lundi 10 février 2025

"S'éveiller à la réalité est la porte de la vie"

 


C’est l’histoire d’un brave homme qui se met en marche pour demander une parole de sagesse à maître Ikkyû. Pour toute réponse, le moine zen, calligraphe réputé, trace avec son pinceau un idéogramme signifiant « attention ». Le paysan venu de loin ne s’en satisfait pas et il revient peu après auprès du maître zen pour lui demander une autre parole de sagesse. Celui-ci reste un long moment en silence avant d’écrire de nouveau « attention ». La même scène se reproduit une troisième fois et le paysan reçoit de nouveau le même idéogramme.

L’attention est le mot-clé du bouddhisme zen, ce petit conte que j’aime beaucoup l’illustre bien. Mais toutes les voies spirituelles font retentir cet appel à l’attention. La philosophe Simone Weil écrivait par exemple : « Le péché, c’est l’inattention. » Je crois que cette phrase résume tout l’Évangile. Pour vivre l’expérience spirituelle, il est essentiel d’habiter la Présence. S’ouvrir et s’éveiller à la réalité est la porte de la vie. Il s’agit d’être totalement réceptif au réel, de l’accueillir tel qu’il est ; le réel empirique (les choses autour de moi que je vois, que j’entends, que je touche…) et le réel intérieur (ce qui grouille en moi, mes blessures, mes zones d’ombre, mes hostilités…).

Cette présence au réel n’a rien d’évident, surtout dans nos sociétés de l’accélération, de la culture du clip et du zapping. L’essor du « capitalisme attentionnel », ou capitalisme de la captation de l’attention, est en cela un drame qui produit des fruits de mort. Toutefois, j’ai l’espérance que de plus en plus de personnes vont se réveiller et refuser ce conditionnement insidieux des esprits via le tout numérique. Je pense en particulier, en disant cela, aux gens qui me remercient pour le bien que cela leur fait d’être soustraits aux distractions en tout genre pendant mes sessions de méditation dans l’esprit du zen que je n’ai jamais cessé d’animer.

Bernard Durel

source : magazine La Vie

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dimanche 9 février 2025

« un bouddhiste qui a rencontré le Christ »

 Bernard Durel : « Si je n’avais pas rencontré le bouddhisme, je serais devenu un religieux éteint »


Sans sa rencontre imprévue avec le bouddhisme zen, le dominicain Bernard Durel aurait continué à vivre éloigné de sa source intérieure. Récit d’un itinéraire humain et spirituel à la croisée de plusieurs traditions.

À la fin de sa vie, père Vincent Shigeto Oshida, dominicain japonais, se présentait comme « un bouddhiste qui a rencontré le Christ ». 

En écho à ces propos, je me définis volontiers comme un chrétien qui a rencontré Bouddha. Une bénédiction inattendue ! En effet, si je n’avais pas croisé le chemin du bouddhisme, sans doute serais-je devenu un homme, un croyant et un religieux éteint, endormi. Depuis plus de 50 ans, la tradition bouddhiste ne cesse d’éveiller, de réveiller ma propre tradition chrétienne et cette « fertilisation croisée » est une immense richesse.

Une vocation négative

C’est faute de mieux, j’ose le dire, que je suis entré au noviciat des Dominicains à l’été 1962, avant d’être rattrapé par le service militaire. Je parle souvent d’une « vocation négative » dans la mesure où j’ai considéré la vie religieuse comme une hypothèse de travail : « Essayons, et si cela ne va pas, je partirai. » À l’École des mines de Paris, dont je venais tout juste d’être diplômé, j’avais envisagé deux autres voies : la recherche scientifique et la vie politique. Mais face à la misère des pays dits du tiers-monde, face à l’oppression et à l’injustice coloniale – nous étions en pleine guerre d’Algérie – je m’étais rendu compte que ces deux voies n’étaient pas à la hauteur des enjeux.

J’aurais pu frapper à la porte des Jésuites, mais j’ai choisi celle des Dominicains dont j’avais rencontré quelques belles figures dans le cadre de l’aumônerie étudiante. Cet ordre solide, riche de huit siècles d’histoire, offrait quatre réalités qui m’attiraient : une vie intellectuelle intense, une vie en communauté, une vie liturgique de type monastique et une dimension internationale. Lorsque j’ai rejoint la communauté du Saulchoir en mars 1965 pour entamer mon cursus de formation, je savais que, trois ans plus tard, je serai invité à m’engager « jusqu’à la mort » selon la formule de profession. Or, ma découverte, grâce à Paul Ricœur, de la psychanalyse et des maîtres du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud), a peu à peu fait naître en moi des doutes quant à ma capacité et à mon désir de prononcer un tel engagement.

