mardi 21 janvier 2020

Perception directe



" Dans le silence, la joie, la paix, se trouve l’approfondissement de la perception.
La réflexion vous coupe de la vie, le raisonnement vous éloigne, alors que la perception, c’est un pôle direct sur le silence. C’est un art.
En Inde, on apprend à écouter la musique. C’est très rare de pouvoir écouter la musique sans avoir appris, sans nommer, sans juger, sans précéder ce qui va arriver, sans se remémorer la note finie, sans trouver harmonique, disharmonique, sans dire c’est ceci, c’est cela. Quand vous allez à l’opéra, vous voyez des gens qui vivent cet art : ils s’assoient, ils n’attendent rien, ils se donnent complètement à l’instant, vous sentez un corps complètement ouvert. Quelquefois, quand les premières notes surgissent, vous les voyez pris d’un tremblement, ils sont complètement habités, cela vient d’un très grand « lâcher prise ». Également quand le dernier mouvement s’est résorbé dans le silence, vous voyez ces gens qui laissent complètement se mourir le son en eux. Ils mettent longtemps à applaudir ou à taper des pieds.
On peut apprendre à écouter la musique, à regarder une sculpture, à goûter le vin, c’est un art. C’est profondément civique, c’est cela finalement la moralité du point de vue de l’Inde : apprendre à ressentir sans conceptualiser, sans préférer, sans juger ; uniquement ouverture sensorielle.
Quand vous écoutez la vie, il n’y a que la paix, mais quand vous pensez, vous jugez, vous refusez, il n’y a que la violence. La paix profonde vient de cette totale ouverture à la sensorialité. "

Eric Baret
Le Sacre du Dragon Vert, Editions Almora
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dimanche 19 janvier 2020

Relire son année, sa semaine, sa journée


Le début de l'année est une occasion de prendre de « bonnes résolutions » et de se retourner sur les mois écoulés. Un exercice que l'on peut aussi faire plus régulièrement, à la fin d'une journée, d'une semaine ou d'un mois.

« Les événements qui ont été vécus ne sont rien par eux-mêmes. Seule compte la manière dont nous les faisons nôtres en leur donnant un sens. L'homme qui ne revient pas sur ce qu'il a vécu reste à la surface de lui-même. Il n'y a pas d'expérience dans la pure facticité de l'événement. La relecture est le passage au langage et rien n'est réellement humain qui n'accède au langage », écrivait Joseph Thomas, jésuite, longtemps rédacteur en chef de la revue Christus. Être de mémoire, l'homme n'habite réellement le présent qu'à la condition de porter un regard sur son passé. Comment faire concrètement ? Familière de l'exercice, la tradition ignatienne propose une méthode de « relecture ».

Distinguer l'épaisseur du quotidien

Ni introspection - c'est-à-dire discussion de soi avec soi-même - ni examen de conscience ou bilan de moralité, la relecture est plutôt une « prière d'alliance » qui consiste à s'adresser à Dieu comme à un ami à qui je raconte ma journée ou ma semaine. Revoir mes pensées, mes actes, mes paroles pour prendre conscience de ce qui est survenu en moi. Et ainsi me rendre présent à l'action de Dieu dans ce que j'ai vécu, et saisir la véritable épaisseur de mon quotidien : « Le Seigneur est en ce lieu et moi je ne le savais pas » (Genèse 28, 16). « Je prie à partir de ma propre histoire qui est aussi une histoire sainte car le Seigneur y est présent », explique Frédéric Fornos, prêtre, dans son B.A-BA de la prière (Fidélité). L'enjeu est de « mieux comprendre comment Dieu travaille dans ma vie, dans celle des autres, dans le monde, complète Paul Legavre, directeur du centre spirituel jésuite d'Île-de-France, Manrèse. Cela suppose de croire que Dieu n'est pas absent du monde mais qu'il se communique sans cesse à nous ». 
Repérer la finesse du travail de l'Esprit saint dans mon quotidien pour ne pas être comme les neuf lépreux de l'Évangile qui, une fois guéris par le Christ, ne reconnaissent pas la source de leur libération et passent à côté de leur rencontre avec Jésus, tandis qu'un seul revient vers lui se jetant à ses pieds (Luc, 17). « De nos jours, on cherche surtout l'intensité des moments qui peuvent apparaître décousus les uns des autres. Il y a un enjeu spirituel à faire le lien entre les divers événements que nous vivons, à sentir le mouvement d'ensemble d'une journée, relève Frédéric Fornos. Prendre chaque soir dix minutes pour s'arrêter et regarder sa journée peut changer une vie ! »

