mardi 14 mars 2017

En route avec... qui suis-je ?...



Posez-vous bien la question : « Mais qui suis-je ? Celui ou celle de ce matin, celui ou celle d’hier, celui ou celle de la semaine dernière ? » et observez. Bien des fois, vous avez pris une décision et, quand il a fallu exécuter cette décision, vous ne compreniez plus pourquoi vous l’aviez prise. Bien des fois, vous avez voulu une chose et, quand cette chose s’est réalisée, vous n’étiez plus celui qui l’avait tellement voulue.

Chacun doit regarder ceci pour soi. La première constatation est celle de cette instabilité, le contraire de l’immuabilité. La seconde constatation est celle de cette complexité, le contraire de la simplicité. Pendant longtemps, un être humain est vraiment fait de pièces et de morceaux, psychologiquement, mentalement, émotionnellement. La première étape, c’est d’abord de perdre des illusions bien ancrées – qu’on peut perdre très vite intellectuellement, mais qu’on ne perd pas vitalement – sur une prétendue unité et une prétendue stabilité. 
Quand vous aurez observé que vous (pratiquement) vous n’existez pas, la question « Qui suis-je ? » prendra un sens concret. Pas : « Je vais méditer, méditer, demander qui suis-je, frapper à la porte du cœur, et un jour l’atman va se révéler. » Non, tout de suite, la question se pose, et tout de suite, des éléments de réponse vont commencer à venir. 

« Mais qui suis-je donc ? » La question est toute simple. 

Arnaud Desjardins
Le vedanta et l’inconscient  
À la recherche du soi III 


-----------

lundi 13 mars 2017

Hommage à Roop Verma


Q : Pourrais-tu nous donner une définition de la "musique spirituelle" ?
Je crois que tout ce qui est issu de la nature, toute la vie est musique, et que la manière dont nous nous relions à la vie et à la nature nous permet de qualifier ou de différencier telle musique de telle autre. La musique spirituelle est celle qui nous relie à l'esprit ou au spirituel. Comment nous relier à l'esprit ? Il y a une forme de méditation à laquelle on peut associer une activité, elle est source d'énergie. Cela signifie que vous donnez la couleur ou la force de la méditation à cette activité ou à toute forme d'art. Voilà ce qu'est toute musique pour moi.
La musique sacrée ancienne était composée selon ce principe ; on sélectionnait des notes, on combinait certains sons ; le plus important n'était pas l'architecture musicale, c'était la force que la musique recevait grâce à la méditation, et elle devenait spirituelle parce qu'elle provoquait un état dans lequel on pouvait faire l'expérience de la relation avec le reste de l'univers, avec la création toute entière, ou, si je puis dire, avec l'esprit.
Revenons à la musique ancienne ; comment est-elle apparue à l'origine ? Nos très lointains ancêtres avaient appris à sauter, à inventer des danses et à produire différents sons pour créer une sorte de musique. Ce n'est que plus tard, quand les maîtres des temps anciens ont accédé à des états de conscience plus profonds en méditant qu'ils ont entendu ou perçu des sons dans leur tête et dans leurs oreilles. Nous appelons ce son "le Nad intérieur".
Les hommes étant par nature curieux, ils ont essayé de retrouver ce son béni qu'ils avaient entendu et qui venait de l'intérieur d'eux-mêmes. Ils ont alors inventé toues sortes d'instruments pour l'imiter, mais en vain.
Voilà un procédé qui va de l'intérieur vers l'extérieur. Une fois que ces instruments furent créés, il devint possible d'inverser le procédé, c'est à dire, de trouver des sons à l'extérieur qui en en entrant en résonance avec l'intérieur permettent de retrouver cet état. C'est la vibration, la résonance qui agit dans ce principe.

