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mardi 2 septembre 2025

Taoisme et astres : non pas des forces, mais des rythmes

On entend souvent dire que les astres « agissent » sur nous : qu’ils provoqueraient des marées intérieures, influenceraient directement nos comportements, nos émotions, ou même des événements comme les naissances et les accidents. 

Cette vision est très répandue, mais scientifiquement elle ne tient malheureusement pas la route: les forces physiques des planètes et des étoiles sur le corps humain sont infinitésimales, des millions de fois plus faibles que les forces biochimiques qui gouvernent nos cellules. Autrement dit, ce ne sont pas les forces brutes des astres qui nous influencent.

Alors pourquoi depuis toujours, toutes les civilisations ont-elles lié les astres à la vie et leur prêtent une influence sur celle-ci?

Parce qu’ils donnent des "rythmes".


Dans le monde vivant, la vie se règle sur les cycles astronomiques : 
Le soleil structure l’alternance jour-nuit et les saisons, organisant migrations, hibernations, floraisons. La lune cadence la reproduction des coraux, l’activité de certains poissons, et influence de façon plus subtile le sommeil et parfois les cycles menstruels humains. Les planètes suivent des trajectoires régulières, utilisées comme repères pour marquer le temps long. Le champ magnétique terrestre sert de boussole à des animaux comme les oiseaux, les abeilles ou les tortues marines.

L’influence n’est pas mécanique, mais rythmique : les astres servent de "métronomes cosmiques", des horloges fiables auxquelles la vie peut s’accorder.

C’est exactement ce que le taoïsme a compris et enseigne avec finesse. 

Contrairement à certaines traditions qui attribuent aux astres une force occulte qui « agirait » directement sur nous, le taoïsme les considère comme des "indicateurs de transformation". Ils ne sont pas des agents qui nous forcent, mais des signes qui indiquent quand un mouvement est en train de se produire.

Le calendrier taoïste est entièrement construit sur cette logique de rythmes :

Les "24 souffles solaires" ("jieqi" 節氣) qui découpent l’année en micro-saisons

Les "cycles lunaires" qui guident rituels, méditations et pratiques respiratoires

Les "grandes périodes cosmiques" de 20 ou 60 ans, utilisées en astrologie taoïste (BaZi, Qi Men Dun Jia)

Le "calendrier sexagésimal" à 60 temps, produit par la combinaison des "10 Troncs célestes" (Tian Gan 天干) et des "12 Branches terrestres" (Di Zhi 地支).

Le calendrier sexagésimal est une manière de dire que chaque instant porte une signature énergétique unique.

Les 10 Troncs célestes sont comme dix « couleurs du Ciel », exprimant la qualité du souffle cosmique selon les Cinq Mouvements (bois, feu, terre, métal, eau, chacun en polarité yin et yang).

Les 12 Branches terrestres sont comme douze « figures de la Terre », représentées par les animaux du zodiaque, qui expriment les cycles d’ouverture, de croissance, de repos et de mutation dans la nature.

En combinant ces deux séries, on obtient 60 combinaisons possibles : un peu comme si l’on croisait dix notes de musique avec douze rythmes différents, créant ainsi soixante accords uniques. Chaque accord ne se répète qu’après un cycle complet de 60 temps (jours, mois ou années).

Prenons la combinaison Jia Zi 甲子 (Bois Yang du Ciel associé au Rat). Jia 甲 représente le Bois yang : l’élan vital, la germination, la force de la tige qui perce la terre au printemps. Zi 子 correspond au Rat, premier des douze rameaux : l’énergie de minuit, de l’hiver profond, du moment où tout est contenu en germe, étincelle du Yang.  Quand ces deux forces s’associent, on obtient une image très forte : l’énergie nouvelle qui surgit au cœur de l’obscurité, la semence de vie qui jaillit quand tout semble encore figé. Dans la tradition taoïste, ce moment est considéré comme favorable pour initier de nouveaux cycles, poser les fondations d’un projet ou enclencher un processus intérieur de transformation.

À l’opposé, une autre combinaison comme Gui You 癸酉 (Eau Yin du Ciel avec le Coq) exprime un moment de condensation, de repli, de raffinement, où l’on met de l’ordre, on clarifie, on clôture. Ainsi, chaque instant n’est pas seulement une date abstraite, mais une qualité rythmique précise, lisible dans la rencontre des souffles célestes et terrestres.

