mardi 13 avril 2010

Les cercles de la Prière avec Philippe Mac Leod

La prière dresserait autour de toi la forme rassurante d'une enceinte, une sorte de repli face à la difficulté. Si tu en crois tes détracteurs, elle ne ferait que traduire une impuissance. Pourtant, elle ne t'offre pas même le refuge que pourrait légitimer le simple besoin de souffler. Si nous la prenons véritablement au sérieux, si nous la vivons dans toute son exigence, elle nous propulse au contraire en première ligne, une ligne de front qu'on tend volontiers à négliger au profit d'un prétendu concret dont on oublie tout l'incommensurable qui le sous-tend. La prière nous mène là où l'on ne voudrait pas aller, trouvant toujours de bonnes raisons de la contourner. Quelle que soit son amplitude, par sa fréquence, par l'acte volontaire qu'elle implique, la prière est bien un engagement — et même plus : le premier engagement, celui qui va déterminer tous les autres, qui va leur donner leur densité, leur durée, leur vérité. 
Ta prière s'étend par larges cercles concentriques à partir d'un foyer ouvert mais secret, imperceptible le plus souvent, un centre au fond de nous qui est le Christ lui-même prenant possession de notre chair, le Christ en chaire dans notre chair, le Christ passant toute une nuit, seul, à prier dans la montagne, avant d'agréger autour de lui le cercle des Douze et de réunir dans la plaine le cercle plus large de ses disciples, puis le cercle aux bords mouvants de la foule immense qui suit (Luc 6, 12-19). 


Qu'il s'agisse de l'Église dans le temps ou de chacun de ses membres, le mouvement d'élargissement que décrit saint Luc reste identique à son origine. Tout part du Christ, toujours, d'un point en apparence infime, de l'épicentre qu'il inscrit en prenant pied dans le monde. Tout nous vient du Christ vivant, vivant dans son Église dans la mesure où il vit dans chacun de ses membres. L'épisode relaté par Luc, qui ouvre l'enseignement sur la montagne, s'achève sur la force qui sort de Jésus et que la foule distante cherche à recevoir en le touchant, comme si, de cette solitude avec le Père au désert, de ce point de rencontre immuable que le Christ est venu fixer sur cette terre, une onde traversait l'épaisseur des cercles successifs pour atteindre les rivages les plus éloignés.


La prière s'emploie à redonner forme et vie, consistance et fermeté, à un mouvement d'extension qui va du plus loin en soi au plus loin hors de soi : se laisser déborder en se laissant pénétrer. En nous appelant, Dieu ne nous mène pas hors du monde, mais plus au fond, au tréfonds, parce que pour aller loin, il faut d'abord avoir le sentiment de venir de très loin, et seule la prière intérieure, la prière en profondeur, nous convainc de notre propre mystère, en lui donnant vie, en nous persuadant de la transcendance qui nous habite et nous constitue, nous dépasse et nous fonde dans le même temps. Ce qui se dit de chacun de ses membres vaut pour toute 1'l'Eglise, dont le corps se construit à l'image des cellules qui le constituent. L'intériorité ne forme pas un camp retranché, encore moins une bulle, mais une large ouverture en faisceau, à partir d'un point lumineux, d'un noyau d'une densité proportionnelle à son rayonnement. Il ne s'agit plus d'atteindre des sommets vertigineux, mais bien de porter la prière jusqu'au bout de nos ongles, comme un influx, une onde de lumière, une connaissance d'amour qui envahit la chair en la clarifiant.


Extrait de La Vie du 18 mars 2010

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