dimanche 17 janvier 2016

Kyrie Eleison avec Jean-Yves Leloup


...Le père Séraphim m’expliqua que dans le premier Testament, la méditation est exprimée par des termes de la racine haga, rendus le plus souvent en grec par mélété, meletan, et en latin par meditari, meditatio. En son sens primitif, cette racine signifie « murmurer à mi-voix ». Elle est également employée pour désigner des cris d’animaux, par exemple le rugissement du lion (Isaïe XXXI, 4), le pépiement de l’hirondelle et le chant de la colombe (Isaïe XXXVIII, 14), mais aussi le grognement de l'ours.


« Au Mont-Athos, on manque d’ours. C'est pourquoi je t’ai conduit auprès de la tourterelle, mais l'enseignement est le même. Il faut méditer avec ta gorge, non seulement pour accueillir le souffle, mais aussi pour murmurer le Nom de Dieu jour et nuit... Quand tu es heureux, presque sans t’en rendre compte, tu chantonnes, tu murmures quelquefois des mots sans signification, et ce murmure fait vibrer tout ton corps de joie simple et sereine.

Méditer, c'est murmurer comme la tourterelle, laisser monter ce chant qui vient du cœur, comme tu as appris à laisser monter en toi le parfum qui vient de la fleur... Méditer, c’est respirer en chantant. Sans trop m’attarder à sa signification pour le moment, je te propose de répéter, de murmurer, de chantonner ce qui est dans le cœur de tous les moines de l’Athos : Kyrie eleison, Kyrie eleison... »

Cette idée ne me plaisait guère. Lors de certaines messes de mariage ou d’enterrement, j’avais déjà entendu cela, traduit en français par « Seigneur, prends pitié ». Le père Séraphim se mit à sourire : « Oui, c’est l’une des significations de cette invocation, mais il y en a bien d’autres. Cela veut dire aussi “Seigneur, envoie ton Esprit ! Que ta tendresse soit sur moi et sur tous, que ton Nom soit béni”, etc., mais ne cherche pas trop à te saisir du sens de cette invocation, elle se révélera d'elle-même à toi. Pour le moment, sois sensible et attentif à la vibration qu’elle éveille dans ton corps et dans ton cœur. Essaie de l’harmoniser paisiblement avec le rythme de ta respiration. Quand des pensées te tourmentent, reviens doucement à cette invocation, respire plus profondément, tiens-toi droit et immobile et tu connaîtras un commencement d'hésychia, la paix que Dieu donne sans compter à ceux qui l’aiment. »

Au bout de quelques jours, le Kyrie eleison me devint un peu plus familier. Il m’accompagnait comme le bourdonnement accompagne l’abeille lorsqu’elle fait son miel. Je ne le répétais pas toujours avec les lèvres ; le bourdonnement devenait alors plus intérieur et sa vibration plus profonde. Ayant renoncé à « penser » son sens, il me conduisait parfois dans un silence inconnu et je me retrouvais dans l'attitude de l’apôtre Thomas lorsque celui-ci découvrit le Christ ressuscité : Kyrie eleison, « mon Seigneur est mon Dieu ».

L’invocation me plongeait peu à peu dans un climat d’intense respect pour tout ce qui existe, mais aussi d'adoration pour ce qui se tient caché à la racine de toutes les existences...

Extrait de "L'Assise et la marche"
Par Jean-Yves Leloup


samedi 16 janvier 2016

Les conseils de Patrick Pelloux pour chercher le bonheur


L’urgentiste et chroniqueur à Charlie Hebdo a perdu ses amis dans l’attentat perpétré le 5 janvier 2015 contre le magazine satyrique. Un an après, il s'est confié à La Vie sur sa quête spirituelle. Voici ses conseils spirituels.

1. Prenez soin de vous et des autres
Par mon métier, j’avais déjà conscience de la fragilité de l’existence, mais maintenant c’est autre chose. Tel un parfumeur qui extrait le nectar des plantes, je tente désormais de savourer chaque instant. Prendre soin de soi, c’est aussi s’écouter et respecter son corps en faisant du sport, en pratiquant une forme de méditation, en dormant suffisamment. Prenez soin des autres aussi, en essayant de soulager leur souffrance, en leur offrant votre présence. Une mode dirait que d’être gentil est ridicule. C’est un des plus beaux compliments que l’on puisse faire à quelqu’un.

