Il est naturel d'éprouver du ressentiment envers une personne qui nous blesse et nous fait souffrir.
«L’être humain a des besoins fondamentaux : du calme, de la lenteur, du repos et de la continuité.
Notre époque nous prive de tout cela. Plus une société est speed, plus il faut donner à notre cerveau des temps de pause !
Il ne s’agit pas de partir vivre dans un monastère. Il s’agit d’équilibrer. C’est la clé.»
Christophe André
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Arnaud Desjardins
A la recherche du soi - Adhyatma yoga, p102-103
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Dans la maison de pierres,
entre, installe-toi
installe du temps.
Prends tes souvenirs
à même l'écorce.
Viens au bord des hommes
près de leurs abois
Il y a du temps dans les pierres,
Reste là.
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ce qui m'échappe
me déborde
n'est pas ton absence c'est
ne plus savoir tes larmes
je reste du côté de l'ombre
et le silence s'applique
à ne pas m'interrompre
Marie-Pierre Kohlhaas-Lautier - Pauvres sirandanes
(Éditions Henry, 2010)
Cet ouvrage, comme d’autres parus sur le sujet chez le même éditeur, est présenté, traduit et annoté par Patrick Mandala. L’introduction de ce dernier est suivie d’un texte de Chögyam Trungpa , extrait de Voyage sans fin (1981), qui montre notamment à quel point la sagesse de ce guru indien ne relève pas plus de l’Orient que de l’Occident et qu’elle est universelle, puis d’un beau témoignage d’Henri Le Saux, qui écrit : « Les fonctions mentales et physiques de Râmana sont pure Brahma-shakti, pure radiance de la conscience du Brahman Lui-même. Il n’y a rien d’autre en elles qui les détourne de leur objet essentiel. » (p. 19)
L’ensemble du livre est divisé en deux grandes parties.
La première section est consacrée aux écrits inédits du sage, ce qui permet de découvrir les différentes versions des textes centrés sur l’unique question posée : « Qui suis-je ? » Ces écrits se présentent sous la forme de questions-réponses, de versets ou de poèmes rédigés par le Maharshi à la demande de ses disciples, d’une lettre (un document très rare parce que le sage ne répondait pas directement aux missives qui lui étaient adressées), ou encore d’exposés poétiques et métaphoriques de ses enseignements, ce qui permet de mettre en évidence les absurdités du mental. L’un de ces exposés se présente même sous la forme d’une recette de cuisine populaire, en lien avec la nourriture que lui préparait sa mère lorsqu’il se tenait ou écrivait en silence dans une grotte (par exemple, des galettes nommées « papadams ») !
La seconde section du livre regroupe ses « instructions spirituelles », sous la forme de dialogues avec ses disciples. Elles concernent divers sujets tels que le « Libéré vivant », la source du « je », les deux sortes de « je », l’ego, la réalité ou l’irréalité du monde, la vie après la mort, l’intellect, la paix, la béatitude du Soi, le sommeil ou encore la nourriture…
Les réponses comme les poèmes du Maharshi se caractérisent par une constante brièveté. Cette présentation des textes rédigés par son disciple très proche, Srî Sivaprakasam Pillai, nous le confirme : « Certains textes sont écrits à la hâte – car il fallait saisir au vol la spontanéité et la rapidité des réponses de Bhagavân, lesquelles se faisaient parfois par gestes quand il était en silence, ou qu’il écrivait sur le sable, ou sur des bouts de papier. » (p. 24)
Nous avons donc affaire ici à bien plus qu’un ouvrage : un inestimable trésor de spiritualité !
Extraits :
« 11. Est-il possible de détruire toutes les traces de pensées enracinées dans le mental depuis des temps immémoriaux, et de réaliser le Soi ?
Le mental doit être fixé si fermement dans la méditation de l’âtma-svarûpa qu’il ne lui sera même pas possible d’entretenir une pensée de doute. Toutefois, si un doute apparaît, il ne faut pas essayer de le dissiper, il faut d’emblée se demander à « qui » s’adresse ce doute et par cette introspection, cette pensée disparaîtra alors. Par l’introspection, le mental se fondra dans le Soi.
Même celui qui est un grand pécheur ne doit pas s’affliger en cherchant à savoir s’il atteindra ou non la libération. La pensée même d’être un pécheur doit être abandonnée et l’on se concentrera sur Atma-svarûpa : le Soi sera ainsi réalisé. » (p. 30)
« 3. Le corps est à l’intérieur du Soi.
Et pourtant, on pense être dans un corps inerte,
Comme un spectateur qui suppose
Que l’écran sur lequel l’image est projetée
Est contenu dans cette image. » (p. 58)
« 5. Placez les papadams dans le beurre clarifié [ghî] qu’est le pur Brahman,
Posez-les dans la poêle de l’unité de l’infini silence
Et chauffez-les doucement sur le feu de la Connaissance ultime
Qui resplendit en elle-même.