Q - Comment sais-tu quand il s'agit d'une musique spirituelle ou d'une autre musique ?
La musique spirituelle est celle qui porte l'énergie de l'être humain, de tout l'être. Je ne dis pas que les musiciens qui font de la musique Pop ou Rock ne mettent pas d'énergie dans leur musique. Au contraire, ils déploient une énergie considérable, mais elle vient d'un mouvement extérieur, c'est une énergie physique, or nous parlons d'une énergie spirituelle, de celle qui suit un mouvement vertical, non un mouvement horizontal dans lequel on continue à se mouvoir sur un même plan. Dans un mouvement vertical vous allez de plus en plus profond ou de plus en plus haut. Dans la méditation c'est ce mouvement que nous rencontrons, qui donne la profondeur, la qualité, le sentiment spirituel : une étincelle divine. Quand vous écoutez cette musique, vous êtes en harmonie avec la nature, la création, vous-même et les autres qui eux aussi ressentent la même chose. Quand vous sortez d'un concert rock, vous êtes très excités, vous avez envie de bouger, une activité surgit. La musique spirituelle au contraire vous met dans une attitude de repos. Dans le cycle de la création, il y a l'activité et le repos, le mouvement et le repos : l'activité est pour la création, le repos pour la re-création, pour se ré-énergétiser. Les battements du coeur aussi ont ces deux phases, systole et diastole, contraction et décontraction et c'est merveilleux de savoir que la période de repos est la plus longue ; que le coeur se repose plus qu'il ne travaille ; donc que le repos est plus important car il nous ramène à notre état neutre. Je crois qu'il y a un point d'équilibre quand nous sommes un avec la nature ; c'est ainsi que je définis la non-activité consciente, car la conscience est très éveillée au moment où l'activité est réduite à zéro. Dans notre langue nous avons un mot pour traduire cet espace : c'est "Akasha". C'est quelque chose de très subtil. Le même espace est à notre disposition ici, entre vous et moi, entre nous et le soleil, entre le soleil et les autres galaxies ; c'est le même espace, on ne peut pas le diviser, et c'est la même énergie qui fait que si vous produisez un son ici, comme ce claquement de doigts, en deux secondes il a fait sept fois le tour de la planète. En cet instant, vous êtes unis à l'espace, vous êtes reliés au tout si vous êtes totalement conscient. Un son créé ici est partout, tout est relié dans l'espace, les planètes, les galaxies... et si maintenant je vais cueillir une fleur dans le parc, je fais bouger une étoile car elles sont reliées. Cette inter-relation doit, absolument, être reconnue.

Q - Quand tu parles, tu es présent totalement et je sens avec toi tes ancêtres d'il y a des milliers d'années.
Oui, absolument. Un jour, quelqu'un m'a demandé ce qu'étaient l'esprit individuel et l'esprit universel. Je lui ai répondu par une question :
"Qu'est l'esprit individuel selon toi ?
– C'est moi, je suis un individu donc c'est mon esprit.
– Et si tu réunis les esprits présents et tous ceux des temps passés, c'est l'esprit universel."
L'esprit des ancêtres, de tous les grands hommes, celui des grands compositeurs, des musiciens, etc, irradie. Leur corps n'est plus, mais l'énergie de leur esprit est toujours là et partout ; c'est l'esprit universel ; un tout collectif et c'est à cette source que nous pouvons puiser en tout temps.
De la même façon, quand vous tournez le bouton de la radio et la mettez sur une fréquence, vous entendez les nouvelles, de la musique, etc. D'où viennent-elles ? Comment pourraient-elles nous parvenir si elles n'étaient pas déjà présentes dans l'espace ? Les images que vous regardez à la télévision apparaissent sur l'écran quand vous l'allumez ; la télévision est là pour recevoir les images déjà présentes dans l'espace. Si nous pouvions devenir comme ces instruments, nous pourrions recevoir tous les messages. Dans ces exemples, la connexion, la relation entre l'esprit individuel et l'esprit universel apparaît comme un processus. Plus vous êtes capables d'abandonner de votre individualité, plus vous êtes reliés à l'esprit suprême.

*****************


dimanche 12 mars 2017

Corps glorieux

Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, je suis.
Évangile selon saint Jean chapitre 8, verset 28



Nous ne pouvons pas être en dehors de notre corps, c’est pourquoi nous croyons à la résurrection des corps, dès maintenant et par-delà la mort. Il s’agit d’accueillir dès maintenant l’éternité dans notre temps. Apprendre à vivre chaque instant comme l’avènement même de l’éternité : une plénitude de la présence. Dès à présent, soyons présents aux présents. 

