mardi 9 septembre 2025

Une conscience insaisissable par la pensée

 

« Le zen nous apprend ceci : lorsque l’homme lâche le moi ordinaire – et il le peut – ce qui reste n’est pas rien. Au contraire, toute la vie devient présente d’une autre manière. L’homme n’est plus un sujet percevant la vie comme une multiplicité d’objets délimités, mais un sujet dans lequel la vie est intimement présente au-delà de l’objectivité et des contraires. Cette nouvelle vision exige un élargissement de la conscience. »

Immanquablement, lorsque l’on parle dans un enseignement spirituel de changement de niveau de conscience, restant identifiés à notre conscience ordinaire, nous ne raisonnons qu’en termes d’acquisitions de performances supérieures gratifiantes pour MOI : « Enfin je vais élargir mes savoirs et mes pouvoirs ! ». Or, d’une part, cette autre conscience n’est accessible que si le moi relâche son emprise, et, d’autre part, cet élargissement de conscience est beaucoup plus simple et naturel que ce que le mental peut en penser et imaginer. Il n’est pas question d’augmenter ou de gagner quoi que ce soit, mais de retourner à la source de la conscience première, une et inclusive, noyau essentiel que nous sommes en vérité et que nous connaissons, car nous l’avons déjà connu et goûté.

D.T. Suzuki parle du satori, expérience fugace et momentanée de notre vraie nature, comme « d’une expérience à la fois nouvelle et ancienne ». Nouvelle, car l’expérience d’être est sans arrêt renouvelée et renouvelable. Dans un même temps, ce goût du vrai soi-même nous ramène à la conscience océanique dans laquelle nous avons commencé notre existence, baignant dans une inconscience vitale soumise aux seules lois du vivant. Ce sentiment océanique d’unité et d’appartenance à plus grand, nous pouvons, « consciemment cette fois », insiste Durckheim, le retrouver étant adultes : c’est le sens de la pratique et de l’engagement sur la Voie.

Cette possibilité, qui fait la grandeur et la richesse de « la précieuse vie humaine » (expression chère aux bouddhistes), nous ouvre « à la grande vie » et dépasse notre conscience ordinaire rationnelle avec laquelle nous abordons le monde habituellement. C’est pourquoi Durckheim l’appelle conscience sensitive supérieure ou conscience surnaturelle.

Ce retour à la conscience sensitive, « insaisissable par la pensée mais pas inconnaissable », est souvent vécu comme une régression pour la conscience rationnelle propre à l’être humain adulte ; conscience qui sait tout, peut tout, contrôle tout, et, de son point de vue, aura, saura, pourra encore et toujours plus.

Tout miser sur une compréhension intellectuelle est une impasse sur la Voie du zen.

Nous ne cherchons pas avec la tête une réponse à la question - qui suis-je ? -, nous nous efforçons de sentir, de vivre corporellement la réponse à la question - que suis-je ?

« La volonté de conservation du moi est une preuve du manque de transparence de l’homme à sa nature essentielle ; c’est un refus de s’abandonner aux forces de vie, au cycle de transformation qu’est la Vie. C’est précisément cela qui étouffe en lui la vie authentique. »

Pratiquer le zen, c’est passer de la recherche d’un idéal, fausse représentation mentale de la réalité, à une expérience corporelle concrète et vraie.

« La vérité est une qualité sensorielle indépendante de la volonté de comprendre » rappelle Jacques Castermane. Alors, plutôt que de chercher à acquérir des facultés en plus, il s’agit de se défaire de tout ce qui voile notre profondeur, afin de sentir « cette vie intimement présente » qui nous anime. Ce que nous savons, ce que nous attendons, ce que nous espérons sont des idées, des concepts, des « contenus » de notre conscience ordinaire. Nous devons laisser tomber cette habitude de saisir le monde par la pensée si nous voulons goûter l’enseignement du corps vivant, Leib : une expérience sensorielle et vivante.

On oppose constamment corps et esprit, d’autant plus si l’on se dit sur un chemin spirituel : il y a les bassesses matérielles d’un côté, peu intéressantes, et, heureusement, l’esprit spirituel pour nous tirer vers le haut.