Avec la philosophie, ce grand cadeau de ma vie dominicaine, je ne pouvais plus souscrire aveuglément à cette idée très ancrée à l’époque selon laquelle « si on a signé, c’est pour la vie, quitte à en baver ». Je suis alors parti en quête d’une autre conception de la fidélité sur laquelle m’appuyer. La lumière est venue pendant le carême 1967, lors d’un office où on lisait le récit des Israélites dans le désert. Il m’est apparu que la fidélité biblique était liée au thème de l’Alliance, qu’elle s’inscrivait dans la relation à Dieu qui, lui, est fidèle : il s’agit non pas de « tenir bon » coûte que coûte, mais de (re) découvrir jour après jour la manne, ces ressources que Dieu nous donne généreusement pour le jour présent.


Voies venues de l’Orient

Au printemps 1968, j’ai pu ainsi m’engager non pas « pour toujours », mais en acceptant que ce soit fragile. Et fragile, ça l’a été ! Jusqu’au milieu des années 1980, j’ai vécu avec une valise près de ma porte, prêt à quitter l’Ordre comme tant de mes frères. Au Saulchoir, puis à Lyon, deux communautés particulièrement ébranlées par la crise de mai 1968, j’ai eu l’impression d’être sur un navire en perdition. Je me suis donc proposé pour être envoyé en Suède, dans l’espoir d’y trouver une nouvelle inspiration. Mais, à Stockholm aussi, je me suis retrouvé dans une impasse. L’Église y était fortement sécularisée, comme fossilisée. En revanche, de nombreux Suédois en quête de sens s’ouvraient aux voies venues de l’Orient, bien avant les Français. C’est ainsi qu’à l’automne 1971, de manière tout à fait imprévue, la méditation zen est entrée dans ma vie.

La première fois où je me suis assis sur un zafu, le coussin de méditation, j’ai senti que c’était ce que j’attendais sans le savoir ni le chercher. En commençant à lâcher prise, j’ai entrevu en moi un espace plus profond, plus paisible, bien au-delà des problèmes, des crises et des débats quotidiens. C’est devenu une pratique quotidienne à laquelle j’ai très vite initié des tiers – je suis devenu professeur alors que j’étais encore élève ! Je me suis installé sur ce chemin en me nourrissant également de lectures, notamment des livres du psychologue allemand Karlfried Graf Dürckheim. Le « travail dans l’esprit du zen » que celui-ci proposait me faisait du bien, mais j’ai peu à peu pris conscience que j’étais coupé de mon « moi essentiel », pour reprendre sa terminologie.

Je me sentais seul dans ma communauté, où aucun frère ne partageait mon intérêt pour le bouddhisme zen et l’écosophie – concept du philosophe norvégien Arne Næss dont j’avais suivi un séminaire. Je ne supportais plus ce quotidien terne, sans enthousiasme, d’autant que lors de mon court séjour à Calcutta, auprès des Missionnaires de la Charité et de Mère Teresa, j’avais fait l’expérience d’une vie religieuse authentique. Bref, j’étais mal au point. Aussi ai-je demandé, de façon un peu désespérée, un congé sabbatique en 1981. Je l’ai commencé au couvent dominicain de la Tourette où Pierre Cren, prêtre dominicain, et Jacques Castermane, fondateur du centre Dürckheim à Mirmande, animaient des séances de méditation zen. Puis en 1982, j’ai passé six semaines à Todtmoos-Rütte, en Forêt-Noire, dans le centre de Dürckheim.

« Le Verbe ne se fait pas chair »


Ce séjour auprès de Dürckheim, qui avait alors 87 ans, m’a guéri de la dépression et du burn-out. Grâce à lui, j’ai eu cette chance, que tant de mes frères n’ont pas eue, de pouvoir mener un vrai travail sur moi-même, d’acquérir des outils de connaissance de soi, de sa vie psychique, qui me servent aujourd’hui encore. En revisitant ma vie, j’ai pu m’accepter, reprendre confiance en moi. Et aussi résumer mon expérience en une phrase, terrible : « Le Verbe ne se fait pas chair. » La lecture de Carl Gustav Jung m’a aidé à poser ce constat, lui qui écrivait dans Psychologie et alchimie : « Pour la plupart, les hommes n’ont rencontré le Christ que de l’extérieur et jamais par l’intérieure de leur âme… » G.K. Chesterton ne disait pas autre chose : « On dit que le christianisme a échoué, personne ne l’a jamais essayé. »

Dès lors, je me suis mis à chercher ces hommes et femmes qui, dans l’histoire, ont été d’authentiques témoins de la Parole faite chair. Et j’ai notamment trouvé Etty Hillesum, Dietrich Bonhoeffer, Thomas Merton, Édith Stein… Et Maître Eckhart, ce mystique rhénan contre lequel on m’avait mis en garde durant ma formation au Saulchoir. Sans le bouddhisme zen, je ne l’aurais pas « rencontré », lui dont l’enseignement est très proche de celui du Bouddha. J’ai décidé de l’étudier sérieusement quand j’ai été élu prieur du couvent de Strasbourg en 1983, soit près de huit siècles après lui.

