jeudi 25 janvier 2018

« Mon père m’a placé par amour »

«Je suis né dans une oasis du Sahel algérien. Je me souviens du désert qui s’étendait à perte de vue et de la joie immense des villageois lorsque la pluie s’annonçait.
Ma mère est morte lorsque j’avais 4 ans. Il ne me reste rien d’elle, pas même une photo. Mon père, le forgeron du village, modelait les outils de la vie quotidienne. C’était un musicien et un poète. Puis le “progrès” est entré dans notre vie avec les colons français venus pour exploiter la houille du sous-sol de notre région.
Les cultivateurs du village furent les premiers à descendre dans la mine. Comme ils n’avaient plus besoin d’outils, mon père dut se résoudre à y descendre aussi, pour nous faire vivre. Je l’ai vécu comme une aliénation. J’étais malheureux de le voir revenir le soir, le visage noir de poussière de charbon, fermé, triste et silencieux. La musique n’enchantait plus notre maison…

« Renier l’islam n’a pas été sans problème »

Pour m’offrir la chance de choisir ma vie en toute liberté, mon père me confia à un couple de Français. Avec eux, j’ai découvert l’amour absolu et l’idéal de justice que porte le message du Christ. Son “aimez vos ennemis” m’a profondément rejoint.
Pourtant renier l’islam n’a pas été sans problème. Je le ressentais durement lorsque je retournais au village pour les vacances. J’imagine aujourd’hui combien me confier à des Européens, catholiques de surcroît, a été une décision courageuse et douloureuse pour mon père. Il a fait ce choix avec la conviction profonde que c’était pour mon bien, malgré le déchirement que cela a occasionné pour nous deux.
Cette grande souffrance est aujourd’hui dépassée, mais je dois reconnaître qu’elle a fondé mon choix d’une vie qui bannit toute forme d’aliénation. J’ai toujours essayé d’être en cohérence avec ce que je dis. Je cultive ma terre, selon les règles de l’agroécologie, mais pour moi être écologiste, ce n’est pas uniquement manger bio et bannir les pesticides, c’est une éthique qui s’applique aussi à la façon dont on considère les gens autour de soi. »


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source : La Croix