jeudi 18 juillet 2019

Mental et réalité (2)


Vous verrez d'abord le mental à l’œuvre sous forme de paroles. Je me souviens d'une petite histoire exemplaire. J'étais seul à l'ashram de Swâmiji, sevré de tous mes points d'appui habituels. Chaque jour je demandais : « Est-ce que Swâmiji a reçu des lettres pour moi? – Non. » Un jour, indigné, je dis à Swâmiji : « Ça fait un mois que je suis en Inde et ma femme ne m'a pas écrit une seule fois! » Et Swâmiji me coupe : « Qu'est-ce que vous venez de dire? Denise ne m'a pas écrit une seule fois? Non, non : je n'ai reçu aucune lettre de Denise. » Cela paraît simple et bien loin de la connaissance initiatique ou ésotérique, mais attendez la suite. Comme c'est vite fait de tirer des conclusions! 

A partir de là je peux imaginer, éprouver de la rancune, ruminer des reproches, penser que ma femme est un monstre. Or le lendemain – et pour moi c'est inoubliable – arrivent quatre lettres de Denise d'un coup, qui n'avaient pas été distribuées plus tôt à cause d'une grève des postes à Calcutta. Voilà le type d'exemple où le mental est confondu par la reconnaissance de la vérité. Vous n'avez pas toujours à vos côtés quelqu'un qui puisse vous interpeller : « Qu'est-ce que vous venez de dire? » Il faut donc que vous preniez le relais et que vous sachiez vous surprendre en flagrant délit. Voilà la méthode. 

Pour commencer le voyant lumineux s'allume, c'est l'émotion : je suis agité, je suis troublé, je ne suis pas d'accord. Regarder ensuite quelles pensées naissent de l'émotion dans un processus complètement mécanique – émotion heureuse, idées roses ; émotion malheureuse, idées noires – ne constitue qu'une partie du programme. Le plus important est de retrouver la pensée qui a fait naître l'émotion et qui était en décalage avec la réalité. « Elle ne m'a pas écrit. » Faux : « Je n'ai pas reçu de lettre, peut-être m'a-t-elle écrit. » Si vous passez au crible, à partir de maintenant, tout ce que la pensée va vous proposer, vous allez réellement commencer à changer. Vrai ou faux? Certain, probable ou seulement possible? Le mental extrapole abusivement. D'une situation, d'un événement, du comportement d'une personne, il tire une loi générale. Si vous voulez faire disparaître l'émotion, voyez par quelle pensée celle-ci tente de se justifier. « Ça va être terrible, c'est affreux, j'en mourrai. » Non, non, non. Si vous voyez la pensée qui a généré l'émotion puis les pensées qui ont entretenu et même amplifié celle-ci, c'est le travail le plus efficace que vous puissiez accomplir pour que la stupidité de l'émotion vous saute aux yeux, auquel cas cette émotion s'éteint et disparaît, n'ayant plus de raison d'être.  

Enfin permettez-moi, à l'appui de ce que je partage avec vous aujourd'hui, de mentionner cette sentence si éloquente : « Sème une pensée, tu récoltes un acte; sème un acte, tu récoltes une habitude; sème une habitude, tu récoltes un caractère; sème un caractère, tu récoltes un destin. » Le Dhammapada bouddhiste souligne de la même façon la toute-puissance de la pensée : « Ce que nous sommes aujourd'hui provient de nos pensées d'hier et nos pensées présentes façonnent notre vie de demain : notre vie est la création de notre esprit. »  

Extrait de "La voie et ses pièges"
de Arnaud Desjardins 

*************

Mental et réalité (1)


Pascal Caro

Tant que nous vivons dans « notre » monde, tant que « c'est comme ça que nous voyons les choses », une mort à un niveau doit s'opérer pour renaître à un autre niveau. Peu à peu vous verrez des degrés beaucoup plus subtils et intéressants de ce fonctionnement qui s'appelle « penser », vous arriverez jusqu'à l'essence du mental, de l'illusion, de l'aveuglement. Le but dépasse les normes habituelles de notre intelligence ou de la raison. Il est à proprement parler révolutionnaire par rapport à notre manière actuelle de concevoir les choses. Vous allez vers un retournement de toutes vos convictions qui seul peut vous conduire à ce qui mériterait vraiment le nom d'éveil ou de libération. N'est-ce pas révolutionnaire, pour des hommes qui autrefois voyaient de la matière solide, de savoir qu'il n'y a en fait que du vide, des protons et des neutrons? La démarche de la destruction du mental demande une audace aussi radicale. C'est vraiment le passage dans un autre monde. Mais, pour commencer, travaillez d'abord sur les formes les plus accessibles de cette pensée que j'ai évoquées tout à l'heure : le jugement, la comparaison non fondée, l'attente, le décalage entre la réalité présente et vos désirs, toutes ces cogitations qui vous coupent les uns des autres et sont génératrices d'émotions. Avant de vous aventurer vers des découvertes de plus en plus extraordinaires en matière d'illumination de votre vision, commencez par détecter les manifestations les plus grossières de votre mental, celles que la psychologie décrit, que les thérapeutes reconnaissent. Ensuite vous découvrirez que même un mental normal, satisfaisant, est encore une aberration. Il est absurde de rester dans la confusion, de ne même pas être en contact clair, simple et direct avec la réalité et d'imaginer qu'on va pouvoir s'établir à un niveau de conscience supérieur. Au plus, par des jeux de réactions, vous vivrez un moment de supra-conscience, un samadhi, puis serez repris par les peurs. « You cannot jump from abnormal to supranormal », « vous ne pouvez pas bondir de l'anormal au supra-normal ». « Normal » consiste à déceler en premier lieu les formes névrotiques de peur, d'anxiété, de fascination, domaine qui est en effet commun à la voie et à la psychologie. Mais vous vous laissez trop impressionner par ce que vous avez entendu dire sur la bio-énergie, le rebirth, la thérapie primale, « Il faut que ça sorte, il faut que ça pète, il faut que ce soit spectaculaire. » Il y a trop d'insistance sur l'enfance, sur le passé, sur les traumatismes au détriment d'une possibilité qui vous est offerte aujourd'hui, tout de suite – au moins commençons! – de confronter ce que le mental vous propose avec la réalité... 

Extrait de "La voie et ses pièges"
de Arnaud Desjardins 

*************