Les deux ! Cela dépend comment nous pratiquons.
« Est-ce que le zen que je pratique est vraiment le zen ? » Question récurrente que Jacques Castermane nous pose souvent au cours des retraites au centre Durckheim. Invitation à rester en éveil, à la fois agaçante et stimulante ! La pratique régulière et spécifique d’un exercice fait immanquablement partie du monde du zen. Nous reprenons jour après jour, mois après mois, année après année un même exercice, une même technique, afin de vérifier cet adage : « Un exercice que l’on fait 10 fois est passionnant ; un exercice que l’on fait 100 fois est ennuyeux, irritant ; un exercice que l’on fait 1000 fois nous transforme.» Si l’on rajoute ce propos de K.G. Durckheim : « Un exercice que l’on fait tout le temps n’est plus un exercice, c’est une autre manière d’être », nous passons de l’exercice spécifique au quotidien comme exercice, deux piliers de la voie du zen.Après cette introduction, force est de constater que le monde du zen nous reste parfaitement hermétique et mystérieux, car « Il n’y a de réalité dans le zen que pour la personne qui entre dans une technique » comme nous le rappellent tous les maitres zen. L’exercice spécifique est d’autant plus déconcertant qu’il est souvent simple. Par exemple, au centre Durckheim, deux exercices sont incontournables et repris quotidiennement : za-zen (l’assise immobile) et kin-hin (la marche lente).
La personne qui découvre ces pratiques a de quoi être étonnée, voire déroutée : premier jour, s’asseoir immobile et marcher lentement, selon des règles strictes ; deuxième jour, idem ; troisième jour, assise immobile et marche lente. Première retraite, deuxième retraite, troisième retraite … Encore et toujours za-zen et kin-hin. Cette répétition d’un même exercice, d’une même technique peut être vécue avec ennui, lassitude, colère. La palette des difficultés rencontrées est largement colorée, et, dans un premier temps, bien embarrassante pour un pratiquant venu chercher le calme intérieur.
Se manifeste bien souvent dans toute son ampleur le MOI désireux de passer à autre chose que ces exercices bien simplistes, effectués comme une introduction obligée à la voie du zen, mais dans l’attente d’une initiation et d’une pensée plus spirituelle à venir. Vite, passer à autre chose, penser à autre chose, et s’évader au plus vite des désagréments et inconforts de cette pratique répétitive !
L’exercice pratiqué ainsi est une contrainte, une non liberté par rapport à ce que MOI je veux, j’aime ou je désire obtenir, garder ou rejeter. Année après année, dans la parfaite immobilité, s’asseoir dans une tenue juste, une forme juste, une respiration plus juste, « juste parce que naturelle », c’est za-zen. Année après année, faire un petit pas, être son poids et sa taille à chaque pas, libérer le balancement du bassin, l’équilibre. Maitriser parfaitement ce pas, « maitriser voulant dire laisser sortir ce qui est juste », c’est pratiquer kin-hin.
Ces deux exemples d’exercices sont une contrainte pour MOI qui veut garder son rythme propre, sa façon de marcher, son contrôle de la situation, sa compréhension, ses habitudes. N’importe quel pratiquant un peu sérieux connait ces soubresauts et ces résistances face à une pratique régulière, sait de quel ennui, agacement, découragement je veux parler. Alors, pourquoi reprendre un même exercice ? Pourquoi beaucoup de ces mêmes personnes qui connaissent les difficultés évoquées ci-dessus, reviennent au centre ou entrent dans une pratique quotidienne régulière ? Une technique répétée jour après jour, sans compromis, de plus en plus précise, parfaitement maitrisée, empêche le MOI de faire ce qu’il veut. C’est justement cet aspect de la pratique qui ouvre à la chance d’une expérience, d’un autre vécu intérieur, hors de la saisie mentale.
En témoigne ces propos de Jacques Castermane lors d’un za-zen :
« L’immobilité m’empêche d’être rigide, d’être figé dans mes réactions physiques, émotionnelles ou mentales ; ces habitudes vont se détacher de MOI ». Je ne fais rien et je pourrais échapper à mes difficultés ? De l’immobilité naîtrait une manière d’être plus juste ? Il faut le pratiquer, le traverser, le vivre, pour le croire ! Ou encore : « Vous avez senti des résistances physiques, vous avez vu vos fonctionnements émotionnels et mentaux : c’est une bonne raison de reprendre l’exercice.Vous avez senti, goûté un moment inhabituel de calme intérieur, d’ordre, d’ouverture. C’est une bonne raison de reprendre l’exercice ». L’exercice nous ouvre à la connaissance de nous-mêmes, et ouvre aussi à la connaissance du vrai soi-même, de notre vraie nature. A tous les coups on gagne … en maturité, en « être ». Si la technique pratiquée est effectivement la même, le regard sur soi-même change, le sujet qui pratique change tout le temps. Peu à peu ou subitement, nous pouvons sortir de cet esprit de répétition propre à l’ego, pour découvrir un aspect de la pratique que l’on appelle l’esprit de renouvellement, et effectivement tout change.
D’une « névrose » répétitive de perfection, nous passons à la redécouverte de principes et d’actions dont nous nous sommes coupés en donnant trop d’espace à la pensée : sensorialité, différence, impermanence, interdépendance … tant de lois vitales oubliées ! L’exercice est ce passage d’une posture contrainte et contrôlée par MOI, à la libération d’un geste renouvelé, soumis aux lois transformatrices naturelles propres au corps vivant.
Ainsi des actions universelles, immuables et infaisables peuvent nous surprendre à nouveau. Comme c’est étrange, je ne fais rien, et « je me sens nourri, vivant comme jamais ». Za-zen, parfaitement immobile : le va-et-vient du souffle m’anime, la forme respire, la tenue s’actualise à chaque instant, je suis porté par l’infaisable : « cela respire, cela se fait ».
De la technique maitrisée et renouvelée naît la pleine participation à un évènement qui s’écoule, et MOI, je n’y suis enfin pour rien : quelle vraie liberté, quel vrai calme !
Joël PAUL
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