vendredi 25 janvier 2013

Le pot de l'Être avec Daniel Morin



Extrait de l'ouvrage "Maintenant ou jamais-Le mirage du futur" publié avec l'aimable accord des Éditions Accarias-L'originel...  A acheter "Maintenant"

INTRODUCTION

Depuis quelques décennies, nous sommes envahis d’informations en provenance du monde entier. Le monde spirituel n’échappe pas à ce mouvement. Une des conséquences de cela est que beaucoup de gens habités par cette recherche spirituelle n’ont plus de repères fiables pour s’y retrouver au milieu d’une multitude de données plus ou moins contradictoires. De fait, la juxtaposition, voire la “mondialisation” des diverses sources traditionnelles, non seulement n’amène pas plus de clarté, mais renforce un sentiment de confusion. Chacun essaye de s’approprier ce qui semble répondre au mieux de ses demandes immédiates, et se retrouve aux prises avec des contradictions qui le bloquent et lui laissent un goût d’insatisfaction ou de manque.

L’homme, dans ce que l’on connaît de son évolution, c’est-à-dire de son adaptation à l’environnement, s’est très tôt interrogé sur la vie, la mort, la maladie, son origine, le sens du fait même d’exister dans un milieu hostile, ainsi que sa relation à ce qui le dépasse. Ce n’est pas pour rien que l’homme primitif a toujours dirigé son regard d’une façon interrogative et craintive à la fois, vers “plus haut”, vers “le ciel” , vers cette puissance mystérieuse vue comme extérieure à lui et plus grande que lui.

Il y a donc eu naissance d’un pourquoi fondamental, qui a différencié l’homme de façon marquante du reste des espèces animales. Cette question a généré la quête d’une réponse absolue, ressentie intuitivement comme libératrice et porteuse du pouvoir de maîtriser la vie. Ce va-et-vient incessant et mécanique entre la question et la réponse s’est bien sûr complexifié et sophistiqué au fil du temps.
Subtilement, cette recherche de réponse libératrice au pourquoi fondamental s’est divisée en deux branches. L’une, matérialiste, à la recherche de la paix et de la sécurité sur le plan concret, s’inscrit dans la temporalité et la causalité. L’autre, spirituelle, vise le bonheur éternel.

Aujourd’hui, nous pouvons constater que le plan matériel n’a pas répondu aux attentes de sécurité et de paix de chacun. S’il a facilité le quotidien de certains, il a dans le même temps aggravé les conditions de vie des autres. Les dirigeants des pays ont promis en vain de répondre aux aspirations de paix et de bonheur des gens. Mais ce bonheur promis est toujours pour demain, plus tard, quand… Beaucoup ont perdu leurs illusions dans ce domaine.

Les espoirs perdus ont pu alors se reporter sur les idéologies spirituelles. Les espérances déçues sur Terre ont été sublimées en l’espoir d’un bonheur éternel après la mort. Chaque tradition a représenté à sa manière cet au-delà, puis a posé ces représentations en tant que vérités indiscutables. Les grandes religions du monde promettant l’amour universel sont pourtant à l’origine de nombreuses guerres au nom du principe d’amour.
Ce qui est commun à tous les êtres humains, c’est l’envie de connaître un sentiment de plénitude qui dure face aux manques vécus dans la vie courante. De ce fait, la spiritualité a pris une place de plus en plus importante dans notre monde. Les enseignements s’y référant proposent un but, une espérance dépassant tout ce qui a pu être connu jusqu’alors, indépendamment des connaissances scientifiques ou des progrès techniques. Certains vont viser l’amour, un état de non-peur, de non-égoïsme, de compassion ou d’équanimité émotionnelle.

Au sens habituel, la spiritualité propose d’être en relation avec  l’Unicité, l’Illimité, la Totalité, le Mystère, Dieu. J’emploie ici le mot Dieu dans le sens de l’Indéfinissable, non dans le sens d’une entité créatrice qui aurait des pouvoirs suprêmes et qui punirait ou récompenserait ses créatures selon leurs mérites. Pour moi, Dieu est le Mystère de la Vie, non seulement ce que l’on appelle communément notre vie, c’est-à-dire l’espace-temps compris entre la naissance et la mort, mais aussi ce qui permet la vie.

