lundi 6 mars 2023

Engagement de transformation

 

Nathalie Harar : Quelle est la plus intéressante découverte que vous ayez faite sur vous-même ?

Arnaud Desjardins : Il y en a eu plusieurs et à des époques différentes. En tout cas, au départ, c’est en découvrant l’idée que l’homme fonctionnait comme une machine et qu’il pouvait y introduire plus de conscience, s’engager dans une démarche concrète de transformation, bien au-delà de seulement croire ou de ne pas croire.

N.H. : Vers quoi faut-il tendre dans la vie ?

A.D. : Quelques points sont capitaux et je ne les ai d’ailleurs pas inventés. Avoir une connaissance de soi fine. Devenir de plus en plus libre intérieurement. Révéler en nous une profondeur d’être et de conscience qui ne soit pas impliquée dans le vieillissement, la naissance et la mort. En fait, ces idées se retrouvent dans toutes les traditions spirituelles. Ce sont plutôt les méthodes pour y parvenir qui sont variables. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des maîtres spirituels soufis, indiens, tibétains… Même avec des chemins et des techniques différentes, le résultat final était là :  de ces sages émanaient une même liberté, de la compassion, de l’amour, de la sagesse, et une capacité certaine à être au-delà des formes.

Source : Samsara magazine 2003

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dimanche 5 mars 2023

Se laisser malaxer le cœur


La plupart d’entre nous évoluons dans un contexte généralisé de maltraitance du ressenti. Nos parents, notre éducation, la société, tout nous pousse à la répression. Cela va des injonctions les plus grossières (« Un homme, ça ne pleure pas ! ») jusqu’aux plus subtiles (« Après des années de thérapies et de pratique, je ne devrais pas être si fragile ! »). Alors, il ne faut pas ressentir, ou le moins longtemps possible, et surtout que cela ne se voie pas. Qui plus est, l’enfance nous a confrontés à des situations si douloureuses que nous n’avons pas pu les ressentir complètement, nous avons donc dû nous fermer, nous « blinder » pour survivre. 

La capacité de se laisser malaxer le cœur par la succession des épreuves et des succès, des joies et des peines, est une des clés de la progression spirituelle. La sensibilité, c’est le contraire de l’anesthésie, de l’endurcissement, de la rationalisation et du déni. Se laisser briser le cœur va mettre à bas tout notre monde artificiel et pathétique fait d’espoirs et de craintes, d’illusions, d’orgueil, de prétentions, de faux-semblants, d’opinions ; c’est ce qui va arracher tous nos masques et mettre à néant nos stratégies illusoires pour éviter la confrontation directe et vivifiante à la réalité. 

Emmanuel Desjardins 

Vivre – La guérison spirituelle selon Swami Prajnanpad. Le Relié

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samedi 4 mars 2023

La fierté de l'instant

 Quand votre lion n'est pas loin, l'envie d'être en vie est proche.



La perfection ce n'est pas de faire quelque chose de grand et beau, mais de faire ce que vous êtes en train de faire avec grandeur et beauté.

Swami Prajnanpad

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vendredi 3 mars 2023

Y a-t-il encore de la place, dans le monde tel qu'il est ...

... pour le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d'être ?

Comme une pluie fine interminable qui nous pénètre jusqu'aux os, les médias imprègnent quotidiennement notre vie intérieure d'une inquiétude latente qui insidieusement peut laisser place à l'angoisse ou à la dépression.

Il est indéniable que nous traversons une époque au cours de laquelle les détresses s'accumulent.

Mais en a-t-il été autrement dans le passé ?

Épidémies, tremblements de terre, inondations, famines, éruptions volcaniques et autres désastres naturels jalonnent les siècles, les millénaires. Il est avéré que depuis que l'homme occupe la Terre il a adjoint aux catastrophes naturelles ses propres créations meurtrières. La plus ancienne est sans doute le conflit guerrier. La guerre ! « Un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » écrivait Paul Valery.

Il faut aujourd'hui ajouter les produits de ce qui fait la différence, paraît-il, entre l'animal -être de nature- et l'homme -être de raison-. Il est insensé de projeter sur la Nature les problèmes écologiques qui ont pour cause l'idée prétentieuse que nous vivons - DANS-la Nature ; ce qui rend la Nature étrangère à nous-même.