2. Soyez dans l’action
Certains jours, je n’ai qu’une envie : rester avec mon chat, dans mon lit. Mais je m’oblige à y aller, à me lever. C’est là que je puise ma force. La force dans l’action. J’ai toujours été comme ça, avec un petit côté soldat de la santé ! C’est ça qui m’a aidé à tenir. Là-dessus, Charb m’a beaucoup appris : pour cet homme courageux, vaillant, discipliné, il fallait toujours travailler, continuer, ne pas se lamenter. Son enseignement est un moteur.

3. N’ayez pas peur du changement
J’arrête mes chroniques à Charlie Hebdo car je dois passer à autre chose. Ce choix n’est pas facile mais il est essentiel dans la vie de savoir rompre, se séparer, pour avancer. Peu à peu, je réoriente ma vie, je m’attèle à d’anciens projets laissés de côté. Je suis moins dans l’immédiateté, lis davantage, renonce aux choses qui n’ont, à mes yeux, plus d’intérêt pour moi. Je fuis ce qui est désagréable aussi, comme la méchanceté que certains peuvent avoir. Je n’ai pas de temps à perdre.



vendredi 15 janvier 2016

Patrick Pelloux : "Je suis un athée compliqué"(2)


Mon métier comporte en fait un caractère religieux : l’aide au prochain. J’ai toujours voulu être docteur. Lorsque j’avais 17 ans, la mort accidentelle d’un neveu âgé de 2 ans a sans doute dynamisé cette nécessité de faire médecine. Ma vocation vient des boat people de la fin des années 1970. J’appartiens à la génération Charlie Hebdo, Balavoine, Coluche… Ne pouvant pas partir en mission humanitaire – j’ai eu deux enfants assez tôt –, j’ai finalement réalisé que ce type d’action pouvait être mené en France, en bas de chez soi. Pendant 15 ans, notre combat avec des amis a été de faire naître et exister la discipline d’urgentiste.

J’ai toujours été dans un état d’esprit cartésien. Mon père ne croyait pas, ma mère si. Elle m’a transmis sa gentillesse. Pour moi, la spiritualité est un peu au-dessus de la religion : elle transcende quelque chose. Plus j’avance, plus je mesure l’énormité du problème, de la complexité des personnes et de l’existence. Mystère d’une vie après la mort, mystère des pouvoirs de l’esprit. Je me pose toutes ces questions. Celles relatives à la souffrance et à Dieu ont toujours été chez moi obscures. Comment peut-il laisser faire ? En fait, je suis un athée compliqué. Sans cesse, je suis confronté au lien entre la religion et la mort. 54 % des certificats de décès en France sont remplis par les urgentistes. L’expression religieuse ressort souvent dans ces moments extrêmes. Je vois des prêtres au chevet de catholiques, des Africains aux rites étranges, des musulmans préparer l’enterrement qui aura lieu en Tunisie, des juifs organiser des cérémonies à même les chambres... Oui, j’aide à ça. J’ai tendance à croire que les gens vont chercher dans la religion de la bienveillance. Un réconfort. Et je le respecte.

En tant qu’urgentiste, je dois me battre pour la vie. Malgré son absurdité, du fait de sa finalité. C’est assez étonnant. Quelque chose d’absurde n’est pas forcément négatif... Cette vie est magnifique, belle comme un feu d’artifice. Beauté de la culture, de la rencontre, de la nature... Beauté des sourires, des rires, de la gentillesse, des combats contre les souffrances. Un des secrets de l’existence est que le bonheur n’est pas une chose acquise. Il est très difficile d’être heureux. Garder son âme de môme pour être capable de s’émerveiller demande un véritable travail. Moi qui aurais dû être tué le 7 janvier, je vois chaque jour comme un cadeau. Comme une chance renouvelée pour un monde meilleur. Chaque matin doit être le premier.

