dimanche 12 mars 2023

« La dépression, un appel au secours de l’âme qui n’en peut plus »

 Selon le Dr Louis Masquin, neuropsychiatre et ancien chef de clinique à la faculté de Marseille, la dépression est comme une expérience de mort à soi-même pour renaître autrement. Une croix qui ouvre sur l’espérance de Pâques.

Comment comprenez-vous l’augmentation des cas de dépression ?


En France, on estime que près d’une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie. Il s’agit bien d’un phénomène de société, que le Covid a en quelque sorte exacerbé. J’insiste toujours sur la complexité de cette maladie dont l’origine est multifactorielle. Le premier facteur de vulnérabilité à la dépression est sans doute la fragilité psychologique actuelle. Je note par exemple chez nombre de jeunes une absence de point d’ancrage. Ensuite, notre monde est difficile, marqué par un bouleversement radical des repères familiaux et sociaux ainsi que des valeurs.

L’homme étant fait pour être en communion avec d’autres, il peut être écrasé par l’impératif contemporain d’affirmation individuelle et d’autonomie absolue. Et puis, dans une société qui s’accélère à un rythme effréné, l’individu passe d’une chose à l’autre sans prendre le temps de s’arrêter. Il vit à la surface de lui-même, laissant de côté le besoin d’intériorité.

Le vide spirituel serait-il à prendre en compte ?

Je pense en effet que l’augmentation de fréquence de la dépression vient, tout au moins en partie, de la crise spirituelle que traversent nos sociétés modernes, de la perte des idéaux noyés dans le matérialisme et le consumérisme. Les avoirs, les pouvoirs et les jouissances ne nourrissent pas un homme, si j’ose dire ! Sa soif et sa faim vont bien au-delà car les aspirations spirituelles, qu’on le veuille ou non, sont le propre de l’humain. Pour preuve, l’émergence des nouvelles religiosités et spiritualités.

Le psychiatre viennois Hans Lenz décrivait la dépression comme « la maladie des manques » : manque d’intérêt, de plaisir, d’énergie vitale, de sommeil… Et nous pourrions ajouter : manque de Dieu, ou, plus largement, de vie spirituelle. Je me pose donc la question : la dépression ne serait-elle pas un appel au secours de l’âme qui n’en peut plus ?


D’où votre insistance à ne pas la réduire à la seule dimension de la maladie ?

Certains psychiatres ont une vision très biologique des problèmes de la vie psychique. Ils les abordent comme s’ils étaient déconnectés de la vie spirituelle. Ils rêvent d’un médicament miracle qui sortirait la personne du tunnel de la dépression. Mais c’est oublier que l’homme est indissociablement corps, âme et esprit.

Comme l’écrivent le Dr Yves Prigent et le père Stan Rougier, dans la  Dépression, une traversée spirituelle (DDB) : cette maladie « se trouve au carrefour du social, du psychologique, du biologique, du culturel et du spirituel, elle est comme le révélateur d’une identité globale de l’homme ». C’est cette vision-là qu’il faut envisager.

N’y a-t-il pas là un risque de confusion entre le psychologique et le spirituel ?

Il est nécessaire de ne pas psychologiser le spirituel ni de spiritualiser le psychologique, c’est indéniable. La dépression est une maladie, qu’il faut traiter en tant que telle, et traiter correctement – le risque de suicide est réel. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un travail psychologique, d’une psychothérapie ni du recours aux antidépresseurs lorsqu’ils sont nécessaires.

Cela étant dit, il ne faut pas s’arrêter à la dimension médicale, mais aller plus loin, et ce, au rythme du patient. À lui de se mettre à l’écoute de ce que cette épreuve vient lui dire. Oui, la souffrance dépressive est terrible, torturante, mais elle n’est pas exclusivement négative. Quelque chose de positif peut en sortir. Ce blocage peut être une réaction de sauvegarde, et l’effondrement dépressif pourrait se comparer au compteur qui disjoncte pour sauver le circuit électrique.

« Il y a un message dans la dépression », écrivez-vous. Quel est-il ?

