samedi 30 avril 2022

Un urgentiste en réanimation


De l'autre côté du miroir Témoignage d'Olivier Debas

Gilles Farcet : J'ai souhaité partager ici ce beau témoignage de mon ami de très longue date Olivier Debas , médecin urgentiste et hypno thérapeute, élève de François Roustang. Il évoque ici son incursion "de l'autre côté", juste avant le premier confinement. Rien de polémique ici, juste un magnifique témoignage de lâcher prise.

De l’autre côté du miroir,

Ma femme, effondrée, vient de me déposer sur le parking des urgences. Je me dirige péniblement vers l’interphone de l’entrée des Urgences réservés aux patients suspects de COVID-19 avant d’appuyer sur l’interphone. A cet instant, et avant même que la porte ne s’ouvre, cela ne fait plus l’ombre d’un doute, je viens de passer de l’autre côté. Je suis malade et n’ai pas été épargné du SARS- CoV-2 dont la présence s’est fait sentir depuis plus d’une semaine. Ceci très certainement dans les suites d’une expédition demandée par l’ARS dans un EHPAD pour effectuer des prélèvements avec la cadre de mon service cinq jours plus tôt encore. Et ce qui semblait de prime abord anodin, des céphalées, des courbatures, des frissons et une petite asthénie, s’est aggravé depuis quarante-huit heures. Beaucoup de fièvre, une fatigue inhabituelle, un peu de toux et un essoufflement dont j’ai à ce stade à peine conscience. C’est alors que j’ai décidé de prendre les choses en main, de sortir de mon isolement pour me livrer à l’expertise et aux soins de mes confrères. Je l’ignore encore mais je vais être hospitalisé 17 jours loin des miens puisque toute visite sera désormais interdite. En USC d’abord dans le pôle dont j’ai la responsabilité et après un scanner thoracique et des gaz du sang sans appel. Puis rapidement transféré via le SAMU à Chambéry en pneumologie, et même en réanimation où j’échapperais à la ventilation invasive avant de retourner en USC puis en pneumologie à nouveau.

Dès mon arrivée ce jour-là aux Urgences, il me faut m’abandonner. Aux différents examens et soins prescrits, des plus inoffensifs comme la toilette aux plus redoutés comme les ponctions artérielles. Se laisser faire sans offrir la moindre résistance, s’effacer en quelque sorte au point de se réduire à être vivant comme l’a si bien explicité François Roustang. Abandon rendu toujours plus intense et nécessaire pour éviter une consommation accrue d’oxygène durant ces premiers jours où mon état respiratoire va s’aggraver dangereusement au point de me conduire en réanimation. Abandon suggéré et rappelé aussi par un manque cruel d’air, enfant d’abord lors d’une crise d’asthme puis beaucoup plus tard, lors d’une plongée sous-marine et de ce qui m’avait permis alors d’éviter le pire : ne plus rien faire, ne plus penser, attendre patiemment avant que le souffle reprenne son cours normal. S’abandonner donc, à plus grand à ce qui nous dépasse infiniment et avec confiance. Je me souviens alors en réanimation et en plein orage cytokinique comme on l’appelle désormais, m’être laissé aller à jouer de ces frissons intenses, de ces décharges comme des éclairs, à en ressentir les nuances et les embardées du début à la fin sans opposer la moindre résistance.

Mais aussi, après 23 ans passés en réanimation avoir pensé à ces patients intubés, ventilés profondément sédatés, curarisés au devenir incertain, sur le fil du rasoir, dont certains n’auront jamais eu l’occasion, ni eux, ni parfois leurs proches, de se dire adieu...

Une telle issue et son cortège de souffrance m’a traversée l’esprit mais sans s’y attarder. Une possibilité parmi d’autres et non comme une certitude. Les émotions sont un luxe que je ne peux me permettre, j’ai besoin de toute mon énergie. Revenir au corps ici et maintenant, tel qu’il est, voilà où je suis vraiment, seule certitude. Primum non nocere, ne pas nuire et en l’occurrence ne pas lui nuire. Lui permettre d’être installé aussi confortablement que possible comme lors d’une séance d’hypnose. S’assurer de la proximité de la sonnette, de l’urinal, du portable qui continue de me relier au monde et aux miens. S’évader aussi parfois en s’émerveillant d’un reportage animalier, de la force de la nature, de la vie. La vie encore et toujours, celle que le corps va finalement choisir de reprendre le cours. C’est lui bien sûr et pas moi, qui a “fait le job” et qu’il me faut remercier. Ainsi, bien sûr, que toutes celles et ceux qui ont pris soin de moi pendant ces 17 jours. Après les retrouvailles et sur la route d’un retour chez moi, chez nous, je regarde, émerveillé le lac du Bourget étincelant, avec de grands miroirs, calme et tranquille comme jamais.

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vendredi 29 avril 2022

Au fond de ma poche



 " Moi j'ai très peu de choses au fond de ma poche: un ou deux sourires, deux ou trois phrases glanées dans quelques livres.

J'ai une petite boite avec moi, qui n'existe pas mais qui ne me quitte jamais.

Elle ressemble à ces petites boites dans lesquels les enfants s'amusent à mettre des perles.

Dedans, j'ai mis quelques sourires et parfois je les regarde et ils sont aussi beaux et neufs qu'autrefois.

C'est l'amour qui est dans cette petite boite.

Ce qui existe de manière plus forte que le monde entier.

Je peux tout perdre mais pas ça.

Quand je l'ouvre, je retrouve le vrai sens, la vraie direction, l'unique certitude que je peux avoir.

C'est quelque chose de minuscule mais d'indestructible.

Je n'ouvre pas souvent cette petite boite.

Je ne l'ouvre que de temps en temps pour que rien ne s'évente mais le regard que j'y jette a cette durée très longue des éclairs et j'en ramène un sentiment d'éternité." 

Christian Bobin - La lumière du monde.


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mercredi 27 avril 2022

Comme un alcool fort...

 


Loin du temps de sa jeunesse où il s’évertuait à tenir le tragique à distance à grands renfort de méditations, de croyances et d’espérances, il cohabitait désormais avec lui.

Il ne se protégeait plus de la violence intrinsèque de la vie. Il la goûtait, la savourait, comme le palais apprécie un alcool fort dont les arômes subtils se révèlent à l’intérieur d’une brûlure.

