retard. On comprend que certains en arrivent à voler, voire à se prostituer, pour se payer le dernier modèle de Nike ou d’Apple.

La catastrophe consumériste résulte donc de cette combinaison fatale : le cerveau d’un primate et la technologie d’un dieu. Pendant des millénaires, les signes de statut social étaient réservés à une minuscule élite, et la planète pouvait supporter leur consommation superflue. Seul Pharaon avait droit à sa pyramide... Tout a changé depuis la révolution industrielle. Et le mouvement s’est accéléré au cours du xxe siècle.


Sortir de l’impasse

Il semble donc que, pris dans une spirale négative, nous finirons comme les habitants de l’île de Pâques, qui ont littéralement mangé leur île et ont disparu. À moins d’aller au plus profond de nous-mêmes : jusqu’au striatum. Le cerveau est malléable. Les techniques de « pleine conscience » peuvent permettre au cortex de prendre le dessus. Si une personne obèse s’astreint à manger en pleine conscience, elle commencera à perdre du poids : le circuit de récompense du striatum est détourné de la simple absorption de calories.

Seule une partie du propos de Bohler a été ici commentée. Il y a des pages fascinantes sur notre soif d’information et ses conséquences néfastes - « connaître la météo réchauffe la météo »; sur le fait que les cerveaux d’enfants ne supportent plus le calme ; sur l’expérience du marshmallow, si révélatrice ; sur le striatum de mère Teresa, qui donne lieu à des développements passionnants sur les notions d’égoïsme et d’altruisme, même si l’on regrette que l’auteur n’ait pas évoqué l’utilitarisme et Pareto ; sur une expérience « proustienne » de l’auteur, même si celui-ci oublie de mentionner Proust - il est vrai que sa « madeleine » est une odeur infecte d’égout... 

Tout cela procure un plaisir de lecture certain, mais le fond de l’affaire est évidemment très sérieux : avant qu’il ne soit trop tard, il faut arriver à ce que notre conscience soit à la hauteur de notre intelligence. Vaste programme. 


Le Bug humain, de Sébastien Bohler, éditions Robert Laffont, 268 pages, 20 euros.

source : Magazine La Revue (pour l'intelligence du monde)