La pensée grecque antique a cherché à répondre à la question « Qu’est-ce que c’est ? » — elle a produit une ontologie de l’être.

La pensée occidentale moderne a mis l’accent sur la substance et les lois mécaniques de la matière et de l’énergie.

Le taoïsme, lui, se concentre sur le temps et les transformations. Il demande non pas « qu’est-ce que c’est ? », mais « quand est-ce juste ? ».

C’est une véritable chronospiritualité : une voie où l’on apprend à lire les cycles du ciel et de la terre, à se synchroniser avec eux, et à transformer sa vie intérieure en résonance avec le grand mouvement du Dao.

Pratiquer le taoïsme, c'est chercher à entrer dans le tempo du monde. Comme un musicien ou une musicienne, mais à une échelle cosmique. C’est comprendre que l’efficacité spirituelle ne vient pas des passages en force ou de la volonté, mais très souvent de la justesse du moment choisi.

Ainsi, le taoïsme nous enseigne l’art de la synchronisation : vivre avec les astres non comme des puissances qui nous déterminent ou nous contraignent, mais comme des horloges naturelles qui nous rappellent la danse universelle des transformations et nous apprennent à danser avec elles avec grâce, sans marcher maladroitement sur les orteils de la Réalité.

Bonne réflexion et pratique

Fabrice Jordan

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mercredi 27 août 2025

Attention vigilante

 


Voyez-vous la vie telle qu'elle est ou telle que vous souhaitez qu'elle soit ?

Il faut avoir du temps libre pour observer la vie. Il faut avoir le temps pour voir ce qui se passe réellement — non pas ce que l'on souhaite ou désire — mais ce qui se passe réellement dans notre vie quotidienne. Cette attention vigilante rend le cerveau extraordinairement perspicace, vif, clair. Et si nous pouvons y aller très, très en profondeur, cette clarté est véritablement la liberté totale.

~ Jiddu Krishnamurti

Brockwood Park 1984, Conversation 1 with Mary Zimbalist - Knowledge is Conditioning  

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samedi 16 août 2025

Concave et convexe

 

il y a un envers à l’endroit
un convexe au concave
un face a un pile

cela va de soi ?
pas tant que cela
l’envers de l’endroit
s’il est bien su
abstraitement connu
dans son principe
est de fait rarement vu
inconvenante réalité
admise
mais de préférence oubliée
reléguée à ces oubliettes
dont on sait qu’elles existent
mais aux abords desquelles on évite de passer
de peur que s’en échappe quelque pleur et grincement de dent
comme la guerre là bas
loin
certes redoutée
mais pas encore assez proche pour être éprouvée
comme l’abattoir ou l’élevage en batterie
dont l’ombre plane au dessus de l’assiette
comme cet hôpital que l’on longe
juste un mur
entre la danse des bien portants
vaquant à leurs affaires
et les lits de douleur
les corps crucifiés
Les gémissements
la peur nue
comme le mouroir rempli de vieillards hébétés
au fond de ce charmant jardin
devant lequel les parents futurs résidents
poussent dans leurs landaus ceux là même qui
dans un avenir inimaginable
les y placeront vaguement coupables
à l’autre bout du chemin
de cette jeunesse riante en terrasse
la vieillesse non accueillie
la détresse étonnée
devant le passage éclair du temps
ce temps
qui dans l’instant n’existe pas
et pourtant explose à la face
de qui ne s’est pas tout au long du chemin
activement souvenu de l’envers de l’endroit
du convexe du concave
du face du pile

Gilles Farcet

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lundi 28 juillet 2025

Le temps du stress

Valérie Roumanoff nous offre une belle représentation sur notre façon de laisser le temps nous mettre la pression.

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jeudi 17 juillet 2025

Position changeante

« Aide-toi, le Ciel t'aidera. » La fortune sourit aux audacieux. « Be bold », disait Swâmiji.