Vers la moitié du chemin de sa vie, il avait entendu son ami spirituel, cet émetteur-récepteur qu’une confondante grâce lui avait permis de détecter pour ne plus jamais s’en éloigner, prononcer une parole : « si vous vous libérez de votre propre souffrance, vous héritez de celle du monde entier ». Plus il avait avancé en âge et en maturité, plus cette phrase lui était apparue comme vertigineuse de vérité.

Telle était donc désormais sa situation. Au fait de l’être-heureux, mais d’un être-heureux non dénaturé, non travesti en facilité et recettes d’un bien-être sourd et aveugle, il s’affranchissait peu à peu. Non de la souffrance mais ce qu’il y avait d’égocentrique et inutile dans sa souffrance. S’affranchissant de la sorte, il commençait à veiller, d’une veille modeste, presque insignifiante et pourtant combien cruciale, à l’écoute, poitrine nue, de la douleur ambiante.

C’était un insigne privilège, une terre de solitude aussi où l’on n’avait guère plus d’amis tout en étant très entouré. Et dans cette solitude, une sorte de ligne directe avec la source le maintenait debout.



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Ecouter le groupe de Gilles :
Ouais, tu es, bien coincée
Ouais tu es bien blindée
Ouais tu est bien shooté
Ouais tu es bien allumé.
M’entends tu donc frapper contre ta porte
M’entends tu donc frapper comme un damné.
M’entends tu donc frapper dans ta sale allée.
Tend moi la main laisse moi entrer
Je ne suis pas un étranger
Ne me traite pas en pariah
M’entends tu donc frapper ? Es tu endormie
M’entends tu donc cogner sur ton parvis
M’entends tu donc frapper ? Balance moi les clés.
Je te supplie à grand cris
Sors de ton lit je t’en prie
je suis par terre à genoux
Moi je me traine dans la boue
Entends mon cri
Qui te hante
Prends donc ma vie
Si ça te chante
Je suis à bout Je déjante
Je suis cramé, oui à cran. M’entends tu donc frapper contre ta porte
JE TE SUPPLIE A GRAND CRIS ...

M’entends tu donc frapper comme un damné
M’entends tu donc frapper dans ta sale allée

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mardi 26 avril 2022

Le sentiment « d’être moi-même » (2)


 Lorsque nous permettons à notre être essentiel de se mélanger ou de s’identifier aux qualités de l’expérience, son état naturel de paix et de bonheur se voile ou s’obscurcit.

De même que l’eau n’a pas de goût en soi mais acquiert le goût de l’ingrédient auquel il est mélangé pour sembler devenir, par exemple, du thé ou du café, notre être ou soi essentiel ne possède aucun attribut propre mais assume les qualités de l’expérience, paraissant ainsi devenir une personne, un soi ou ego fini.

Par exemple, lorsqu’un sentiment tel que la tristesse, la solitude ou l’anxiété apparaît, nous ne nous connaissons plus tel que nous sommes essentiellement : transparent, silencieux, paisible, comblé. Notre connaissance de nous-mêmes est mêlée à ce sentiment et s’en trouve modifiée. Nous faisons abstraction de notre être en faveur du sentiment.

En fait, nous paraissons devenir le sentiment en question. « Je ressens de la tristesse » devient « je suis triste ». Nous nous perdons dans l’expérience. Nous nous oublions. Toutefois, cet oubli n’éclipse jamais totalement le sentiment « d’être moi-même ». Celui-ci se voile partiellement car même les sentiments les plus sombres ne parviennent jamais à occulter l’expérience « d’être moi-même ».

Lors d’une dépression, par exemple, notre expérience est tellement entachée de noirceur que les qualités de paix et de bonheur qui nous sont innées se retrouvent presque totalement obscurcies. Notre soi semble terni ou enténébré.

Cependant, de même que la nature de l’eau ne bouge pas même lorsqu’elle est mélangée à du thé ou à du café, notre soi essentiel conserve son état de pureté même lorsqu’il est mélangé au contenu de l’expérience. Il suffit tout simplement de ne pas perdre de vue son être ou soi essentiel dans chaque expérience.

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Se sentant limité, le soi séparé ou ego est enclin à la vulnérabilité et à l’insécurité et va donc chercher à se défendre. C’est l’impulsion qui se cache derrière toute réactivité émotionnelle : une tentative de restaurer l’équilibre qui constitue l’état naturel de notre soi ou être essentiel.

Étant vulnérable, le soi séparé ou ego a tendance à se sentir peu sûr de lui, inférieur ou mal aimé, et pour tenter de rétablir la dignité inhérente à notre véritable nature, il chercher à se magnifier. C’est l’impulsion qui se dissimule dans la plupart des plaintes, des critiques et des jugements.

Enfin, se sentant incomplet, le soi séparé ou ego verse dans un sentiment d’insuffisance, d’insatisfaction ou d’inadéquation. Et pour retrouver son état naturel de complétude, il cherche la plénitude dans l’acquisition d’objets, dans les drogues et l’alcool, dans des états mentaux spéciaux et dans une frénésie de relations.

Le soi séparé ou ego vit ainsi un sentiment de manque constant : un sentiment d’insuffisance chronique et insidieux, entrecoupé de périodes de détresse aiguë. Cette souffrance est l’inéluctable rançon de l’oubli ou de la méconnaissance de notre véritable nature.

La profondeur de notre souffrance dépend de notre degré d’amnésie. Jusqu’à quel point avons-nous permis au sentiment ou à l’expérience du moment de voiler la paix et le bonheur qui se trouvent au cœur de notre être ?

De même que la souffrance est inévitable pour le soi apparemment séparé ou ego, la résistance et la recherche constituent les deux activités qui régissent ses pensées, ses sentiments, ses activités et ses relations dans sa tentative de retrouver sa paix et son bonheur innés.

Le soi séparé ne réalise pas que sa véritable aspiration ne consiste pas à défendre ou à combler l’entité qu’il s’imagine être mais bien plutôt à se délivrer de ses apparentes limitations et de retourner à son état naturel.

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Cette perte de la paix et du bonheur amorce une recherche acharnée dans la sphère de l’expérience objective, recherche qui est tôt ou tard vouée à l’échec. D’ailleurs, aucun de nous ne serait en train de lire ce livre si notre quête n’avait pas, dans une plus ou moins grande mesure, échoué.

