lundi 9 septembre 2019

Celui qui garde ses rêves...


J’ai passé quelques jours tout seul au bord d’une longue rivière. Il n’y avait ni TV, ni radio, ni littérature, ni beaux-arts, ni musique. Tout ce qui existait là était vivant. La musique vivait entre l’eau et le rocher, sur les lèvres d’une autre rosée rencontrant une rosée d’herbe vivaient les beaux-arts. La poésie vivait sur les antennes d’un insecte tâtant le sol. Le roman vivait dans le long voyage tranquille de cet insecte.
Tout ce qui existait là bougeait. L’eau, des feuilles d’arbre, des nuages, des oiseaux et de petits animaux bougeaient sans cesse et l’eau de pluie, les cris des insectes nocturnes, la lumière du jour et le clair de lune de la nuit et la lumière d’eau de la rivière et l’ombre de toutes ces choses bougeaient. Ce monde qui bougeait autour de moi faisait mouvoir mon corps en me repoussant. Tout mon corps exposé, je me mis à respirer en imitant la respiration des feuillages épais des arbres.
Enfin, j’ai pu savoir que même ma chair, étant vivante, respirait. Le corps qui respirait, dés qu’il se fut échappé des ordres compliqués de ma tête inquiète, se mit à être à l’aise. Mes épaules devenaient légères ; mes yeux devenant vifs, je pouvais voir des fruits d’arbre se cacher dans la toile d’araignée ainsi que le chant d’amour que créent les insectes en agitant leurs ailes. J’ai enfin compris que toutes les choses du monde bougeaient en une seule chose.
Toutes les choses du monde n’en formaient qu’une. Elles ne pouvaient être différentes. Alors je me suis décidé à rejeter la différence entre le grand et le petit. Je me suis décidé à rejeter la différence entre le visible et l’invisible, entre vivre et mourir. C’était une décision difficile pour moi-même. Quelques jours après, alors que je disais au-revoir à la rivière en quittant le rivage désert, elle s’est approchée de moi sans mot dire pour mettre quelques rivières claires et longues dans mon cœur. Alors je suis devenu rivière
Celui qui garde ses rêves - Mah Chong-gi

Peinture Marthe Brilman
« Alors qui suis-je maintenant ?
Un cornouiller à la peau crevassée
par le vent d’hiver sourit sans répondre.
Celui qui garde ses rêves est heureux. »


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