Ces questions essentielles de l’existence que la personne avait refoulées, mises de côté ou qu’elle n’avait pas voulu affronter, voilà qu’elles surgissent très directement et radicalement à l’occasion d’une dépression : quel est le sens de ma vie (direction et signification) ? Quelle est la hiérarchie de mes valeurs et de mes finalités (solidarité, générosité, justice, vérité) ? Comment suis-je présent au monde et aux autres ? Quid de mon ouverture à un Au-delà de moi, au Tout Autre, à la transcendance, de ma relation avec le divin ? Et Dieu dans tout ça ?

J’ai accompagné plusieurs trentenaires qui ont changé d’orientation professionnelle. Leur dépression leur avait fait prendre conscience d’un manque de cohérence entre leur métier et leurs valeurs. « Je ne peux pas continuer ainsi », disaient-ils.

La dépression est donc une invitation au changement ?

Oui, et nous avons souvent bien du mal à l’accueillir ! La première étape est d’accepter la maladie, le diagnostic et le traitement, et ce n’est pas le plus facile. D’une certaine façon, la dépression est une expérience de mort à soi-même pour renaître autrement. Elle est une croix, qui peut être lourde à porter, mais qui ouvre sur l’espérance de Pâques. Encore faut-il entendre cet appel au changement et y consentir, s’y engager.

Il n’y a pas de guérison magique ou passive. Le Christ nous pose la question, comme à l’asthénique de la piscine de Bethesda : « Veux-tu être guéri ? » (Jean 5, 6), et aussitôt il lui adresse un triple impératif : « Lève-toi, prends ton brancard et marche » (5, 8). Il ne dit pas : « Ne bouge pas, je vais te guérir. »

Dans cet Évangile, Jésus ne va-t-il pas encore plus loin ?

Être en bonne santé physique et psychologique n’est pas suffisant. Pour les croyants, la guérison (c’est-à-dire la santé, en latin salus, c’est-à-dire le salut) est aussi spirituelle. Jésus invite ainsi l’asthénique à s’engager à se convertir : « Te voilà guéri : ne pèche plus de peur qu’il ne t’arrive pire encore » (Jean 5, 14). La guérison n’est pas un état, mais bien un chemin, un chemin de conversion. Guérir, c’est se mettre en route et avancer dans la vie sous le regard de Dieu et dans sa main.

Source : La Vie (Par Alexia Vidot)

À savoir. La Dépression. Vers une nouvelle aurore ?, de Dr Louis Masquin, Éditions des Béatitudes,

------------------

samedi 11 mars 2023

Esprit de méditation


 "Puisque l’esprit est intrinsèquement vide par nature, rappelez-vous qu’il ne peut pas être divisé. Il s’avère donc stérile de s’attacher à certaines expériences méditatives comme étant désirables et d’en rejeter d’autres. Il n’existe pas d’états méditatifs bons, mauvais ou indifférents. Lorsque vous méditez, laissez toutes les expériences s’élever spontanément, sans obstruction. Ces expériences spontanées sont, de toute façon, de simples manifestations fugaces de l’esprit et ne doivent pas être confondues avec l’esprit en tant que tel. En bref, méditer sur la véritable nature de l’esprit ne s’effectue pas en conceptualisant une expérience sur la base de préjugés positifs ou négatifs à propos de certains états méditatifs. La véritable nature de l’esprit est dénuée d’identité et au-delà de toute élaboration conceptuelle. N’imaginez pas la réaliser en ressentant quelque chose d’agréable et ne pensez pas qu’elle vous échappe quand la sensation désagréable. La nature de l’esprit est au-delà du mode de pensée duel. Vous ne pouvez pas affirmer qu’elle est quelque chose ou rien, qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas, qu’elle est ici ou ailleurs. Vous ne pouvez ni identifier ni localiser la véritable nature de l’esprit. Elle demeure inaltérée par les émotions passagères. Elle n’est ni existante ni inexistante, ni présente ni absente, ni ceci ni cela. Elle est au-delà de tout extrême. Vous ne pouvez pas dire : « Ceci est la nature de l’esprit. » Comme l’esprit est immuable, il est futile de méditer avec espoir et crainte. N’envisagez pas la méditation comme un trophée à acquérir et à préserver."

Shamar Rinpoché - Extrait de "Au coeur de la sagesse, manuel de la pratique du Mahamudra".

---------------------------------

vendredi 10 mars 2023

Réveil infini

 Vous ne supportez plus de faire les 3 huits...

Je vous écoute, je suis tout huit.