Lorsque nous sommes suffisamment revenus de nos illusions quant à la capacité de l’expérience objective à nous procurer la paix et le bonheur auxquels nous aspirons, beaucoup d’entre nous se tournent vers les traditions religieuses ou spirituelles qui semblent nous offrir une promesse de plénitude.

À cette fin, nous nous consacrons à des pratiques de méditation, de prière, de yoga, de visualisation, nous nous livrons à des régimes alimentaires spéciaux, à des régimes régis par la discipline et à des enseignements spirituels. Et tout cela peut, dans une certaine mesure, apaiser la souffrance provoquée par notre aspiration, et rétablir un certain degré d’équilibre et d’harmonie dans nos vies.

Or, si nous mettons un tant soit peu notre paix et notre bonheur à la merci de l’expérience objective, aussi raffinée ou noble soit-elle, nous pouvons être certains que le sentiment de manque continuera de couver sous le vernis de la paix. Et tôt ou tard, il nous incombera d’avoir la clarté et le courage de tourner le dos à l’aventure de l’expérience pour revenir à notre soi.

Les grandes traditions religieuses et spirituelles abritent en leur cœur un grand secret : il consiste à comprendre que l’expérience objective ne peut jamais nous apporter la paix et le bonheur auxquels nous aspirons tous. Nous ne pouvons les trouver qu’en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre être.

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Le soi séparé ou ego est l’entité apparente qui résulte du mélange de notre soi et des limitations de l’expérience. Lorsque notre être se dépouille des caractéristiques que l’expérience semble lui avoir conférées, la littérature traditionnelle parle alors d’« illumination ». Notre être perd les limitations de l’expérience qui avaient semblé l’obscurcir ou « l’enténébrer ».

Ainsi, l’illumination ne constitue pas en soi une expérience nouvelle ou extraordinaire à atteindre ou à obtenir. Elle consiste tout simplement en la révélation de la nature originelle de notre soi ou de notre être. Rien ne pourrait être plus familier ou plus intime que notre être, raison pour laquelle nous avons le sentiment de rentrer à la maison. Dans la tradition zen, on parle de la reconnaissance de notre visage originel.

Il n’y a rien d’exotique ni de mystique dans l’éveil. Il s’agit simplement de la reconnaissance de ce que l’on a toujours connu — de ce qui est en fait toujours connu jusqu’à ce que l’expérience vienne le brouiller.

Personne ne devient illuminé. Notre être est tout simplement délivré d’une limitation imaginaire, à la suite de quoi, sa condition naturelle de paix et de bonheur rayonne.

Extrait du livre "Etre moi-même" de Rupert Spira, editions Accarias L'Originel
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lundi 25 avril 2022

Le sentiment « d’être moi-même » (1)


Tout le monde a le sentiment « d’être moi-même ». Ce sentiment, celui « d’être moi-même », est une expérience qui nous est très familière, intime et ordinaire. Il imprègne toute expérience, quel qu’en soit le contenu. Ce sentiment est l’arrière-plan de toute expérience.

Le sentiment « d’être moi-même » ne nous quitte jamais et ne peut être séparé de nous.

Si je suis seul, le sentiment d’être « moi-même » est présent bien qu’il soit temporairement coloré par le sentiment de solitude. Si je suis amoureux, le sentiment « d’être moi-même » est présent bien qu’il soit mélangé au sentiment d’être amoureux. Le sentiment « d’être moi-même » est pareillement présent dans ces deux sentiments.

Si je suis fatigué(e), excité(e), si je souffre ou si j’ai faim, le sentiment « d’être moi-même » reste présent même s’il est mêlé à ces expériences de fatigue, de faim, d’excitation ou de souffrance. En effet, toute expérience est imprégnée du sentiment « d’être moi-même ».

De même qu’un écran est coloré par les images qui y apparaissent, notre connaissance du fait « d’être moi-même » est déterminée ou conditionnée par les pensées, les sentiments, les sensations, les perceptions, les activités et les relations.

Et de même que les images changent constamment alors que l’écran demeure toujours le même, l’expérience change tout le temps alors que le fait « d’être moi-même » est toujours le même.

« Etre moi-même » est le facteur à jamais présent dans l’expérience toujours renouvelée.

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Nous avons tous le sentiment « d’être moi-même » mais tout le monde ne fait pas clairement 1 expérience de lui-même. Dans la plupart des cas, le sentiment que nous avons de nous-mêmes est mêlé aux contenus de l’expérience : les pensées, les sentiments, les sensations, les perceptions, les activités et les relations. Deux éléments composent notre expérience ordinaire de nous-mêmes : notre être immuable et à jamais présent, et les qualités qu’il tire de notre expérience continuellement changeante, lesquelles semblent le conditionner et le limiter.

Toute expérience est limitée par nature. Et le mélange du soi avec les caractéristiques de l’expérience donne naissance au sentiment d’un soi limité. Il s’agit du soi apparemment séparé ou ego au nom duquel toutes les pensées et tous les sentiments surgissent et au service duquel nous menons la plupart de nos activités et de nos relations.

Lorsqu’il est dépouillé de toutes les qualités de l’expérience, notre soi ne présente aucune caractéristique et, par conséquent, n’est frappé d aucune limitation. Il est simplement être infini ou illimité : transparent, vacant, silencieux et tranquille.

N’embrassant pas l’agitation de nos pensées et de nos sentiments, notre soi ou être essentiel est intrinsèquement paisible. Tout comme l’espace d’une pièce ne peut être agité par les gens ou les objets qui l’occupent, rien de ce qui se produit dans l’expérience ne peut perturber notre être.

Dénué de tout sentiment de manque qui lui soit propre, notre être est, par nature, plénitude. Il n’a pas besoin d’être complété par l’expérience, de même que rien de ce qui compose un film ne peut ajouter ou enlever quelque chose à l’écran.

Ainsi, la paix et le bonheur sont les états naturels de notre être essentiel et ils infusent les pensées, les sentiments, les activités et les relations de celui qui se connaît avec clarté.