Maintenant, comme le « je » s’est fondu en Cela,
Mangez-les et savourez le Soi en tant que tel,
Goûtez à cette Béatitude à laquelle tous nous aspirons.
Faites des papadams, et une fois prêts,
Mangez-les afin de satisfaire votre appétit [du Soi] ! » (p. 72)
----------- rédaction par Sabine Dewulf
Blanche Streb est docteure en pharmacie et essayiste. Elle a publié Bébés sur mesure. Le monde des meilleurs (Artège) en 2018 et surtout son bouleversant témoignage Éclats de vie (Éditions Emmanuel) en 2019.
C’est tout ce qui donne à notre âme de voir et d’entendre vraiment. C’est le sens des sens, un lieu particulier de communion avec la beauté concrète et matérielle autour de nous, et celle qui est invisible. J’ai par exemple mesuré l’amour, ce monde invisible mais infiniment concret, dans ma relation avec mon bébé né grand prématuré.
Certaines personnes sont naturellement mues par la capacité d’émerveillement, qui m’apparaît comme une immense vertu, bien qu’elle ne soit pas reconnue comme telle. Je crois que c’est à cultiver et que cela peut changer notre vie, notre manière de regarder le monde. Et même le changer.
On aurait tendance à taxer de naïf celui qui s’émerveille…
L’académicien Michael Edwards déclare qu’il n’y a rien de plus sérieux que de s’émerveiller. Cette attitude me fait penser au Christ disant : « Il nous faut redevenir des enfants », qui est un appel à la plus belle part de notre âme. Le théologien Romano Guardini affirme aussi que l’enfant spirituel renvoie à la maturité spirituelle. C’est cette part de notre âme qui reste consciente du miracle de l’existence, dans le quotidien le plus banal, mais aussi dans la splendeur du monde qui nous entoure et que l’on peut perdre de vue.
L’émerveillement est tout sauf de la naïveté. C’est cette disposition à plus grand, cette confiance aussi de l’enfant envers son créateur, comme l’enfant envers ses parents. Dans cette relation au monde, aux autres, à Dieu, il y a quelque chose qui se joue dans notre âme, une transformation spirituelle nous ramenant à l’essentiel : le désir du bien, du beau. C’est un point de départ, non un achèvement. En anglais, le mot wonderful (« merveilleux ») contient le verbe wonder, « questionner ». C’est un émerveillement qui donne envie de découvrir, de se mettre en route et de grandir spirituellement.
La splendeur du monde certes, mais qui est abîmée par l’homme…
Face au désastre écologique, comment continuer à être dans l’émerveillement et non la désespérance ? On peut regarder les problèmes et drames en face, tout en étant capable de s’émerveiller. C’est même lié, car plus on s’émerveille, plus on souffre du mal qu’on fait, aussi bien à la nature qui nous environne qu’à la nature humaine.
L’émerveillement nous donne envie de prendre soin, de cohabiter avec la création et d’utiliser avec intelligence les biens qui nous sont donnés. Et c’est parce qu’on voit le beau qu’on aime la vie, qu’on trouve des ressources et l’envie de se battre. Je suis d’ailleurs frappée de voir que les problématiques écologiques donnent des conséquences qui s’avèrent pires que les causes lorsqu’on est dans la désespérance : le fait par exemple de ne plus avoir envie d’avoir des enfants. La désespérance n’est pas une source créative.
Au fil de mes recherches et de la rédaction de mon livre, je me disais souvent que je pouvais changer un mot par l’autre. Le philosophe Bertrand Vergely écrit que l’émerveillement c’est avoir mal à la vie et l’aimer d’autant plus : on aurait pu mettre le mot « espérance » à la place. Dans les deux, il y a une vraie, une profonde conscience du mal. Qui est à entendre comme absence du bien. Et ce bien est aussi en nous et il est à cultiver, à contempler, à rappeler.
Quand on est abattu par la souffrance, peut-on encore s’émerveiller ?
Quand on vit une épreuve, l’émerveillement n’est pas simple à ressentir, et il est parfois absent. Pour autant, ce n’est pas incompatible, cela peut coexister. Je crois d’ailleurs que cette capacité s’endort plutôt dans le confort, et que la difficulté ou le manque sont des failles qui viennent réveiller l’émerveillement face à la vie. La brèche de notre misère, de notre pauvreté, de notre souffrance laisse passer la grâce.