Cet aspect de la spiritualité n’a rien à voir avec l’érudition ou l’appartenance à une tradition, une religion ou une lignée. Les vraies questions ne sont pas toujours les questions alambiquées exprimées par des spécialistes, qu’ils soient religieux, philosophes, ou scientifiques. Ceux-ci peuvent d’ailleurs être déroutés par des questions enfantines comme :Où va t-on quand on est mort ? Est-ce que grand-père est au ciel ? Où s’arrête l’univers ? Où est-ce que j’étais avant d’être dans le ventre de maman ? Qu’est-ce qu’il y avait avant le big-bang ? Etc.

Nous fonctionnons sur un mode binaire, entre le connu et l’inconnu, ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. Nous admettons facilement ne pas connaître certaines choses, mais avec en arrière-plan l’idée qu’un jour enfin, nous les connaîtrons. Je voudrais rajouter une notion sur laquelle on n’a pas l’habitude de s’arrêter : l’inconnaissable, souvent confondu à tort avec l’inconnu.

L’inconnaissable échappera toujours à la mesure du temps et de l’espace. Il contient le connu et l’inconnu, et peut être apparenté à la notion de Dieu, d’Unicité ou de Conscience indéfinissable. L’Inconnaissable peut se révéler en tant que saveur intuitive, sans nécessiter de validation par la pensée. Ce sentiment de plénitude, de non-manque, n’apparaît que par la dissolution de la croyance à ce que j’appelle l’entité séparée. La certitude du Tout apparaît dans la partie. C’est l’expérience décrite comme grâce par des mystiques ou des personnes vivant un moment d’abandon de soi.
Chaque tradition recèle des exemples vivants de femmes et d’hommes qui sont beaux, qui font envie et qui témoignent d’une ouverture aux autres traditions, au-delà même des contradictions apparentes. Toutefois, beaucoup d’histoires traditionnelles sont considérées comme des réalités indiscutables,  et bloquent une certaine liberté de penser.

Il nous est habituel de rechercher un sens personnel à notre vie, de nous référer à des histoires transmises qui impliquent le temps et l’espace : C’est parce que j’ai vécu ceci dans mon passé que je vis cela maintenant. À mon sens, ce genre de propos est faux[1] parce que réducteur, excluant l’évidence que tout se joue en même temps, tous les échanges, tous les mouvements, sur tous les plans. Nous utilisons les croyances pour donner du sens à notre existence. Ce que j’appelle croyance, c’est prendre pour vrai ce qui relève de la pure imagination.

La première histoire fictive que l’on ne va plus mettre en doute, par habitude, est de croire à un personnage réel autonome que j’appelle moi-séparé, qui croit pouvoir gérer savie. Cette illusion première acquise comme vraie est à l’origine d’une confusion spirituelle.
Alors y aurait-il une vision déformée de la spiritualité[2]? Pour moi, oui, lorsque notre idéal prédomine sur la réalité vivante. Notre idéal, pensé comme vrai, s’oppose à la réalité présente, pensée comme ne devant pas être telle qu’elle est. Considérer qu’il devrait y avoir un autre état à la place de celui qui est déjà là, c’est considérer qu’il manque quelque chose à la vie telle qu’elle est. Cela ne s’oppose absolument pas bien sûr à un désir personnel d’amélioration dans le temps. Mais ne pas voir ce qui est reviendrait à dire qu’il manque quelque chose à la totalité présente, en oubliant momentanément que nous sommes partie intégrante de cette Totalité qui nous dépasse.

Cette déviance va être alimentée par toutes les histoires créées par l’homme pour trouver un sens à la vie, qui bien souvent entretiennent l’illusion[3] d’une finalité grandioseCes histoires entretenues de tout temps masquent la peur fondamentale de l’homme face au mystère de la vie, au grand Je ne sais pas.
Je ne cherche pas à nuire aux grandes traditions spirituelles ou aux institutions religieuses en place depuis des millénaires – ce qui est peu par ailleurs à l’échelle de l’histoire de l’univers – ni à dévaloriser d’autres points de vue idéologiques. Je ne mets pas en doute le fait que, la plupart du temps, les enseignements traditionnels tentent de prôner avec sincérité les valeurs morales de bonté et d’altruisme pour l’humanité, hélas sans grands résultats probants. Force est de constater, aussi loin que la mémoire puisse remonter, que l’harmonie humaine espérée, la santé spirituelle proposée, l’amour partagé, font cruellement défaut dans la société.

Ce livre n’a pas pour finalité de proposer une nouvelle recette en vue d’obtenir une amélioration de notre condition personnelle et relationnelle plus tard. Je propose ici une position radicalement opposée à l’idée de progression, qui consiste à vivre l’immédiateté comme étant l’expression exacte et impersonnelle de la Vie telle qu’elle est perçue. Ce n’est pas contradictoire avec la légitimité naturelle de l’homme de vouloir trouver le bonheur de son vivant.