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Extraits du nouveau livre de Rupert Spira

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dimanche 24 avril 2022

Accepter l'impuissance

 

Photo de Mathieu Cugnot
pour la Vie

1. Se faire confiance

J’ai écrit Tu es la meilleure mère du monde pour cette génération que l’on culpabilise tellement pour tout aujourd’hui, qui est soumise à une pression folle pour ce qui concerne la parentalité. À chaque fois qu’un enfant est confié à une mère ou à un père, cet enfant n’arrive pas les mains vides, mais avec une valise. Et dans cette valise, il y a des grâces. Tout ce dont notre enfant a besoin est déjà en nous. Les choses nous sont données. Donc, faisons-nous confiance, écoutons nos intuitions. N’essayons pas de gérer, c’est-à-dire d’organiser en visant un résultat précis, mais soyons présents à ce que nous faisons, disons, vivons.

2. Lâcher prise

J’ai toujours laissé beaucoup de liberté à mes enfants, car Dieu nous laisse libres. Quand ils prenaient un chemin inattendu, quand des problèmes ne se réglaient pas comme on pouvait le souhaiter, je lâchais prise : « Seigneur, je ne sais pas quoi faire, je n’y arrive plus, et je suis fatiguée ! » Et, au bout du compte, chaque situation finissait par se dénouer d’elle-même. Quand nous acceptons notre impuissance, alors les choses se débloquent. « Tout passe », disait Thérèse d’Ávila.

3. Croire que tout concourt au bien

Parents, nous voulons le meilleur pour nos enfants. Nous voudrions presque balayer leur route dès qu’ils se mettent à marcher pour leur éviter les embûches. Mais n’est-ce pas leur rendre le chemin plus long encore ? Je sais, par expérience, que les épreuves de la vie sont comme des raccourcis. Même les plus difficiles peuvent les emmener beaucoup plus haut. Tout concourt toujours au bien, rien n’arrive par hasard. Il n’y a pas d’échec. La mort de Yann n’en est pas un. Quand je pleure aujourd’hui en pensant à lui, il suffit que je me dise : « Tu préfères l’avoir dans tes bras ou qu’il soit dans les bras de Dieu ? » pour que la joie revienne. « Que pas un seul de ces petits ne se perde » est mon leitmotiv pour mes enfants.

Isabelle Laurent

« Le pardon était la seule issue ». Lorsqu’elle apprend le suicide de l’un de ses fils adoptifs, l’auteure de romans pour la jeunesse et mère de famille nombreuse se met en quête de la vérité. Elle témoigne aujourd’hui de la puissance de la miséricorde que nous célébrons ce dimanche.

(source : La Vie)

À lire : Maman tu pardonnes toujours, d’Isabelle Laurent, Artège

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samedi 23 avril 2022

Plusieurs vagues pour une seule profondeur


Je pense que pour éviter la vague, il nous faut rejoindre la profondeur.



















''... ma première ambition étant de trouver les mots justes pour persuader mes contemporains, mes ''compagnons de voyage'', que le navire sur lequel nous sommes embarqués est désormais à la dérive, sans cap, sans destination, sans visibilité, sans boussole, sur une mer houleuse, et qu'il faudrait un sursaut, d'urgence, pour éviter le naufrage.

Il ne nous suffira pas de poursuivre sur notre lancée, vaille que vaille, en naviguant à vue, en contournant quelques obstacles, et en... laissant faire le temps.

Le temps n'est pas notre allié, c'est notre juge, et nous sommes déjà en sursis.''

''... D'une manière ou d'une autre, tous les peuples de la Terre sont dans la tourmente. Riches ou pauvres, arrogants ou soumis, occupants, occupés, ils sont -nous sommes- embarqués sur le même radeau fragile, en train de sombrer ensemble. Cependant nous continuons à nous invectiver et à nous quereller sans nous soucier de la mer qui monte.

Nous serions même capables d'applaudir la vague dévastatrice si, en montant vers nous, elle engloutissait nos ennemis d'abord.''

Amin Maalouf (Le dérèglement du monde)

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vendredi 22 avril 2022

Chemin intérieur


On court à la rencontre des autres, on vole vers des lieux inconnus, on roule vers les expériences nouvelles. 

Mais il y a un chemin qu'on ne peut faire qu'à pied. Celui vers soi-même. 

Si la vie est un voyage, j'aimerais le faire à pieds. 

Partir léger, sans objectif précis.

Partir sans carte.

Et si quelqu'un me prête un plan - je refuserai, car où irai-je avec une carte toute prête? Elle m'amènera dans le sillage des autres, dans l'histoire qui n'est pas la mienne.

Partir sans charge, sans bagage. Et pas à pas, lettre par lettre, laisser la carte se dessiner, le bagage se former avec des découvertes, qui deviendront des connaissances.

Accélérer dans la passion, ralentir dans le doute, s'autoriser des pauses pour voir le chemin réalisé et celui qui fait rêver et reste à créer; et de nouveau, marcher vers d'autres pas, vers d'autres pages.

Et comme le dit le sage, la vérité est dans les talons - apprendre à chaque pas avec son corps, avec son cœur.

Partir d'ici au plus loin pour arriver un jour vers soi-même; trouver des mots à mettre sur le parcours qui se résumera en quelques pages, quelques phrases,  

ou juste trois syllabes vont suffire - c'est  ma vie. 

Elena Venel 

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jeudi 21 avril 2022

Du secret de l'escargot à l'éveil du chat...

 


Plus l'on se connaît, plus il y a de clarté. La connaissance de soi n'a pas de limites; elle ne mène pas à un accomplissement, à une conclusion. C'est un fleuve sans fin. Plus on s'y plonge, plus grande est la paix que l'on y trouve. Ce n'est que lorsque l'esprit est tranquille grâce à la connaissance de soi (et non par l'imposition d'une discipline) qu'en cette tranquillité, en ce silence, la réalité surgit. 

J. Krishnamurti ( extrait livre : "La première et dernière liberté")

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mercredi 20 avril 2022

Silence


 "A celui qui a goûté le silence, les discussions banales, les débats et autres colloques deviennent insupportables, vite étouffants.

Le silencieux, le solitaire ont besoin d'air, d'espace, parce que dans le silence, dans la solitude, ils ont fait l'expérience de l'immense.

Dès lors, tout le reste semble étriqué et vain.

La "communication" obligatoire, l'injonction de "s'exprimer" à tout propos apparaissent grotesques: c'est toujours le moi prétentieux qui bavarde et s'expose, qui obstrue le vaste pays intérieur."