Si vous ne faites pas le premier pas, vous pouvez « exprimer » mille ans en thérapie, il ne se passera rien. La puissance des habitudes est tellement grande que vous serez très déçus au bout de quelque temps : « Finalement, je ne sens pas que je me transforme vraiment, que mon existence change. » Le travail sur l'inconscient peut vous aider à émerger d'un monde d'illusions, à prendre conscience que vous vous mentez à vous-mêmes, que vous réprimez vos vrais désirs, que vous faites semblant de ne pas vouloir ce dont vous avez en fait tellement envie ou qu'au contraire vous vous battez en surface pour quelque chose que vous refusez de toutes vos forces dans la profondeur. Vous commencez alors à comprendre la stupidité de ces agissements qui ne sont pas appropriés et vont même à l'encontre de vos intérêts. De là peut naître la conviction de la nécessité d'un changement d'attitude et d'un comportement actif pour bousculer vos automatismes, votre routine intérieure. Et ce travail, c'est à chacun de l'accomplir en se prenant en main. Votre existence change si votre être change. Mais si vous changez un petit quelque chose dans votre existence, cela vous aide à changer votre être. Les deux sont vrais et se renforcent mutuellement et ce qui vous était presque impossible vous devient aisé, en fonction de ce qu'une lucidité nouvelle vous fait reconnaître comme juste.

Arnaud Desjardins - La Voie et ses pièges

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jeudi 19 juin 2025

Prendre du temps pour prendre du temps...


 " Quand nous nous arrêtons pour respirer, nous ne perdons pas de temps. La civilisation capitaliste occidentale dit que le temps c'est de l'argent et que nous devons utiliser notre temps pour gagner de l'argent. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous arrêter pour respirer, de nous promener ou de nous émerveiller devant le soleil couchant. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps. Mais le temps est plus précieux que l'argent. Le temps, c'est la vie. Revenir à notre respiration et prendre conscience que nous avons un corps merveilleux, voilà la vie ".

("L'art de vivre", Thich Nhat Hanh)

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mercredi 18 juin 2025

Croisement du temps

 


La plupart des grandes traditions spirituelles font de l’instant présent une clé de la vie spirituelle.

Chaque instant est certes une fenêtre étroite, mais qui peut devenir un croisement du temps et de l’éternité, de l’horizontal et du vertical. Et qu’est-ce que l’éternité ? peut-on se demander.

C’est la splendeur d’un moment de grâce, l’intensité d’un instant, la qualité d’un acte, la plénitude d’un état.

Jean Proulx, En quête de sens, p. 248-249

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mardi 3 juin 2025

Acte d'être

 

un humain n’est pas simplement
parce qu’il existe existe
vaguement
pour un temps
l’existence
ne donne pas l’être
la naissance
n’octroie pas la présence
la respiration
ne confère pas le souffle
pas plus que la vue ne dispense
la vision
l’humain
ne naît pas humain
mais le devient
l’être
produit transformé de l’existence
l’être n’est pas un état
mais un acte
un geste
de la conscience
un humain
est ce qu’il a fait
comme ce qu’il n’a pas fait
ce qu’il a osé
comme la somme des peurs auxquelles il a cédé
ce qu’il a écouté
de sa profondeur
comme ce qu’il en a renié
la somme de ses ferveurs
comme de ses tiédeurs
un humain est
ce qu’il a continué
ce qu’il a préservé
ce qu’il a achevé
comme tout ce qu’il a abdiqué
négligé
laissé
un humain est
ce qu’il a regardé
comme ce qu’il a évité
ce qu’il a reconnu
comme ce qu’il a nié
et alors
au mitan
de son avancée
il commence à récolter
ce qu’il a semé
de plus en plus rassasié
ou de plus en plus affamé
s’il n’a rien cultivé qui vaille
car avec le temps
avec le temps va tout s’en va
de ce qui de toutes façons ne pouvait demeurer
avec le temps viens tout advient de ce qui a authentiquement été
de son pas si léger la jeunesse s’en va
et avec elle
tout ce qui faisait écran
jusqu’à ce que ne reste que toi
et le Plus Grand

Gilles Farcet - Dernière pluie

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dimanche 1 juin 2025

La vie s'invente


 "Oui il est grand temps de révéler à nos enfants – de nous révéler à nous-mêmes – l'autre versant du monde !

Celui où jour après jour s'invente la vie – les mille gestes d'amour, de compassion, de tendresse – les multiples mains qui bénissent, caressent, plantent, sèment, rêvent, se joignent pour prier – jour après jour – sans se lasser.

Car le monde doit de tenir debout, à cette conspiration de l'amour, à cette clandestinité de la tendresse et de la louange."