Il y a bien sûr une apparence de progression dans la vie courante. La notion de progression n’est pas fausse en soi, si on se réfère au concept du temps, mais ne remet pas en cause l’idée de séparation : Si moi, en tant qu’entité, progresse, j’arriverai un jour au but... Ce que l’on croit personnel, ma progression, est une vue partielle de la conscience que l’on s’approprie en tant qu’individu. L’idée d’une progression ne peut exister que dans le concept du temps. Celui-ci n’existe que par comparaison entre passé, présent et futur. Dans l’idée de progression, il y a une diminution imaginaire de la distance entre moi et mon but idéalisé. Ainsi, même si les éléments utilisés dans l’approfondissement de la quête semblent très pertinents, il n’en reste pas moins que le but recherché est toujours hors de portée.

Je vais marteler et répéter de différentes façons une seule et unique chose.
Le but est dans le point de départ, ici, dans le présent, expression exacte et impersonnelle de la Réalité, de Dieu.
La dissolution de l’entité séparée n’est pas un but à atteindre dans le futur, car la vision de l’illusion d’être une entité autonome n’est possible que maintenant, là où sont nos pieds.

Puisqu’aucune chose n’existe indépendamment des autres, étant en interrelation simultanée, il n’existe pas d’extérieur à la Totalité. Il n’existe donc pas de séparation ou d’autonomie d’un élément  ayant un libre arbitre indépendant de son environnement.
J’observe que, bien que convaincus intellectuellement par la non-séparation, beaucoup d’enseignants spirituels ne placent pas cette évidence en priorité, et restent accrochés à leur croyance en une entité qui devra évoluer, se transformer, changer afin d’atteindre un état spécial personnel et permanent.
Comment celui qui se croit séparé pourrait-il un jour vivre une non-séparation ? Comment les efforts d’un personnage pourraient-ils aboutir à sa  propre disparition ? C’est aussi vain que vouloir faire l’expérience d’une absence, car il faut une présence pour pouvoir concevoir une absence.
Ce petit livre n’a pas d’autre objectif que d’insister sur ce point initial et capital : la remise en cause du moi-séparé qui se croit et se revendique propriétaire du corps vivant, en occultant ce qui permet cela. Cette remise en cause bousculerait pourtant radicalement la plupart des croyances et des espérances humaines. Car ces croyances issues de l’imaginaire servent à masquer cette méconnaissance de l’inséparabilité des éléments connus et inconnus. 

Même si mon propos est de démontrer la non-existence réelle d’un personnage ayant un libre arbitre, je souhaite réhabiliter l’apparence de l’humanité telle que nous la vivons quotidiennement.
Comment essayer de transcrire avec un minimum de mots ce qui les dépasse sans les annuler ? Comment concilier le fait qu’il n’existe que l’Unicité sans nier l’évidence de l’apparence de notre humanité en tant que moi-forme ?
Je n’ai pas l’arrogance de vouloir changer quoi que ce soit puisque le vécu de chacun, difficile ou merveilleux, est d’évidence l’expression exacte de tous les jeux d’attractions et de répulsions des éléments du mystère vivant. Comme dans le premier ouvrage[4], je suis devant l’impossibilité d’échapper à certains paradoxes, du fait même que le langage est limité, duel, et incompétent à traduire l’indicible.



[1] Quand je dis que quelque chose est faux, je ne veux pas dire que c’est mal en soi. Simplement, une logique qui est vraie dans un angle de vue limité ne peut pas l’être d’un point de vue global. C’est un peu comme si, lors d’un calcul mathématique, on devait effectuer une suite de dix opérations. Si nous vérifions les neuf dernières opérations sans jamais trouver d’erreur, puisqu’elles sont justes en valeur et en logique, mais que nous oublions de vérifier la première, le résultat final sera toujours faux. Ce principe montre qu’une erreur fondamentale peut se perpétuer sur une base logique.
[2] Quand je parle de vision déformée, je ne veux pas dire que c’est mal ou que cela ne devrait pas être, mais je veux parler d’une dérive de la vision de l’Unicité, un peu comme si le bras d’un fleuve oubliait sa source.
[3] “Illusion : erreur des sens ou de l’esprit qui fait prendre l’apparence pour la réalité. “ (Larousse)
[4] Éclats de silence – L’indicible simplicité d’être, Éditions Accarias, L’Originel, 2010


source : blog eveilimpersonnel.blogspot.fr/


EXTRAIT
"UN SEUL EXERCICE"

Daniel Morin est né à Blois en 1944. Ouvrier dans la métallurgie pendant plus de trente ans, il a travaillé aux côtés d’Arnaud Desjardins entre 1995 et 2008 et vit aujourd'hui à Montpellier. Il a publié Éclats de silence, l’indicible simplicité d’être.