« C’est un grand malentendu de croire que l’exercice spirituel est une concentration sur un contenu transcendant, un effort pour s’identifier à une image transcendante. Cette identification peut être un très beau moment, mais c’est une illusion totale de croire que la présence d’un contenu transcendant dans la conscience transforme l’homme. Le sens du chemin est la transformation de l’homme, pas de le remplir avec des contenus sacrés. L’exercice spirituel a pour sens de devenir un autre, et c’est en devenant un autre qu’on verra autrement et qu’on verra autre chose.»

En engageant le corps dans l’apprentissage d’une technique, d'un exercice régulier (ce que nous nommons exercice spécifique sur la Voie), ou dans une présence attentive aux activités quotidiennes les plus simples (ce que nous appelons le quotidien comme exercice), nous pourrons nous transformer. Une attention soutenue nous permet de renouer, instant après instant, avec le geste vivant qu’est être. « Faites tout peu plus lentement ! Prenez soin du Geste ! Plus de fluidité et de dignité dans le geste ! » Ces instructions maintes fois répétées dans la pratique participent à « mettre de l’être dans chaque action ».



La voie du Zen nous ramène au vécu sensoriel, à la subjectivité, au sentiment intime d’être, qui ne s’appuie pas sur des théories, des dogmes ou des idées, mais sur l’expérience corporelle immédiate du pratiquant.

La technique renouvelée maintes fois nous montre comment renouer avec notre profondeur en nous appuyant sur des forces que nous avons oubliées au profit des seules forces de l’esprit.

S’ouvrir aux « ressources du corps », c’est le sens sacré du retour au bassin, au ventre, aux pieds, dans la pratique d’un exercice, aussi simple soit-il : retrouver et libérer les forces du centre vital, Hara, qui portent et accompagnent l’homme dans son lien à la vie universelle.

Corps, « champ de sensations, champ d’actions, champ de conscience », de plus en plus libre des tensions physiques, émotionnelles, mentales, nous relie à l’intelligence vitale.

Corps nous plonge dans nos racines, par un retour à la conscience originelle, et réalise pleinement notre complétude d’être humain. Seule source de réel apaisement ?

Et si la reconnaissance et la libération du point d’appui vital, Hara, était la clé pour retrouver un esprit clair et apaisé, un cœur confiant et ouvert ?

Les réponses à ces questions ne peuvent être qu’exercées, goûtées, renouvelées.

 

Joël Paul

 Tous les textes ou expressions en italique sont de K.G Durckheim

Livres : « Le centre de l’être » - « Méditer pourquoi, comment ? »

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lundi 8 septembre 2025

L'Un personnel


 Le "complot divin" : Pour qu'une action, une parole, une pensée, une décision arrive, c'est la totalité de l'univers qui est à l'œuvre, sous un angle particulier, et c'est ça le côté unique (que l'on prend pour être "personnel").

Didier Weiss

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(merci à Yannick David pour cette citation unique)

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dimanche 7 septembre 2025

Lignes libres


 Les urbanistes de ce nouveau quartier ont pensé à tout : des immeubles bas et élégants, des arbres qui manquent tant à nos villes, des pelouses gazonnées, des bancs et des chemins pavés qui serpentent entre les édifices. Seulement voilà, les habitants de ce quartier n’empruntent pas ces chemins : en témoignent les nombreux sentiers diagonaux, tracés par les piétons sur les pelouses fraîchement semées : on les appelle des « lignes de désir ».

Tout comme les alternatives aux sentiers de grande randonnée, tracées par les marcheurs eux-mêmes, par érosion, au fil de leur piétinement. Les gardes-champêtres disent que 15 passages suffisent à faire apparaître une nouvelle piste qui attire alors d’autres promeneurs.

Ces « lignes de désir » traversent parfois des secteurs sauvages et sensibles ; elles peuvent menacer, si on n’y prend pas garde, la flore, la faune et la sécurité des lieux. Elles naissent quand les chemins officiels sont indirects, biscornus, difficiles ou même inexistants. Mais il arrive aussi qu’elles offrent des points de vue nouveaux ou des itinéraires plus attrayants que les passages officiels, sans compter le sentiment d’une certaine liberté.