-----------

-----------




jeudi 9 mars 2023

Se dé-figer

 


Une vue intéressante peut être de se considérer (et de considérer les autres) comme un être en devenir. Ce que nous sommes est en constante mutation, en constante métamorphose vers ce que nous ne sommes pas encore et que nous allons devenir, sans aucune idée de ce que cela pourrait bien être.

Cela nous demande d'abandonner une idée toute faite de ce que nous sommes et d'oser (avons-nous un autre choix ?) laisser venir le devenir.

Cela peut être une source d'angoisse car c'est un inconnu, mais c'est aussi une source de libération car c'est réaliser toute l'illusion du contrôle qui est bien fatigant, totalement épuisant.

Nous voulons toujours défendre un moi que nous avons figé par la pensée, nous voulons défendre sa zone de sécurité, et c'est tout à fait normal, cela fait partie du fonctionnement humain.

Mais nous pouvons avoir l'idée libératrice de dé-figer l'idée que nous avons de nous, d'accepter d'être ce flux permanent, de nous laisser traverser par la vie et de laisser venir ce devenir, sans nous y accrocher, en gardant en tête un sacré mantra : "ça va passer".

Philippe Fabri

----------------

Salvado Dalì "Galatea delle Sfere". 1952

----------------

mercredi 8 mars 2023

Les femmes en spiritualités

 

Maitres spirituels ou disciples magnifiques: le spirituel s'incarne puissamment aussi au féminin.

Simone Weil - Denise Desjardins - Pema Chödrön - Colette Roumanoff - Thérèse de Lisieux - Véronique Desjardins - Nur Artiran - Ma Anandamayi - Mata Amritanandamayi -Madeleine Delbrël - Bernadette Soubirous -Sœur Emmanuelle - Etty Hillesum - Christiane Singer -Tara Brach


--------------------



L'arme de "soi"

 L'ARME DE "SOI"

Je vous disais dans ma vidéo (voir ci-dessous) l'importance de marquer la différence entre soi et l'environnement, notamment grâce à l'Empereur, chef des armées.

Le Cœur est également le siège du 神 shén : l'esprit/âme/conscience. Le 神 shén nous permet de dire "moi".

-


Et ce mot, "moi" / "je", voici son caractère chinois :

我 - wŏ

En l'observant on constate qu'il est subtilement symétrique.

J'ai bien dit subtilement ! 😉

La partie de droite est une variante un peu mouvante et destructurée de la partie gauche.

-

Et savez-vous ce que 我 wŏ représente ?

Deux hallebardes s'entrechoquant.

Une fois qu'on le sait, ça saute aux yeux !

Qu'est-ce que ça nous raconte ?

Tout simplement qu'il n'y a de "moi" que par rapport à l'extérieur : par rapport à un autre "moi" qui n'est pas moi 😁

Et ce n'est que dans la confrontation avec cet autre "moi" que j'apprend à connaître mon propre "moi".

-

Confrontation ne veut pas nécessairement dire combat féroce ! C'est aussi l'entraînement. Et dans le fond, toute rencontre, toute interaction entre deux êtres n'est rien d'autre qu'un entraînement l'un avec l'autre, possiblement l'un contre l'autre, et malheureusement parfois l'un au détriment de l'autre...

D'où l'intérêt d'être "armé". Comprenez ce terme dans le sens figuré !! Armez-vous d'intelligence, de culture, d'humour, d'érudition, de bienveillance et d'amour avant tout !

-

C'est souvent notre bonne nature qui "désarme" le partenaire en face et rend l'interaction plaisante et enrichissante pour les deux 😊

Alice Korovitch

-----------------


*************


lundi 6 mars 2023

Poésie piétinée...


Engagement de transformation

 

Nathalie Harar : Quelle est la plus intéressante découverte que vous ayez faite sur vous-même ?

Arnaud Desjardins : Il y en a eu plusieurs et à des époques différentes. En tout cas, au départ, c’est en découvrant l’idée que l’homme fonctionnait comme une machine et qu’il pouvait y introduire plus de conscience, s’engager dans une démarche concrète de transformation, bien au-delà de seulement croire ou de ne pas croire.

N.H. : Vers quoi faut-il tendre dans la vie ?