À la suite de Thomas Merton, j’ai été frappé par la proximité entre le concept bouddhique de vacuité et celui de « pur néant » de Maître Eckhart. Entre le vide du zen et le vide christique, le Christ s’étant « vidé de lui-même » (Philippiens 2, 6). Cette approche croisée m’a conduit vers un christianisme détaché des formulations. Même les expressions suprêmes de la foi chrétienne contenues dans le Credo ne sont que des mots du dictionnaire ! Je les récite avec bonheur, évidemment, mais tout en sachant qu’elles ne sont pas à la hauteur du mystère de Dieu, du Réel. Maître Eckhart distingue « Dieu », celui que l’on nomme, de la « déité », c’est-à-dire Dieu au-delà de Dieu, au-delà de toutes les désignations. Et dans son sermon n°52, il répète trois fois : « Je prie Dieu de me libérer de Dieu », de me libérer des représentations commodes que j’en ai.

Les fruits de la méditation

Jeune dominicain, en voyant mes frères un peu éteints, je me disais : « Toi aussi tu vas perdre la flamme. » Ma vie est partie dans la direction contraire ! J’ai reçu tant de fruits de la méditation dans l’esprit du zen que j’avais commencé à pratiquer pour des raisons thérapeutiques. Outre l’expérience de la guérison, je vois trois bénéfices durables : une prise de conscience de la place du corps dans la vie intérieure ; le caractère paradoxal de l’enseignement de Jésus qui, à la manière des maîtres zen adeptes des koan (propos déstabilisant destinés à faire progresser le disciple sur la voie de l’éveil), veut déstabiliser ses disciples pour les amener plus loin ; la découverte des mystiques médiévaux.

Le théologien Raimon Panikkar, qui se disait « hindou chrétien », a eu cette parole que d’aucuns jugeront excessive, mais qui interpelle : « Celui qui n’a qu’une religion est condamné à n’en avoir aucune. »

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Les étapes de sa vie

1940 Naît près de Fontainebleau (Seine-et-Marne).

1959 Entre à l’École des mines de Paris.

1964 Rejoint le noviciat des Dominicains à Lille.

1971 Ordonné prêtre.

1971 Envoyé en Suède où il rencontre le bouddhisme zen et acquiert une conscience écologique.

1983 Nommé prieur du couvent de Strasbourg.

1988 Monte un groupe de lecture des écrits de Maître Eckhart et Jean Tauler.

1990 Séjour au Japon dans le cadre du Dialogue interreligieux monastique (DIM).

1997 Crée S’asseoir, association de promotion de la méditation silencieuse dans l’esprit du zen.

2009 Publie le Nuage de l’inconnaissance (Albin Michel).

2024 Vers la source intérieure. Conversation avec Jean-Claude Noyé (DDB).

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Source La Vie

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samedi 8 février 2025

Toute forme vivante est un mystère

Tout forme vivante est un mystère. Lorsque vous regardez une fleur vous ne voyez pas une forme définitive mais une forme en devenir. Cette rose qui surgit d'un bulbe souterrain va passer par trois phases incontournables : le stade du bouton, celui de la fleur épanouie pour ensuite devenir la fleur qui fane.

En japonais, Ikebana signifie fleur vivante et indique aussi l'exercice de la composition florale, l'art du bouquet. Et, dans ce domaine, la culture du chrysanthème est considérée comme étant un art traditionnel.


A la différence de la symbolique macabre que cette fleur a dans la plupart des pays d'Europe, la culture du chrysanthème au Japon est envisagée depuis plusieurs siècles comme une véritable philosophie de vie.

Lorsqu'il était au Japon (1937-1947), Graf Dürckheim a visité une exposition centrée sur cette fleur qui est l'emblème également de la famille impériale. Au cours de cette visite, il demande au maître jardinier : "Pouvez-vous me dire si au cours de la croissance de cette fleur il y a pour vous un moment qui est plus important qu'un autre ?" Le maître jardinier semble très embarrassé par cette question et dit qu'il ne la comprend pas. Graf Dürckheim avoue qu'il lui semble que c'est le moment où cette fleur est épanouie. Le maître jardinier, saisissant alors le sens de sa question, lui dit : "Pour nous japonais, il n'y a pas un moment de la croissance d'une fleur qui serait plus important qu'un autre, parce que la vie de cette fleur est un chemin de transformation qui va de sa naissance à sa mort."

L'erreur commise par bon nombre d'occidentaux qui se disent intéressés par le zen est de s'imaginer qu'il faudrait, à coup d'exercices, réaliser, atteindre et maintenir un état d'être qui serait du même niveau que la beauté de la fleur épanouie ! En quelque sorte être infiniment bon, infiniment juste, infiniment parfait ! Ou se maintenir dans un état d'être serein, confiant, avenant, en toutes circonstances.