Jésus, un marcheur libre

S’il n’est pas rare que les administrations cherchent à bloquer la création de ces lignes de désir en posant des clôtures, en plantant des végétaux feuillus ou en édictant par des panneaux de signalisation « Passage interdit » ou « Restez sur le chemin », il arrive qu’elles aient l’intelligence d’observer ces empreintes inattendues et d’intégrer ces marques tracées par le commun des mortels dans leur plan de mobilité officiel.

En pensant à ces « lignes de désir », à ceux qui les ouvrent comme à ceux qui les empruntent, j’ai dans le cœur l’image de Jésus qui allait et venait sur l’esplanade du Temple de Jérusalem et « allait son chemin », en marcheur libre, dans les campagnes de Galilée, au point même d’enfreindre les règles établies par les religieux de son époque en traversant la Samarie, ce qui « ne se fait pas ! »

« On vous a dit », aimait-il dire, et « Moi, je vous dis ». Sa ligne de désir était bien autre chose qu’un acte de désobéissance. Elle prenait source dans l’existant religieux de la grande tradition, mais elle incarnait une forme de réappropriation de la foi d’Israël par le croyant qu’il était. Loin d’être une infraction, elle exprimait sa fine intelligence spirituelle, son accueil de la vie des femmes et des hommes qu’il rencontrait et un « sacré » bon sens.

C’est bien parce qu’il suivait sa ligne de désir, de parabole en guérison, de table en puits, de désert en village, qu’il a rendu bien plus humains tous ceux qu’il rencontrait. Il disait du berger qu’il était qu’il venait ouvrir les portes des enclos pour que les brebis puissent « aller et venir » et trouver de la vie dans les verts pâturages.

Quand arrive la rentrée de septembre, il est bon de repérer les lignes de désir tracées par des hommes et des femmes de bonne volonté, dans notre société comme dans notre Église ; plus particulièrement par les sans-voix et les gens de peu. Elles ouvrent des voies nouvelles, souvent prometteuses. Elles nous invitent à ne jamais nous en tenir aux sentiers délimités, mais à nous autoriser du neuf, en préférant toujours la liberté aux conformismes de tout poil.

Sans nouveauté, on ne s’en sortira pas.

Septembre : il ne s’agit pas de reprendre ou de refaire.

Et tant pis pour nos plans. Et tant mieux pour la vie.

Il s’agit de commencer. 

Raphaël Buyse

(source : La Vie)

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samedi 6 septembre 2025

Porte du ciel


" Chaque geste que tu fais peut t’ouvrir ou te fermer une porte. Chaque mot que bredouille un inconnu peut être un message à toi adressé. A chaque instant, la porte peut s’ouvrir sur ton destin et, par les yeux de n’importe quel mendiant, il peut se faire que le ciel te regarde. L’instant où tu t’es détourné, lassé, aurait pu être celui de ton salut. Tu ne sais jamais. Chaque geste peut déplacer une étoile ".


Christiane Singer - Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?


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vendredi 5 septembre 2025

Vider le plein...

Chères amies, chers amis,

Et si nous faisions le vide plutôt que le plein, comme les arbres se défont de leurs feuilles à l’automne ?

Regardons en nous, autour de nous. Faisons face à l’encombrement de nos intérieurs, prenons la mesure de ce que nous accumulons et entassons.

Pouvons-nous, aujourd’hui, nous défaire d’une certitude, d’un automatisme, d’un jugement ou d’un ressentiment, en le reconnaissant pleinement, en prenant le temps de réaliser que nous n’en avons plus besoin ? S’en défaire deviendra alors un processus simple et naturel. Pouvons-nous finaliser un dossier ou une affaire qui traîne depuis trop longtemps et qui alourdit notre esprit et notre cœur ?

Attention, une tâche après l’autre, en respectant le rythme propre à chaque situation. Il ne s’agirait pas de se mettre la pression, un automatisme séculaire dont nous pourrions d’ailleurs nous alléger, au passage. Gardons l’esprit de l’exploration, sans entrer dans la modalité de l’objectif à atteindre. Au fond, il s’agit d’une pratique de bienveillance pour notre intériorité afin de retrouver un temple qui respire. Si nous entrons dans des dynamiques de réussite, nous continuons à l’encombrer par notre volontarisme et nos ambitions.

Pouvons-nous trier, clarifier ce recoin du garage, du grenier ou de ce tiroir ?