Le corps glorieux n’est pas celui — narcissique — que nous vante la publicité des salles de sport, mais bien celui qui déjà s’annonce humblement dans notre existence, dans la traversée des petits bonheurs et des grandes douleurs, marquée par l’amour et la trahison, la prière et le doute, la guerre et le repos, la générosité et le pardon. 

Le corps glorieux n’est pas celui d’une plastique idéalisée, mais celui qui s’annonce dans sa vérité la plus authentique, qui porte les stigmates de ses labeurs solitaires pour sa vie et les cicatrices de ses combats pour la vie des autres ; semblable au corps du Christ ressuscité qui honore les plaies de sa Passion. Dans l’attente de son accomplissement total, le corps glorieux se laisse déjà découvrir sur cette terre : malgré l’embonpoint, qu’il claudique ou qu’il soit amputé, un corps habité, vivant, libre, rayonne d’une vie qui vient d’ailleurs. Déjà, notre corps glorieux nous est à portée de corps. Du corps inconnu au corps habité, du corps méprisé au corps exposé, du corps celé au corps parlé, du corps honteux au corps glorieux, nous sommes en chemin pour arriver à : je suis. Notre corps est le lieu de notre résurrection. 

Frère Jean-Pierre Brice Olivier



source: carême dans la ville


vendredi 10 mars 2017

Un rendez-vous... de développement personnel ludique...

Toucher du bois...


Francis Picabia 
Femme aux arbres

Il y avait autrefois de l'affection, de tendres sentiments,
C'est devenu du bois.
Il y avait une grande politesse de paroles,
C'est du bois maintenant, des ramilles, du feuillage.
Il y avait de jolis habits autour d'un cœur d'amoureuse
Ou d'amoureux, oui, quel était le sexe?
C'est devenu du bois sans intentions apparentes
Et si l'on coupe une branche et qu'on regarde la fibre
Elle reste muette
Du moins pour les oreilles humaines,
Pas un seul mot n'en sort mais un silence sans nuances
Vient des fibrilles de toute sorte où passe une petite fourmi.
Comme il se contorsionne l'arbre, comme il va dans tous les sens,
Tout en restant immobile !
Et par là-dessus le vent essaie de le mettre en route ,
Il voudrait en faire une espèce d'oiseau bien plus grand que nature
Parmi les autres oiseaux
Mais lui ne fait pas attention,
Il faut savoir être un arbre durant les quatre saisons,
Et regarder, pour mieux se taire,
Écouter les paroles des hommes et ne jamais répondre,
Il faut savoir être tout entier dans une feuille
Et la voir qui s'envole.

Jules Supervielle


mercredi 8 mars 2017

S'ouvrir au Féminin...




« J’appelle féminin cette qualité que la femme réveille au cœur de l’homme, cette corde qui vibre à son approche. 
J’appelle féminin le pardon des offenses, le geste de rengainer l’épée lorsque l’adversaire est au sol, l’émotion qu’il y a à s’incliner. 
J’appelle féminin l’oreille tendue vers l’au-delà des mots, l’attention qui flotte à la rencontre du sens, le palpe et l’enrobe. 
J’appelle féminin l’instinct qui au-delà des opinions et des factions flaire le rêve commun. »

Christiane Singer, « Une Passion. Entre ciel et chair », 
Espaces Libres, Albin Michel

-----------


mardi 7 mars 2017

Pensée de la semaine avec Matthieu Ricard


«The Little Deer», peinture de Frida Kahlo
Au départ, il faut être poursuivi par la peur de la naissance et de la mort comme un cerf qui s'échappe d'un piège. 
À mi-chemin, il ne faut rien avoir à regretter, même si l'on meurt à l'instant, comme le paysan qui a travaillé la terre avec soin. 
À la fin, il faut être heureux comme celui qui a terminé une immense tâche [...]. 
Ce qu'il faut surtout savoir, c'est qu'il n'y a pas de temps à perdre, comme si une flèche avait atteint un point vital de notre corps.