La visée du Zen est de nous ré-orienter vers notre être véritable que Graf Dürckheim appelle notre être essentiel : « Être en accord avec l'Être ne signifie pas être dans un état de perfection. Vouloir atteindre la perfection est une erreur que ne doit pas commettre la personne en chemin. Notre vérité est souvent assez misérable, en rapport avec notre idéal. Être relié à notre vraie nature ne signifie pas que nous réalisons de manière parfaite "ce que doit être un homme", mais avoir la force de nous voir dans notre vérité du moment. L'éveil à notre être essentiel ne se manifeste pas quand nous dépassons le niveau humain mais précisément là où nous reconnaissons ce niveau humain, lorsque nous reconnaissons notre faiblesse. » 1

Une dernière étape ... vieillir !

La fleur fanée. Elle est retirée du bouquet qui vous a été offert ou elle est arrachée de votre jardin. Sans doute parce qu'elle nous confronte à l'inacceptable : la mort.

Le bouton de rose, la rose épanouie, la rose fanée sont des imprégnations physiques (corporelle) de ce qui fait que ce qui vit ... vit (l'essence) !

Sur la Voie qu'est le Zen, la personne en chemin, lorsqu'elle vieillit, apprend à -quitter toute forme réalisée, ce qui lui permet d'apprendre à -admettre- une forme nouvelle. C'est pourquoi vieillir devrait être entendu comme étant la chance de mûrir. S'efforcer de vouloir toujours stabiliser ce qui est acquis est une des causes de l'angoisse des personnes âgées.

Vieillir (mûrir) c'est accepter l'affaiblissement des forces qui sont du domaine du faire et sont développées par le Moi. Le corps, peut-être attaché à une canne, le corps qui se déplace désormais lentement, devient un champ d'expérience de l'infaisable.

Expérience d'une force qui ne peut être quantifiée par un dynamomètre ; une force qui est ressentie en tant que qualité d'être. Imprégnation corporelle d'une plénitude intérieure, d'un ordre intérieur, de la paix intérieure, la force du non-vouloir.

Je ne pouvais imaginer, lorsque en 1967 j'ai pratiqué zazen pour la première fois, que cet exercice m'amènerait à ne plus considérer l'agitation comme étant le contraire du calme et de faire l'expérience que l'agitation exclut le calme, le grand calme présent au plus profond de chaque être humain.

Jacques Castermane

1 - Le Centre de l’Etre - éd. Albin Michel (p. 45)

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vendredi 7 février 2025

Ailes de Vérité

 " La vérité est un pays sans Chemin ... " 

Jiddu Khrisnamurti



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La vie quotidienne, si elle est sans compréhension, 

vous poussera à passer à côté de l’amour, de la beauté, de la mort.


 Jiddu Krishnamurti

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jeudi 6 février 2025

Le Vide Créateur : Comprendre et Accueillir l’Indéfinissable

Cher(e) ami(e) du Tao, 


Regardez bien cette image : C’est une simple tasse. Vide. Vous vous dites sûrement qu’une telle image est plutôt triste, voire ennuyeuse. Et pourtant, celle-ci recèle un enseignement fort, en lien direct avec la pensée taoïste : le concept du vide.

Or, ce n’est ni la forme ni la matière dans laquelle est constituée cette tasse qui la rende utile au quotidien. C’est son vide qui lui permet de remplir sa fonction. Le vide lui donne tout son sens. Ce qui est intéressant, c’est que, dans le taoïsme, le concept du vide est essentiel. Le vide n’y représente pas une absence, comme on pourrait le suggérer, ni un manque. Il représente un potentiel infini. Une capacité extraordinaire à accueillir et à transformer. Le taoïsme nous invite donc à repenser notre manière de considérer le vide, afin d’intégrer cette idée dans nos vies en toute sérénité. 

La tasse vide recèle alors de nombreuses possibilités : elle peut y accueillir du café, de l’eau, mais aussi être utilisée pour nettoyer les pinceaux d’aquarelle ou pour mesurer une quantité de farine. Le vide présent dans notre vie est alors tout autant porteur de potentiel que cette simple tasse. Il nous suffit de lui laisser suffisamment d’espace pour exister. Explorons ensemble ce sujet aussi intrigant que passionnant.

Le vide selon le Tao : fondement et puissance

Le concept du vide est essentiel dans l’enseignement du Tao. Nommé wu (无), le vide n’y est pas vu comme un manque ou une absence. Il s’agit davantage d’un espace de préexistence, d’où tout peut émerger. Un commencement. Une promesse. Sa compréhension est intimement liée à celle du wu-wei (non-agir). À première vue, les non-initiés penseront que le wu-wei est une invitation à la paresse, au renoncement complet de l’action. Or, ce principe taoïste est bien plus nuancé. Il s’agit en réalité d’une capacité à agir spontanément, sans préméditation, sans autre but que de permettre une action immédiate et nécessaire. Tout le reste est considéré comme superflu.

Les fondamentaux du wu-wei s’expriment comme une non-résistance aux forces de la nature. Une acceptation profonde et salutaire. Zhuangzi, un éminent penseur chinois, le décrit de cette manière au sein de l’ouvrage « Le Taoïsme » par Bernard Baudouin : 

« Le Wu-wei ne signifie pas ne rien faire et se taire, mais permettre à chaque chose d’être ce qu’elle était à l’origine, de telle sorte que sa nature se réalise ».