Quand allons-nous reconnaître que, comme les animaux, nous vivons - DE - la Nature ? Et qu'il serait bien que ce que j'appelle MOI se mette au service de ses lois. Lorsque je vivais en Haute-Savoie, ayant quitté la Forêt Noire pour ouvrir un premier Centre de Méditation, le paysan qui récoltait le blé qu'il avait semé autour du centre le fauchait à la faux !


J'étais fasciné par l'élégance de ses gestes. Maître de son outil, il le soumettait à un rythme aussi naturel que celui des battements du cœur. J'aimais échanger quelques mots avec cet homme paisible qui prenait toujours le temps de s'arrêter un moment pour papoter.

Quel contraste avec l'agriculteur qui aujourd'hui, autour de notre maison, dans la Drôme, conduit une machine agricole plus volumineuse qu'un camion trois tonnes. Il me donne l'impression d'être l'esclave de sa machine. Lui faisant un signe de la main pour le saluer, j'ai parfois l'impression que je le dérange, tant il semble soumis au rendement. J'ai souvenir d'avoir vu notre paysan savoyard prendre le temps d'interrompre son action pour entendre un oiseau qui chantait. L'agriculteur, pour se mettre à l'abri du vacarme de sa machine, a un casque sur les oreilles.

Heureux celui, celle, dont le métier est le "fait main". Le produit fait main transforme la personne qui le fait !

Il serait inepte et sot de penser pouvoir faire marche arrière afin de revenir aux manières d'être et de vivre d'antan. Peut-être sommes-nous définitivement passés de la faux à la moissonneuse-batteuse, de l'humus aux engrais chimiques. Comme nous sommes passés de l'épée à la mitraillette et de l'arc aux fusées intercontinentales.

MAIS QU'EN EST-IL DE L'ÊTRE HUMAIN QUE NOUS SOMMES ?

Être c'est devenir ; devenir c'est être. L'être humain depuis des millénaires, entame le chemin qu'est son devenir au cours d'une gestation d'une durée de neuf mois. Quels que soient la couleur de sa peau, le milieu familial, les options philosophiques, religieuses, spirituelles des adultes qui l'entourent, chaque nouveau-né prend le temps d'attendre que la vie qui le fait vivre l'invite à s'asseoir … quelques mois plus tard à se mettre debout … et plus d'un an après la naissance physiologique …à marcher.

« Rien ne presse ! » me disait Graf Dürckheim lors de mon premier séjour à Rütte. « Désormais faites tout ce que vous faites un petit peu plus lentement ! »

Une des grandes vertus des bébés, écrit Christian Bobin (1) est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent le monde sans morale, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution.

Michiko Nojiri San, maître dans l'art traditionnel qu'est la cérémonie du thé (ChaDo) pratiquait et enseignait l'exercice appelé zazen. Régulièrement son introduction était limitée à cette indication : « Zazen ? C'est être assis (ZA) comme un bébé est allongé dans son berceau. »

Zazen est décrit, par les personnes qui pratiquent cet exercice, comme étant la culture du silence, la culture du calme, la culture de la paix intérieure.

Par les personnes qui pratiquent ! Non pas par les personnes qui pensent, qui cherchent à comprendre pour quels bénéfices il serait bien de se mettre à pratiquer ce curieux exercice, exercice consistant principalement à ne rien faire. « Ne rien faire, mais à fond », me disait André Comte Sponville après quelques heures d'exercice. Dans son dictionnaire philosophique (éd. PUF), il ajoute : « Zazen c’est jouer le “corps” contre l’égo, la “respiration” contre le mental, “l’immobilité” contre l’agitation, “l’attention” contre l’emportement ».

ZAZEN ? Passage de la vérité conceptuelle à la vérité vraie !

Je suis, donc je respire ! Je respire, donc je suis ! Lapalissade ? Non ! C'est une vérité dans le concept. Mais l'acte de respirer n'est pas dû au fait qu'il peut être pensé, conceptualisé. La vérité vraie est que en ce moment JeInspire (je n'expire pas) et que la pensée n'y est pour rien ! La vérité vraie est que en ce moment JeExpire (je n'inspire pas) et que la pensée n'y est pour rien !

Et curieusement, lorsque j'arrive à sentir que je laisse le souffle vital aller et venir, sans l'entraver, tout en moi se calme.