Christine Singer 1943-2007

peinture: Amrita Sher-Gil 1913-1941 - tribal women 1938

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dimanche 25 mai 2025

Le temps perdu

 


On voudrait en gagner toujours plus et pour cela arrêter de le perdre. Mais ce faisant, on ne le prend plus. Le temps. Élément étrange qui nous échappe quand on s’en saisit et nous est, au contraire, donné quand on accepte de le perdre. Et en effet : on ne prend vraiment un temps avec l’ami qui en a besoin que si l’on ne cherche pas d’abord à en gagner. « Tu as besoin de parler, c’est ça ? Bon, j’ai un quart d’heure devant moi… »

On sait d’avance que ça ne peut pas fonctionner. La faute ne revient pas au quart d’heure : la profondeur d’une conversation, quand l’écoute est là, peut être atteinte en quelques phrases. Le problème est que, montre en main, nul n’écoute bien. Qui trépigne est déjà parti. Le quart d’heure pourrait suffire, oui, mais à condition que l’on se soit d’abord donné la vie entière. On ne prête bien l’oreille qu’à la donner sans retour.

Refuser la mesure du temps

Ce n’est évidemment pas toujours possible. La plupart du temps, on manque de temps, on travaille à plein temps. On divise l’année en mensualités, qu’on remplit de jours ouvrables ou travaillés, que l’on tronçonne en heures tarifées voire supplémentaires. Le sommeil lui-même n’échappe pas à cette logique du remplissage depuis que des applications, chaque nuit, mesurent… son efficacité ! Aussi ne nous reste-t-il plus qu’à trouver refuge dans la plus petite quantité de temps : « Laisse-moi une petite minute ! », proteste-t-on. « Juste deux secondes ! »

Ce qu’il faudrait, c’est refuser carrément la mesure du temps, l’oppression du chronomètre. Il suffira pour cela de remarquer qu’il n’est tout simplement pas possible de « gagner » du temps. Nul, en se pressant, n’a jamais gagné ne serait-ce qu’une seconde. Comment cela ? L’objection arrive… rapidement : avec une bonne voiture, ne rejoint-on pas la ville de Lyon depuis Strasbourg en cinq petites heures ? Certes. Mais il n’y a eu aucun gain de temps.

Je ne fais pas allusion ici aux travaux d’Ivan Illich selon lesquels la voiture a augmenté le temps passé dans les trajets : ce qui était à portée de nos ruelles et autres chemins de campagne (école, épicerie, boucherie…) se trouve désormais à quelques demi-heures, et encore, « quand ça roule bien ».

Je veux simplement faire remarquer que, dans nos raccourcis, on oublie de compter le temps qu’il a fallu pour produire le véhicule, l’énergie dépensée à construire les usines, nourrir les ouvriers, former les ingénieurs, etc. Rouler à toute vitesse, ce n’est pas économiser du temps mais le dépenser d’un coup : c’est flamber le temps long (plusieurs centaines de millions d’années) de la formation des énergies fossiles.

Le temps perdu

Quand on met dans son café un sucre, disait Bergson, qu’on le veuille ou non, on doit attendre qu’il fonde. À quoi Bachelard avait répondu qu’on peut très bien, sous la flamme d’un bec Bunsen, faire fondre le sucre en un rien de temps… Vous m’avez compris : c’est faux puisque le gaz consommé ne s’est, lui, pas fait en une seconde.

Il n’est toutefois pas besoin d’aller chercher Illich ou Bergson. Nos enfants nous l’enseignent. L’option du film ou des écrans, contre un petit moment de paix, est rarement un bon calcul : il faut ensuite gérer l’excitation. Et si, parce que ce n’était jamais le bon moment, nous nous sommes souvent dérobés aux temps privilégiés avec nos jeunes enfants, sans doute nous faudra-t-il les leur offrir plus tard. Si toutefois la chance nous est offerte de rattraper le temps perdu… Perdu à quoi ? À essayer de le gagner. 

Martin Steffens

source : La Vie

Professeur de philosophie en classe préparatoire, il a publié Petit traité de la joie. Consentir à la vie, ainsi que Rien que l’amour. Repères pour le martyre qui vient et l’Amour vrai. Au seuil de l’autre ou, dernièrement, Dieu, après la peur (Salvator).

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mardi 11 mars 2025

Temps et énergie dépensés

 


Si l’on a une certaine inclination pour la vie spirituelle, je pense qu’il ne faut pas passer trop de temps à essayer de trouver la meilleure maison, le meilleur travail, le meilleur n'importe quoi, car ce que l'on considère être "meilleur", ce n’est que notre manière de voir les choses. Bien sûr, si la maison n'a pas de fuites, c'est bien, si le quartier n'est pas trop violent, c'est bien, si vous avez un travail décent, c'est bien, mais pour moi ce n'est pas central.