Il s’agit alors d’une manière d’accepter pleinement le cours des choses, sans y opposer une quelconque volonté contraire. Alors, quel est le lien entre le vide et le wu-wei ? Le vide favorise l’émergence du non-agir, dans ce que l’on peut nommer « la culture du vide ». Le vide est alors vu comme le symbole d’une quiétude retrouvée, qui se caractérise comme une absence complète d’idées préconçues, de jugements ou de désirs. Pratiquer le non-agir, c’est ainsi faire de la place au vide. Faire une place pour cette force attractive exceptionnelle, attirant à elle toutes les possibilités. Or, si nous avons des jugements, des envies de transformation, une résistance au changement… Nous ne laissons pas le vide exister.

C’est en pratiquant le non-agir que nous pouvons ouvrir la porte à toutes les potentialités offertes par le vide.  Le wu-wei nous permet alors de faire le tri entre ce qui est absolument nécessaire et le superflu, pour que nous puissions accueillir en nous un vide salutaire. Le vide n’est alors pas une négation, une absence, comme nous avons pu l’envisager. Le vide est un réceptacle, un vide dit « d’accueil », qui nous pousse à davantage de réceptivité. Il nous permet d’exister pleinement, dans le flux naturel du Tao. Il permet au Tao d’exister en nous, de nous arrêter pour comprendre sa présence et sa sérénité.

Comprenez-vous alors pourquoi le vide est dynamique et non pas morne et triste, comme nous aurions pu le supposer ?

Le vide est créateur d’harmonie.

Le vide comme espace de transformation


Si le concept du vide dans le Tao peut vous sembler complexe à comprendre, rassurez-vous : il est possible de mieux appréhender cette théorie grâce à des exemples pratiques. Dans la nature, le vide est une condition nécessaire pour permettre l’existence du changement et du renouveau. À nouveau, le vide est l’espace d’où toute manifestation peut émerger. De la même manière que les arbres se dépouillent en octobre pour mieux renaître et fleurir en mai. Tout comme les marées se retirent pour mieux remplir ensuite l’espace des plages. Comme les sillons creusés dans la terre deviennent des flaques d’eau après la pluie. Permettant d’abreuver les animaux sauvages et de passage. Le silence de l’hiver, dénudé de ses animaux et de ses oiseaux, est suivi par une éclosion de cris, de chants et de pépiements au retour du printemps. Le vide est ainsi une condition nécessaire pour la renaissance et le renouveau, et cela peut également se vérifier dans votre vie personnelle.

N’avez-vous jamais expérimenté des moments de doute ou de pause, vous offrant la possibilité de nouvelles perceptives ? Si vous avez déjà retenu votre parole dans une conversation, vous savez de quoi il s’agit. Vous vous êtes sûrement déjà rendu compte que votre silence, au milieu d’une conversation, va pousser votre interlocuteur à davantage parler. À s’ouvrir à vous. Pourquoi ? Parce que vous lui offrez de l’espace. Votre silence lui offre un espace où ses confidences peuvent émerger naturellement, dans le flux spontané du moment. N’est-ce pas magnifique ?

J’aime beaucoup cette citation du Dao De Jing, qui explique parfaitement l’importance créatrice du silence : 

« Trente rais composent une roue ; mais c’est de leur vide que dépend l’usage du char. 

On façonne l'argile pour faire des vases ; mais ce n'est pas seulement leur forme qui importe, c'est le vide qu'ils contiennent qui leur donne leur pleine utilité..

On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison ; c'est encore du vide que dépend l'usage de la maison.

C'est pourquoi l'être produit des objets, mais c'est le non-être qui rend leur usage possible. »

Le vide est ainsi un élément efficace, dynamique et existant. C’est un réceptacle de potentialités, qui ne demande qu’à être utilisé. 

La création d’espace dans la pratique taoïste

Je suis certain que vous avez déjà observé l’utilité du vide dans votre vie. N’avez-vous jamais baissé le son de la radio lorsque vous cherchez votre route en voiture ? Ne vous sentez-vous pas plus apaisé lorsque vous avez terminé de désencombrer une pièce ? Je vous invite alors, à présent, à identifier un domaine encombré de votre vie.

Dans votre esprit, votre emploi du temps, ou dans votre lieu de vie. Créez-y de l’espace pour que le vide puisse s’y inviter.

Décrochez les cartes postales du frigo, afin de faire de la place pour de nouveaux souvenirs à accrocher.

Désencombrez et rangez votre bureau. De nouvelles idées créatives peuvent ainsi émerger.

Annulez cette activité que vous vous forcez à réaliser, mais qui ne vous procure aucun bienfait - et qui surcharge inutilement votre emploi du temps.

Méditez, afin d’inviter le vide dans votre esprit.