Alexandre Jollien - Tu parles parfois de "plonger dans le pot de l'être". De quoi s'agit-il ? 
D - Il s'agit de tout lâcher au bout d'un expir, s'oublier un instant en tant que moi possesseur, ne plus rien vouloir, ne plus rien tenir, se vider de tous les concepts, et mourir à soi-même pour n'être plus rien de spécial, hormis être. Ce simple geste, accessible à tous ceux qui cherchent dans cette direction, aide à retrouver la conscience de l'inséparabilité entre le Tout et la partie.J'ai conscience en te disant cela de donner l’impression qu'il faudrait faire quelque chose pour trouver un état spécial. Les mots sont bien impuissants à traduire tout cela... Certains vont être inspirés pour faire l'exercice, d'autres non, et encore une fois ce n'est ni bien, ni mal. 

A-Tu te rappelles la première fois que tu as plongé dans ce pot de l'être ?
D - Non, parce que ça a été progressif. On le fait tous naturellement quand on soupire, mais ça reste assez superficiel. Le "faux moi" reste là parce qu'il n'y a pas d'abandon total. Il ne s'agit pas de vider simplement ses poumons ou sa tête, mais de tout vider, toute sa substance, et au bout, il y a une joie acausale Chaque expir est une mort, et chaque inspir est une naissance. C'est un geste d'humilité absolue qui exprime : je me rends à l'inconnaissable, je me rends à Dieu. 

A - Quand tu allais au travail, tu le faisais ?
D - Oui, sur mon vélo à 4 heures du matin, tout seul dans la ville, en appuyant sur les pédales... 

A - Et comment tu appelais ça ? 
D - Je ne l'appelais pas, je le faisais, c'est tout. 

A - Qu'est-ce qui contrarie cette posture au quotidien ?
D - Rien, puisque cette pratique n'a rien à voir avec le temps ! Quand tu parles de maintenant, tu le penses. Dès que tu le penses, tu n'y es plus. Il y a toujours un léger décalage, car on ne peut pas définir maintenant. La mauvaise façon de s'y prendre serait de se demander : Comment je vais faire pour arriver à vivre le moment présent d'une façon perma­nente ? Ce qui reviendrait à projeter la présence dans le futur !La seule possibilité de faire cet exercice, c'est maintenant. Si tu le fais une fois, tes actes auront une qualité d'être durant plusieurs heures. Tu seras en relation avec l'être et non avec l'avoir. La prati­que, ce n'est pas obtenir quelque chose, c'est mourir, là, tout de suite.Où est le problème, là, maintenant ? Où ?" 

Quatrième de couverture
Ce qui est commun à tous les êtres humains, c’est l’envie de connaître un sentiment de plénitude qui dure face aux manques vécus dans la vie courante. Or ce sentiment de plénitude, de non-manque, n’apparaît que par la dissolution de la croyance à ce qui est appelé ici “l’entité séparée”.
Nous vivons  en effet une histoire fictive que nous ne remettons jamais en doute et qui consiste à croire à un personnage réel autonome (le moi séparé), qui pense pouvoir gérer sa vie. Cette illusion première acquise comme vraie est à l’origine de nos illusions et de nos insatisfactions.
Pour Daniel Morin, l’unique racine de toutes les croyances est l’interprétation fausse que nous sommes une individualité “étanche” qui se croit propriétaire de son corps, ayant une faculté de libre arbitre.
Ce livre n’a pas pour finalité de proposer une nouvelle recette en vue d’obtenir plus tard une amélioration de notre condition personnelle et relationnelle. L’auteur propose un retournement, une position radicalement opposée à l’idée de progression, qui consiste à vivre l’immédiateté comme étant l’expression exacte et impersonnelle de la Vie telle qu’elle est perçue. La dissolution de l’entité séparée n’est pas un but à atteindre dans le futur, car la vision de l’illusion d’être une entité autonome n’est possible que maintenant.
Tout en remettant radicalement en cause nos espérances, Daniel Morin redonne de la valeur à notre humanité et réhabilite l’ordinaire. Il nous invite à “oser être vraiment soi-même”, dans la présence à l’instant.
La seconde partie de l’ouvrage est un entretien amical avec Alexandre Jollien.
La vie commence maintenant. La vie finit maintenant.