Il ne faut donc pas dépenser trop d’énergie à essayer de se construire une vie fonctionnelle. C'est peut-être une erreur en Europe et en Amérique, que les gens pensent qu'ils doivent d'abord établir une sorte de structure matérielle et qu'ensuite ils pourront approfondir leur vie spirituelle. Jean Klein a toujours méprisé cette manière de voir les choses, affirmant que vous échappez à l'appel de la Vérité. 

Quand l'appel de la Vérité est là, ce n'est pas le moment de préparer quoi que ce soit : il faut se conformer à cet appel et ainsi rendre sa vie fonctionnelle de manière minimale, pour ne pas dépenser trop d'énergie avec votre maison, ou avec votre femme, ou votre mari, ou vos enfants, ou votre entreprise, ou votre jardin. Ces choses peuvent être là, mais elles ne sont pas le centre de la vie et alors l'investigation peut commencer. Donc, encore une fois, ce n'est pas mal d'avoir une vie fonctionnelle, mais ça ne devrait pas être si important ; c'est préférable que ça soit fonctionnel de manière simple. 

~ Éric Baret 

(extrait d'une vidéo en anglais)

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samedi 22 février 2025

« Le temps nous pose la question de notre limitation »


 En ce moment, étant en lien avec de très vieilles personnes, je suis confrontée à la question du temps. Le temps à notre époque joue un drôle de jeu. On voit ceux qui courent après lui toute la journée : les adultes pris dans les multiples obligations de leur travail et de leur vie quotidienne, avec le sentiment de s’oublier et les enfants qui enchaînent l’école, les devoirs, les activités, sans avoir de répit pour rêver.

De l’autre côté, il y a ceux pour qui le temps s’étire lentement, invariablement, sans en voir la fin que pourtant ils redoutent. Le temps nous est-il contraire pour qu’il ne soit jamais un allié ? Pourquoi sommes-nous de plus en plus prisonniers des caprices de son cours débordant ou aride alors que, paradoxalement, nous vivons dans une société où de nombreuses tâches sont effectuées sans avoir besoin de notre intervention par des machines et avec rapidité ? Selon la Genèse, nous avons été créés libres et nous sommes de plus en plus entravés dans les filets du monde.

L’hiver de la contemplation

Le printemps s’annonce. Nous sommes à l’aube de la saison du renouveau. La nature va reverdir, elle va exploser de fleurs et de fruits après ce long passage de l’hiver où tout s’est arrêté. Dans la terre froide, les graines ont germé, sans pousser, sans mouvement apparent vers l’extérieur. Elles ont fermenté, se sont ouvertes pour se débarrasser de leurs vieilles coques avant de laisser émerger la nouvelle pousse.


Ce moment de réflexion de la nature me semble un grand enseignement. Pour arrêter les chevaux impétueux du temps ou comprendre pourquoi il s’étire au moment où nos corps sont diminués et ne répondent plus à nos envies passées, il faut passer par l’hiver de la contemplation : s’asseoir et méditer, prier, abandonner la partie, laisser le jeu se faire sans nous, regarder.

Dans cette simple attitude, on mesure combien on veut toujours diriger les choses alors qu’au fond on ne maîtrise rien. Et si l’on prenait le risque d’être imparfait, de ne pas toujours devancer ce que l’on croit essentiel à notre bonheur, lâcher une partie de nos projets. Et si l’on finissait de subir le temps en le considérant non comme un ennemi mais comme le garant de notre éveil, de nos émerveillements face à l’éphémère du monde, de notre évolution spirituelle puisque, ici, tout passe mais au-delà tout demeure ?

Si on fait ce pas de côté, on prend conscience que le temps nous pose la question de notre limitation. Il est compté. Le tic-tac avance inexorablement. D’où cette attitude de fuite, de course effrénée ou de volonté de freiner l’inexorable de notre fin. Si le temps est mon allié, je profite de son enseignement pour cultiver mes jours, éclairer mes zones d’ombre, combattre mes animaux intérieurs, accueillir ce qui m’arrive comme un don. Le temps oblige à un travail de conscience pour ne pas pâtir de ce qui ne revient plus, se détacher du passé, observer ce que la richesse du présent apporte chaque jour.

