dimanche 5 octobre 2025

Révélation


 « Émerveillée par la beauté qui m'entourait, j'ai dû entrer dans un état de conscience accrue. Il est difficile, voire impossible, de décrire avec des mots le moment de vérité qui m'a soudainement envahie. Même les mystiques sont incapables de décrire leurs brefs éclairs d'extase spirituelle. En essayant ensuite de me remémorer cette expérience, il m'a semblé que le moi était totalement absent : moi, les chimpanzés, la terre, les arbres et l'air semblaient fusionner, ne faire qu'un avec la puissance spirituelle de la vie elle-même. L'air était rempli d'une symphonie ailée, le chant du soir des oiseaux. J'ai entendu de nouvelles fréquences dans leur musique et aussi dans le chant des insectes – des notes si aiguës et si douces que j'en ai été émerveillée. Je n'avais jamais été aussi intensément consciente de la forme, de la couleur de chaque feuille, des motifs variés des nervures qui rendaient chacune d'elles unique. Les odeurs étaient également claires, facilement identifiables : fruits fermentés et trop mûrs, terre détrempée, écorce froide et humide, odeur humide des poils des chimpanzés, et oui, des miens aussi. Et le parfum aromatique des jeunes feuilles écrasées était presque irrésistible.

Cet après-midi-là, c'était comme si une main invisible avait tiré un rideau et, pendant un bref instant, j'avais vu à travers une telle fenêtre. En un éclair de « vision extérieure », j'avais connu l'intemporalité et une extase tranquille, j'avais perçu une vérité dont la science traditionnelle n'est qu'une infime partie. Et j'ai su que cette révélation m'accompagnerait pour le reste de ma vie, imparfaitement mémorisée, mais toujours présente en moi. Une source de force sur laquelle je pourrais puiser lorsque la vie me semblerait dure, cruelle ou désespérée. »

Jane Goodall vient de nous quitter à 91 ans, sa lumière continue de briller. 💚

(Image : avec l'aimable autorisation du Jane Goodall Institute)

source FB et donc incertaine

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samedi 4 octobre 2025

Riche rencontre.

 


"La rencontre est le but et le sens d'une vie humaine. Elle permet qu'on ne la traverse pas en somnambule. Quand mes yeux se fermeront, ils le feront sur une immense bibliothèque constituée par des visages qui m'auront ému, troublé, éclairé. Un visage est éclairant quand un être est bienveillant et qu'il est tourné vers autre chose que lui-même. Le soin qu'il prend de l'autre, l'illumine, le rend vivant. Il capte une lumière et la renvoie. C'est quelque chose de rare. La richesse de cette vie est faite surtout de visages et de quelques paroles."

Christian Bobin

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vendredi 3 octobre 2025

"Les deux ensemble !"

 

Avant de « faire », se mettre à « l’écoute de l’infaisable » !

Lorsque la personne occidentale décide de s'engager dans la pratique du Yoga, du TaïchiChuan ou dans une discipline artistique, artisanale ou martiale qui a ses racines au Japon, il s'attend à devoir "faire" un exercice. D'où ma surprise lorsque j'entends le vieux sage de la Forêt Noire me dire que sur la Voie qu'il propose, il ne s'agit pas tout de suite de s'appliquer à "faire" quelque chose, un exercice inventé par l'homme.

Avant de faire, il importe tout d'abord de se mettre à l'écoute afin de laisser advenir "l'infaisable".

Se mettre à l'écoute de l'infaisable ?

Il est important de distinguer deux forces. Il y a la force qu'on développe et qu'on "fait" et l'autre qu'on ne peut absolument pas faire. Ainsi, on ne peut pas faire battre son cœur, il y a là une force que nous devons admettre. De même, Il est important pour la personne occidentale de distinguer deux niveaux d'actions. Ainsi, je ne peux pas "faire" cette action vitale qu'est la respiration, il y a là une action infaisable que je me dois tout simplement d'admettre.

Ce qui n'est pas de l'ordre du "faire" et que nous avons à laisser advenir, révèle ce qu'il y a d'universellement humain en l'homme. C'est un premier pas important sur le chemin que de reconnaître cette part de nous-mêmes qui nous dépasse.

