dimanche 5 mars 2017

Et si on reparlait des sept péchés capitaux ? (suite)

Comment discerner ce qui relève du combat spirituel ou de la blessure psychologique ?
Le combat spirituel naît de la tentation qui est universelle. Que le Christ l'ait lui-même connue montre à quel point elle ne doit pas être identifiée au péché. On confond la sainteté avec une espèce d'absence totale d'inclination - François d'Assise et Catherine de Sienne ont par exemple connu une forte tentation sexuelle -, une espèce d'apatheia (ou absence de passions) comme disaient les stoïciens. Or, la tentation n'est qu'une incitation au péché, non une obligation. Le péché commence lorsque je consens. Précisons que le consentement ne concerne pas seulement l'action extérieure, mais la pensée. Le Confiteor récité à la célébration eucharistique nous le rappelle d'ailleurs : « J'ai péché en pensée, en parole, par action et par omission... »
Quelle place accorder à la grâce et à l'acte de volonté pour combattre le péché ? On dit souvent qu'il faut s'accepter tel que l'on est avec ses fragilités et tout remettre en Dieu...
C'est toute la question de la conversion. Lorsque je me confesse je reçois la grâce de Dieu - sans mérite de ma part -, et je prends dans le même temps la ferme résolution de ne plus recommencer. Nous voyons donc bien que, même si la grâce de conversion est première, elle engage toujours la liberté. D'un côté on demande à Dieu la grâce de ne plus pécher, et de l'autre, on instaure une vie de conversion avec de petites résolutions concrètes, preuves que nous voulons recevoir cette grâce. Dans le cas par exemple de la personne alcoolique, sa conversion ne tient pas à son arrêt, du jour au lendemain, de la boisson, mais à ce qu'elle mettra en place pour éviter au maximum d'être tentée. Lorsqu'elle quittera le métro, elle pourra choisir de prendre la sortie qui la mènera à ce troquet qu'elle connaît et où elle est sûre de chuter, ou bien elle pourra décider de sortir par une autre issue pour ne pas être tentée. Elle peut donc trouver un acte de liberté proportionné à ce qu'elle peut faire, et emprunter ainsi un véritable chemin de libération de l'alcoolisme.
La volonté seule ne suffit donc pas ?
Tout dépend du péché. L'homme est cependant doté d'une vertu naturelle, et notre liberté est plus grande que nous ne le croyons. Des Anciens comme Platon ou Socrate insistaient beaucoup sur la valeur de cette dernière. Au sujet de la gourmandise par exemple, Aristote promouvait la sobriété. Ainsi, la nature humaine, même blessée, peut se redresser et quitter une vie désordonnée en musclant sa volonté par de petits actes vertueux. Aujourd'hui, on incite ceux qui veulent faire un régime à continuer de manger ce qu'ils aiment, tout en privilégiant tel type d'aliment. Mais, à aucun moment, la sobriété n'est conseillée...
Quelle est la différence entre la passion et le péché ?
Pour saint Thomas d'Aquin, la passion est une émotion. Elle ne devient un péché que si elle est démesurée. Prenons l'exemple de la colère. C'est une réaction émotionnelle souvent causée par une injustice. Face à un préjudice, il serait anormal que je ne la ressente pas. Ce n'est ainsi pas un péché. Voire, moralement neutre, elle est psychologiquement bonne : elle donne à l'avocat l'énergie pour défendre son client. Mais la colère devient pécheresse lorsqu'elle manque l'un des trois critères suivants : un objet juste, une intention droite, une réaction proportionnée.
Chaque personne est-elle concernée par un péché capital précis ?
Nous sommes tous tentés, un moment ou l'autre, par les péchés capitaux. Mais je pense que chacun de nous a une tentation spécifique, une ligne de fracture, d'où l'importance du discernement. En cela, l'ennéagramme, qui est une méthode de développement personnel, est intéressant puisqu'il nous éclaire sur les corrélations entre nos blessures, nos vices (qui sont des dispositions, des penchants mauvais) et nos vertus. Le lieu où nous sommes le plus tentés, donc le plus pécheurs, est celui où souvent nous sommes le plus blessés, mais aussi celui où nous sommes le plus bénis. Il recèle en effet un véritable talent : si je suis un homme politique ayant une grande capacité de gouvernement, je peux soit le tourner vers ma propre gloire - j'aurai alors succombé à la tentation de l'orgueil -, soit le mettre au service des autres.
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À l'origine du mal 

Évagre le Pontique, moine grec du IVe siècle, établit pour la première fois une liste de huit passions néfastes : gourmandise, impureté, avarice, mélancolie, colère, paresse, vaine gloire et orgueil. Un siècle plus tard, l'ermite Jean Cassien, réduisit ce nombre à sept : paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère et envie. À la fin du VIe siècle, le pape Grégoire Ier le Grand fixa cette liste. Au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin, qui préférait parler de « vices » précisa la définition de chacun de ces vices, distinguant les péchés poursuivant un bien désordonné, et ceux fuyant un vrai bien, mais considéré comme un mal. Les premiers renvoient aux trois « convoitises » (1 Jn, 2-16) : l'amour démesuré des richesses (l'avarice), l'amour démesuré des plaisirs - ceux du lit (la luxure) et ceux de la table (la gourmandise) -, l'amour démesuré de sa propre excellence (l'orgueil). Les seconds fuient le bien considéré comme un mal. Or, double est ce bien : l'autre et le Tout Autre (Dieu). Je peux m'attrister du bonheur d'autrui (jalousie) et même vouloir sa destruction (colère). Je peux m'attrister du bien spirituel qu'est Dieu (acédie que l'on a faussement traduit plus tard par « paresse »).

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