jeudi 2 janvier 2020

La reprise quotidienne de toujours le même exercice...


Chaque jour, depuis plus d’un demi-siècle, je reprends le même exercice : zazen. La reprise quotidienne du même exercice peut paraître ennuyeuse à celui qui ne pratique pas cet exercice. C’est certainement le cas lorsque le mot répétition conduit, comme mon imprimante, à l’addition de photocopies. Mais la danseuse qui, quotidiennement, reprend l’exercice de la barre, le concertiste qui, quotidiennement, reprend l’exercice qu’est la gamme, n’a pas l’impression de devenir une machine-outil qui, d’heure en heure, reproduit le même objet à l’identique. Dans le domaine artistique, le maître de musique comme le maître de danse impose à ses élèves la reprise quotidienne de toujours le même exercice. Comme il impose — à lui-même — la reprise sans fin de l’exercice qu’il enseigne. 

La pratique du KyuDo (l’art du tir à l’arc) se résume à l’apprentissage des huit gestes qui permettent d’encocher une flèche pour ensuite la décocher. Je n’oublierai jamais l’émotion qui m’a envahi lorsque, pour la première fois, j’ai vu le Maître Satoshi Sagino tirer une flèche. Il est impressionnant de voir à quel point chaque geste inonde le moment présent tout en étant relié à celui qui précède et à celui qui va suivre. Plus impressionnant encore est la manière d’être-là du maître de l’art ; sa verticalité, sa détente, le calme qui semble être le fondement de son action. Parlant de cette émotion à Graf Dürckheim (qui a pratiqué le Kyudo pendant une dizaine d’années au Japon) j’avouais que le mot beau me semblait pauvre pour exprimer ce que je ressentais intérieurement en participant à cette démonstration. 
Après un long temps en silence, Graf Dürckheim me dit : « Vous avez raison. Il s’agit ici du —beau— dans toute sa vérité naturelle, originelle. Ce qui se révèle, à l’occasion de ce rituel qui consiste à tirer une flèche, dépasse la simple beauté ; il s’agit d’une qualité vivante et forte qui n’a rien d’artificiel. C’est ce que j’appelle le geste pur. 
Le geste pur a deux sources : le geste inné et le geste parfaitement maîtrisé. Maître Sagino, comme chacun de ses disciples, a dû apprendre cette séquence de huit gestes. La répétition lui a permis de faire bien ce qu’il a appris. La reprise de cet exercice l’a conduit à maîtriser ce qu’il fait bien. Il s’agit alors de reprendre toujours encore les mêmes gestes afin de maîtriser parfaitement ce qu’on maîtrise. Reste alors au maître de l’art de parfaire ce qu’il maîtrise parfaitement. Jusqu’à cette expérience au cours de laquelle ce n’est plus Moi qui tire … —Cela tire— ! Bascule dans l’inné ; plongée dans ce que j’appelle l’expérience de notre nature essentielle ». 

Voilà donc le sens de la reprise quotidienne de toujours le même exercice. C’est pourquoi on souligne que la pratique de zazen, du tir à l’arc, de l’Aïkido est SANS but. Ce qui importe est l’attitude intérieure de la personne qui pratique et donc, en premier lieu, de la personne qui transmet. J’avoue que je suis saoulé par les mots creux prononcés dans le cadre de la commercialisation de ce mot aujourd’hui tendance : méditation. Les représentations mentales à travers lesquelles chacun pense pouvoir donner réponse à la question : « Pourquoi et comment méditer » posent un voile sur la valeur et le sens des exercices qui ont leurs racines en Orient et en Extrême-Orient. La richesse de ces exercices se révèle à celui, celle, qui quotidiennement reprend le même exercice. Le seul but de la pratique est la pratique ! Quelle pratique ? La présence à « JeSuis » ; la présence à l’acte d’être au moment présent sans se perdre dans les représentations que le mental se fait de « Je suis Moi ». Ce qui nécessite le passage du monde pensé au monde sensible. 

 Jacques Castermane

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