Jacqueline Kelen



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mardi 19 avril 2022

Renaissance


Pour respirer, il faut prendre du nouveau.
Je ne peux pas respirer pour hier, pour avant-hier, pour demain, pour mes parents, mes grands parents. 

Je dois être dans l'instant, dans cet axe entre Ciel et Terre, entre la verticale et l'horizontale, dans ce Tout où toute connaissance disparaît, où il n'y a plus que naissance.

Le monde nouveau crie vers nous afin de naître, il a besoin de nous, mais pas de nos vieilleries, pas de nos certitudes. Il a besoin de pouvoir capter à travers nous quelque chose qui n'a pas encore de matière, mais à qui nous devons donner matière, que nous devons incarner.

"Ce nouveau qui crie vers nous"
Marguerite Kardos


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lundi 18 avril 2022

Ingestion du jour nouveau

 Voici la fleur de Pâques qui se ferme le soir. Et comme l'ostie, elle se mange...



Un passage par le coeur

 



 
  "Cette passerelle de cœur à cœur a mis au monde notre humanité et nous relie, tous et toutes, par delà nos différences."

   Extrait de "Grandir avec les arbres" de Catherine Davau. (Éditions Eyrolles)
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dimanche 17 avril 2022

Libération de Pâques


 Toute voie spirituelle vous appelle à ce qu'on peut légitimement appeler la mort à soi-même, la mort à un certain niveau pour vivre à un autre niveau. " Si le grain ne meurt, il demeure seul; s'il meurt, il porte beaucoup de fruits." Laissez-moi vous citer le passage célèbre de saint Paul sur la résurrection : « Semé corruptible, le corps ressuscite incorruptible; semé méprisable, il ressuscite éclatant de gloire; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C'est ainsi qu'il est écrit: le premier homme, Adam, fut un être psychique doué de vie, le dernier Adam est un être spirituel donnant la vie. Mais ce qui est premier, c'est l'être psychique, ce n'est pas l'être spirituel; il vient ensuite. Le premier homme tiré de la terre est terrestre. Le second homme, lui, vient du ciel ". (Corinthiens 15, 42-47.)

Traditionnellement, la doctrine hindoue reconnaît deux types de libération : la libération après la mort (videha-mukti) et la libération dans cette vie (jivanmukti). Le texte célèbre de saint Paul ne peut-il pas être interprété aux deux niveaux, indiquant d'une part de quelle manière la résurrection après la mort se manifestera et d'autre part évoquant la transformation possible dans cette existence? Ce texte fait penser au témoignage que certains portaient après leur rencontre avec tel ou tel des plus grands mystiques de l'histoire ou, au xxe siècle, avec tel ou tel saint exceptionnel du Mont Athos. Mais cette métamorphose à laquelle tous sont appelés n'a jamais concerné qu'une infime minorité.

Il ne s'agit plus de psychologie, il ne s'agit pas seulement d'être moins égoïste ou plus serein, il s'agit d'une expérience intérieure bouleversante présentée comme une mort et une résurrection dans cette vie-ci, par un abandon de tout ce qui constitue aujourd'hui notre psychisme, donc un abandon de nos points d'appui habituels. Cela suppose un effacement, un silence, un « vide » dont même les mystiques chrétiens ont parlé parce qu'il constitue l'expérience mystique proprement dite. Vous ne pouvez pas à la fois conserver vos limites, vos prérogatives et être en même temps vidés de vous-mêmes pour être remplis de Dieu. Que reste-t-il, quand nous avons tout perdu, tout lâché, dans ce tréfonds du cœur ou de l'âme où nous ne sommes plus ni homme ni femme?


Qu'est-ce qui se révèle alors? Tous ceux qui ont vécu cette transformation témoignent qu'il s'agit bien d'une expérience radicale qui est la plus haute possibilité d'accomplissement offerte à l'homme. La question est de savoir si nous aspirons ou non à cette réalisation d'un autre ordre. Elle ne passe pas forcément par le martyre physique qu'ont connu les premiers chrétiens mais par un abandon, un don de soi total à cette vie qui transcende nos limitations : " Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi." Mais très peu de chrétiens entrevoient le christianisme, surtout à notre époque, comme l'appel à cette réalisation mystique.

Un tel passage ne s'opère pas tout seul, parce que nous sommes attachés à notre manière d'appréhender la réalité dans la dualité, au travers du désir et de la peur, fonctionnement que les enseignements orientaux ont, eux aussi, très bien décrit de leur côté. L'homme a toujours tendance à rabaisser des enseignements transcendants, à les ramener à son niveau. Il commet l'erreur de vouloir faire entrer un enseignement original parlant de choses nouvelles dans ses catégories mentales habituelles. Le préalable à une véritable compréhension est donc un effort d'ouverture, de silence, d'oubli de nos opinions, pour que l'enseignement des Évangiles puisse pénétrer en nous et nous transformer de l'intérieur.

Arnaud Desjardins, En relisant les Evangiles

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samedi 16 avril 2022

On ne s'arrête pas au milieu



Une fois que la marche vers le stade de développement suivant est lancée, mieux vaut ne pas s'arrêter.
La crise qui accompagne le mouvement n'est certainement pas confortable, mais elle génère l'énergie (le feu) nécessaire pour ne pas s'arrêter au milieu de la paroi.
Go !

(Fabrice Jordan)







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Votre changement a quel prix ?


Quand le mental vous barre,
La pratique de la vigilance le décode.
Il faut mettre le prix pour se changer.

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vendredi 15 avril 2022

Poursuivre

 La continuité peut être difficile à maintenir pour quiconque. Les reportages médiatiques que nous recevons mettent l'accent sur les triomphes : nous nous émerveillons devant les lauréats de prix, nous nous extasions devant des récits inspirants de difficultés surmontées, et on nous présente des dossiers méticuleux sur la perte de poids apparemment constante d'une personne. 

À l'inverse, nous pouvons parfois nous décourager devant nos propres problèmes. 

C'est une chose de reconnaître de nouveaux problèmes et de se préparer à les résoudre. C'en est une autre lorsque notre découragement persiste. Nous nous sentons misérables, nous ne pouvons pas dormir, nos appétits sont affectés, et nous sommes tendus avec nos proches. 


Se peut-il que ce genre de découragement soit comme une infection ? Quelque chose s'introduit en nous et affirme sa présence. 