Ceci dit, il faut se rendre compte que le caractère de la réalité qui transcende ce que l’être humain peut faire, dépend de notre vision du réel et pas d'une cause extérieure. D'où l'absolue nécessité lorsqu'on se met en chemin de distinguer deux approches du réel.

Graf Dürckheim distingue ce qu'il appelle l'esprit occidental et l'esprit oriental. L'esprit occidental PENSE le réel comme étant un ensemble d'objets. L'esprit oriental VOIT le réel comme étant un ensemble de processus.

Il voit là deux usages de ce qu'on appelle la conscience : la conscience DE et la conscience SANS de. « Se mettre à l'écoute implique une approche du réel autre que celle de notre conscience ordinaire : la conscience DE. La mise à l'écoute implique l'usage de la conscience SANS de. C'est vraiment important lorsqu'on va pratiquer un exercice. En effet, l'usage de la conscience DE me conduit à -penser- que "j'ai un corps" ; l'usage de la conscience SANS de me conduit à -voir- que" corps je suis" ».

Je ne comprends pas ! Le corps qu'on "a" // le corps qu'on "est" ? La conscience DE // la conscience SANS de ?

Mieux que les mots par lesquels nous cherchons à comprendre, une image peut bien souvent nous permettre de voir ... ce qui n'est pas à comprendre.

Regardez ce cylindre !

La lumière qui le rend visible projette sa forme sur deux écrans différents ; ce qui nous amène à envisager qu'un cylindre est circulaire ou qu'il est rectangulaire.

L'image ci-dessus semble démontrer qu'un cylindre dispose des mêmes propriétés qu'un rectangle ou qu'un cercle. Cette incompatibilité résulte non pas de la chose en soi mais de notre manière de la conceptualiser, de notre manière d'en être conscient.

En physique classique, des années durant, des scientifiques ont affirmé que la lumière est un phénomène ondulatoire alors que d'autres scientifiques affirmaient que la lumière est un phénomène corpusculaire.

Jusqu'au jour où en physique quantique, ces deux phénomènes sont considérés comme coexistants. En fonction du contexte expérimental, un électron peut donc se présenter soit sous forme de particule, soit sous forme d'onde.

Mais enfin ! La lumière est-elle faite d'ondes ou de particules ? Un maître Zen répondra : "Les deux ensemble!". Les deux ensemble !

Cette exclamation est insupportable pour tout être humain doué de raison. D'autant plus lorsqu'elle associe des oppositions qui nous paraissent inéluctables : le corps (et) l'esprit ... la santé (et) la maladie... le bien (et) le mal ... l'inspiration (et) l'expiration ... le calme (et) l'agitation... la vie (et) la mort ...

Dès qu'il vous est possible de faire usage de la conscience SANS de (déjà à notre disposition tout au long de la gestation) vous pouvez maintenant "faire" zazen! C'est à dire faire... rien ! Si ce n'est être à l'écoute (zen) de ce qui se présente lorsque vous êtes là assis absolument immobile (za.)

Grâce à une pratique régulière et renouvelée de l'exercice, l'expression "Les deux ensemble " est vue non seulement comme un principe constitutif de notre existence mais comme étant la source de cet état d'être qui manque cruellement à la personne occidentale : le CALME intérieur. Le grand calme qui n'est pas le contraire de l'agitation (dualité) mais l'absence de toute agitation (symptomatique de notre vraie nature).

Jacques Castermane

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jeudi 2 octobre 2025

Des signes...

Dans son nouvel ouvrage, Anne-Dauphine Julliand raconte sa confrontation à la mort d’un troisième enfant...


Je ne cherche pas de signes d’eux. Nulle part. Ni dans le dessin des nuages, ni dans le bourdonnement d’une ampoule, ni dans les soupirs de la maison. Je ne cherche pas de signes d’eux. Mais j’en vois. Comme ceux que Gaspard a vus après la mort de Thaïs.