Être attentif à l'écho des événements en moi

Quelle attitude adopter pour conduire cette prière de relecture ? On peut commencer par se rendre présent à Dieu. Physiquement d'abord, en trouvant un moment favorable - le soir ou en fin de semaine par exemple - ainsi qu'un lieu propice au silence, chez soi ou dans une église. Je peux débuter par un geste pour signifier ma disponibilité (un signe de croix par exemple), prononcer une simple prière « Seigneur me voici devant toi », en lui demandant d'examiner ma semaine avec son regard, et non selon mes propres critères, pour éviter de ruminer les mêmes événements ou les mêmes émotions qui feraient écran à la prière. 
Puis je fais défiler ma journée, ma semaine ou mon mois. Les lieux fréquentés, les personnes rencontrées, les actions entreprises... Mais aussi, pourquoi pas, les évènements plus collectifs « comme la crise des gilets jaunes ou le mouvement social des retraites », suggère Paul Legavre. Je choisis tel souvenir, tel visage, telle conversation. En observant leur écho en moi. « Relire sa journée demande d'être à l'écoute du retentissement affectif en soi des événements et des rencontres vécues. Comment ce que j'ai pu dire ou faire m'a-t-il affecté ? Comment tout cela résonne-t-il en moi : est-ce de l'ordre de l'ouverture (paix, joie, dynamisme) ? ou de la fermeture (tristesse, irritation, sécheresse) ? », détaille Frédéric Fornos. Cette semaine m'a-t-elle laissé dans la paix, la joie, ou ai-je ressenti de la tristesse, de la lassitude ? Quand ? Pourquoi ? « Dieu travaille, et cela se traduit par des mouvements intérieurs en nous, qu'on appelle des motions spirituelles. Certaines sont suscitées par l'Esprit saint, d'autres par celui que saint Jean appelle le "père du mensonge", le "diable" », explique Paul Legavre. « C'est en fonction de ces mouvements en moi que je vais pouvoir reconnaître ce qui me conduit davantage vers la vie ou pas », complète Frédéric Fornos. 
Mais ces « motions » ne sont pas de simples émotions, « sinon nous serions dans le seul registre psychologique et affectif, souligne Paul Legavre. Elles sont le propre de Dieu, elles viennent d'un autre que nous. Distinguer ce qui vient de moi, et ce qui est en moi le retentissement de l'oeuvre de Dieu demande un long travail. » On peut repérer par exemple que participer à une maraude procure une joie nouvelle, différente de celle du devoir accompli. Une joie qui me signifie que Dieu vient à moi par ce biais-là. « L'enjeu n'est pas le développement personnel mais l'accueil du royaume de Dieu dans ma vie », insiste-t-il.

Merci, pardon, s'il te plaît : trois étapes

Très concrètement, cette relecture peut se faire en trois étapes : « merci, pardon, s'il te plaît ». « Merci » pour « repérer comment Dieu s'est donné à moi, dans des choses élémentaires de la vie, qui ouvrent mon cœur à la beauté et à la bonté de sa création », explique Paul Legavre. « Pardon » car « à la lumière de ce "merci", des zones d'ombres apparaissent où je me suis dérobé à la vie, à l'amour ». Je peux alors identifier mes enfermements, manquements ou amertumes, et les confier à la miséricorde de Dieu. Enfin, le « s'il te plaît » consiste à se tourner vers demain, pour choisir un point concret afin de vivre davantage l'alliance avec Dieu et lui demander l'aide de son Esprit saint. Saluée par le pape François, le « merci, pardon, s'il te plaît » est aussi une bonne école de prière pour les plus petits. Dans une catéchèse de mai 2015, François fait également de « ces mots simples qui font d'abord sourire », les garants de relations « solidement enracinées dans l'amour du bien et dans le respect de l'autre ».
Félicité de Maupeou
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samedi 18 janvier 2020

Mots inventés du soir...