Oui, dans notre monde tel qu'il est, nous avons encore droit à nous sentir portés par ces valeurs essentielles que sont le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d'être. Mais pour cela, et je reviens à ce qu'écrit Christian Bobin « Il y a un moment où chacun est obligé de comprendre d'une autre manière que la compréhension analytique. Il faut peut-être comprendre par l'arrière de la tête, ou par ses yeux, ou par l'enfant qu'on était. Mais surtout ne pas comprendre par l'adulte qu'on se croit tenu d'être. » 1

 Koan ! Mentalement, par l'usage de la pensée, répétez : l'être ... l'être ... l'être ... !

Pour ensuite prendre le temps de dire : être ... être ... être ... !

Au plaisir de vous rencontrer ou de vous revoir au Centre.

Jacques Castermane

                                                                                                                                                                                     

1 Christian Bobin — Le plâtrier siffleur— POESIS (Habiter poétiquement le monde).

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jeudi 2 mars 2023

Main divine

 J’utilise un terme particulier depuis quelques années : le pétrissage. Je veux dire que l’on est plus souvent pétri par la vie que caressé par elle. J’ai commencé à l’utiliser spontanément de plus en plus lorsque j’ai finalement quitté la niche oratoire de « l’éveil » où tout est désigné comme illusoire et où l’on finit par feindre d’être au-dessus de la condition humaine. 

Une première façon d’aborder plus sainement et gentiment le pétrissage est sans doute d’en accepter la réalité sans se sentir « moins évolué » que d’autres, apparemment plus gâtés par la vie (qu’en sait-on, d’ailleurs ? c’est aussi un sujet à part entière). 

Cela signifie : Je suis pétri par la vie, dans mon corps, par mes émotions et au cœur de mes crises spirituelles. Et cela peut même se produire tous les jours. Ce n’est pas le signe d’une rechute de mon sommet spirituel fantasmé, c’est le processus vivant et non linéaire dans lequel je me trouve, à un moment donné. Mon corps est un laboratoire où des mutations parfois intenses sont à l’œuvre. Et je ne parle pas d’une indigestion qui gâche un peu quelques heures de ma journée, mais par exemple de brassages psychiques qui peuvent sembler interminables. 


Et quel baume alors que d’accompagner du mieux possible ce pétrissage en essayant d’honorer son intelligence propre, quelque chose comme la reconnaissance d’un ouvrage déterminé qui, assez souvent, ne prend pas en compte mon besoin de confort. Question de priorité naturelle. A quoi nous sommes-nous ajustés pour ne plus comprendre cela ? 

Dans un monde social qui valorise la performance et le bonheur absolu, générant ainsi le désespoir du plus grand nombre, retrouver la noblesse du pétrissage nous replacerait dans une perspective plus réaliste de nos chemins de vie. 

Mais cela va demander un effort collectif, parce que nous nous sentons obligés aujourd’hui de masquer nos détresses comme des phénomènes honteux alors qu’elles sont peut-être le symptôme d’un précieux moment de transformation, même s’il ne colle pas à nos idéaux conditionnés. Essayons : « Je ne suis inférieur à rien ni à personne dans cet instant, juste pétri par une main divine ».

Thierry Vissac

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mercredi 1 mars 2023

Aveuglement


" Cette civilisation moderne a conduit l'humanité à deux guerres mondiales, mais la leçon n'a servi à aucun politicien. La politique ne se préoccupe que des apparences et ne tient aucun compte des réalités profondes. Seule la conscience de leur nature spirituelle commune peut unir les hommes. Le sens de leur individualisme les condamne à l'égoïsme et aux conflits. C'est dans la vision même de l'homme et du sens de sa vie que se trouve la racine de tous les « problèmes ». Tant que l'aveuglement et l'ignorance prévaudront, tout problème résolu fera immédiatement place à un autre, dans un déséquilibre permanent. L'intérêt pour la politique tient aujourd'hui la place que tenait autrefois l'intérêt pour la religion. Moins les gens ont l' intention de se diriger et de se réformer eux-mêmes, plus ils se préoccupent de la façon dont il faudrait diriger ou réformer la société. En fait, les « problèmes » politiques, économiques et sociaux ne sont qu'une façade qui masque le véritable problème, lequel est spirituel et psychologique. Aucune mesure ne sauvera la situation, qui ne tiendra pas compte de la réalité spirituelle, de la vraie nature de l'Homme. Pour le moment, l'humanité tourne le dos à cette vérité fondamentale. L'existence devient sans cesse plus complexe à tous égards et interdit de plus en plus aux hommes et aux femmes toute velléité de vie intérieure. Le véritable bonheur ne peut se trouver que dans la « réalisation » ou la prise de conscience de la Nature profonde, du Soi, mais jeunes et vieux cherchent désespérément des plaisirs et des satisfactions qui ne peuvent pas durer. C'est, par excellence, le fruit de ce que tous les enseignements initiatiques ont appelé l'aveuglement et l' ignorance.