La solution à ce problème peut varier. Nous nous tournons vers la famille et les amis. Nous essayons d'avoir une certaine satisfaction compensatoire. Dans les cas graves, nous devons nous tourner vers la thérapie et les médicaments. Tant que nous ne sommes pas poussés à un comportement autodestructeur, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rétablir notre équilibre. 

Il est également important de maintenir la pratique. Elle peut souvent être le rempart contre les découragements de la vie : à tout le moins, elle nous appartient. Nous l'avons mise en place. Personne ne peut nous la retirer. La sagesse acquise nous conseille dans les moments de désastre. C'est là que nous en avons le plus besoin. 

Comme d'autres maladies, nous pouvons être à nouveau infectés par le découragement. Mais à chaque fois, la pratique est là. C'est ainsi que l'on peut continuer à avancer.

Via Deng Ming-Dao

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mercredi 13 avril 2022

Rencontre avec Emmanuel Desjardins (2)



MK : Comment se porte la spiritualité dans notre siècle ? Pensez-vous avec Malraux que « Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas », comme il le disait en 1972 ?

ED : La spiritualité se porte à la fois bien et mal. A l’époque où mon père s’est intéressé à ce sujet, la spiritualité était presque éteinte en Occident. On le prenait pour un demi fou dans sa propre famille. Par ailleurs, dans les années 80, lorsque j’étais à Sciences-Po, la spiritualité, comme l’écologie d’ailleurs, n’était pas du tout prise en compte. A cette époque, quand les médias parlaient de spiritualité, tout était confondu : le problème des sectes, la superstition, la religion, l’ésotérisme. Ce n’était pas clair. Aujourd’hui, les temps ont beaucoup changé. La spiritualité est devenue visible et légitime et suscite une abondante littérature, avec d’énormes succès de librairies. Dans les années 60, les gens qui voulaient changer le monde, qui se disaient « révolutionnaires », étaient absolument contre toute forme de spiritualité. Sans doute du fait des traces laissées par le matérialisme historique de Marx. Aujourd’hui, la spiritualité apparaît comme faisant partie des forces de guérison du monde. Les gens qui veulent faire bouger les choses et lutter contre la folle fuite en avant du monde actuel, associent la dimension spirituelle à la dimension écologique, sociale et humanitaire. Il est donc difficile d’avoir une représentation homogène de la spiritualité contemporaine car, oui, d’un côté, tout le monde s’y intéresse, mais de l’autre, on peut relever une part de dévoiement par effet de mode. La spiritualité actuelle émerge dans une société matérialiste, obsédée par la consommation et le divertissement et il y a forcément un appauvrissement. Cela dit, même une spiritualité authentique peut donner naissance à des formes plus ou moins dénaturées. Au Moyen Age, la foi, la religion, la spiritualité étaient très présentes mais avec en parallèle un degré très élevé d’intolérance, d’inquisition, de guerres de religion… De nos jours, il y a un risque de superficialité.

Donc que sera le 21ème siècle ? Sans doute beaucoup de choses à la fois. Il sera probablement spirituel et très douloureux. Mais lorsqu’elle est vécue consciemment, la souffrance nous ouvre les portes de notre propre profondeur.

MK : La spiritualité deviendrait-elle un super instrument de la société de consommation ?

ED : Oui ce risque existe en effet. Un maître tibétain, Chogyam Trüngpa, parlait même de « matérialisme spirituel », la récupération de la spiritualité pour le renforcement de l’ego. Mais par ailleurs il y a une forte recherche de sens. A Hauteville, le centre où je travaille, j’ose croire que nous faisons un travail sérieux et je constate que les personnes qui frappent à notre porte ont une vraie demande. Et nous ne sommes pas les seuls, évidemment. Les propositions foisonnent : il y a les mouvements spirituels authentiques, mais il existe aussi beaucoup de contrefaçons, des manifestations superficielles et d’autres carrément toxiques. C’est pour cela que tout repose sur le discernement de celui qui se met en recherche. Sans cela, le risque est grand de tomber sur des sectes ou autres impostures. Mais, aujourd’hui, dans l’ensemble, des enseignements de qualité existent. Et l’homme étant différent partout dans le monde, il ne peut y avoir une seule réponse. Chacun doit trouver celle qui correspond à sa quête profonde.

MK : La démultiplication de « l’offre de spiritualité » n’est-elle pas le signe d’une recherche élargie d’une « voie de guérison »?

ED : C’est certain. On a exploré de multiples voies, depuis le début du 19ème siècle. A cette époque, le progrès technique apparaît (la médecine, l’industrie, la technique…) comme la solution qui sortira l’humanité de la pauvreté, de l’insalubrité, de la famine, de la maladie et de la misère. Et pendant deux cents ans, cette dynamique génère un formidable espoir : on a trouvé la réponse à toutes les difficultés de la condition humaine. La perspective d’un monde meilleur était crédible et il semblait que c’était dans cette direction qu’il fallait chercher le sens et le bonheur. Mais il y a eu beaucoup de désillusions et d’espoirs déçus. Aujourd’hui, il est difficile de croire que le monde de demain sera meilleur et que, dans les années 2030, 2040, cela ira beaucoup mieux. C’est parce qu’on ne croit plus que le Progrès peut faire le bonheur de l’humanité que la spiritualité revient sur le devant de la scène. La question fondamentale qui reste donc posée est celle de savoir comment faire face et réduire l’étendue de la souffrance sur terre, qui reste immense. Car il y a toujours des tragédies, des guerres, des injustices, de la misère. On se dit alors que ce n’est pas seulement le monde qui doit changer mais aussi chacun de nous individuellement et qu’il nous faut apprendre à être heureux et en paix dans le monde tel qu’il est.


MK : Comment analysez-vous la crise que l’on traverse actuellement ?