Prenons le temps de faire l’état des lieux de chaque pièce, comme si nous allions déménager dans quelques jours. Nous allons devoir trier, prendre le temps de sentir ce qui n’est plus nécessaire et que nous n’utilisons plus pour le jeter ou l’offrir. Nous sommes très forts pour accumuler, ça va très vite sans même que nous en soyons conscients. Même si nous avons la chance de vivre dans de grands espaces, pouvons-nous créer de grandes plages de vide où les objets respirent et sont mis en valeur par l’espace qui circule autour d’eux ?

 Une pratique du vide que nous pouvons installer dans nos vies, un jour par semaine ou par mois, comme un petit défi à notre besoin endémique de posséder, de nous sécuriser dans des possessions, des objets qui à la longue nous alourdissent, nous opacifient et nous encombrent.

Et si nous retrouvions un peu de simplicité et de sobriété dans nos esprits et nos placards.

- Nathalie

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jeudi 4 septembre 2025

Le roi et l'oiseau

 


Bergère : Qu’est-ce que tu veux, on ne peut pas aimer tout le monde !

Ramoneur : Surtout quand on sait pas qui c’est.

B : Et toi, qui aimes-tu ?

R : Moi, je n’aime que toi. Et toi ?

B : Moi c’est pareil, je n’aime que toi aussi. Tu es le plus gentil ramoneur que j’aie jamais connu.

R : Tu es la plus jolie bergère que j’aie jamais vu.

B : Tu en as vu beaucoup d’autres ?

R : Non. Je n’en ai même pas rêvé.

Les bébés de l'oiseau

Le monde est une merveille,
il y a le jour et la nuit
Y'a la lune et le soleil
Les étoiles et les bruits
Et des moulins à vent, il y en a aussi
Le monde est une merveille
Il y a le jour et la nuit
Y'a la mer qui est profonde
Y'a la Terre qui est toute ronde !

  • Le Roi et l'Oiseau (1980), écrit par Paul Grimault



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La vie est une cerise,

La mort est un noyau,

L'amour un cerisier.

Jacques Prévert

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mercredi 3 septembre 2025

Venez avec vos murmures...


Venez avec vos murmures,
laissez sur le seuil
ce qui ne peut s'éprendre,
venez seulement avec vos murmures,
le reste n'est que parole
donnée à ce qui mutile,
frontière hérissée de nuit,
entrez, il est encore temps
de réparer la lumière.

Jean-Christophe Ribeyre
- Poèmes de l'entre-émerveillement
- Peinture : Anne Slacik (Éditions L'Ail des ours)

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mardi 2 septembre 2025

Taoisme et astres : non pas des forces, mais des rythmes

On entend souvent dire que les astres « agissent » sur nous : qu’ils provoqueraient des marées intérieures, influenceraient directement nos comportements, nos émotions, ou même des événements comme les naissances et les accidents. 

Cette vision est très répandue, mais scientifiquement elle ne tient malheureusement pas la route: les forces physiques des planètes et des étoiles sur le corps humain sont infinitésimales, des millions de fois plus faibles que les forces biochimiques qui gouvernent nos cellules. Autrement dit, ce ne sont pas les forces brutes des astres qui nous influencent.

Alors pourquoi depuis toujours, toutes les civilisations ont-elles lié les astres à la vie et leur prêtent une influence sur celle-ci?

Parce qu’ils donnent des "rythmes".


Dans le monde vivant, la vie se règle sur les cycles astronomiques : 
Le soleil structure l’alternance jour-nuit et les saisons, organisant migrations, hibernations, floraisons. La lune cadence la reproduction des coraux, l’activité de certains poissons, et influence de façon plus subtile le sommeil et parfois les cycles menstruels humains. Les planètes suivent des trajectoires régulières, utilisées comme repères pour marquer le temps long. Le champ magnétique terrestre sert de boussole à des animaux comme les oiseaux, les abeilles ou les tortues marines.

L’influence n’est pas mécanique, mais rythmique : les astres servent de "métronomes cosmiques", des horloges fiables auxquelles la vie peut s’accorder.

C’est exactement ce que le taoïsme a compris et enseigne avec finesse. 

Contrairement à certaines traditions qui attribuent aux astres une force occulte qui « agirait » directement sur nous, le taoïsme les considère comme des "indicateurs de transformation". Ils ne sont pas des agents qui nous forcent, mais des signes qui indiquent quand un mouvement est en train de se produire.

