dimanche 7 septembre 2025

Lignes libres


 Les urbanistes de ce nouveau quartier ont pensé à tout : des immeubles bas et élégants, des arbres qui manquent tant à nos villes, des pelouses gazonnées, des bancs et des chemins pavés qui serpentent entre les édifices. Seulement voilà, les habitants de ce quartier n’empruntent pas ces chemins : en témoignent les nombreux sentiers diagonaux, tracés par les piétons sur les pelouses fraîchement semées : on les appelle des « lignes de désir ».

Tout comme les alternatives aux sentiers de grande randonnée, tracées par les marcheurs eux-mêmes, par érosion, au fil de leur piétinement. Les gardes-champêtres disent que 15 passages suffisent à faire apparaître une nouvelle piste qui attire alors d’autres promeneurs.

Ces « lignes de désir » traversent parfois des secteurs sauvages et sensibles ; elles peuvent menacer, si on n’y prend pas garde, la flore, la faune et la sécurité des lieux. Elles naissent quand les chemins officiels sont indirects, biscornus, difficiles ou même inexistants. Mais il arrive aussi qu’elles offrent des points de vue nouveaux ou des itinéraires plus attrayants que les passages officiels, sans compter le sentiment d’une certaine liberté.

Jésus, un marcheur libre

S’il n’est pas rare que les administrations cherchent à bloquer la création de ces lignes de désir en posant des clôtures, en plantant des végétaux feuillus ou en édictant par des panneaux de signalisation « Passage interdit » ou « Restez sur le chemin », il arrive qu’elles aient l’intelligence d’observer ces empreintes inattendues et d’intégrer ces marques tracées par le commun des mortels dans leur plan de mobilité officiel.

En pensant à ces « lignes de désir », à ceux qui les ouvrent comme à ceux qui les empruntent, j’ai dans le cœur l’image de Jésus qui allait et venait sur l’esplanade du Temple de Jérusalem et « allait son chemin », en marcheur libre, dans les campagnes de Galilée, au point même d’enfreindre les règles établies par les religieux de son époque en traversant la Samarie, ce qui « ne se fait pas ! »

« On vous a dit », aimait-il dire, et « Moi, je vous dis ». Sa ligne de désir était bien autre chose qu’un acte de désobéissance. Elle prenait source dans l’existant religieux de la grande tradition, mais elle incarnait une forme de réappropriation de la foi d’Israël par le croyant qu’il était. Loin d’être une infraction, elle exprimait sa fine intelligence spirituelle, son accueil de la vie des femmes et des hommes qu’il rencontrait et un « sacré » bon sens.

C’est bien parce qu’il suivait sa ligne de désir, de parabole en guérison, de table en puits, de désert en village, qu’il a rendu bien plus humains tous ceux qu’il rencontrait. Il disait du berger qu’il était qu’il venait ouvrir les portes des enclos pour que les brebis puissent « aller et venir » et trouver de la vie dans les verts pâturages.

Quand arrive la rentrée de septembre, il est bon de repérer les lignes de désir tracées par des hommes et des femmes de bonne volonté, dans notre société comme dans notre Église ; plus particulièrement par les sans-voix et les gens de peu. Elles ouvrent des voies nouvelles, souvent prometteuses. Elles nous invitent à ne jamais nous en tenir aux sentiers délimités, mais à nous autoriser du neuf, en préférant toujours la liberté aux conformismes de tout poil.

Sans nouveauté, on ne s’en sortira pas.

Septembre : il ne s’agit pas de reprendre ou de refaire.

Et tant pis pour nos plans. Et tant mieux pour la vie.

Il s’agit de commencer. 

Raphaël Buyse

(source : La Vie)

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1 commentaire:

Jean a dit…

Merci de cette publication. Cet homme a ouvert par sa voix des voies qu'il avait ouvert pour lui-même dans le silence, dans un silence peuplé et non désert. Gratitude pour ces chemins ouverts, ces chemins de désirs écoutés.