Dans une des histoires de Winnie l’ourson que je lisais un soir à une petite fille, le petit ours pose une question à son ami Porcelet : « Quel jour est-on ? » Il répond : « On est aujourd’hui. » Et Winnie conclut : « C’est mon jour préféré. » Ainsi une comptine pour enfants est une leçon de philosophie ! J’ai envie de dire à mes chères vieilles personnes : ne tombez pas dans le piège des regrets, vous êtes le sel de la terre. Il révèle le suc de la vie. La sagesse est le sel. Elle ne s’acquiert qu’avec le temps, le précieux temps qui est compté alors que la vie est sans limite.

Paule Amblard - Historienne de l’art, spécialisée dans l’art médiéval et la symbolique chrétienne

Source : La Vie

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mercredi 8 janvier 2025

J’ai dû accepter…



Accepter que le temps, cet insaisissable mystère, échappe à ma compréhension, et que l’éternité demeure une énigme pour mon esprit mortel.
J’ai dû accepter que mon corps, fragile enveloppe, n’était pas immortel, qu’il vieillirait,
et qu’un jour, il s’éteindrait doucement.
J’ai dû accepter que nous sommes faits de souvenirs et d’oubli, de vœux inachevés, de bruits et de silences, de murmures éphémères et de nuits étoilées. De petites histoires, tissées dans l’ombre des détails subtils.
J’ai dû comprendre que tout est passager, que rien ne dure éternellement.
Et j’ai dû accepter que ma venue au monde avait un sens, que j’étais là pour donner le meilleur de moi-même, pour semer des traces de lumière avant de m’effacer dans le grand silence.
J’ai dû accepter que mes parents ne seraient pas éternels, que mes enfants, un jour, prendraient leur envol, traçant leur propre chemin loin de moi. Ils ne m’appartenaient pas, comme je l’avais cru un instant.
Leur liberté d’aller, de venir, de choisir, était un droit aussi précieux que ma tendresse pour eux.
J’ai dû accepter que tout ce que je possédais n’était qu’un prêt,
que rien ici-bas ne m’appartenait vraiment. Tout, comme ma propre existence, était éphémère, destiné à être transmis, laissé aux mains d’autres âmes, quand je ne serai plus là.

J’ai dû accepter que balayer mon trottoir chaque matin n’était qu’un doux leurre, un geste pour me convaincre que ce petit coin du monde était mien, alors qu’il ne l’était pas. Ma maison, mon refuge, n’était qu’un toit passager,
un abri qui un jour accueillerait d’autres vies, d’autres histoires.
J’ai dû comprendre que mon attachement aux choses, aux êtres, aux lieux, ne ferait que rendre plus douloureux l’heure de mes adieux. Que les arbres que j’ai plantés, les fleurs que j’ai chéries, les oiseaux que j’ai écoutés chanter, n’étaient que des passants dans ma vie.
Tout comme moi, ils étaient mortels.
J’ai dû accepter mes failles, mes fragilités, ma condition d’être éphémère, voué à disparaître,
tandis que la vie continuerait,
sans moi, comme un fleuve insensible à ma mémoire.
Et j’ai dû accepter qu’un jour,
je serais oublié.
Prenons soin de notre âme,
car elle seule nous appartient.
Silvia Schmitt

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jeudi 2 janvier 2025

Quand et combien de temps méditer ?


À quel moment de la journée consacrer un temps spécifique de méditation ? L’expérience montre que le matin, avant de commencer toutes nos activités, est un excellent moment. Ce n’est pas pour rien que, dans toutes les traditions spirituelles, les moines privilégient la méditation ou la prière matinales. Cela permet de clarifier et d’ancrer notre esprit et de conserver toute la journée le parfum de ce temps privilégié de présence. Malheureusement, il est souvent difficile, lorsqu’on a une vie familiale et professionnelle bien remplie, de prendre du temps le matin sans abréger son temps de sommeil, tout aussi précieux ! Je recommande alors de prendre seulement deux minutes pour se centrer, respirer, sentir son corps, poser une intention pour sa journée. On pourra renouveler l’exercice plusieurs fois dans la journée, dans les transports par exemple, ou à son bureau : fermer les yeux, respirer amplement avec attention, sentir son corps et lâcher son mental quelques minutes. Si nous parvenons à prendre au moins sept fois par jour ces précieuses minutes d’attention, cela aura un véritable impact sur nos vies. On peut aussi prendre un petit temps le soir avant de dormir, mais en conservant l’esprit alerte et vigilant, car si on est trop fatigué, on risque de confondre méditation et engourdissement de l’esprit.