Le calendrier taoïste est entièrement construit sur cette logique de rythmes :

Les "24 souffles solaires" ("jieqi" 節氣) qui découpent l’année en micro-saisons

Les "cycles lunaires" qui guident rituels, méditations et pratiques respiratoires

Les "grandes périodes cosmiques" de 20 ou 60 ans, utilisées en astrologie taoïste (BaZi, Qi Men Dun Jia)

Le "calendrier sexagésimal" à 60 temps, produit par la combinaison des "10 Troncs célestes" (Tian Gan 天干) et des "12 Branches terrestres" (Di Zhi 地支).

Le calendrier sexagésimal est une manière de dire que chaque instant porte une signature énergétique unique.

Les 10 Troncs célestes sont comme dix « couleurs du Ciel », exprimant la qualité du souffle cosmique selon les Cinq Mouvements (bois, feu, terre, métal, eau, chacun en polarité yin et yang).

Les 12 Branches terrestres sont comme douze « figures de la Terre », représentées par les animaux du zodiaque, qui expriment les cycles d’ouverture, de croissance, de repos et de mutation dans la nature.

En combinant ces deux séries, on obtient 60 combinaisons possibles : un peu comme si l’on croisait dix notes de musique avec douze rythmes différents, créant ainsi soixante accords uniques. Chaque accord ne se répète qu’après un cycle complet de 60 temps (jours, mois ou années).

Prenons la combinaison Jia Zi 甲子 (Bois Yang du Ciel associé au Rat). Jia 甲 représente le Bois yang : l’élan vital, la germination, la force de la tige qui perce la terre au printemps. Zi 子 correspond au Rat, premier des douze rameaux : l’énergie de minuit, de l’hiver profond, du moment où tout est contenu en germe, étincelle du Yang.  Quand ces deux forces s’associent, on obtient une image très forte : l’énergie nouvelle qui surgit au cœur de l’obscurité, la semence de vie qui jaillit quand tout semble encore figé. Dans la tradition taoïste, ce moment est considéré comme favorable pour initier de nouveaux cycles, poser les fondations d’un projet ou enclencher un processus intérieur de transformation.

À l’opposé, une autre combinaison comme Gui You 癸酉 (Eau Yin du Ciel avec le Coq) exprime un moment de condensation, de repli, de raffinement, où l’on met de l’ordre, on clarifie, on clôture. Ainsi, chaque instant n’est pas seulement une date abstraite, mais une qualité rythmique précise, lisible dans la rencontre des souffles célestes et terrestres.

La pensée grecque antique a cherché à répondre à la question « Qu’est-ce que c’est ? » — elle a produit une ontologie de l’être.

La pensée occidentale moderne a mis l’accent sur la substance et les lois mécaniques de la matière et de l’énergie.

Le taoïsme, lui, se concentre sur le temps et les transformations. Il demande non pas « qu’est-ce que c’est ? », mais « quand est-ce juste ? ».

C’est une véritable chronospiritualité : une voie où l’on apprend à lire les cycles du ciel et de la terre, à se synchroniser avec eux, et à transformer sa vie intérieure en résonance avec le grand mouvement du Dao.

Pratiquer le taoïsme, c'est chercher à entrer dans le tempo du monde. Comme un musicien ou une musicienne, mais à une échelle cosmique. C’est comprendre que l’efficacité spirituelle ne vient pas des passages en force ou de la volonté, mais très souvent de la justesse du moment choisi.

Ainsi, le taoïsme nous enseigne l’art de la synchronisation : vivre avec les astres non comme des puissances qui nous déterminent ou nous contraignent, mais comme des horloges naturelles qui nous rappellent la danse universelle des transformations et nous apprennent à danser avec elles avec grâce, sans marcher maladroitement sur les orteils de la Réalité.

Bonne réflexion et pratique

Fabrice Jordan

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lundi 1 septembre 2025

Rentrée et transmission

Quand j’étais collégienne, j’ai eu la chance d’avoir un professeur de dessin – on ne disait pas encore « d’arts plastiques » – tout à fait extraordinaire. L’heure que nous passions avec lui était l’occasion de discussions passionnées et d’explorations graphiques inédites, ponctuées par son rire tonitruant. Certains sujets qu’il nous a proposés au fil des années étaient si captivants que 40 ans après je les retourne encore dans ma tête, ne désespérant pas de trouver la meilleure manière d’y répondre.

