« Il y a deux endroits dangereux dans la vie : être derrière une mule ou devant un maître » Proverbe tibétain
Derrière une mule, on risque un coup de sabot inattendu. Devant un maître, on risque une transformation tout aussi imprévisible — mais intérieure, et elle fait aussi peur à l'ego qu'un coup de sabot. La mule symbolise un danger physique, archaïque, immédiat.
Le maître, lui, incarne un danger spirituel ou psychologique : si on s'expose trop tôt, sans préparation, on peut être bousculé, voire désorienté par sa présence, sa parole ou son silence.
Ce n’est pas que le maître soit "dangereux" par nature, mais plutôt que le rapport au maître peut l’être s’il est basé sur la projection, l'attente, ou une forme d'insouciance, souvent inconsciente.
Comme le dit un autre adage : “Le maître est un miroir ; c’est ton reflet qui peut te faire peur.”
Dans le taoïsme, un maître (師 shī) n’est pas un quelqu'un d'autoritaire, mais un être fluide, aligné avec le Tao, la Voie. Parfois, comme Gandalf dans le Seigneur des anneaux, il peut apparaître menaçant. Mais dans le film, il n'est pas possible de savoir si cette autre face de Gandalf est une projection de Frodon ou une réalité.
Sa présence, sa parole ou son silence peuvent révéler des déséquilibres chez le ou la disciple, mettre en lumière des attachements, ou faire fondre des illusions.
Être "devant un maître", c’est :
Se trouver exposé au non-agir agissant, qui déstabilise car il échappe aux repères habituels.
Être confronté à sa propre ignorance, son ego, ou sa fausse quête de contrôle.
Risquer la perte d’identité construite et factice au profit de sa véritable authenticité. L'ego n'est très souvent pas prêt à cette mutation profonde. Et se débattra à la hauteur de la peur qu'il a de sa propre métamorphose.
D’où le danger : le maître ne TE fait rien. Mais en sa présence, ce que tu caches remonte à la surface. Si tu n’es pas prêt, c’est insupportable.
Le proverbe peut aussi être lu de manière psychologique :
Du point de vue de la psychologie, en particulier dans la dynamique maître-disciple, le danger réside dans :
La projection : placer sur le maître des qualités idéales (omniscience, pureté, toute-puissance).
La régression : devenir dépendant, cherchant protection ou validation comme un enfant face à un parent.
Le transfert : transférer sur le maître des émotions anciennes, souvent liées à des figures parentales.
Être "devant un maître", c’est donc potentiellement :
Se livrer à une figure d’autorité qui devient le théâtre de notre inconscient.
Se perdre dans une quête de perfection qui nie sa propre autonomie.
Oublier que le but du maître véritable est justement de nous rendre libre de lui.
Ce proverbe est "vrai" non pas parce que le maître est un danger en soi, mais parce que notre position intérieure vis-à-vis du maître détermine la nature de la relation.
Bonne réflexion
Fabrice Jordan
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