Arnaud Desjardins , Monde moderne et Sagesse ancienne ( 1973 )

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mardi 28 février 2023

Vieillissement

 Le vieillissement dénude  (Extrait de mon carnet ) 19 février 2023


Le vieillissement dénude. L’énergie de la jeunesse fait tampon (dans le sens de « buffer », expression très Gurdjievienne). Avec le recul, c’est comme ci cette énergie brute, massive, à la fois emportait dans un élan et empêchait de sentir des impressions plus essentielles, plus près du noyau de l’humain et de la personne. Au fur et à mesure que je vieillis - et cela se fait plus net à quasi 64 ans qu’à 60- j’ai le sentiment d’être dans mon ressenti intime au plus près de la condition humaine nue, une condition humaine à qui on aurait ôté ses fards et qui présenterait son visage tel quel. Ce visage peut s’avérer très beau mais sa vérité ne pardonne pas. Si la lumière qui luit dans les ténèbres ne l’a pas peu à peu gagné, alors ce visage peut être effarant. 

Oui, c’est comme si il y avait de moins en moins de tampon entre ma personne et la condition humaine dans son implacabilité. Plus de petite chanson pour couvrir le silence, plus de jeux d’ombres, de feux d’artifice, d’éclairages avantageux pour distraire du paysage dans son âpre vérité.

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Gilles Farcet

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lundi 27 février 2023

Instructions spirituelles

 


Voici un nouveau livre au contenu très impressionnant, paru aux éditions ACCARIAS-L'ORIGINEL.  Il concerne les « Instructions spirituelles » d’un maître hindou assez méconnu en France, Krishna Menon, devenu Srî Âtmânanda (1883-1959). Et pourtant, il s’agit de l’un des trois grands sages unanimement reconnus en Inde, avec Râmana Mahârshi et Nisargadatta Mahârâj. 

Ces instructions ont été rapportées par Nitya Tripta, l’un de ses plus proches disciples, qui recueillit ses paroles de 1950 à 1959. Elles ont toutes été relues et approuvées par le maître avant d’être rendues publiques. 

C’est la première fois que cet enseignement est traduit en français. Le traducteur en est Patrick Mandala, qui a également présenté et annoté cet ouvrage de 190 pages. Ces instructions, précise le traducteur, ne sont pas sans parenté avec celles de cet autre grand  maître de l’Advaïta, Swâmi Prajnânpad, dont Arnaud Desjardins fut le disciple, dans la mesure où l’égo n’y est pas considéré comme un ennemi mais au contraire comme un point d’appui dans la quête de la réalisation ultime.

Le style des paroles ici retranscrites est particulier : les propos sont denses, précis et concis, presque abrupts. J’y ai noté la récurrence du verbe « prouver » : ce maître se situe d’emblée sur le plan de l’Absolu, il parle depuis un espace intérieur où règne une évidence radicale. Nitya Tripta nous précise même ceci dans son introduction : « Il n’aborderait jamais un problème d’un point de vue inférieur à la Vérité ultime, et ferait toujours en sorte que le disciple qui l’écoute fasse l’expérience de sa vraie nature plusieurs fois au cours de chaque conversation. » (p. 17) Aussi certaines de ses phrases peuvent-elles apparaître comme un raccourci de pensée, l’expression d’une clarté si éblouissante et transcendante qu’elle passe par une forme verbale ramassée sur elle-même. 

Ce livre est divisé en de très nombreux chapitres thématiques (plus de 100), de l’« Absence » au « Yoga », en passant par l’« Arrière-plan », « Le corps », « Faiseur, jouisseur et connaisseur », « Science », « Autolumineux », etc. Ces brèves sections sont elles-mêmes subdivisées en paragraphes numérotés de 1 à 269. L’ensemble est suivi d’un glossaire très utile, qui définit avec précision chacun des termes sanscrits utilisés par le maître. 

Pour tous ceux qui s’intéressent de près aux questions spirituelles, cet ouvrage me semble plus que précieux : incontournable.