A.D. : Quelques points sont capitaux et je ne les ai d’ailleurs pas inventés. Avoir une connaissance de soi fine. Devenir de plus en plus libre intérieurement. Révéler en nous une profondeur d’être et de conscience qui ne soit pas impliquée dans le vieillissement, la naissance et la mort. En fait, ces idées se retrouvent dans toutes les traditions spirituelles. Ce sont plutôt les méthodes pour y parvenir qui sont variables. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des maîtres spirituels soufis, indiens, tibétains… Même avec des chemins et des techniques différentes, le résultat final était là :  de ces sages émanaient une même liberté, de la compassion, de l’amour, de la sagesse, et une capacité certaine à être au-delà des formes.

Source : Samsara magazine 2003

----------------------


dimanche 5 mars 2023

Se laisser malaxer le cœur


La plupart d’entre nous évoluons dans un contexte généralisé de maltraitance du ressenti. Nos parents, notre éducation, la société, tout nous pousse à la répression. Cela va des injonctions les plus grossières (« Un homme, ça ne pleure pas ! ») jusqu’aux plus subtiles (« Après des années de thérapies et de pratique, je ne devrais pas être si fragile ! »). Alors, il ne faut pas ressentir, ou le moins longtemps possible, et surtout que cela ne se voie pas. Qui plus est, l’enfance nous a confrontés à des situations si douloureuses que nous n’avons pas pu les ressentir complètement, nous avons donc dû nous fermer, nous « blinder » pour survivre. 

La capacité de se laisser malaxer le cœur par la succession des épreuves et des succès, des joies et des peines, est une des clés de la progression spirituelle. La sensibilité, c’est le contraire de l’anesthésie, de l’endurcissement, de la rationalisation et du déni. Se laisser briser le cœur va mettre à bas tout notre monde artificiel et pathétique fait d’espoirs et de craintes, d’illusions, d’orgueil, de prétentions, de faux-semblants, d’opinions ; c’est ce qui va arracher tous nos masques et mettre à néant nos stratégies illusoires pour éviter la confrontation directe et vivifiante à la réalité. 

Emmanuel Desjardins 

Vivre – La guérison spirituelle selon Swami Prajnanpad. Le Relié

---------------------

samedi 4 mars 2023

La fierté de l'instant

 Quand votre lion n'est pas loin, l'envie d'être en vie est proche.



La perfection ce n'est pas de faire quelque chose de grand et beau, mais de faire ce que vous êtes en train de faire avec grandeur et beauté.

Swami Prajnanpad

-------------------

vendredi 3 mars 2023

Y a-t-il encore de la place, dans le monde tel qu'il est ...

... pour le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d'être ?

Comme une pluie fine interminable qui nous pénètre jusqu'aux os, les médias imprègnent quotidiennement notre vie intérieure d'une inquiétude latente qui insidieusement peut laisser place à l'angoisse ou à la dépression.

Il est indéniable que nous traversons une époque au cours de laquelle les détresses s'accumulent.

Mais en a-t-il été autrement dans le passé ?

Épidémies, tremblements de terre, inondations, famines, éruptions volcaniques et autres désastres naturels jalonnent les siècles, les millénaires. Il est avéré que depuis que l'homme occupe la Terre il a adjoint aux catastrophes naturelles ses propres créations meurtrières. La plus ancienne est sans doute le conflit guerrier. La guerre ! « Un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » écrivait Paul Valery.

Il faut aujourd'hui ajouter les produits de ce qui fait la différence, paraît-il, entre l'animal -être de nature- et l'homme -être de raison-. Il est insensé de projeter sur la Nature les problèmes écologiques qui ont pour cause l'idée prétentieuse que nous vivons - DANS-la Nature ; ce qui rend la Nature étrangère à nous-même.

Quand allons-nous reconnaître que, comme les animaux, nous vivons - DE - la Nature ? Et qu'il serait bien que ce que j'appelle MOI se mette au service de ses lois. Lorsque je vivais en Haute-Savoie, ayant quitté la Forêt Noire pour ouvrir un premier Centre de Méditation, le paysan qui récoltait le blé qu'il avait semé autour du centre le fauchait à la faux !


J'étais fasciné par l'élégance de ses gestes. Maître de son outil, il le soumettait à un rythme aussi naturel que celui des battements du cœur. J'aimais échanger quelques mots avec cet homme paisible qui prenait toujours le temps de s'arrêter un moment pour papoter.