Que reste-t-il chez les gens à la frontière de la mort ? Que reste-t-il sur leur table de chevet ? Une Carte bleue, des projets immobiliers, des bijoux ? Rien de tout ça. Il ne reste que l’amour. Une photo ancienne d’un proche, une boîte ayant appartenu à leur mère, de petits objets, de petits riens, essentiels à leurs yeux. Cette idée de la croissance selon laquelle il faut à tout prix consommer est une erreur philosophique. J’ignore si c’est l’amitié qui est la succursale de l’amour ou le contraire, mais c’est ce qui me fait vivre. Depuis les attentats, mon détachement pour les choses matérielles a pris un autre niveau. Je me concentre sur l’essentiel : la vie. Je suis un scientifique mais je dois reconnaître que l’amour est immatériel. En fait c’est ça : l’amour est ma religion ! »

> Les étapes de sa vie :
1968 Naissance à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).
1993 Intègre les urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris.
1998 Création de l’Association des médecins urgentistes de France.
2000 Rencontre Charb.
2003 Alerte les médias sur les conséquences de la canicule.
2003-2015 Chroniqueur à Charlie Hebdo.
2008 Muté au Samu de Paris.
2010 Publie Histoire d’urgences, tome 2 (Cherche-Midi).
2014 Publie On ne vit qu’une fois (Cherche-Midi).
2015 Attentats à Charlie Hebdo. Reçoit la Légion d’honneur.

(source : La Vie)



jeudi 14 janvier 2016

Patrick Pelloux : "Je suis un athée compliqué"(1)


Il y a un an, l’urgentiste et chroniqueur à Charlie Hebdo a perdu ses amis dans l’attentat perpétré contre le magazine satyrique. Dans la douleur de la perte, il a renoué avec la vie. Pour la première fois, il confie sa quête de sens.

« Depuis le 7 janvier 2015, un cimetière intérieur siège en moi. En quelques secondes, mes amis ont été sauvagement abattus. Lorsque je suis arrivé à la rédaction de Charlie Hebdo, ils étaient tous là, gisant dans leur sang. Moins de deux heures avant, j’avais Charb au téléphone, pour lui dire que j’arriverais après ma réunion à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, située à deux pas des locaux du journal.

Depuis un an, j’ai envie d’arrêter le temps. Dès le jour du drame, j’ai lutté contre lui, lorsque je tenais la main encore chaude de Charb, mort. Cette chaleur ne devait pas partir... Plus les mois passent, plus la déchirure de l’éloignement s’étire. Je les cherche partout, ces amis de toujours. Parfois j’ai l’impression de voir Charb dans la rue. Le fils d’une amie a la même coupe de cheveux que les Beatles, comme Cabu. Dès qu’on me parle d’économie, je dégaine Bernard Maris. Si l’accord d’un passé composé me fait enrager, je pense à Mustapha Ourrad, le correcteur. Dans un rêve, je suis tombé sur Cabu devant un kiosque. « Que fais-tu là ? », lui ai-je demandé. « Je suis partout », m’a-t-il répondu. Mes proches sont là par les souvenirs. Ma peur est que ces derniers s’étiolent avec le temps.

La sidération épouvantable a laissé la place à un grand vide, accompagné d’un combat médiatico-politique. Nous devions parler de ceux qui étaient morts. Parler de telle manière que l’on ne tombe pas dans la haine. Tous les musulmans ne sont pas terroristes, mais tous les terroristes étaient musulmans. Me reconstruire fut très compliqué. Il a d’abord fallu lutter contre le somatique. J’ai pris 10 kilos, eu d’énormes troubles du sommeil, de concentration, consommé un peu trop d’alcool, dû cesser de travailler pendant près de deux mois.

Le yoga m’a permis de prendre du recul, et a ouvert en moi des espaces nouveaux, que j’appelle « bulles de repos ». Je m’y endormais au début, épuisé. Aujourd’hui, elles sont le lieu de la ­respiration et de l’évasion. Dans ces « bulles » aussi, je parviens à davantage canaliser ma solitude, à la transformer. Cette solitude, proche de l’insatisfaction existentielle, est là depuis toujours, et pouvait d’ailleurs énerver Charb qui ne comprenait pas : comment pouvais-je ressentir ça au milieu d’amis ?