Gampopa, Sonam Rinchen (sgam po pa dwags po lha rje, bsod nams rin chen, 1079-1153), cité oralement par Dilgo Khyentsé Rinpotché.
GAMPOPA (1079-1153)

=========>>>


lundi 6 mars 2017

De la conduite à la présence


Revenant de Lisieux, sous la pluie, je vous partage une excellente vidéo avec Mooji :





***



dimanche 5 mars 2017

Et si on reparlait des sept péchés capitaux ? (suite)

Comment discerner ce qui relève du combat spirituel ou de la blessure psychologique ?
Le combat spirituel naît de la tentation qui est universelle. Que le Christ l'ait lui-même connue montre à quel point elle ne doit pas être identifiée au péché. On confond la sainteté avec une espèce d'absence totale d'inclination - François d'Assise et Catherine de Sienne ont par exemple connu une forte tentation sexuelle -, une espèce d'apatheia (ou absence de passions) comme disaient les stoïciens. Or, la tentation n'est qu'une incitation au péché, non une obligation. Le péché commence lorsque je consens. Précisons que le consentement ne concerne pas seulement l'action extérieure, mais la pensée. Le Confiteor récité à la célébration eucharistique nous le rappelle d'ailleurs : « J'ai péché en pensée, en parole, par action et par omission... »
Quelle place accorder à la grâce et à l'acte de volonté pour combattre le péché ? On dit souvent qu'il faut s'accepter tel que l'on est avec ses fragilités et tout remettre en Dieu...
C'est toute la question de la conversion. Lorsque je me confesse je reçois la grâce de Dieu - sans mérite de ma part -, et je prends dans le même temps la ferme résolution de ne plus recommencer. Nous voyons donc bien que, même si la grâce de conversion est première, elle engage toujours la liberté. D'un côté on demande à Dieu la grâce de ne plus pécher, et de l'autre, on instaure une vie de conversion avec de petites résolutions concrètes, preuves que nous voulons recevoir cette grâce. Dans le cas par exemple de la personne alcoolique, sa conversion ne tient pas à son arrêt, du jour au lendemain, de la boisson, mais à ce qu'elle mettra en place pour éviter au maximum d'être tentée. Lorsqu'elle quittera le métro, elle pourra choisir de prendre la sortie qui la mènera à ce troquet qu'elle connaît et où elle est sûre de chuter, ou bien elle pourra décider de sortir par une autre issue pour ne pas être tentée. Elle peut donc trouver un acte de liberté proportionné à ce qu'elle peut faire, et emprunter ainsi un véritable chemin de libération de l'alcoolisme.
La volonté seule ne suffit donc pas ?
Tout dépend du péché. L'homme est cependant doté d'une vertu naturelle, et notre liberté est plus grande que nous ne le croyons. Des Anciens comme Platon ou Socrate insistaient beaucoup sur la valeur de cette dernière. Au sujet de la gourmandise par exemple, Aristote promouvait la sobriété. Ainsi, la nature humaine, même blessée, peut se redresser et quitter une vie désordonnée en musclant sa volonté par de petits actes vertueux. Aujourd'hui, on incite ceux qui veulent faire un régime à continuer de manger ce qu'ils aiment, tout en privilégiant tel type d'aliment. Mais, à aucun moment, la sobriété n'est conseillée...
Quelle est la différence entre la passion et le péché ?
Pour saint Thomas d'Aquin, la passion est une émotion. Elle ne devient un péché que si elle est démesurée. Prenons l'exemple de la colère. C'est une réaction émotionnelle souvent causée par une injustice. Face à un préjudice, il serait anormal que je ne la ressente pas. Ce n'est ainsi pas un péché. Voire, moralement neutre, elle est psychologiquement bonne : elle donne à l'avocat l'énergie pour défendre son client. Mais la colère devient pécheresse lorsqu'elle manque l'un des trois critères suivants : un objet juste, une intention droite, une réaction proportionnée.
Chaque personne est-elle concernée par un péché capital précis ?
Nous sommes tous tentés, un moment ou l'autre, par les péchés capitaux. Mais je pense que chacun de nous a une tentation spécifique, une ligne de fracture, d'où l'importance du discernement. En cela, l'ennéagramme, qui est une méthode de développement personnel, est intéressant puisqu'il nous éclaire sur les corrélations entre nos blessures, nos vices (qui sont des dispositions, des penchants mauvais) et nos vertus. Le lieu où nous sommes le plus tentés, donc le plus pécheurs, est celui où souvent nous sommes le plus blessés, mais aussi celui où nous sommes le plus bénis. Il recèle en effet un véritable talent : si je suis un homme politique ayant une grande capacité de gouvernement, je peux soit le tourner vers ma propre gloire - j'aurai alors succombé à la tentation de l'orgueil -, soit le mettre au service des autres.
***
À l'origine du mal 