On recommande généralement en mindfulness de méditer au moins trente minutes par jour d’affilée. C’est en effet une bonne durée pour permettre à l’esprit de s’entraîner efficacement. Mais mon expérience m’a montré que la régularité comptait plus que la durée : mieux vaut méditer dix minutes tous les jours que deux heures une fois par semaine. Et surtout, encore une fois, l’essentiel c’est ensuite d’essayer d’appliquer cette qualité de présence que l’on développe en méditation à tous les moments de la journée : lorsqu’on marche, lorsqu’on travaille, lorsqu’on mange, lorsqu’on échange avec les autres.

Extrait de "Méditer à cœur ouvert" de Frédéric Lenoir

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jeudi 10 octobre 2024

Tendre l'oreille


"Je n’ai pas envie de parler de moi,

 mais de tendre l’oreille 

pour écouter la germination et le bruit du temps."

Ossip Mandelstam 1891-1938

art graphique: Sarah Jarret





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dimanche 15 septembre 2024

La trame du temps

 Oui, le temps nous fait et nous défait, nous tisse et nous détisse. Il n’est pas l’ennemi, même s’il nous donne parfois l’impression de nous mordre, de nous faire tourner en bourrique, d’effacer les traces de nos pas sur le chemin. Il nous déleste, nous détache, nous accoutume, nous transforme, nous simplifie. On comprend que Gilles Baudry cite, parmi les exergues qui jalonnent son très beau recueil de poèmes, le Chant du balancier (Ad Solem, 2024), cette réflexion lumineuse, bouleversante de confiance, d’Hölderlin : « Le temps est d’une précision littérale et d’une infinie miséricorde. »

Et cette autre du paysan de Dieu, François Cassingena-Trévedy : « Les heures sont les étamines du temps que chaque jour énumère, émerveillé, jusqu’à ce que le temps même nous cueille. » Nous cueille ! Nous revient à l’oreille, comme un chant d’espérance, la Cantate à trois voix de Paul Claudel : « Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe ! »


La science de l’adieu

Le temps nous conduit où nous devons aller, fait de nous ce que nous devons être, défait ce qui doit l’être, et sauvegarde ce noyau étrange, cette musique irréductible, ce souffle improbable que nous sommes encore quelques-uns à appeler l’âme. L’âme ! Un de ces « mots déshabillés de tout savoir », comme le dit Gilles Baudry.

Le temps nous apprend la science de l’adieu, si amère vue de l’amour que nous avons contracté pour les choses de cette terre, ses fruits merveilleux, ses passants qu’on voudrait immortels. Le poète y décèle un scintillement autre : « L’adieu tu en connais / les extases et les ombres // la fêlure de rechercher / partout sa doublure invisible // le pied vacille / le cœur se vrille // le silence des larmes / la poignante mélancolie des choses // l’adieu pourtant / ne peut mourir définitivement // il se retire / comme la mer pour laisser advenir // dans l’interstice de l’absence / cette lumière murmurée // l’instant porté / à l’état pur // inattendu se lève en nous / le visage intérieur et sa lueur d’eau vive. »

Il y a une lenteur propre au temps. Cet espace, creusé en lui, pour la naissance. Cette naissance qui n’en finit pas. Qui se confond avec le mouvement même de la vie. Un mouvement, pour ainsi dire immobile. Cette lenteur, nous apprenons à en trouver la porte — c’est une aile, nous dit le poète. Et à l’habiter. Mais pour l’habiter, il faut sortir du temps agité, faussement productif, frénétique, où le monde voudrait nous enfermer : « Plus tu fais, moins tu es / et moins tu contemples, / plus tu t’agites, / moins tu habites. »

Le commencement de l’effacement

Habiter ! Voilà ce que le temps nous apprend. Habiter le passage, la traversée des apparences, l’Évangile douloureux de la mort — cet « ange qui revient chercher ses ailes », comme l’écrit le poète Jean-Baptiste Para, cité par Gilles Baudry. Habiter, ne pas esquiver, amoindrir l’épreuve de la mort : « Immobile la chambre / comme l’attente / la fenêtre se signe / il s’est quitté / enfin. »

Habiter, voir dans le visage de l’ami qui s’en va pour jamais quelque chose de difficile à nommer : le commencement de l’effacement, mais aussi le signe presque imperceptible de l’acheminement. Comme une promesse de Destination. Le poème est dédié à Philippe Mac Leod, mort en 2019 : « Tu n’avais plus que le visage de l’absence / mais au cœur du silence chacun voyait luire / l’inextinguible flamme de l’humble présence. / C’était assez d’amour infini pour partir, / prendre congé de nous sans vraiment nous quitter. / La mort à notre vue qui croyait te ravir / a fait éclore à son insu l’éternité. » Il existe une fécondité et même une sainteté du temps. L’œuvre d’une vie, la seule qui compte ? Le découvrir, en soi et hors de soi. Et pour cela, « voir ce qui demeure dans ce qui passe », comprendre ce qui fait qu’à chaque instant « les aiguilles / de l’horloge sont à deux doigts / de se taire ». 