Ces attentats ont radicalisé mon empathie pour la souffrance. Aggravé mon besoin d’aider les gens. Le 13 novembre, je n’ai pas réfléchi : endossant ma blouse de médecin, j’ai accouru au Bataclan...



(à suivre)


mardi 12 janvier 2016

Trois amis en quête de sagesse


Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard : Un psychiatre, un philosophe et un moine nous parlent de l’essentiel. Ils sont amis dans la vie. 
On les connaît pour leur sagesse, les valeurs qu’ils défendent dans leurs livres et dans les médias. Chacun dans son domaine est l’auteur de bestsellers qui touchent un vaste public. 
Depuis des années, ils rêvent d’écrire un livre ensemble. Pas un débat, pas «un livre de plus», mais un vrai projet, profond, intense, et surtout utile au plus grand nombre, basé sur leurs expériences diverses, pour questionner ce qui fait la joie et les difficultés de vivre.





La critique du Figaro par Mohammed Aïssaoui (Le Figaro)
Une affiche incroyable, un casting d’enfer : Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard publieront le 13 janvier un livre à six mains, Trois amis en quête de sagesse (L’Iconoclaste- Allary Éditions). 

L’histoire du livre est aussi fascinante que le livre lui-même. Les trois amis pensaient à ce projet depuis longtemps. « Voilà trois ans maintenant que nous avions décidé de nous retrouver pour écrire ensemble un livre sur la manière de conduire son existence. Pas un manuel assenant des leçons, mais un ouvrage parlant de nos convictions et de notre expérience. Il nous semblait que nos trajectoires, si différentes, nos trois “métiers” - philosophe, moine, psychiatre - permettraient peut-être un croisement fécond de points de vue sur les grands sujets qui interrogent tout être humain lorsqu’il réfléchit à la manière dont il mène sa vie », affirment-ils en préambule. Le projet n’a réellement pris forme qu’en janvier 2015. 

Jollien : « Ce livre est né d’une profonde amitié qui nous nourrit tous trois au quotidien. Durant cet échange, j’ai vraiment eu l’impression d’entrer dans une sorte de laboratoire philosophique et spirituel… Ce qui m’a touché aussi, c’est la volonté d’écrire pour transmettre un message, de faire œuvre utile. Cette motivation a imprégné tout notre séjour. » 



Quelles sont nos aspirations les plus profondes ? Comment diminuer le mal-être ? Comment vivre avec les autres ? Comment développer notre capacité au bonheur et à l’altruisme ? Comment devenir plus libre ? Sur chaque thème, ils racontent leur expérience, leurs efforts et les leçons apprises en chemin. Chaque fois, ils nous proposent des conseils. Leurs points de vue sont différents, mais ils se retrouvent toujours sur l’essentiel. Un livre limpide et lumineux pour apprendre le métier de vivre.



lundi 11 janvier 2016

2016 avec Gilles Farcet






BONNE ANNEE 


Bonne année, dites vous, bonne année …

En vérité vous le savez:
Le cauchemar va continuer
Sans plus de queue ou tête
Aujourd’hui et demain qu’hier
Truc s’enfoncera encore dans sa mauvaise foi
Bidule bidouillera comme à son habitude
Machine sera toujours aussi névrosée,
Machin toujours aussi lâche

La médiocrité continuera de se rengorger
Les insensés de se perdre par leur impiété
Et l’homme impuissant dans ses œuvres de faillir ici bas

L’innocence sera bafouée
Les vieux seront abandonnés

Les attentats seront perpétrés
Quantité de commentaires postés
Les uns et les autres continueront
A exister à la petite semaine
Comme si la Parole ne les avait jamais atteints
Jusqu’à ce que la mort les surprenne
Dans une brume mi épouvantée mi médicalisée

Le climat se réchauffera
La courbe du chômage montera

Des messieurs en costume
Se fourniront encore en frissons et mornes vertiges
Auprès de jeunes femmes sinistrées

Pères et mères ne seront pour la plupart pas honorés
Par leurs progénitures tant et plus blessées