Évagre le Pontique, moine grec du IVe siècle, établit pour la première fois une liste de huit passions néfastes : gourmandise, impureté, avarice, mélancolie, colère, paresse, vaine gloire et orgueil. Un siècle plus tard, l'ermite Jean Cassien, réduisit ce nombre à sept : paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère et envie. À la fin du VIe siècle, le pape Grégoire Ier le Grand fixa cette liste. Au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin, qui préférait parler de « vices » précisa la définition de chacun de ces vices, distinguant les péchés poursuivant un bien désordonné, et ceux fuyant un vrai bien, mais considéré comme un mal. Les premiers renvoient aux trois « convoitises » (1 Jn, 2-16) : l'amour démesuré des richesses (l'avarice), l'amour démesuré des plaisirs - ceux du lit (la luxure) et ceux de la table (la gourmandise) -, l'amour démesuré de sa propre excellence (l'orgueil). Les seconds fuient le bien considéré comme un mal. Or, double est ce bien : l'autre et le Tout Autre (Dieu). Je peux m'attrister du bonheur d'autrui (jalousie) et même vouloir sa destruction (colère). Je peux m'attrister du bien spirituel qu'est Dieu (acédie que l'on a faussement traduit plus tard par « paresse »).

***


samedi 4 mars 2017

Et si on reparlait des sept péchés capitaux ?

À l'approche du carême, Pascal Ide, prêtre du diocèse de Paris, membre de la communauté de l'Emmanuel, médecin et docteur en philosophie et théologie, nous éclaire sur ces péchés dont découlent tous les autres. À la racine de nos maux, ils nous font miroiter un bienfait illusoire pour, au final, nous détourner de Dieu. Interview.

Le péché serait-il tabou ? Ou ne serait-il qu'un terme obsolète, juste bon à nous culpabiliser de façon mortifère ? Si l'on se réfère à sa racine hébraïque, le mot « péché » signifie manquer son but, se tromper de cible. La cible ? Notre bonheur, lequel ne peut être atteint qu'en Dieu. Pécher équivaut donc à se tromper de bonheur. Le péché affecte notre relation à Dieu, à l'autre, à nous-même. Parfois lié à nos blessures psychologiques, le péché n'en demeure pas moins un acte libre. Rencontre avec Pascal Ide, auteur du livre les Sept Péchés capitaux ou ce mal qui nous tient tête (Mame).

