On voudrait en gagner toujours plus et pour cela arrêter de le perdre. Mais ce faisant, on ne le prend plus. Le temps. Élément étrange qui nous échappe quand on s’en saisit et nous est, au contraire, donné quand on accepte de le perdre. Et en effet : on ne prend vraiment un temps avec l’ami qui en a besoin que si l’on ne cherche pas d’abord à en gagner. « Tu as besoin de parler, c’est ça ? Bon, j’ai un quart d’heure devant moi… »
On sait d’avance que ça ne peut pas fonctionner. La faute ne revient pas au quart d’heure : la profondeur d’une conversation, quand l’écoute est là, peut être atteinte en quelques phrases. Le problème est que, montre en main, nul n’écoute bien. Qui trépigne est déjà parti. Le quart d’heure pourrait suffire, oui, mais à condition que l’on se soit d’abord donné la vie entière. On ne prête bien l’oreille qu’à la donner sans retour.
Refuser la mesure du temps
Ce n’est évidemment pas toujours possible. La plupart du temps, on manque de temps, on travaille à plein temps. On divise l’année en mensualités, qu’on remplit de jours ouvrables ou travaillés, que l’on tronçonne en heures tarifées voire supplémentaires. Le sommeil lui-même n’échappe pas à cette logique du remplissage depuis que des applications, chaque nuit, mesurent… son efficacité ! Aussi ne nous reste-t-il plus qu’à trouver refuge dans la plus petite quantité de temps : « Laisse-moi une petite minute ! », proteste-t-on. « Juste deux secondes ! »
Ce qu’il faudrait, c’est refuser carrément la mesure du temps, l’oppression du chronomètre. Il suffira pour cela de remarquer qu’il n’est tout simplement pas possible de « gagner » du temps. Nul, en se pressant, n’a jamais gagné ne serait-ce qu’une seconde. Comment cela ? L’objection arrive… rapidement : avec une bonne voiture, ne rejoint-on pas la ville de Lyon depuis Strasbourg en cinq petites heures ? Certes. Mais il n’y a eu aucun gain de temps.
Je ne fais pas allusion ici aux travaux d’Ivan Illich selon lesquels la voiture a augmenté le temps passé dans les trajets : ce qui était à portée de nos ruelles et autres chemins de campagne (école, épicerie, boucherie…) se trouve désormais à quelques demi-heures, et encore, « quand ça roule bien ».
Je veux simplement faire remarquer que, dans nos raccourcis, on oublie de compter le temps qu’il a fallu pour produire le véhicule, l’énergie dépensée à construire les usines, nourrir les ouvriers, former les ingénieurs, etc. Rouler à toute vitesse, ce n’est pas économiser du temps mais le dépenser d’un coup : c’est flamber le temps long (plusieurs centaines de millions d’années) de la formation des énergies fossiles.
Le temps perdu
Quand on met dans son café un sucre, disait Bergson, qu’on le veuille ou non, on doit attendre qu’il fonde. À quoi Bachelard avait répondu qu’on peut très bien, sous la flamme d’un bec Bunsen, faire fondre le sucre en un rien de temps… Vous m’avez compris : c’est faux puisque le gaz consommé ne s’est, lui, pas fait en une seconde.
Il n’est toutefois pas besoin d’aller chercher Illich ou Bergson. Nos enfants nous l’enseignent. L’option du film ou des écrans, contre un petit moment de paix, est rarement un bon calcul : il faut ensuite gérer l’excitation. Et si, parce que ce n’était jamais le bon moment, nous nous sommes souvent dérobés aux temps privilégiés avec nos jeunes enfants, sans doute nous faudra-t-il les leur offrir plus tard. Si toutefois la chance nous est offerte de rattraper le temps perdu… Perdu à quoi ? À essayer de le gagner.
Martin Steffens
source : La Vie
Professeur de philosophie en classe préparatoire, il a publié Petit traité de la joie. Consentir à la vie, ainsi que Rien que l’amour. Repères pour le martyre qui vient et l’Amour vrai. Au seuil de l’autre ou, dernièrement, Dieu, après la peur (Salvator).
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2 commentaires:
"Ce qu'on fait sans le temps, le temps ne le respecte pas". Phrase toute petite, entendue à 13 ou 14 ans d'un missionnaire d'Afrique, qui apprenait de l'Afrique du Sahel....
Le seul don fait à l'autre est le don de son temps : il ne peut être ni rendu, ni repris, ni échanger. Et peu importe que l'autre le sache ou pas. Je crois que tout ce qui n'est pas donné est perdu, définitivement.....
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(désolé pour les ajouts intempestifs....)
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