Le feu continuera de couver
Dans le bardo des cités
Les dealers de dealer

Et les ascenseurs d’être en panne

Gens de peu comme gens de trop
S’emploieront à se stupéfier
Par ingestions massives de bouffe, de boisson
D'information et de distractions
Le fils de l’homme sera encore livré
L’étranger déporté
Le dissident emprisonné
Le juste calomnié
Des noirs découperont leurs voisins à la machette
Des Américains ouvriront le feu dans des écoles
Au moyen d’armes acquises en toute légalité
Des fermiers ruinés se pendront
Des femmes battues se tairont
Des hommes castrés péteront les plombs
Des organes seront prélevés

Des bébés mis sur le marché

Les espèces menacées seront encore chassées
Les forêts décimées
Les déchets enterrés

Pour tout dire et
En résumé
L'abomination ne s'en laissera pas compter
Bonne année dites vous bonne année

Et
En vérité vous le savez

La merveille ,
Celle la même qui maintes fois le jour
Me précipite face contre terre

La merveille
Adviendra maintenant
Des hommes et des femmes de bonne volonté
Persisteront à prier, a méditer à contempler

Le couchant embrasera les prés

Des forces seront pour toute la vie puisées
Dans le regard de leur grand père
Par des enfants guillerets

Des gens de bien s'acquitteront toujours avec dignité
De ce qui leur sera demandé

Des verres de bon vin continueront de tinter
En toute convivialité
De bons repas seront préparés

Des chants seront chantés
Des danses seront dansées
Des poèmes composés

Des grâces seront dispensées
Des promesses seront honorées

Le christ ressuscitera
Le bouddha s'éveillera
Arjuna sera libéré
Le fils prodigue reviendra

La pharmacienne de la rue du Faubourg st Denis
Poursuivra son commerce
De bodhisattva de quartier

Mon vieux voisin de la Chambarie
cultivera notre potager

Le petit garçon du magasin de Saint Savin
Entre légumes et fleurs, sur sa trottinette
Se fraiera un chemin

Ta volonté parfois sera faite
Sur la terre comme au ciel
Pas assez pour que cela se sache
Suffisamment pour tout racheter

La beauté s'insinuera
La bonté ne faiblira pas

Aujourd'hui comme hier
Des humains se lieront
Pour travailler de concert

A leur rédemption ordinaire

X se résoudra à voir et à entendre
Y renoncera à lutter pied à pied
Z choisira la voie de la vulnérabilité
Des larmes nous seront arrachées
Par l’avènement de la vérité

Ni optimiste ni pessimiste
Revenu de tout émerveillé d'un rien

Je n'attends rien et j'espère tout
De cette nouvelle année donnée

Alors bonne année bonne année
A nous, à vous tous, bonne année



Gilles Farcet 



dimanche 10 janvier 2016

Deux tu l'auras... avec Joshin Luce Bachoux


« Un bon tien...», dit le monsieur ; il s'interrompt, lève l'index et me regarde d'un air sagace : «...vaut mieux que deux tu l'auras ». Je souris, poliment intéressée, mais je n'en crois pas un mot. Que cette petite phrase se présente comme une morale ne lui donne pas, selon moi, de valeur, et ce n'est pas parce que d'autres caractères pompeux l'ont répétée à travers les âges que ça la rend vraie. Tout au plus peut-on dire que la formule est bien troussée !

J'aime bien les « tu l'auras » ! Un peu d'espoir, un peu de rêve, un peu de courage. Sans cela, Christophe Colomb se serait-il embarqué pour l'Amérique ? Marco Polo serait-il allé jusqu'en Chine ? Aurait-on envoyé tant de Spoutnik vérifier si Mars était plein de petits hommes rouges et l'espace aussi immense qu'il le paraît ? Plus simplement, cramponné à son « bon mien », qui quitterait son village pour aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ?