Quand on vit quelque chose de difficile, une disposition intérieure différente peut émerger : le temps prend une autre valeur. On redécouvre une science de la vie, une consistance au temps, à la présence de l’autre, l’importance de voir ceux qu’on aime, la valeur d’un geste, d’une parole. Finalement, on mesure parfois le miracle de l’existence quand on sent que celle-ci nous échappe. C’est lorsqu’on perd quelque chose qu’on se rend compte qu’on y tenait.
Lorsque vous-même avez vécu de terribles épreuves, l’émerveillement a-t-il eu une place ? Ou est-ce après coup que vous avez pu y goûter ?
Il y a eu des moments d’émerveillement, oui. Alors que j’étais alitée la tête en bas, les pieds en l’air, pour ne pas accoucher à cinq mois de grossesse, une infirmière exténuée s’est réfugiée dans ma chambre et a vidé son sac. De l’avoir consolée, alors que j’étais dans un état catastrophique, m’a profondément touchée. Je ne me suis pas émerveillée de moi-même, mais de la beauté de la relation quand elle est dans l’écoute. J’ai compris que même dans la dépendance la plus totale il y a encore quelque chose à vivre et à apporter aux autres.
J’ai vécu un autre moment d’éblouissement à la fin de cette première semaine d’alitement, où il y avait 99,9 % de risques que je perde mon enfant. Dans cette période d’incertitude cauchemardesque, un pédiatre est venu me voir. Il m’a dit ce qu’il fallait que je réussisse à faire : tenir deux mois, ce qui me semblait être plus difficile que gravir l’Everest. Il m’a parlé avec délicatesse, mais de façon vraie, avec ce côté tranchant de la vérité. Je me suis sentie respectée par ce médecin. Ce qu’il était en train de me dire, personne n’aurait jamais envie de l’entendre, mais je savais que c’était vrai et cela m’a fait du bien. Cette vérité-là m’a émerveillée.
À la relecture de mon histoire enfin, j’ai été subjuguée a posteriori par la prière des autres qui a sauvé la vie de mon enfant mais qui m’a aussi fait tenir. Je ne pouvais plus prier, j’étais au fond du trou. Quand je pense à cette période, j’ai l’image d’un ravin et d’un filet juste au-dessus. Ce filet c’était tous les gens qui priaient pour nous.
Blanche Streb
Source La Vie
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« Aime et fais ce que voudras » Saint Augustin
« Aimer c’est aider l’autre à détendre ses tensions »
bien sûr
je peux
je pourrais
ne pas aimer
je n’en suis pas encore
pas encore tout à fait
au stade ou
ne pas aimer
refuser
se fermer
s’enfoncer
dans les sables mouvants
grouillants de prédateurs
du non amour
serait une impossibilité technique
un soupçon de relâchement
une pincée d’inattention
un brin de mauvaise grâce
bref
une dose de folie ordinaire
et il m’est possible
encore
quand l’amour m’appelle par mon prénom
de regarder ailleurs
vers moi
et non vers lui
mais quelle fatigue
Gilles Farcet
DE L'ORIENT À L'OCCIDENT
Le Zen et le corps !
À son retour du Japon, où il s'est immergé pendant une
dizaine d'années dans le monde du zen, Graf Dürckheim propose une vision du
corps bien différente : le corps vivant dans sa globalité et son unité. Il
écrit : « L'esprit occidental pense le réel comme étant un ensemble d'objets ;
l'esprit oriental voit le réel comme étant un ensemble de processus, un événement
».
Ce constat conduit Graf Dürckheim à dissocier deux approches
de ce qu'on appelle le corps : le corps que l'homme A (Körper) et le corps que
l'homme EST (Leib). Il souligne que lorsqu'on pratique l'exercice appelé zazen,
on engage le corps qu'on est et pas le corps-outil, le corps-objet, le corps
objectivé.
D'où cette question qu'il posait régulièrement aux personnes
qui pratiquent zazen : « Êtes-vous sûr que votre façon de pratiquer zazen ...
c'est vraiment zazen ? »
Cette question devrait attirer l'attention des personnes qui
pratiquent et enseignent le Yoga, le Taïchi-chuan ainsi que les disciplines
artistiques, artisanales et martiales propres à la tradition japonaise.
Voici ce qu'a écrit Christian Bobin dans la préface du livre
« L'art et la spiritualité au Japon » «L’Occident s’en va depuis quelques temps
voler aux Orientaux ce qu’il croit être leur sagesse. Dans ce pillage il le
dénature, le change en cela seulement qu’il comprend : des techniques, des recettes,
des savoirs » 1
Si vous demandez à un maître Zen pourquoi il est bien de
pratiquer zazen, sa réponse est abrupte :« À quoi bon pratiquer zazen ? Dans un
seul but, l'éveil de l'homme à sa vraie nature d'être humain ». Notre vraie
nature ! C'est quoi ça ?