« Tu verras, elle t’enverra des signes, c’est sûr. » Elles étaient trois amies venues me rendre visite, serrées sur le canapé. Je leur avais servi un jus de fruits, j’aurais préféré un alcool fort. De ceux que je ne bois jamais d’ordinaire. Mais les jours n’avaient plus rien d’ordinaire. Ils suivaient celui de la mort de Thaïs. « Mort ». J’ose le mot, comme Gaspard le faisait alors. Lui seul capable, dans l’insouciance de son enfance. Il n’avait pas encore six ans. Il est entré dans le salon, s’est laissé embrasser par chacune, baiser mouillé de larmes, puis il nous a oubliées. Il s’est installé sur le parquet, allongé sur le ventre, les jambes repliées en l’air qui, dans leurs battements, dessinaient des ciseaux. Il a étalé ses jouets; plongé dans son monde imaginaire, il parlait tout haut. Comme si nous n’étions pas là. Mais en réalité, il entendait, il écoutait notre conversation gênée. Il guettait nos réactions pour ajuster les siennes. Comme s’il devait apprendre de nous dans la peine. Sans savoir que c’était nous qui nous inspirerions de sa manière de faire. De son instinct à se confronter à la réalité, quand nous tentions de la fuir. De la simplicité de ses larmes, de sa confiance dans nos bras, de la spontanéité de ses paroles, de sa manière de s’adresser au ciel, de son rire retrouvé.

Quand elles se sont levées pour partir, leur verre à peine touché, l’une de mes amies a posé sa main sur mon bras. « Tu verras, Thaïs t’enverra des signes, c’est sûr. » Je n’ai rien répondu. Mais cette injonction à guetter des preuves m’a agacée. Pourquoi chercher à faire parler l’Au-delà ? J’ai refermé la porte derrière elles. Gaspard a disparu dans sa chambre. Avant de revenir, un livre dans la main. Celui que nous avions lu quelques nuits plus tôt, collés l’un contre l’autre. Une belle histoire d’amitié. Il voulait que je la lise encore. Quand j’ai tourné la dernière page, il a dit en caressant son oreille, comme il le faisait quand il était ému : « Ton amie tout à l’heure, elle a dit que Thaïs t’enverra des signes. C’est des signes comme celui-là ? C’est possible d’en avoir en vrai ? » Son doigt a pointé la couverture du livre, le dessin élégant et son titre « Mon cygne argenté ». Pour lui, les signes étaient des cygnes.

Je n’ai jamais oublié les cygnes de Gaspard. Grâce à eux, et à lui, je souris intérieurement chaque fois que l’on me demande si je vois des signes de mes enfants.

Ce matin, je suis partie toute seule marcher dans la campagne autour de la maison de mes parents. Un besoin de m’éloigner, de retrouver le calme et de hurler ma peine loin de toute oreille. Sur l’étang au bout du chemin de terre, là où nous aimons nous promener en refaisant le monde, une boucle empruntée par toutes les générations de la famille, sur l’étang, cinq taches blanches contrastent avec la surface sombre. Cinq cygnes dans toute leur élégance. J’admire la grâce de leur glissement sur l’eau. Trois d’entre eux se détachent et s’approchent de la rive. Tout près. Il suffirait que j’avance de quelques pas, le bras tendu, pour effleurer leur plumage. Je ne bouge pas. Nous restons dans un face-à-face. Puis, en un seul mouvement, ballet coordonné, ils courbent le cou, inclinent bas la tête. Tous les trois. Une révérence. Un salut. Un signe.

Mes signes sont des cygnes.

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mercredi 1 octobre 2025

Esprit perturbé

Ogyen Tendzin Jigme Lhundrup,
l’incarnation du grand maître tibétain Dilgo Khyentsé Rinpoché

"‍Mieux vaut donc nous raviser et faire preuve de bon sens. Or, si nous laissons notre esprit nous maltraiter au point que nous vivons dans la souffrance et faisons également souffrir les autres autour de nous, c'est le signe que nous manquons précisément de bon sens. On peut considérer comme ‟ négatives ” les pensées et les paroles qui proviennent de notre esprit perturbé. Si, au lieu de nous lamenter sur notre sort, nous cultivons l'altruisme et la compassion et que ces états d'esprit ‟ positifs ” améliorent notre bien-être et celui d'autrui, nous faisons preuve de bon sens."


 Dilgo Khyentsé Rinpoché

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