Quel contraste avec l'agriculteur qui aujourd'hui, autour de notre maison, dans la Drôme, conduit une machine agricole plus volumineuse qu'un camion trois tonnes. Il me donne l'impression d'être l'esclave de sa machine. Lui faisant un signe de la main pour le saluer, j'ai parfois l'impression que je le dérange, tant il semble soumis au rendement. J'ai souvenir d'avoir vu notre paysan savoyard prendre le temps d'interrompre son action pour entendre un oiseau qui chantait. L'agriculteur, pour se mettre à l'abri du vacarme de sa machine, a un casque sur les oreilles.

Heureux celui, celle, dont le métier est le "fait main". Le produit fait main transforme la personne qui le fait !

Il serait inepte et sot de penser pouvoir faire marche arrière afin de revenir aux manières d'être et de vivre d'antan. Peut-être sommes-nous définitivement passés de la faux à la moissonneuse-batteuse, de l'humus aux engrais chimiques. Comme nous sommes passés de l'épée à la mitraillette et de l'arc aux fusées intercontinentales.

MAIS QU'EN EST-IL DE L'ÊTRE HUMAIN QUE NOUS SOMMES ?

Être c'est devenir ; devenir c'est être. L'être humain depuis des millénaires, entame le chemin qu'est son devenir au cours d'une gestation d'une durée de neuf mois. Quels que soient la couleur de sa peau, le milieu familial, les options philosophiques, religieuses, spirituelles des adultes qui l'entourent, chaque nouveau-né prend le temps d'attendre que la vie qui le fait vivre l'invite à s'asseoir … quelques mois plus tard à se mettre debout … et plus d'un an après la naissance physiologique …à marcher.

« Rien ne presse ! » me disait Graf Dürckheim lors de mon premier séjour à Rütte. « Désormais faites tout ce que vous faites un petit peu plus lentement ! »

Une des grandes vertus des bébés, écrit Christian Bobin (1) est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent le monde sans morale, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution.

Michiko Nojiri San, maître dans l'art traditionnel qu'est la cérémonie du thé (ChaDo) pratiquait et enseignait l'exercice appelé zazen. Régulièrement son introduction était limitée à cette indication : « Zazen ? C'est être assis (ZA) comme un bébé est allongé dans son berceau. »

Zazen est décrit, par les personnes qui pratiquent cet exercice, comme étant la culture du silence, la culture du calme, la culture de la paix intérieure.

Par les personnes qui pratiquent ! Non pas par les personnes qui pensent, qui cherchent à comprendre pour quels bénéfices il serait bien de se mettre à pratiquer ce curieux exercice, exercice consistant principalement à ne rien faire. « Ne rien faire, mais à fond », me disait André Comte Sponville après quelques heures d'exercice. Dans son dictionnaire philosophique (éd. PUF), il ajoute : « Zazen c’est jouer le “corps” contre l’égo, la “respiration” contre le mental, “l’immobilité” contre l’agitation, “l’attention” contre l’emportement ».

ZAZEN ? Passage de la vérité conceptuelle à la vérité vraie !

Je suis, donc je respire ! Je respire, donc je suis ! Lapalissade ? Non ! C'est une vérité dans le concept. Mais l'acte de respirer n'est pas dû au fait qu'il peut être pensé, conceptualisé. La vérité vraie est que en ce moment JeInspire (je n'expire pas) et que la pensée n'y est pour rien ! La vérité vraie est que en ce moment JeExpire (je n'inspire pas) et que la pensée n'y est pour rien !

Et curieusement, lorsque j'arrive à sentir que je laisse le souffle vital aller et venir, sans l'entraver, tout en moi se calme.

Oui, dans notre monde tel qu'il est, nous avons encore droit à nous sentir portés par ces valeurs essentielles que sont le calme intérieur, la paix intérieure, la simple joie d'être. Mais pour cela, et je reviens à ce qu'écrit Christian Bobin « Il y a un moment où chacun est obligé de comprendre d'une autre manière que la compréhension analytique. Il faut peut-être comprendre par l'arrière de la tête, ou par ses yeux, ou par l'enfant qu'on était. Mais surtout ne pas comprendre par l'adulte qu'on se croit tenu d'être. » 1

 Koan ! Mentalement, par l'usage de la pensée, répétez : l'être ... l'être ... l'être ... !

Pour ensuite prendre le temps de dire : être ... être ... être ... !

Au plaisir de vous rencontrer ou de vous revoir au Centre.