Extraits : 

« Le monde est parfait. Mais il semble imparfait parce que vous utilisez des instruments fallacieux des organes sensoriels et de l’esprit, ainsi qu’une mauvaise perspective de la relation sujet-objet. Débarrassez-vous d’eux d’abord. Saisissez le Principe immuable de la Conscience en vous, puis examinez le monde. Alors vous trouverez ce monde parfait et entièrement différent de ce qu’il apparaît maintenant. » (N° 86 : « Quelle est la nature du monde ? », p. 64)

« Au niveau de l’esprit, nous devons considérer que le témoin regarde en silence des évènements et transmet ensuite l’information à l’esprit. L’esprit, à son tour, s’identifie au témoin pour le moment, et se pose comme s’il était présent lors de l’acte passé auquel il est fait référence. Mais lorsque l’esprit est engagé dans une pensée, il ne lui est jamais possible d’être témoin de cette même pensée simultanément. » (N° 118 : « Qu’est-ce que la mémoire (au niveau de l’esprit) ? », p. 82)

« La pensée que certaines choses sont des obstacles est le premier obstacle pour vous. La meilleure façon de les supprimer est de les regarder et de les examiner. Ce que vous considérez comme un obstacle se compose de la partie matérielle et de la partie Conscience ou Réalité. Dirigez votre attention uniquement sur la partie Réalité et ignorez la partie matérielle. Alors la chose cesse d’être un obstacle et devient une aide. » (N° 142 : « Quels sont les obstacles à la spiritualité et comment les supprimer ? », p. 95)

« Autolumineux signifie ce qui n’a pas besoin de l’aide d’une autre lumière pour se manifester ou prouver son existence. Vous savez que vous existez. Ainsi, seul le Principe du « Je » est autolumineux. Le monde n’est que matière morte. Vous ne pouvez pas dire qu’il existe tant que vous n’avez pas prêté la lumière de votre propre Soi pour le manifester. Il ne peut briller que par votre propre lumière. En d’autres termes, le monde n’a qu’une existence empruntée. Seul le Principe du « Je » a une existence originelle ou indépendante. Tout ce qui n’est pas autolumineux ne peut avoir qu’une existence d’emprunt. » (N° 206 : « Que signifie autolumineux ? », pp. 127-128)

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dimanche 26 février 2023

Coups et blessures

 

avoir été
cet assemblage
de fragments
hétéroclites
recomposé
au gré des vents
être
désormais
un sujet
s’éprouver
désemparé
non de la consistance
présente
mais de l’inconsistance
passée
et du chaos généré
cacophonies
zig zags
tâtonnements à l’aveugle
coups et blessures dans le noir
avancer
de son pas
sûr
dorénavant
mais avec la morsure
du champ de ruines
laissé derrière soi

Gilles Farcet
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samedi 25 février 2023

Réaliser une tâche, pour le seul bonheur de « faire »



Dans une journée, tu « fais » beaucoup : tu marches, tu travailles, tu cuisines, tu manges, tu nettoies, tu ranges… mais tu n’y prends aucun plaisir parce que tu es obsédé(e) par le seul but de ton action : finir le plus vite possible et du mieux possible, pour enchaîner avec les autres tâches qui t’attendent – et auxquelles tu penses déjà.

Cette fois, tu vas procéder différemment. Choisis une tâche : finir la vaisselle, répondre aux mails, cuire une omelette, tailler ton rosier… Tu vas la réaliser pour le seul bonheur de « faire » et donc entrer pleinement dans cette expérience. La clé consiste à ne pas t’aliéner dans ta tâche (en maugréant, en t’énervant, en minutant le temps qu’elle te prend) mais à l’accompagner. Imprègne-toi d’elle, désencombre ton esprit et laisse-là te guider. Elle va devenir pour toi le lieu où tu peux souffler à nouveau, te sentir mieux puis, progressivement, de plus en plus vivant. Tu ne réussiras pas forcément la première fois, mais ose une deuxième, une troisième fois. La vaisselle sera pour toi le lieu d’une expérience de très haute spiritualité, comme l’avait été l’omelette pour Laurent de la Résurrection.