Revenons sur la définition du péché capital...
Souvent, nous confondons péché capital et péché grave ou mortel (qui prive l'âme de la vie divine). Ainsi, la gourmandise est rarement un péché grave. Pourtant, on la compte parmi les péchés capitaux. Revenons à l'étymologie. Capital vient du latin caput « la tête ». Ainsi, le péché capital est un péché qui est à la tête d'autres péchés. C'est-à-dire qu'il en engendre beaucoup d'autres. Nous ne commettons pas spontanément un meurtre. Mais celui-ci vient d'un péché plus originaire, comme la colère ou la jalousie. Pour reprendre l'exemple de la gourmandise : celui qui n'est pas tempérant dans la nourriture, manque souvent de sobriété dans d'autres domaines, la parole, etc. On comprend donc que lutter contre un péché capital, c'est aller à la source, c'est couper les racines de nos péchés.
Vous expliquez dans votre livre que pécher revient à se tromper de bonheur...
C'est vrai du péché capital, mais c'est aussi vrai du péché en général. Derrière chaque péché, se cache une idole nous faisant croire à un vrai bonheur. Or, seul Dieu peut répondre à notre soif d'infini et nous combler. Pécher, c'est idolâtrer une créature, au lieu du Créateur. Il y a en effet une façon d'aimer son travail, son conjoint, son sport, son enfant, qui le place au-dessus de tout. Dès lors, le centre de nos vies n'est plus Dieu, mais ce à quoi nous sacrifions tout. Au fond, saint Augustin l'avait bien vu, le choix ultime se joue entre Dieu et nous : le péché est toujours une préférence de soi.
Le péché est-il un acte libre ?
Il l'est par définition. Sinon, nous n'avons pas affaire à un péché mais à une erreur, ou à une blessure.
Est-on véritablement libre lorsque notre acte ou pensée mauvais a été provoquée par une blessure intérieure ?
Tout conditionnement, comme une blessure ou un trait d'éducation, amoindrit la liberté et donc excuse l'acte pécheur. Pour autant, il ne l'annule pas. Mille conditionnements ne font pas un déterminisme. Si, dans ma famille on mentait ou médisait, j'aurais tendance à minimiser ces péchés. Mais, d'abord, je peux constater que lorsqu'on ment sur moi ou qu'on détruit ma réputation, je me sens blessé. Cela me permet de comprendre que lorsque je fais la même chose à l'autre, je détruis la relation de confiance. Ensuite, j'ai à former ma conscience morale, par exemple, en lisant la troisième partie du Catéchisme de l'Église catholique. Prenons un autre exemple. Quelqu'un dont l'éducation délétère aurait été telle qu'on l'aurait toujours comparé à autrui : « Regarde ton petit frère, il est plus gentil que toi », « Regarde ton voisin, lui au moins réussit bien dans ses études », etc. Comment cette personne ne serait-elle pas soumise à la tentation de la jalousie ? Mais, même si je suis tenté, une liberté en moi restera préservée. Non pas celle de ne pas ressentir cette tristesse qu'est la jalousie, mais celle de l'entretenir, ou non, en pensée, de l'actualiser par des critiques, et a fortiori par le rejet de l'autre.
Garde-t-on cette part de liberté en cas d'addiction ?
L'addiction se définit par cette perte du contrôle de la liberté : la personne alcoolique ne peut pas ne pas ressentir son besoin de boire, et, si elle est en présence d'alcool, ne pas succomber. Mais il faut ajouter que la liberté n'est pas annulée. Pour refuser la tentation victimaire, il s'agit de considérer les domaines où la liberté peut s'exercer. Ici, sur trois points. Il s'agira d'abord de reconnaître que je suis dépendant, et donc de cesser de me tromper moi-même parce que j'ai des périodes de sobriété. Puis, d'aller faire un bilan pour connaître les conséquences de cet alcoolisme sur ma santé, mon entourage. Enfin, de prendre les moyens pour me traiter.
Les péchés capitaux se situeraient donc à la frontière entre le psychologique et le spirituel ?
Tout à fait, et c'est ce qui fait leur spécificité. Si je suis blessé dans mon estime de moi, je vais davantage mettre en avant mon ego, et je serai par conséquent particulièrement tenté par l'orgueil. Il y a en chacun de nous des racines de péchés capitaux. Nous sommes tous un jour jaloux, gourmands, colériques. Mais nous sommes loin de commettre tous des meurtres ou des adultères. Autrement dit, les péchés capitaux correspondent aux grandes inclinations de l'âme qui, lorsqu'elles sont démesurées, deviennent pécheresses.
En quoi celui qu'on appelle le « démon » peut-il interférer ?
Le démon est le prince du déséquilibre. Il utilise nos failles. C'est une des raisons d'ailleurs pour laquelle il est important de guérir le plus possible d'un point de vue psychologique : guérir lui donne moins de prises sur nous.
............