Il existe des centaines de manières de faire de la place au vide et à l’harmonie dans notre existence. Invitons-les, tels des convives précieux, dans notre quotidien. 

Le vide, une invitation au renouveau

Le vide permet au changement naturel de s’exprimer librement. C’est à partir de lui seul que la nouveauté peut émerger. C’est comme lorsque nous répétons sans cesse la même erreur en espérant un résultat différent. Nous ne pouvons évoluer et nous transformer que lorsque nous laissons de la place à la nouveauté. Sortir de nos anciens schémas de pensée, sans en adopter de nouveaux.

Simplement nous détacher de nos croyances préconçues, et observer ce qui vient remplir le vide que nous avons créé. Plusieurs métaphores taoïstes permettent d’illustrer ce propos.

Une graine a ainsi besoin d’un petit espace creusé dans le sol pour réussir à germer et grandir.

C’est le vide entre les feuilles d’un arbre qui permet à la lumière de passer, pour inonder de ses rayons les sous-bois.

Un silence partagé avec un ami vaut souvent bien davantage que de longues phrases.

Il est alors si particulier de découvrir toute la puissance du vide. Savoir reconnaître l’utilité de sa présence est un chemin sinueux, nous menant vers une plus grande harmonie au quotidien. Accueillir le vide comme une voie vers le Tao. Le vide, ainsi, n’est ni une absence ni un manque.

Il s’agit d’une exceptionnelle opportunité. Il ne tient qu’à nous de lui offrir une place de choix dans notre vie.

Que diriez-vous d’observer l’espace que vous pouvez libérer, afin d’accueillir ce qui cherche naturellement à émerger ?

Je vous invite à réfléchir à la place que vous pourriez laisser au vide, pour faire émerger quelque chose de nouveau.

En harmonie avec le Tao. Avec toute mon amitié,

Charles Zhang

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mercredi 5 février 2025

Bonheur conscient ?

 Q : Comment vivre heureux ?

Jiddu Krishnamurti :
Savez-vous quand vous vivez heureux ? Vous savez quand vous souffrez, quand vous avez des douleurs physiques. Quand quelqu’un vous frappe ou est en colère contre vous, vous connaissez la souffrance. Mais savez-vous quand vous êtes heureux ? Êtes-vous conscient de votre corps lorsque vous êtes en bonne santé ?
Sans aucun doute, le bonheur est un état dont vous n’avez pas conscience. Dès l’instant où vous réalisez que vous êtes heureux, vous cessez de l’être.
Mais la plupart d’entre vous souffrez ; et ayant conscience de cette souffrance, vous voulez y échapper et aller vers ce que vous appelez le bonheur. Vous voulez être consciemment heureux ; et dès que vous êtes consciemment heureux, le bonheur est parti. Pouvez-vous jamais dire que vous êtes joyeux ? Ce n'est que plus tard, un instant ou une semaine plus tard, que vous dites : "Comme j'étais heureux, comme j'étais joyeux". En ce moment même, vous êtes inconscient du bonheur, et c'est la beauté de la chose.
Life Ahead, Part 1, Chapter 3
Le bonheur est étrange ; il vient quand vous ne le cherchez pas. Quand on ne fait pas d'effort pour être heureux, alors, de façon inattendue, mystérieusement, le bonheur est là, né de la pureté, de la beauté d'être.
~ Jiddu Krishnamurti

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mardi 4 février 2025

Sois présent !


 Question : Une émotion négative ne pourrait-elle pas contenir un important message ? Si je me sens souvent déprimé par exemple, c'est peut-être un signal indiquant que quelque chose ne va pas dans ma vie et ça me forcera peut-être à observer mes conditions vie et à les modifier. J'ai donc besoin d'écouter ce que cette émotion a à me dire et non pas de la repousser parce qu'elle est négative.
 

E. T. : Oui, en effet, les émotions négatives contiennent parfois un message, comme les maladies. Mais les changements que vous effectuerez, qu'ils soient reliés à votre travail, à vos relations ou à votre milieu de vie, ne sont en fin de compte « qu'esthétiques », à moins d'être le fruit d'une modification de niveau de conscience. Et ceci ne peut vouloir dire qu'une seule chose : devenir plus présents. Quand vous avez atteint un certain degré de présence, la négativité n'est plus nécessaire pour savoir ce dont vous avez besoin dans votre vie. Mais aussi longtemps qu'elle est là, servez-vous-en. Utilisez-la comme une sorte de signal qui vous rappelle d'être plus présent. Chaque fois que vous remarquerez que la négativité se manifeste en vous, sous une forme ou une autre, ne la voyez pas comme un échec dans votre démarche mais plutôt comme un précieux signal qui vous dit : « Réveille-toi ! Sors de ta tête ! Sois présent ! »

Eckhart Tolle

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lundi 3 février 2025

Le quotidien à vivre


L'extrait ici de l'interview de Christiane Singer (dans l'émission Visages en 2007) est très instructive sur notre position quotidienne dans l'existence.