ED : La crise actuelle révèle la fragilité d’un organisme malade dont les symptômes s’amplifient chaque jour. Si l’on se penche sur la littérature scientifique de ces dernières années, plusieurs experts annonçaient déjà le risque de la propagation de maladies contagieuses et de pandémies, notamment comme conséquence du réchauffement climatique. La crise d’aujourd’hui n’est donc pas totalement une surprise. Elle est le fruit d’un grand dérèglement. Un autre symptôme est la multiplications des dérives extrémistes de certains pays (Mexique, Brésil, Turquie…) et l’arrivée au pouvoir de candidats populistes en Europe ou aux États-Unis. La situation au Moyen-Orient n’est pas plus rassurante. Comment en est-on arrivé là ? Beaucoup de choses sont liées entre elles : la perte du lien spirituel mais aussi la toute-puissance, la coupure d’avec la nature, le fait de considérer le vivant comme un objet dont on peut faire ce que l’on veut, la fixation sur la croissance économique, l’urbanisation massive.

Nous arriverons sans doute à vaincre l’épidémie de coronavirus. Mais que sera l’après-pandémie ? L’union nationale a fonctionné, les sacrifices et le confinement ont été acceptés. Mais quand l’épidémie sera derrière nous l’heure des comptes et de la critique sonnera inévitablement. Il y avait déjà en France un front anti-gouvernement très fort et qui continue de couver. Va-t-on vraiment goûter durablement à la solidarité, au ralentissement imposé par cette pandémie ? Quel impact durable cela aura-t-il d’avoir constaté que la pollution avait diminué, qu’on entendait le chant des oiseaux, que l’eau des canaux de Venise redevenait claire ? Prendra-t-on vraiment conscience de la question du réchauffement climatique et des 50 millions de réfugiés qui en souffrent dans le monde. Quel sera l’avenir pour la jeune génération ? Ce que l’on partage aujourd’hui c’est surtout l’incertitude. Une crise, c’est toujours un mélange de forces très puissantes de destruction et de guérison qui créent une dynamique conduisant vers l’inconnu.

MK : Notre société peut-elle toujours fabriquer des vivants heureux ?

ED : C’est un grand mystère. Les gens heureux et ceux qui sont malheureux existent depuis toujours. Il y a deux mille cinq cents ans, le Bouddha disait déjà que « tout est souffrance ». De nos jours, très nombreux sont encore les gens très malheureux. Il y a beaucoup de misère de toutes sortes, matérielle ou affective. Ce qui fait qu’une société fabrique des gens heureux reste une question entière. Et d’ailleurs, est-ce le rôle de la société de « fabriquer » des gens heureux ? Est-ce en son pouvoir ? C’est aussi une responsabilité individuelle. C’est à chacun d’avoir le courage et l’honnêteté nécessaires pour cheminer vers la véritable joie.

MK : Quel sens a pour vous aujourd’hui « l’audace de vivre » dont parlait Arnaud Desjardins ?

ED : Swâmi Prajnânpad disait « soyez audacieux », Arnaud Desjardins parlait, lui, de « l’audace de vivre ». Plus que jamais cela me semble d’actualité. On associe facilement la spiritualité à une vie calme et retirée, à l’écart de l’agitation du monde, « Vivons heureux, vivons cachés » disait Épicure. La spiritualité peut aussi consister à prendre la vie à bras le corps, à assumer tous les aspects de la condition humaine (la joie, l’amour, la créativité, la peur, le désir). Plus le monde est agité et incertain, plus prendre la vie à bras le corps peut paraître difficile, et pourtant c’est nécessaire. « Accepter la vie dans ses aspects contrastés, sans jugement, c’est découvrir l’unité et la béatitude » disait Sawami Prajnânpad.[1] Pour lui, la connaissance vient après que l’on ait fait tout ce que l’on a pu pour agir, en connaissant la peine et le plaisir. « Assumer à 100% la condition humaine finie révèle l’infini qui la sous tend »[2]. Donc, oui, il faut vivre à fond. De la naissance à la mort, nous connaissons des succès et des échecs, nous traversons tous de grandes joies et de grandes souffrances. Vivre pleinement, c’est donc être assez grand pour arriver à embrasser la vie dans tous ses aspects. Les possibilités sont immenses. Aura t-on le cœur assez grand pour toute cette immensité ?

Emmanuel Desjardins est né en 1964. Après des études de sciences politiques et de sociologie, il commence à travailler dans le milieu de la culture à Paris. Depuis 1995, il travaille dans le centre spirituel d’Hauteville, fondé par Arnaud Desjardins, dont il assure aujourd’hui la direction. Il a publié  : « Prendre soin du monde », « Spiritualité, de quoi s’agit-il ? », et récemment « Vivre, La Guérison spirituelle selon Swâmi Prajnânpad. »

[1] Vivre, La Guérison spirituelle selon Swâmi Prajnânpad- Emmanuel Desjardins-Ed. du Relié 2019

[2] Ibid

Source : Rebelle(s)

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mardi 12 avril 2022

Rencontre avec Emmanuel Desjardins (1)

 Source : Rebelle(s)

S’intéresser au sacré et à la spiritualité aujourd’hui n’est-ce pas tenter de penser le hors-sujet d’un monde au nihilisme triomphant et interroger notre « modernité nécrophile » ? C’est avec Emmanuel Desjardins, fils d’Arnaud Desjardins, auteur et directeur du Centre spirituel d’Hauteville, que nous réfléchirons au sens possible du sacré et de la spiritualité à notre époque. Une manière de se demander, comme disait Swâmi Prajnânpad : « Est-ce que vous voulez être sage ou avoir l’air sage ? »


Martine Konorski : Qu’est-ce que le sacré pour vous aujourd’hui ?

Emmanuel Desjardins : La question consiste à savoir si la notion de sacré vient de l’intérieur ou de l’extérieur de l’être humain. Dans la culture occidentale le sacré vient plutôt de l’extérieur, symbolisé par la présence de Dieu, à travers une église, une cérémonie religieuse… L’humain est ainsi considéré comme petit face à la dimension sacrée. Dans l’approche spirituelle orientale, le sacré provient de l’intérieur de l’homme, de son essence propre, de sa nature profonde. Il y a l’homme tel qu’on le voit de prime abord, avec toutes ses contradictions, sa complexité, ses peurs, ses espoirs, ses souffrances, sa finitude et, à un niveau plus profond, la dimension spirituelle dont il est plus ou moins coupé. Pour le sage hindou Swâmi Prajnânpad, il s’agit d’assumer, d’intégrer et de transcender tous les aspects de la condition humaine. Et c’est cela qui permet d’accéder à cet espace intime et profond où l’on peut expérimenter l’infini de l’amour, de la paix, de la joie intérieure, de la confiance qui relèvent du sacré. Réaliser l’unité fondamentale de la réalité, être un avec l’univers en toutes circonstances est le but de toute spiritualité et témoigne de la possibilité d’une vie libre, heureuse, paisible. La réalité n’est pas divisée entre ce qui est moi et ce qui est autre. Tout est moi, tout est Un. L’acceptation c’est l’unité. C’est se libérer de la dualité. Comme Jimmy Hendricks était un avec sa guitare, sans aucune séparation. Etre un, c’est épouser le mouvement de la vie, c’est ne pas rester à l’écart, c’est jouer avec l’immensité. Toutes les voies spirituelles parlent de l’effacement de l’ego.  Est sacré donc ce qui fait vibrer cette part enfouie au plus profond de l’être.