Nous sommes restés en contact, nous croisant de loin en loin et échangeant chaque année nos cartes de vœux – les siennes immanquablement aussi flamboyantes que sa personne. Il y a peu, j’ai reçu de lui une lettre par laquelle il m’annonçait qu’il était gravement malade et qu’il aurait aimé, au soir de sa vie, que je lui raconte en détail quelle personne j’étais devenue. Ce que j’ai fait, les larmes aux yeux et la gratitude au cœur.

La même semaine où je lui répondais, j’ai reçu par Instagram un message d’une jeune femme qui me demandait si j’étais bien cette Mme Le Maître qui lui avait enseigné l’histoire-géographie à Sens (Yonne) il y a quelque 20 ans. Elle était devenue photographe et scénariste. Elle m’avait identifiée à ma manière de nouer un foulard dans les cheveux ; je l’ai reconnue à ses yeux bleu vif. Elle se souvenait des histoires que je racontais à mes élèves de sixième et même du club de mythologie que j’avais fondé à l’époque. Elle éprouvait l’envie de me remercier.


Un flux ininterrompu de transmission
À quelques jours d’écart, la grâce de ce double échange est venue me rappeler le maillon que je suis. Ce n’est pas seulement la vie que nous avons reçue des générations précédentes et il faut bien plus que deux parents pour construire un être humain debout. Reconnaissance de dette : pour le meilleur et pour le pire – mais c’est du meilleur que je veux parler ici – nous ne situons jamais que dans un flux ininterrompu de transmission.

Que savons-nous de ce dont nous sommes les passeurs ? Tour à tour simple silhouette, figure déterminante, ombre tutélaire ou inquiétante, que savons-nous du rôle que nous jouons dans la vie des autres ? Je suis la somme de tout ce qui m’a été proposé, imposé, offert et enseigné. J’ai tant et tant reçu, de tant et tant de personnes. Comme un paysage façonné de mille apports divers – les eaux, le sol, les vents, les graines… – qui tout ensemble s’agencent, se confrontent et se complètent.

Que suis-je, sinon cette vallée entre friche et jardin, cette conjugaison d’éléments qu’il m’incombe de cultiver du mieux que je peux, portant ici un peu d’engrais, abritant là telle jeune pousse des vents d’hiver, constatant ailleurs l’échec de toute mise en culture. Espérant toujours la récolte.

D’une âme à l’autre
À un détour de ma vallée, sans doute, à l’ombre du hêtre un peu fou qu’était mon professeur de dessin, quelque chose a pris racine dont j’ai pris soin du mieux que je pouvais. Quel arbre, quel caillou, quelle source serai-je dans d’autres paysages ? Dans celui, par exemple, d’une jeune photographe aux yeux pétillants ?

Si, comme j’en suis persuadée, au jour du Jugement nous ne pèserons pas plus que le poids de ce que nous avons su donner, il n’est pas indifférent de découvrir parfois que là, précisément, à tel moment, dans tel échange, dans telle situation de la vie, quelque chose est passé d’une âme à l’autre.

Nous ne savons jamais vraiment ce que nous transmettons, mais nous pouvons considérer ce que nous avons reçu. En ces jours de rentrée scolaire et avec une pensée pour toutes celles et tous ceux qui, cette année encore, guideront tant de jeunes sur le chemin qui fait grandir, je vous souhaite fécondité, courage, avec la joie des gratitudes.

Anne Le Maître
Autrice et aquarelliste, géographe de formation, Anne Le Maître vit en Bourgogne. Elle enseigne aux jeunes et aux adultes. Elle a publié Un si grand désir de silence (Cerf), qui a reçu le prix littéraire de la Liberté intérieure 2023, le Jardin nu (Bayard) et Faire refuge en un monde incertain (Cerf).

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dimanche 31 août 2025

Automne est là

 Les jours raccourcissent et ces derniers jours étaient bien maussades. Tout cela nous rappelle qu’en énergétique chinoise, nous sommes déjà entrés dans l’Automne depuis le 7 août. 