Le bonheur
dessin: Egon Schiele 1890-1918
les amants 1909

"Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Ève.
Tout se passe pour la première fois.
J’ai vu une chose blanche dans le ciel. On me dit que c’est la lune, mais
que puis-je faire avec un mot et une mythologie ?
Les arbres me font peur. Ils sont si beaux.
Les animaux tranquilles s’approchent pour que je dise leur nom.
Les livres de la bibliothèque n’ont pas de lettres. Quand je les ouvre, elles surgissent.
Parcourant l’atlas je projette la forme de Sumatra.
Celui qui brûle une allumette dans le noir est en train d’inventer le feu.
Dans le miroir, il y a un autre qui guette.
Celui qui regarde la mer voit l’Angleterre.
Celui qui profère un vers de Liliencron est entré dans la bataille.
J’ai rêvé Carthage et les légions qui désolèrent Carthage.
J’ai rêvé l’épée et la balance.
Loué soit l’amour où il n’y a ni possesseur ni possédé mais où tous deux se donnent.
Loué soit le cauchemar, qui nous dévoile que nous pouvons créer l’enfer.
Celui qui descend un fleuve descend le Gange.
Celui qui regarde une horloge de sable voit la dissolution d’un empire.
Celui qui joue avec un couteau présage la mort de César.
Celui qui dort est tous les hommes.
Dans le désert, je vis le jeune Sphinx qu’on vient de façonner.
Rien n’est ancien sous le soleil.
Tout se passe pour la première fois, mais éternellement.
Celui qui lit mes mots est en train de les inventer."

Jorge Luis Borges 1889-1986

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vendredi 17 janvier 2020

Sous les étoiles...




Ce soir, comme assez souvent, je suis sorti à la nuit pour ma dernière marche de la journée (la compulsion des 10 000 pas, n'est ce pas ...) sur le chemin qui mène à la propriété ou j'habite, en pleine campagne poitevine. Le ciel étoilé était splendide, clair, et beaucoup de "merci" à l'univers me sont montés. Merci de contempler ce ciel, de m'en nourrir, de marcher, de respirer l'air de la nuit avec mes poumons de presque 61 ans ... Du coup, je partage un texte de chanson, inspiré au départ par celle de Dylan, Shooting Star. Ce n'est pas une traduction mais une très très libre adaptation.




Je suis sorti sous les étoiles

et j'ai senti ta présence
tu avais su percer le voile
le voile des apparences
et moi j'ai tant essayé
de te suivre, d'y arriver
je suis sorti sous les étoiles
je me suis senti accompagné
Je suis sorti sous les étoiles
et j'ai vu ma vie défiler
je me suis juré que je resterais digne
de ce que tu m'avais enseigné
que je saurais grandir tout en restant fidèle
à ce qu'on avait partahé
je suis sorti sous les étoiles
j'ai su qu'il me faudrait veiller
j'écoute le vent
j'écoute la nuit
qui me font pressentir
ce qui n'a pas de prix
j'entends la rumeur de la vie
C'est le premier instant
c'est le dernier moment
je sens que tout commence et finit maintenant
je te rejoins
je te suis
je suis sorti sous les étoiles
et je me suis senti relié
au frères et aux amis
que tu avais aidé
à mûrir et à cheminer
ceux qui sont toujours là
ceux qui s'en sont allés
ceux qui doivent encore arriver
je suis sorti sous les étoiles
j'ai su qu'il fallait continuer


jeudi 16 janvier 2020

Légèreté !



Sur la route, allège-toi. Quitte tes valises trop lourdes. Ne sens-tu pas qu’elles pèsent au bout de tes bras, qu’elles altèrent ton pas ?
Déleste-toi. Ne conserve que l'essentiel. Les êtres qui soustraient avancent plus loin et plus sûrement que ceux qui ajoutent. Avance à ton rythme. Rien ne presse. N’aie pas peur.
Perdre n’est pas se perdre.

Judith Wiart

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mardi 14 janvier 2020

Et je suis sur la terre...

Voici un extrait du nouveau et premier recueil de poèmes de Sabine Dewulf avec des aquarelles de Caroline François-Rubino, qui paraîtra le 15 janvier.







A Matthieu Ricard


Au réveil est le livre
de l’infini ta paume fait l’épreuve

le fort s’est rompu

demeure seul ce pont d’air vif
d’une lacune à l’autre

froissement bruissement de feuilles accordées
piqûre d’or des renoncules
joie sans morsure du temps
tes sensations reprennent gouvernail
l’espace est une vasque

gratitude adressée
à personne

petite tu étais quand l’impasse accrochait
moqueries à ses masques
toi tu cherchais la clef

clef d’or ouvre l’ici
où la source reconnaît l’évidence
le revers du mystère

seuil franchi sans retour

*
Ayin œil et source fondus
implose toute chose

ni dedans ni autour
le nulle part déborde



Editions L'herbe qui tremble, 2020


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lundi 13 janvier 2020

Le cerveau, notre meilleur ennemi

Voici une explication des raisons de notre possible disparition. La conclusion nous indique que seul le travail sur soi peut sauver l'homme de ces fonctionnements primaires.

Le cerveau humain est une arme fatale. une « merveille » construite sur un principe pervers.
Paradoxe : la presse s’inquiète pour le climat puis annonce la vente de milliers d'avions. Sommes-nous collectivement stupides? Si oui, pourquoi ?