MK : Pouvez-vous préciser quelles sont les différences fondamentales entre les approches du monde occidental et celles du monde oriental ?

ED : Globalement, si on caricature un peu – car il existe bien sûr des positions plus nuancées –  la tradition chrétienne et occidentale a plutôt placé Dieu à l’extérieur de l’homme, dans les cieux, l’être humain étant considéré comme pêcheur et même parfois misérable face à un Dieu sauveur. La spiritualité orientale considère la nature humaine comme fondamentalement bonne et nous invite à trouver Dieu ou l’infini à l’intérieur de nous. L’éveil dont parle le bouddhisme (Bouddha signifie « l’Eveillé ») est donc la réalisation, la découverte de cette part de Dieu en nous, de l’absolu en nous. Comme il est dit dans l’Annapurna Upanishad, un des textes sacrés de l’Inde : « Sois toujours cela, cette essence immuable et sereine ». Le grand maître hindou Ramana Maharshi invitait ses élèves à répondre à cette question : « Qui suis-je ?», autrement dit, qui suis-je vraiment, au-delà des apparences ? Ce qui nous amène à réaliser qu’à un niveau plus profond, notre nature essentielle est fondamentalement spirituelle, divine. Chez les Orientaux, le problème de la condition humaine n’est pas la faute ou le péché, mais l’ignorance. Cela rejoint d’une certaine manière la philosophie antique, et notamment la conception grecque amenée par Socrate et Platon sur l’ignorance de l’homme. On trouve un écho à cette conception dans ces paroles de Jésus issues des évangiles : « Père, pardonne leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Comme l’être humain ignore sa vraie nature et ne se connaît pas lui-même, il se débat dans sa souffrance, se trompe, bref, s’y prend mal et du coup augmente sa propre souffrance et celle des autres. Mais il n’est pas fondamentalement mauvais.

MK : Aujourd’hui, le rapport au sacré est-il différent que dans les décennies passées ?

ED : Aujourd’hui, des générations d’esprits critiques sont passées par là et le désabusement est général. Pour que le sacré et le spirituel existent, il faut qu’ils puissent faire résonner quelque chose en nous, qu’ils parlent à la fois à notre cœur et à notre intelligence. L’homme occidental, même très ouvert au spirituel, ne prend plus rien pour argent comptant, il n’y a plus d’arguments d’autorité qui puissent tenir et c’est tant mieux car la spiritualité n’est pas affaire de croyance mais d’expérience. Par exemple, lors d’un voyage au Japon, j’ai visité un petit temple au nord de Kyoto et, face à la beauté du jardin qui entourait ce temple, j’ai été frappé, profondément touché par la dimension sacrée qui s’en dégageait. C’était une évidence pour moi.

 MK : Y a-t-il des facteurs qui favorisent la spiritualité ?

ED : Une culture très forte du sacré, que l’on a pu rencontrer dans le christianisme au Moyen Age ou la culture tibétaine d’avant l’invasion chinoise, peut favoriser la dimension sacrée. A l’inverse, paradoxalement, une société complètement désacralisée et ultra-matérialiste comme la nôtre peut aussi offrir un contexte favorable, par le manque qu’elle fait ressentir. Je peux prendre l’exemple surprenant de la Nouvelle Calédonie où je suis me suis rendu plusieurs fois pour effectuer des séminaires. C’est un petit territoire où il y a beaucoup d’argent. Il y règne un matérialisme effréné. Mais dans le même temps, la demande de spiritualité est très très forte. Mon père, Arnaud Desjardins, disait qu’il existait deux profils d’hommes intéressés par la spiritualité : ceux qui n’ont rien, qui sont malheureux et dont l’existence ne répond pas à leurs attentes. La spiritualité est alors une façon de trouver du sens ailleurs que dans le divertissement ou la drogue. Et ceux qui ont tout ce dont ils rêvent, tout pour être heureux, mais qui constatent que c’est insuffisant. Et puis, paradoxalement, beaucoup d’expériences spirituelles peuvent se produire pendant les périodes très difficiles, les guerres, les crises… Ainsi, des contextes très différents, spirituel, hyper-matérialiste ou tragique peuvent tout aussi bien favoriser la recherche spirituelle.

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lundi 11 avril 2022

Nécessité du repos et de la pause sourire

 La fatigue, voire l'épuisement, sont à l'origine de nombreux conflits. (Hexagramme 47)

Après le repos, chat va toujours mieux. D'où la nécessité de s'offrir du temps pour accueillir ce qui vient à nous. Bonne semaine.


L'image ci-dessous nous démontre l'importance de se poser ;-)



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dimanche 10 avril 2022

Le corps qui gratte...

 

Notre corps a besoin de se lier avec l'esprit pour une meilleure prise de conscience. Le corps qui a pu exprimer son énergie pourra aider à calmer les pensées...


"La thérapie par la parole est utile, mais je me sentirais encore mieux si je pouvais gratter le canapé"

De Dan Piraro




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samedi 9 avril 2022

Effet inconscient

 « ... quiconque a pris conscience de ses motivations vraies et s'est ouvert ainsi une voie vers l'inconscient, exerce, même sans en avoir la moindre intention, un effet sur son entourage. L'approfondissement et l'élargissement de la conscience crée cette efficacité que les primitifs appellent " mana ". Le mana est une influence involontaire sur l'inconscient d'autrui, en quelque sorte un prestige inconscient qui, toutefois, ne garde son efficacité que tant qu'il n'est pas perturbé dans sa spontanéité par des intentions secondes »

C.G. Jung, Présent et avenir p/102-103

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