Jacques Castermane

                                                                                                                                                                                     

1 Christian Bobin — Le plâtrier siffleur— POESIS (Habiter poétiquement le monde).

----------------

jeudi 2 mars 2023

Main divine

 J’utilise un terme particulier depuis quelques années : le pétrissage. Je veux dire que l’on est plus souvent pétri par la vie que caressé par elle. J’ai commencé à l’utiliser spontanément de plus en plus lorsque j’ai finalement quitté la niche oratoire de « l’éveil » où tout est désigné comme illusoire et où l’on finit par feindre d’être au-dessus de la condition humaine. 

Une première façon d’aborder plus sainement et gentiment le pétrissage est sans doute d’en accepter la réalité sans se sentir « moins évolué » que d’autres, apparemment plus gâtés par la vie (qu’en sait-on, d’ailleurs ? c’est aussi un sujet à part entière). 

Cela signifie : Je suis pétri par la vie, dans mon corps, par mes émotions et au cœur de mes crises spirituelles. Et cela peut même se produire tous les jours. Ce n’est pas le signe d’une rechute de mon sommet spirituel fantasmé, c’est le processus vivant et non linéaire dans lequel je me trouve, à un moment donné. Mon corps est un laboratoire où des mutations parfois intenses sont à l’œuvre. Et je ne parle pas d’une indigestion qui gâche un peu quelques heures de ma journée, mais par exemple de brassages psychiques qui peuvent sembler interminables. 


Et quel baume alors que d’accompagner du mieux possible ce pétrissage en essayant d’honorer son intelligence propre, quelque chose comme la reconnaissance d’un ouvrage déterminé qui, assez souvent, ne prend pas en compte mon besoin de confort. Question de priorité naturelle. A quoi nous sommes-nous ajustés pour ne plus comprendre cela ? 

Dans un monde social qui valorise la performance et le bonheur absolu, générant ainsi le désespoir du plus grand nombre, retrouver la noblesse du pétrissage nous replacerait dans une perspective plus réaliste de nos chemins de vie. 

Mais cela va demander un effort collectif, parce que nous nous sentons obligés aujourd’hui de masquer nos détresses comme des phénomènes honteux alors qu’elles sont peut-être le symptôme d’un précieux moment de transformation, même s’il ne colle pas à nos idéaux conditionnés. Essayons : « Je ne suis inférieur à rien ni à personne dans cet instant, juste pétri par une main divine ».

Thierry Vissac

---------------


mercredi 1 mars 2023

Aveuglement


" Cette civilisation moderne a conduit l'humanité à deux guerres mondiales, mais la leçon n'a servi à aucun politicien. La politique ne se préoccupe que des apparences et ne tient aucun compte des réalités profondes. Seule la conscience de leur nature spirituelle commune peut unir les hommes. Le sens de leur individualisme les condamne à l'égoïsme et aux conflits. C'est dans la vision même de l'homme et du sens de sa vie que se trouve la racine de tous les « problèmes ». Tant que l'aveuglement et l'ignorance prévaudront, tout problème résolu fera immédiatement place à un autre, dans un déséquilibre permanent. L'intérêt pour la politique tient aujourd'hui la place que tenait autrefois l'intérêt pour la religion. Moins les gens ont l' intention de se diriger et de se réformer eux-mêmes, plus ils se préoccupent de la façon dont il faudrait diriger ou réformer la société. En fait, les « problèmes » politiques, économiques et sociaux ne sont qu'une façade qui masque le véritable problème, lequel est spirituel et psychologique. Aucune mesure ne sauvera la situation, qui ne tiendra pas compte de la réalité spirituelle, de la vraie nature de l'Homme. Pour le moment, l'humanité tourne le dos à cette vérité fondamentale. L'existence devient sans cesse plus complexe à tous égards et interdit de plus en plus aux hommes et aux femmes toute velléité de vie intérieure. Le véritable bonheur ne peut se trouver que dans la « réalisation » ou la prise de conscience de la Nature profonde, du Soi, mais jeunes et vieux cherchent désespérément des plaisirs et des satisfactions qui ne peuvent pas durer. C'est, par excellence, le fruit de ce que tous les enseignements initiatiques ont appelé l'aveuglement et l' ignorance.

Arnaud Desjardins , Monde moderne et Sagesse ancienne ( 1973 )

--------------------------------