Emmanuel Godo, poète et essayiste, est professeur de littérature en classes préparatoires. Il a notamment publié les Passeurs de l’absolu (Artège), les Égarées de Noël (Gallimard) et Maurice Barrès (Tallandier). Son dernier livre, Ton âme est un chemin (Artège), sort le 18 septembre.

Source : La  Vie

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lundi 19 août 2024

Un jardin d'instants...

A un jardin

Oui nécessaire clôture
Pour que le lieu devienne lien
Et le temps attente.

Que le sentier mène à l’amante,

Que tout désir aille à son terme,
Que chaque fleur porte visage et nom,
Que chaque fruit préserve faim et soif,
Que vent et pluie soir et aube
Renouvellent leurs offrandes sur l’herbe,
Que l’infini, lui, fasse halte
Sur la cime des pins.

Oui nécessaire clôture
Pour que le lieu soit appel,
Et l’instant répons sans fin.

François Cheng - La vraie gloire est ici

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mardi 18 juin 2024

Qu’y a-t-il dans ma tasse ?

 Intéressant. On dit d'ailleurs souvent que la coupe est pleine...



" Vous tenez une tasse de café, quelqu’un arrive et vous heurte et vous fait renverser votre café partout. Pourquoi avez-vous renversé le café ?
“Eh bien parce que quelqu’un m’a poussé, bien sûr”…
Mauvaise réponse.
VOUS avez renversé le café parce qu’il y avait du café dans votre tasse.
S’il y avait eu du thé dans la tasse, vous auriez renversé du thé.
Tout ce qui se trouve à l’intérieur de la tasse, c’est cela qui va déborder.
Par conséquent, lorsque la vie se produit et vous secoue, ce qui arrive souvent, tout ce qui est à l’intérieur de vous sortira.

Nous devons donc nous demander : “Qu’y a-t-il dans ma tasse ?”
Quand la vie devient difficile, qu’allons-nous faire déborder ?
La joie, la reconnaissance, la paix et l’humilité ?
Ou la colère, l’amertume, les mots durs et la réactivité ?
Qui choisit ?
A partir d’aujourd’hui, travaillons à remplir nos tasses de gratitude, de pardon, de joie, de paroles d’affirmation pour nous-mêmes et de gentillesse, de douceur et d’amour pour les autres.
La vie est amour, joie et bonheur.

Il faut du temps pour laver les vêtements boueux dans la machine à laver. OK ? Réveillez-vous.
Si vous voyez que quelqu’un est en colère ou vous porte de la haine ou de la jalousie, peu importe.
Donnez-leur un peu de temps pour se recentrer.
Comprenez qu’il leur faut du temps pour essuyer leur poussière intérieure.
Vous devez avancer dans la vie avec la clarté de l’esprit, la pureté dans le cœur et la sincérité dans l’action.
Détendez-vous.
Soyez à l’aise avec vous-même et avec tout le monde autour."

Sri Sri Ravi Shankar 

(auteur non vérifié)

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mercredi 12 juin 2024

Débrouille

 

DEBROUILLE
le temps n’existe pas
le temps passe
je m’en débrouille
tout est écrit
tout est possible
je m’en débrouille
tout est dérisoire
tout est important
je m’en débrouille
je ne peux rien
je dois agir
je m’en débrouille
personne n’est coupable
chacun est responsable
je m’en débrouille
pas de but
un chemin
je m’en débrouille
pas de moi
un je
je m’en débrouille
pas de libre arbitre
un choix
je m’en débrouille
ne rien attendre
tout espérer
je m’en débrouille
la tragédie
la merveille
je m’en débrouille
tout est obscur
tout est limpide
je m’en débrouille
le nirvana est le samsara
le samsara est le nirvana
je m’en débrouille
car n’est ce pas
dans la vie
il s’agit d’apprendre à se débrouiller
 
Gilles Farcet 
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