Mais, poursuit le raisonnable, maintenant vous avez perdu ce que vous aviez sans être sûr d'obtenir ce que vous voulez. Ah ! La belle affaire ! De quoi peut-on être sûr dans notre vie ? Oui, parfois nous perdons. Nous perdons du temps, de l'argent, des occasions : peut-on toujours gagner ? Notre vie est-elle faite pour entasser, conserver et se mettre sous cloche parce que le vent souffle et que les nuages approchent ? Certes, je n'aurai sans doute pas réussi tout ce que je suis partie faire, mais dans le mouvement, dans l'audace, j'aurai appris tant de choses ! Appris qu'il est possible de se lancer sans avoir d'abord assuré toutes ses prises : ces moments de déséquilibre, de manque nous font chercher en nous des ressources insoupçonnées de force et de débrouillardise. 
Nous allons sortir de notre bulle parce que nous aurons besoin des autres, et nous les rencontrerons sur leur terrain, pas sur le nôtre. Nous aurons à faire preuve à la fois de jugement et de confiance. Nous allons prendre sinon notre mesure, néanmoins une mesure de nous-mêmes. Nous apprendrons de quoi nous sommes capables, quelles sont les peurs que nous pouvons dépasser, et quelles sont les limites qui nous retiennent. Je vois, parfois dans la douleur, que je ne vais pas réussir tout ce que j'ai tenté mais je comprends aussi que je peux accepter cela. Que tenter et ne pas réussir n'est pas un échec irréversible mais un apprentissage ; que rater, se tromper, perdre n'est pas la fin de tout, mais le début d'une réflexion : pourquoi cette erreur ? Comment puis-je mieux faire, quelles conclusions tirer de ces mésaventures ?

C'est vrai, nous allons revenir parfois blessés ou tristes. C'est vrai que la prudence est louable, tant qu'elle ne nous paralyse pas, et que la peur est bonne conseillère, à écouter pour choisir le chemin le plus sûr. Mais avancer ! Découvrir ! Rencontrer ! Cela vaut bien quelques découragements, quelques difficultés. Et, promis, je ne m'en prendrai à personne de mes échecs, et je remercierai le monde entier pour mes réussites. Je sais que je suis responsable de mes choix, je connais cet autre proverbe : « Comme on fait son lit, on se couche »... et je choisis un lit de mousse et un oreiller d'herbe plutôt qu'une chambre close.

« Deux tu l'auras » et peut-être trois ou quatre...ou rien ! Il ne s'agit pas de jouer notre vie à pile ou face, mais de la vivre, dans son insécurité, dans sa richesse, dans sa finitude. Vivre en faisant du mieux possible pour nous-mêmes et pour tous ceux qui nous accompagnent, en se laissant guider, non par des paroles creuses, mais par notre cœur.

Joshin Luce Bachoux, nonne bouddhiste, qui anime la Demeure sans limites, temple zen et lieu de retraite à Saint-Agrève, en Ardèche.



vendredi 8 janvier 2016

Le choix d'être heureux avec Gilles Farcet


En cette vie, que cherchons-nous ? Nous avons tous en nous la nostalgie du bonheur et, au fond, nous agissons toujours en vue d'atteindre ou de retrouver une forme de paix et de joie, et ce même lorsque nous nous trompons et que nos choix nous conduisent à souffrir davantage. 
C'est en acceptant de nous voir tels que nous sommes que nous pouvons espérer comprendre comment nous fonctionnons, et dans quelle mesure nous sommes prisonniers de nos peurs et de nos attentes. Connaître notre prison, c'est nous donner les moyens de nous en libérer, pour atteindre cette autonomie sereine à laquelle nous aspirons. 
Or, contrairement à ce que prétendent aujourd'hui nombre de marchands de prêt à penser et à vivre, il n'existe pas de formule pour être heureux. Ce texte n'est donc pas un recueil de « recettes » visant au bien être ; plutôt un petit traité de pratique spirituelle. Gilles Farcet s'appuie ici sur son parcours et sa longue expérience d'une voie pour tenter de dissiper quelques illusions, proposer de nouveaux positionnements intérieurs et surtout montrer ce qui nous exile du simple sentiment : ici et maintenant, je me sens ouvert, positif et content.











lundi 4 janvier 2016

Saint Augustin par Michel Delpech


J’ai découvert saint Augustin il y a bientôt 30 ans, après mon voyage à ­Jérusalem. Depuis, je ne l’ai plus quitté ! J’ai énormément d’admiration et d’affection pour cet homme, ce grand serviteur de l’Église. Il en est, à mes yeux, le plus grand personnage. Je le vois comme une figure indépassable, un génie, au même titre qu’un Léonard de Vinci. Et son talent littéraire est énorme.