Fabrice Midal - Les 5 portes

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vendredi 24 février 2023

Anniversaire

Gilles Farcet nous a partagé ceci lors de son anniversaire :

"Yours sincerely wasting away" ...   Sir Paul Mac Cartney, "When I'm sixty four"

"2 Corinthiens 4:16-18 LSG

C’est pourquoi nous ne perdons pas courage. Et lors même que notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire, parce que nous regardons, non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles; car les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles. "  Sir Paul de Tarse (connu sous le nom de Saint Paul) 


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jeudi 23 février 2023

Une pincée unique

Avant-printemps


Malgré le soleil clair tout à coup revenu

sur le bord du chemin la neige ancienne et sale reste dure

Les nuits sont froides et les matins couverts

La vapeur d’eau avec douceur brouille le paysage

puis s’éclaircit lentement à l’approche de midi

Un rien de poudre d’or se mélange à la brume

une pincée de jour clair fond doucement dans le gris

Sur les arbres heureux baignés d’humidité

les bourgeons amassent leur sève prêts à éclater

Hier dans le soleil vainqueur à midi

un merle est venu reconnaître le terrain

et une mésange charbonnière a exploré le jardin

cherchant le creux d’un pommier ou un recoin de mur

avec le projet d’y installer son nid

Si je regarde avec soin dans l’herbe encore jaune

le sol est piqueté de petites fleurs encore en boutons

toute la famille des renoncules couleur de paille claire

la ficaire eranthe et la chélidoine Grande Éclaire

les pétales bien pliés et serrés dans leur sac

attendant comme les bourgeons le signal de départ

pour débourrer et exploser feuillages et fleurs

Et chaque future feuille chaque promesse de fleur

chaque oiseau survivant de l’hiver

chaque brin d’herbe encore hésitant à verdir

dans le silence au bord d’un printemps qui retient son souffle

dit à voix infime et nette Je suis moi Moi l’unique

comme il n’en fut pas depuis le début du monde

comme il n’en sera plus jusqu’à la fin des temps


Claude Roy

A la lisière du temps

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mercredi 22 février 2023



"Le dépouillement a aussi été pour moi une sorte de « gros machin » inatteignable. J’imaginais que pour l’atteindre, il me fallait devenir moine, presque un stakhanoviste du détachement, et envoyer paître tout ce qui relève du matériel. Jusqu’au jour où j’ai pris conscience que le « gros machin » dont je devais me détacher, c’était moi. Le « moi je », le « moi d’abord » ; le rôle que j’essaie tous les jours de jouer, du matin au soir. Sur mon chemin, j’ai alors croisé un ami. Il m’a dit cette phrase qui m’a bouleversé : « Plus de liens, moins de bien. » Il est vrai que jusqu’alors, j’avais tendance à aller chercher dans les librairies, dans les supermarchés, dans les grandes surfaces, un remède aux manques, aux blessures, aux aliénations. Depuis que j’ai entendu cette phrase – « plus de liens, moins de bien » –, j’y ai perçu comme une invitation à faire de l’ordre, à me libérer chaque jour du trop. Ce qui rejoint cette intuition magnifique dans le bouddhisme selon laquelle nous sommes tous la nature de Bouddha. Nous sommes : ce n’est pas de l’ordre de la possession. Ce n’est pas quelque chose que l’on ajoute à ce que l’on est pour être heureux. Nous sommes déjà la nature de Bouddha. Le sale parent, le violeur d’enfants, la personne handicapée. Encore qu’il n’y aucun rapport entre la personne handicapée et les deux autres ! J’y ai décelé une invitation à changer totalement notre regard sur autrui.

Précisément, le dépouillement auquel invite le zen, et par là toute la tradition philosophique du bouddhisme, c’est la voie du détachement. Se débarrasser de toutes les représentations mentales dont on recouvre les choses, les êtres, et nous-mêmes en fin de compte. Nous avons une image de nous et, du matin au soir, nous voulons nous y conformer. Un jour, j’ai décidé qu’Alexandre Jollien serait comme cela, et gare à moi si je ne suis pas à la hauteur. On n’imagine pas l’infinie souffrance qu’engendre une telle fixation. Se dépouiller, c’est se mettre à nu. Je l’ai écrit dans mon dernier livre qui porte le titre explicite du Philosophe nu : le calme est déjà là, en moi, à demeure si je puis dire. Si je le cherche ailleurs, je lui suis infidèle. Être dans le dépouillement, c’est être totalement soi, totalement nu pour laisser éclater cette joie qui est déjà présente en nous, qui nous précède. Nul besoin d’aller la chercher, de la séduire pour qu’elle vienne. Elle est déjà là."

extrait du livre "Petit traité de l'abandon" d'Alexandre Jollien

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