« 秋三月,此谓容平。天气以急,地气以明。早卧早起,与鸡俱兴。使志安宁,以缓秋刑。收敛神气,使秋气平。无外其志,使肺气清。此秋气之应,养收之道也。逆之则伤肺,冬为飧泄,奉藏者少。 »

Huangdi Neijing (黄帝内经), Suwen (素问), Chapitre 2.


Traduction

« Les trois mois de l’automne sont appelés Rong Ping (容平), maturité et calme. Le souffle du Ciel Yang Qi (天气) devient pressant, le souffle de la Terre Yin Qi (地气) s’éclaircit..

Comme les poules on doit se coucher tôt et se lever tôt. On doit maintenir son esprit en paix afin d’adoucir la rigueur de l’automne. On doit recueillir son Shen et son Qi afin d’harmoniser le Qi de l’automne. Ne pas laisser son intention s’éparpiller à l’extérieur afin de garder le Qi du Poumon pur.

Voilà ce qui correspond à l’énergie de l’automne et la voie pour nourrir le principe de la récolte Yang Shou (养收).

Aller contre cela blesse le Poumon, et en hiver, il y aura des diarrhées avec aliments non digérés (Sun Xie - 飧泄) car il y aura peu à offrir à la saison du stockage. »

Interprétation en MTC

L’automne est une saison de maturité, de contraction et de descente de l’énergie.

• Mouvement associé : vers l’Intérieur, c’est la concentration, le recentrage.

• Organe associé : le Poumon Fei (肺), maître du souffle et de l’immunité.

• Émotion associée : la tristesse ou la mélancolie, qui peut se transformer en intériorité.

• Hygiène de vie conseillée : se coucher tôt, se lever tôt, apaiser son esprit, éviter la dispersion, protéger le Poumon, ‘Recentrer son Esprit vers l’Intérieur’.

Suivre un rythme régulier et adapté permet d’éviter de s’exposer aux déséquilibres de l’hiver (fatigue, troubles respiratoires ou digestifs) ou de s’y préparer.

À cette saison, il ne s’agit plus de s’élancer vers l’extérieur, mais de rassembler son esprit, de rentrer son souffle comme on rentre les récoltes.

Celui qui suit le mouvement de l’automne trouvera en lui la sérénité et préparera ses réserves pour l’hiver. Celui qui le néglige se verra dépouillé, comme un arbre qui a perdu ses feuilles avant d’avoir donné ses fruits.

L’automne est l’école de l’intériorité. Laisser tomber ce qui doit partir, accueillir le silence, et respirer plus profondément.

L’automne est aussi le moment de renforcer ses défenses immunitaires (Wèi Qì - 卫气 – Energie Défensive) pour affronter sereinement les rigueurs de l’Hiver. 

-Institut Ming Men de Nancy

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samedi 30 août 2025

Voir et comprendre


Le Bouddha nous a appris à observer les choses précisément là où elles apparaissent. Une fois apparues, elles ne durent pas ; elles disparaissent et d’autres choses apparaissent qui finissent aussi par disparaître.

Mais ce n’est pas ce que nous voulons !

Quand notre esprit est en paix, nous voulons qu’il continue à être en paix, nous ne voulons pas qu’il s’agite, nous voulons nous sentir bien !

Or, ce souhait est contraire à la réalité.

Le Bouddha nous a dit de commencer par voir et comprendre clairement la nature de tout ce qui nous entoure. Ce n’est qu’ensuite que l’esprit sera vraiment calme et paisible.

Tant que nous ne connaîtrons pas ces choses, tant que nous ne comprendrons pas nos humeurs, nous demeurerons des personnes changeantes, nous nous attacherons à nos humeurs, et cela tournera à l’entêtement et à l’orgueil. 

~ Ajahn Chah

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vendredi 29 août 2025

Vue d'ensemble

 五行 Wǔ Xíng - (Les 5 Mouvements)

Les maîtres taoïstes décrivent ce principe à travers la théorie des Cinq Mouvements (Wǔ Xíng).