Très simple. Avant de devenir un être de Raison, l'homme est
un être de Nature. Un être de nature qui, comme tout être naturel (une fleur,
un arbre, un animal) se développe et ne peut subsister que dans un être
général, universel, qu'on appelle la NATURE.
C'est l'équation formulée par Martin Heidegger : « Je vis
parce que je suis un être vivant » — « Je pense parce que je suis un être pensant
».
L'équation Orient-Occident est incontournable lorsqu'on
enseigne ou pratique un exercice qui a ses racines en Orient ou en
Extrême-Orient. Il s'agit moins d'adapter l’exercice (zazen, yoga, tir à l'arc,
etc.) à l’esprit occidental que d’inviter l’homme occidental à s’ouvrir à
l’esprit oriental.
« On ne pratique pas zazen pour maîtriser la vie mais pour
s'unir à la vie ». (K.G.D.)
D'où l'injonction de pratiquer sans but. Sans but autre que
l'éveil à notre vraie nature. Une entrée dans l'exercice qui pour l'homme occidental
pose de sérieux problèmes et beaucoup de réticence. D'autant que nous sommes
invités à nous ouvrir à une approche du réel qui nous est inhabituelle : une
vision directe du réel, sans passage par la réflexion mentale, intellectuelle.
C'est en ce sens que passer de l'idée - j'ai un corps - à l'expérience que
-corps je suis- est primordiale. IchLeib, le corps que je suis est un champ de
transformation.
Lorsque j'étais à Rütte (où j'ai séjourné cinq ans) Graf
Dürckheim m'a régulièrement posé la question « Est- ce que vous voulez changer
? Est-ce que vous voulez vraiment changer ? » C'est une bonne question. Parce
que ma réponse témoignait que je n'avais pas compris la question. Mon désir
était de changer beaucoup de choses afin de mieux maîtriser ma vie. Alors que
la question du vieux sage de la Forêt Noire concernait la transformation de
moi-même en m'engageant sur un chemin de maturation afin de m'unir aux intentions
de la vie.
Il me fallait passer de la question : « Qu'est-ce que moi
j'attends de la vie ? » à la question « Qu'est-ce que la vie attend de moi ? » Une
question qui concerne donc le futur ? Un après des années d'exercice ? NON !
Qu'est-ce que la vie attend de moi ... ici et maintenant. S'impose
dès lors la question de la pratique de la Voie dans le quotidien ... Le
quotidien comme champ de l'exercice. Un thème qui pourrait faire le titre de la
prochaine lettre ?
Jacques Castermane
1 : Comme la lune au milieu de l’eau, Art et spiritualité
du Japon, Yoko Orimo. Ed. Le Prunier
------------.
Pourtant, combien d'entre nous l'avons trouvé ce fameux sens, ce vers quoi nous savons devoir aller, et pourtant, nous n'agissons pas.
Parmi toutes les personnes qu'il m'est donné de recevoir et qui disent chercher du sens et une direction, mes statistiques personnelles (et donc subjectives) montrent que 70% d'entre elles savent en réalité très bien ce qu'elles doivent faire. Mais elles ne le font pas, se cachant derrière le pseudo doute.
En réalité, il n'y a pas de doute. Il y a un manque de courage, un fantasme qu'il sera possible de bouger, plus tard, un jour, à moindre mal, pour soi et ô suprême excuse altruiste, pour les autres.
Bullshit.
Voici ce qui se passe si on ne bouge pas lorsque les choses sont claires :
1) Manifestations psychosomatiques fonctionnelles (mois, à années). À ce stade : réversibilité totale et liberté ultérieure de décision ++. Si obstination à ne pas bouger, step 2.
2) Manifestations psychosomatiques lésionnelles curables (après plusieurs années, souvent plus que 7, dépend de l'âge). À ce stade, réversibilité totale avec intervention externe, ou partielle. Liberté de décision ultérieure +. Si obstination à ne pas bouger, step 3.
3) Manifestations psychosomatiques lésionnelles dépassées. Curables par remplacements, parfois incurables. Liberté de décision ultérieure : faible.
La nature se fout complètement de la bienséance sociale, elle est bien plus archaïque, puissante et sauvage que ça. Son projet est notre déploiement complet. On n'entrave pas un projet aussi fondamental sans conséquences.
Souvenons-nous d'une chose : plus nous assumons vite et incarnons notre souveraineté, plus notre liberté, ainsi que celles de nos proches, est respectée.
Et plus nous participons au déploiement de toutes et tous, et du Tout.
C'est le message brut et sauvage du principe qui meut l'univers entier. Et qui ne craint aucunement de nous recycler au besoin, pour nous relancer dans une nouvelle ronde créatrice. Il a l'éternité devant lui, et donc tout son temps.
Bonne pratique et bon...courage !
Fabrice
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