samedi 8 février 2025

Toute forme vivante est un mystère

Tout forme vivante est un mystère. Lorsque vous regardez une fleur vous ne voyez pas une forme définitive mais une forme en devenir. Cette rose qui surgit d'un bulbe souterrain va passer par trois phases incontournables : le stade du bouton, celui de la fleur épanouie pour ensuite devenir la fleur qui fane.

En japonais, Ikebana signifie fleur vivante et indique aussi l'exercice de la composition florale, l'art du bouquet. Et, dans ce domaine, la culture du chrysanthème est considérée comme étant un art traditionnel.


A la différence de la symbolique macabre que cette fleur a dans la plupart des pays d'Europe, la culture du chrysanthème au Japon est envisagée depuis plusieurs siècles comme une véritable philosophie de vie.

Lorsqu'il était au Japon (1937-1947), Graf Dürckheim a visité une exposition centrée sur cette fleur qui est l'emblème également de la famille impériale. Au cours de cette visite, il demande au maître jardinier : "Pouvez-vous me dire si au cours de la croissance de cette fleur il y a pour vous un moment qui est plus important qu'un autre ?" Le maître jardinier semble très embarrassé par cette question et dit qu'il ne la comprend pas. Graf Dürckheim avoue qu'il lui semble que c'est le moment où cette fleur est épanouie. Le maître jardinier, saisissant alors le sens de sa question, lui dit : "Pour nous japonais, il n'y a pas un moment de la croissance d'une fleur qui serait plus important qu'un autre, parce que la vie de cette fleur est un chemin de transformation qui va de sa naissance à sa mort."

L'erreur commise par bon nombre d'occidentaux qui se disent intéressés par le zen est de s'imaginer qu'il faudrait, à coup d'exercices, réaliser, atteindre et maintenir un état d'être qui serait du même niveau que la beauté de la fleur épanouie ! En quelque sorte être infiniment bon, infiniment juste, infiniment parfait ! Ou se maintenir dans un état d'être serein, confiant, avenant, en toutes circonstances.

La visée du Zen est de nous ré-orienter vers notre être véritable que Graf Dürckheim appelle notre être essentiel : « Être en accord avec l'Être ne signifie pas être dans un état de perfection. Vouloir atteindre la perfection est une erreur que ne doit pas commettre la personne en chemin. Notre vérité est souvent assez misérable, en rapport avec notre idéal. Être relié à notre vraie nature ne signifie pas que nous réalisons de manière parfaite "ce que doit être un homme", mais avoir la force de nous voir dans notre vérité du moment. L'éveil à notre être essentiel ne se manifeste pas quand nous dépassons le niveau humain mais précisément là où nous reconnaissons ce niveau humain, lorsque nous reconnaissons notre faiblesse. » 1

Une dernière étape ... vieillir !

La fleur fanée. Elle est retirée du bouquet qui vous a été offert ou elle est arrachée de votre jardin. Sans doute parce qu'elle nous confronte à l'inacceptable : la mort.

Le bouton de rose, la rose épanouie, la rose fanée sont des imprégnations physiques (corporelle) de ce qui fait que ce qui vit ... vit (l'essence) !

Sur la Voie qu'est le Zen, la personne en chemin, lorsqu'elle vieillit, apprend à -quitter toute forme réalisée, ce qui lui permet d'apprendre à -admettre- une forme nouvelle. C'est pourquoi vieillir devrait être entendu comme étant la chance de mûrir. S'efforcer de vouloir toujours stabiliser ce qui est acquis est une des causes de l'angoisse des personnes âgées.

Vieillir (mûrir) c'est accepter l'affaiblissement des forces qui sont du domaine du faire et sont développées par le Moi. Le corps, peut-être attaché à une canne, le corps qui se déplace désormais lentement, devient un champ d'expérience de l'infaisable.

Expérience d'une force qui ne peut être quantifiée par un dynamomètre ; une force qui est ressentie en tant que qualité d'être. Imprégnation corporelle d'une plénitude intérieure, d'un ordre intérieur, de la paix intérieure, la force du non-vouloir.

Je ne pouvais imaginer, lorsque en 1967 j'ai pratiqué zazen pour la première fois, que cet exercice m'amènerait à ne plus considérer l'agitation comme étant le contraire du calme et de faire l'expérience que l'agitation exclut le calme, le grand calme présent au plus profond de chaque être humain.

Jacques Castermane

1 - Le Centre de l’Etre - éd. Albin Michel (p. 45)

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