Dans le Huangdi Neijing, texte fondateur de la Médecine taoïste, il est dit : « Les cinq phases interagissent de deux manières : le cycle de production (Sheng) et le cycle de contrôle (Ke). »

Concrètement : Comme les maillons d’un cycle vivant : chaque organe reçoit du précédent et nourrit le suivant. Mais si l’un se bloque, tout le cycle se déséquilibre. Pourquoi un “petit rien”… peut déclencher une tempête émotionnelle ? Ça vous est sûrement déjà arrivé : Une remarque banale qui vous contrarie. Vous y pensez encore une heure plus tard. Votre cœur s’emballe, impossible de trouver le calme. Et le soir venu… vous tournez en rond dans votre lit, à ruminer sans fin.

C’est exactement ce que les maîtres taoïstes décrivaient il y a plus de 2500 ans.


Prenez votre Foie. Dans la vision taoïste, il est associé au Bois — un mouvement qui pousse, qui fait circuler l'énergie. Mais si cette circulation se bloque ? L’énergie stagne. Et cette stagnation devient colère. Dans la médecine chinoise, on compare le Foie à un général… (C’est lui qui planifie, qui donne les ordres) Et quand le général s'emballe ? Il déstabilise le souverain : le Cœur.

Votre Cœur, maître du Feu, s'agite alors. Vos pensées s'accélèrent. Vous n'arrivez plus à vous poser.

Et quand le Cœur s'épuise à force de compenser ? Il cesse de soutenir la Rate. Et c’est elle qui gouverne votre capacité à digérer vos expériences. Résultat : vous ruminez. 

C’est la fameuse réaction en chaîne que nous connaissons tous : Une simple irritation… …déclenche l'agitation… …qui mène aux ruminations.

Trois émotions en apparence distinctes. Mais une seule cause : La “cascade énergétique” entre vos organes. Et le plus fascinant ?

2500 ans plus tard, la science moderne valide les découvertes des anciens.

Par exemple : Des études récentes montrent que certains troubles du foie… peuvent amplifier les risques de problèmes cardiaques * !

Et en MTC, c’est logique car : Le Foie (Bois) nourrit directement le Cœur (Feu). Donc si le Bois est malade, il ne peut plus alimenter le Feu correctement. Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs parlent aujourd’hui beaucoup de l’axe intestin-cerveau. On dit même que : “L’intestin est notre deuxième cerveau”.

Et Harvard le confirme : Un déséquilibre digestif influence directement l’équilibre émotionnel notamment en provoquant de l’anxiété*.

Mais pour la MTC, ce lien fait sens depuis 2500 ans. Car la Rate au sens énergétique est l'axe central de la digestion. Elle extrait le Gu Qi (l'énergie des aliments) et le distribue dans tout le corps. Quand elle dysfonctionne, elle n'arrive plus à "digérer" correctement vos aliments... comme vos émotions.

Résultat : des ballonnements ET des ruminations mentales.

Vous l’aurez compris… Deux “langages” différents, une même réalité : Vos organes sont intimement connectés.

Mais alors : Comment retrouver un équilibre émotionnel stable et durable ? Puisque vos organes sont intimement liés…

Les maîtres taoïstes conseillent de ne pas s’occuper d’un seul organe isolé. Mais de renforcer tout le système. Et c’est là que la différence se fait. Car quand vos cinq organes travaillent à nouveau en harmonie, vos émotions deviennent plus stables. Et votre équilibre intérieur grandit de jour en jour.

Et vous vous surprenez alors à : Développer une présence calme et authentique. Votre esprit est plus clair, moins emporté par le flot incessant des pensées. Vous osez vous exprimer plus librement, de façon authentique… et les autres vous écoutent avec une nouvelle attention.

Créer des connexions plus profondes et sincères. Lors d'une discussion tendue, au lieu de réagir immédiatement, vous trouvez l'espace pour respirer. Au lieu de s’enflammer, la conversation s’apaise.

Retrouver une clarté intérieure qui guide vos décisions. Le sentiment constant d'hésitation disparaît et laisse place à une force tranquille. Vous faites vos choix avec une assurance nouvelle, car vous sentez ce qui est juste pour vous.

Et surtout, cette stabilité est durable... Car vous ne traitez plus seulement les symptômes…Vous agissez à la racine même du déséquilibre.

Charles Zhang

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jeudi 28 août 2025

Voir et mental

 Une vue schématique du fonctionnement mental...

«Vous pensez que vous voyez et vous ne voyez pas que vous pensez» (Swami Prajnanpad, les formules)



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