A écouter avec une attention neuve : juste ici


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dimanche 2 février 2025

Relation musicale !

Texte de Gilles Farcet : 

« IL NE S’AGIT PAS DE MUSIQUE MAIS DE RELATION ! »

LEE LOZOWICK S’ADRESSANT AU GROUPE ATILLA THE HUNZA A LA VEILLE DE LEUR PREMIERE TOURNÉE EUROPÉENNE
(en illustration, photo - floue mais peu importe -prise il y a environ 25 ans, Gilles s'amuse à chanter le blues avec le groupe Shri. A gauche Doug Fulker, à droite Frank Gambielluco, sur scène entre autres Nachama à l'harmonica, Tina à la basse... Michel Tardieu au clavier .. Et les têtes de Lee et d'Arnaud au premier plan ! )
Alors que la petite tournée estivale de Gestion des Restes commence à être préparée (et aussi un EP de 6 compositions, un vinyle collector - les morceaux seront par ailleurs en ligne) , je fais mon miel de ce texte de Lee communiqué lors du récent séjour et concert de Survie aux Etats Unis par Sylvan Incao.

« L’essentiel, c’est que personne ne s’en va.
Personne ne quitte la scène, ne part au milieu d’un concert, et peu importe comment vous vous sentez.
La tension sera très forte, insupportable, mais vous ne partez pas.
Si vous avez un peu de temps libre dans une ville où vous vous trouvez et que vous faites une pause pour un jour ou deux, très bien, mais vous ne partez pas.
Ca, c’est la limite.
Vous faites une sieste si vous en avez besoin. La tension sera élevée et la principale manière de dissiper l’énergie passe par les disputes et les compensations - trop manger, faire du shopping, etc.
Si vous vous retrouvez à faire ça, vous pouvez considérer que toutes les années passées dans notre école ont été vaines. Se complaire dans des prises de tête et des compensations participe d’une non pratique et doit être vu comme tel.
Si vous êtes bien situé vous allez vraiment prendre du plaisir et beaucoup vous amuser. Il n’est pas nécessaire que ce soit toujours tendu. Oui, il faudra travailler dur mais ce sera vraiment super.
Si quelqu’un part, compense en buvant, ou autre, vous faites votre possible pour le remettre dans le bon axe mais jusqu’à un certain point.
Vient un point où vous arrêtez de chercher à les ramener à la pratique ; vous en faites une matière de travail pour vous même, vous y faites face.
Il y aura toujours quelqu’un pour arriver dans le van avec un quart d’heure de retard, toujours. Pas moyen de changer cette personne. Les gens qui sont en retard ne changeront jamais. Si ils continuent à se pointer avec un quart d’heure de retard vous vous contentez d’avancer l’heure prévue de 30 minutes, comme ça vous partirez à temps.
Ne laissez jamais la musique vous crisper.
Ne laissez jamais quelque chose d’aussi accessoire que la musique vous éloigner les uns des autres. Il ne s’agit pas de musique, ce n’est pas la question.
Ca arrive à tout le monde d’avoir un jour sans, un soir où il n’y a pas moyen de trouver le groove. Et alors ?
Ne laissez pas ça vous éloigner les uns des autres.
Cela n’a aucune importance.
N’en faites pas une question de musique ; c’est une question de relation.
Vous aurez forcément quelques très mauvais concerts sur la vingtaine prévus.
C’est la vie.
Les gens qui vous accueillent seront très cons, l’endroit pourri.
Vous jouez comme prévu et c’est tout, sans râler. Vous donnez le concert, prenez l’argent et vous vous en allez.

Soit vous finissez la tournée sur un petit nuage, soit vous la finissez dans la boue.
Ca dépend de vous.
Il y aura pas mal de tension et de stress mais il n’y a pas de raison que vous ne preniez pas du bon temps.
Si vous constatez que c’est la tension qui domine alors c’est que vous prenez les choses beaucoup trop au sérieux, vous êtes trop identifiés à tout.
Ne passez jamais vos nerfs sur les personnes qui vous reçoivent ou sur les gens chargés du son.
Gardez vos tensions pour vous. Elles ne les regardent pas et ils n’ont aucun besoin de savoir que vous êtes tendus.
Idéalement, ne passez pas non plus vos nerfs sur les autres membres du groupe, ne vous prenez pas la tête même si, bon, c’est inévitable.
Il s’agit de faire bonne impression en tant que groupe. Qu’on se dise que c’était facile de travailler avec vous, agréable, pas que vous êtes une bande de divas.
Q : comment pouvons nous intentionnellement considérer le groupe en tant que véhicule de l’enseignement ?
Lee : Bonté, générosité et compassion envers chacun et en toute situation.

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samedi 1 février 2025

Faut-il attendre ?

 La semaine dernière, le jour de mon anniversaire, j'écrivais :



Faut-il attendre 75 ans ?

Faut-il attendre de mourir,

pour découvrir l’éternité dans laquelle nous sommes ?

