dimanche 5 avril 2015

L'homme nouveau avec Philippe Mac Leod


« C’est un exemple que je vous donne » (Jean 13,15), telle est la parole que Jésus veut ajouter au geste qu’il vient d’accomplir à genoux, aux pieds de ses disciples déconcertés, leur lavant les pieds un à un. Mais toute sa vie a été et reste un exemple, et dans ce geste donné en exemple, toute sa vie se trouve condensée, ramassée, comme elle le sera sur la Croix, tout ce qu’il a été et ce qu’il veut que nous soyons. « Faites de même » : par ce geste je vous signifie ce qu’a été ma présence parmi vous, ce que devra être la vôtre parmi vos frères.

Et c’est à nous, aujourd'hui, sans le moindre recul, que ce geste s’adresse, comme un lumineux et déchirant raccourci, l’essence même de la sainteté, à nous qui malgré 20 siècles d’Évangile sommes encore attachés par la vanité aux petites reconnaissances, à des honneurs que nous savons pourtant dérisoires, à nous qui nous effondrons dès que notre moi se trouve quelque peu égratigné, à nous qui sommes d’abord et sans cesse notre image, dans la crainte d’une blessure ou l’attente d’une flatterie, cette image toujours pour soi à travers les autres, qu’aucune pratique ne parvient à chasser au profit du cœur détaché tout entier pour les autres, invisiblement, silencieusement, tout entier donné et sans repli possible, sans miroir, perdu littéralement dans ce pur mouvement de transparence.

Dès lors nous ne pouvons plus vivre dans le simulacre, nous réclamant de la volonté toute abstraite du Père sans rien lâcher de notre volonté propre. À vrai dire, on ne « fait » pas la volonté du Père, on s’y plonge, comme dans un milieu nouveau, comme on entre en religion, et en vérité il n’y en a pas d’autre. On s’y dépouille, on s’y acclimate peu à peu. C’est un autre monde, le monde de la grâce, la vie enfouie de Nazareth, l’heure sombre de la Passion où il n’y a place ni pour le ressentiment, qui projetterait son ombre sur les événements, ni pour la déception, qui accablerait de reproches son entourage, ni pour cette attente anxieuse, cette sorte d’avidité maladive que l’on retrouve jusque dans notre prière. Vivre dans la volonté de Dieu nous oblige à rompre avec l’immédiateté naturelle que sont les apparences, dans une sorte de sphère élargie où paradoxalement l’on se sent à la fois nu, vulnérable à l’extrême, et jamais seul, solidement ancré dans une confiance à toute épreuve en un dessein plus large que l’impatience de nos courtes vues.

Cependant, nous n’en aurons jamais fini avec le vieil homme. Et ce n’est pas en nous débattant avec lui que nous cesserons d’y retourner, mais en nous laissant saisir jour après jour par la lumière du Ressuscité. Tout est devant nous. Dans une tension souvent douloureuse, mais en découvrant que la flamme fragile tient tête à la nuit immense, où l’espérance se révèle plus forte que l’inévitable découragement, la joie plus grande que la prégnance de la peine, la vie toujours victorieuse de la mort.

La résurrection qui nous est offerte nous est en même temps demandée : offerte comme une libération inespérée, mais demandée dans le premier mouvement de mort à soi-même. Certes, la résurrection appartient à Dieu seul, mais la croix reste attachée à la liberté de l'homme qui peut la fuir ou l’embrasser. Le don des dons passe par cette porte étroite de notre abandon à la volonté du Père, le fil d’or qui cherche le chas de l’aiguille pour une vie vraiment nouvelle, comme l’herbe jeune surgie du noir de la terre, l’herbe neuve qui partout nous réjouit de son éclat d’une pureté céleste.