jeudi 22 août 2013

Le handicap du mental avec Marie-Hélène Matthieu

Alice avait 17 ans, moi, 11, et pourtant nous partagions la même classe. Toujours vêtue de noir, elle portait sur le visage la marque de son handicap mental. Un jour, où le professeur de dessin nous avait demandé de reproduire un bouquet d'automne, elle traça une minuscule feuille de trèfle dans un coin de sa feuille.
Nous avons ri aux éclats lorsque le professeur nous a présenté cette œuvre singulière. Alice, incapable de se défendre, est restée prostrée au fond de la classe. Et pour la première fois, je l'ai vue pleurer. C'était une scène très impressionnante, car elle ne manifestait jamais ses émotions. J'aurais voulu la consoler, mais je n'ai pas osé. Alors je me suis dit que, plus tard, j'aimerais aider des gens comme elle. Sept ans après, lorsqu'un tract m'a appris l'existence d'une école d'éducatrices spécialisées, j'y ai lu comme une réponse à ce désir secret...


Une soirée passée à Trosly en 1966, dans la communauté de Jean Vanier, fut une petite révélation. Des adultes handicapés mentaux et de jeunes assistants partageaient la même vie familiale. Et on ne savait pas vraiment qui donnait et qui recevait. Les seconds découvraient un nouveau sens à leur vie au contact des premiers et se disaient transformés. 

Avec Jean Vanier, nous avons imaginé en 1968 un grand pèlerinage à Lourdes pour les personnes handicapées mentales, leurs familles et des jeunes amis. Trois ans plus tard, nous étions 12 000 venant de 15 pays dont 4 000 avec un handicap mental. La ville était très impressionnée de notre venue. Des militaires avaient été postés tous les 50 mètres le long du Gave, ainsi que sur les routes extérieures, alors que des commerçants avaient baissé leurs rideaux de fer ! C'était simple ignorance de ce qu'était le handicap mental car, au cours des trois jours du pèlerinage, tous ont découvert une foule qui rayonnait de la joie que peut donner l'amitié. L'expérience fut également si forte pour les pèlerins que l'on décida de se revoir localement dans de petites communautés d'amitié, de prière et de fête. C'est ainsi qu'est né Foi et Lumière, un mouvement aujourd'hui présent dans 82 pays. 

Une fois par mois, je retrouve ma communauté Foi et Lumière, à la paroisse Saint-Léon, à Paris. J'en ressors toujours régénérée par la qualité d'amitié, de simplicité, de joie entre nous tous, qui sommes si différents. Chacun regarde non le visage, mais le cœur de l'autre. Ce qui intéresse mes amis handicapés, ce n'est pas la fondatrice de l'OCH ou le commandeur de la Légion d'honneur, c'est simplement moi. Ensemble, nous parlons de la Bible, de Jésus, avec leur foi toute simple. Lorsqu'il me sent fatiguée, Benoît, l'un d'eux, me propose parfois de dire un Ave. François m'a dit l'autre jour : « Dieu m'aime comme je suis. » 

Dans cette vie fraternelle, on comprend que Dieu révèle ses mystères aux plus petits. Comment ne pas frémir et agir quand on sait que 95 % des embryons chez qui a été détectée une trisomie sont supprimés ! Avoir un enfant handicapé est toujours un drame, mais je suis émue lorsque des parents témoignent combien leur enfant leur a permis de découvrir l'essentiel de toute existence : aimer, être aimé, être utile. Personnellement, les personnes handicapées m'ont conduite à des « oui » successifs aux carrefours décisifs de ma vie. 
Marie-Hélène Mathieu
(La Vie)


http://www.och.asso.fr/
http://www.foietlumiere.org/