Faut-il attendre…

pour sentir l’espace infini qui sans cesse nous habite et nous enveloppe ?

Faut-il attendre…

pour éprouver la Vie sans laquelle nous ne pouvons pas vivre, grandir, souffrir et mourir ?

Faut-il attendre…

pour être conscient de la Conscience sans laquelle nous ne pouvons pas être conscient, penser, rêver et le dire ?

Faut-il attendre…

pour aimer l’Amour sans lequel nous ne pouvons pas aimer, désirer et nous réjouir ?

Faut-il attendre…

pour honorer celui qui est « Je suis » sans lequel je ne pourrai pas dire je suis ?

Faut-il attendre 75 ans ?

Faut-il attendre de mourir …

pour célébrer la divine circuminsession (on périchorese) dans laquelle nous sommes intriqués maintenant, depuis toujours et pour toujours ?

Ne rien attendre. Sans cesse s’attendrir…


Jean-Yves Leloup, Janvier 2025


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vendredi 31 janvier 2025

Sciences extrêmes

 


" Les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient partis. 

Mais c'est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d'entre eux qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent plus mal de tout que les autres."


Source :
Maurice Zundel
L'homme passe l'homme.

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jeudi 30 janvier 2025

Dialogue avec un sage

 Parait ce mois-ci « Dialogue avec un sage. Arnaud Desjardins m’a dit… » de Yvon Ginchereau.

4ème de couverture :
« Souvenez-vous que la paix des profondeurs est déjà la nature
véritable de notre esprit ou de notre conscience. Et nous pouvons tenter, par une acceptation totale, de nous désengager des limitations du moment et de revenir à cette réalité que nous sommes déjà. » Ces paroles d’Arnaud Desjardins résument le chemin vers la vérité la plus profonde de notre être. D’une portée universelle, elles ont été adressées à Yvon Ginchereau qui a consigné dans ce livre son parcours singulier, selon la voie de l’adhyatma yoga, le yoga vers le Soi.
Ce récit, nourri par les nombreux entretiens et la correspondance personnelle entre le maître et l’élève sur trois décennies, relate une transformation alchimique au niveau de l’être. Il retrace pas à pas, d’une manière très vivante, un travail minutieux d’approfondissement de cette voie de connaissance.
Ce témoignage est riche et utile en ce sens qu’il démontre que l’on peut être tiré par le haut quelles que soient les influences auxquelles on a pu être soumis par le passé.
Outre les lettres d’Arnaud Desjardins, les citations qui émaillent le texte sont pertinentes et enrichissantes ; elles contribuent à consolider la structure du récit et à accompagner le lecteur au cœur d’une démarche intime propre à inspirer d’autres candidats à la sagesse.
En insistant sans relâche sur la nature fondamentale de son élève, le maître souligne la prééminence de la dimension transcendante et verticale par rapport aux encombrements d’ordre psychologique. Et, à notre époque de scepticisme prononcé, il est salutaire de rappeler qu’une telle possibilité de transformation existe !

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mercredi 29 janvier 2025

Nourritures

 


Depuis notre naissance, une seule chose guide nos vies : la nourriture. Ou plutôt, les nourritures.

Freud a bien identifié le stade oral du début de la vie. Mais au fond, en sortons nous vraiment ?

Pas sûr.

Dans nos premiers mois nous dépendons directement du lait, nutriment extérieur. Nourriture tangible, mesurable. Mais dès les premiers stades, cette nourriture est inséparable de l'affect de la personne qui nous nourrit. Ce lien entre nourriture et affect est indissociablement établi au plus profond de notre psychisme.

Plus tard, ce seront peut-être les jeux qui nous nourriront. Et avec qui on joue. Ou pas.

Les lectures. Les écrans. Les passions. Le sexe. Le saut à l'élastique. L'alcool. La spiritualité. Les dramas.

Peu importe, pourvu que l'on soit stimulés et que nous recevions ou ressentions de l'énergie et de l'attention.

Au fond, toute notre vie, nous recherchons des nourritures.

La seule chose qui différentie quelqu'un qui s'est déployé de quelqu'un qui n'y arrive pas c'est simplement le niveau de subtilité des besoins en nourriture.

Ce n'est pas une question de domaine. On n'est pas plus évolué en renonçant à certains domaines. La plupart du temps on ne fait que se frustrer.

On évolue et on grandit en espace intérieur en nous réjouissant de capter des nourritures de plus en plus subtiles, peu importe le domaine. 

Car oui, le plaisir et l'affect restent au centre de l'attrait pour les nourritures. Seule la subtilité de la nourriture change quand on élargit notre espace intérieur et notre présence. 

Et le subtil, le tout petit, le frémissant, est partout. Il est accolé au Beau. À notre dignité intrinsèque. Dans tous les domaines.

Saurons nous lâcher le trapèze du grossièrement stimulant qui cache l'appui indéfectible du subtil et de sa nourriture d'immortalité ?

C'est tellement difficile...

Fabrice Jordan


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