Avant sa conversion, il a connu la vie terrestre, ses plaisirs et ses dangers. Tous ces chemins parcourus pour arriver à Dieu me touchent beaucoup. C’est un homme sur qui on peut poser sa tête. Sans parler d’identification, je peux me ­reconnaître en lui par la vie ordinaire qu’il a vécue avant d’être prêtre puis évêque. Il n’a pas tout de suite été saint. Il a fallu du temps, qu’il se bagarre avec la vie. Ce parcours semé d’embûches est très rassurant.

Lorsque je lis les Confessions ou que je pense à lui, je le vois comme un contemporain : il aurait pu naître aujourd’hui. J’avais écrit une chanson, il y a 40 ans, que j’avais appelée les Aveux. Récemment, une nouvelle traduction a rebaptisé les Confessions, les Aveux. C’est extraordinaire, non ? Augustin est un homme de toutes les époques, il est universel. Tout comme Jésus, saint Jean de la Croix ou sainte ­Thérèse de Lisieux, je l’aime. C’est un ami à qui je parle régulièrement et à qui je vais rendre visite de temps en temps à l’église qui lui est dédiée, boulevard Malesherbes à Paris (dans le VIIIe arrondissement).



Le poète et Père de l’Église
354 Naissance à Thagaste (Algérie).
371 Liaison avec celle qui lui donnera un fils en 372.
386-387 Conversion et baptême à Milan.
388 Retour en Afrique. Il y mène une vie intellectuelle et monastique.
391 Ordination à Hippone (Algérie).
396 Évêque d’Hippone.
401-402 Parution des Confessions.
430 Mort d’Augustin à Hippone, alors assiégée par les Vandales.

A méditer
« Aussi, en toute hâte, je revins à l’endroit où Alypius était assis : oui, c’était là que j’avais posé le livre de l’Apôtre tout à l’heure, en me levant. Je le saisis, l’ouvris et lus en silence le premier chapitre où se jetèrent mes yeux : « Non, pas de ripailles et de soûleries ; non, pas de coucheries et d’impudicités ; non, pas de disputes et de jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises. » Je ne voulus pas en lire plus, ce n’était pas nécessaire. À l’instant même, en effet, avec les derniers mots de cette pensée, ce fut comme une lumière de sécurité déversée dans mon cœur, et toutes les ténèbres de l’hésitation se dissipèrent. »

Les Confessions,
Scène du jardin (livre VIII)


À lire
Une année avec Saint Augustin
Les plus beaux textes à découvrir chaque jour et à méditer Sermons, commentaires de psaumes, lettres, confessions… l’évêque d’Hippone a beaucoup écrit. Au travers de 400 textes issus de son œuvre, le lecteur pourra s’immerger dans la pensée augustinienne tout au long de l’année liturgique. Et enrichir son approche, grâce aux commentaires de fins connaisseurs de cette figure, comme Isabelle Bochet, Frédéric Boyer, Benoît XVI ou encore Jean-Luc Marion.
Bayard, 29,90 €.

Les Confessions
Un monument. Par ces 13 livres autobiographiques, ­Augustin nous offre un des plus beaux testaments spirituels de l’histoire de la littérature. De sa jeunesse, marquée par la débauche et l’oisiveté, à sa conversion fulgurante et absolue, c’est toute une vie intérieure, en perpétuelle soif de vérité et de Dieu, qui y est révélée. Le Seuil, 9 €.

À faire
Se former au collège des Bernardins Benoît XVI lit les Pères de l’Église À partir des catéchèses du pape, le père Jacques Ollier, docteur en théologie, propose de découvrir les Pères de l’Église, véritables pasteurs pour la communauté chrétienne. Parmi eux, saint Augustin, source inépuisable d’inspiration pour Benoît XVI. Vendredi 10 h-11 h 30, du 7 février au 23 mai 2014. Tarif plein/réduit 130 €/65 €. www.collegedesbernardins.fr