Éléments de réponse de Sébastien Bohler dans un livre passionnant, Le Bug humain. Par Fouad Laroui


C'est par les Akkadiens que Sébastien Bohler commence ses « leçons de l’Histoire ». Après un fort accroissement démographique, ils se heurtèrent aux limites de la culture du blé. La terre se tarit. La civilisation s’éteignit comme une population de bactéries dans un tube à essai qui dévorent la nourriture, se multiplient puis meurent quand il n’y a plus rien à manger. Un acarien ne se pose pas de question non plus : s’il peut manger, il le fait et ne réfléchit pas à l’avenir. Mais nous sommes quand même plus avisés que les Akkadiens et que les acariens? 

Non, en fait. Il se pourrait que le passage sur Terre d’Homo sapiens ne dure que le temps d’un battement de cils comparé à celui des cœlacanthes, ces fameux poissons fossiles, ou des requins. Pourquoi? C’est là qu’il faut s’intéresser à cette arme fatale qu’est le cerveau humain. Cette « merveille » est construite sur un principe pervers. Le cortex, siège de l’inventivité, de l’imagination, de tout ce qui nous fait homme, est le fruit d’une évolution récente. Il doit cohabiter avec ce qu’il y a de plus primaire en nous : le striatum, au cœur du cerveau. Nous avons le même striatum que les souris, et il n’a que cinq objectifs : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, glaner de l’information (pour mieux atteindre les trois premiers objectifs) et faire tout cela avec le minimum d’effort. 
Et voilà le défaut de câblage de l’homme, le problème fondamental : son superbe cortex est au service de son très primitif striatum. Quoi qu’il invente, c’est le striatum qui s’en servira. Nous sommes ses esclaves. Il exerce son pouvoir sur l’ensemble de nos actes. Comment? Par la dopamine. Sur ce point, nous ne sommes pas différents de la lamproie. Lorsque ce poisson trouve une proie et s’en nourrit, son striatum libère de la dopamine, la « molécule du bonheur », ce qui renforce les circuits neuronaux qui ont mené à bien l’opération. C’est un apprentissage, en fait - un apprentissage agréable. Apparus sur Terre plusieurs centaines de millions d’années après la lamproie, nous ne fonctionnons pas autrement.

Obsédé, le striatum? Il ne pouvait pas en être autrement : « La sélection naturelle n’a conservé que des individus dotés de striatums fonctionnant de cette manière. [...]
Cet aiguillon qui leur disait : “Va, mange autant que tu peux [...]. Copule autant que tu peux [...]. Montre-toi plus important que les autres [...]. Avale autant d’informations sur le monde que tu pourras.” »

Le lecteur de Bohler retrouvera ici les trois formes de libido distinguées par saint Augustin il y a quinze siècles : libido sciendi (le désir de savoir, la curiosité), libido sentiendi (désir sensuel, charnel) et libido dominandi (la volonté de pouvoir). Avant lui, Aristote disait que le désir d’apprendre, comme le désir tout court, était naturel. La science contemporaine a donc confirmé ces intuitions. Mais à la différence d’Aristote, cet apôtre de la modération et du juste milieu, notre striatum ajoute : « Et fais cela plus que les autres, sinon ce sont tes gènes qui seront submergés par ceux de tes concurrents. En conséquence, ne te modère surtout pas. »

C’est là le nœud du problème, qui explique l’impasse dans laquelle l’espèce humaine se trouve. 
« Maîtrisant toujours plus de technologies pour assouvir nos besoins, nous sommes incapables de nous modérer. » Seuls dans le règne animal, nous disposons d’un cortex. Il a imaginé la révolution industrielle, l’agriculture intensive, la biotechnologie. Elles conjuguent leurs efforts pour satisfaire la boulimie du striatum - en vain : il est insatiable. Pour Freud, l’inconscient mène la danse. En lisant Bohler, on peut se demander si ce n’est pas, à l’intérieur du striatum, ce petit îlot du plaisir qu’est le noyau accumbens. Nous sommes plus « agis » par lui que par notre volonté consciente. Qu’en aurait pensé Sartre, pour qui l’homme choisit librement ses actes ?


L’obsession du statut social 

La libido dominandi se traduit dans une société « évoluée » par la recherche d’un statut social supérieur. Thorstein Veblen étudia, il y a plus d’un siècle, les motivations des consommateurs aux États-Unis. Quand l’individu est à l’abri du besoin, sa principale motivation devient le désir d’émuler ou de dépasser le voisin. La consommation devient « ostentatoire » et conduit au gaspillage. 
Comme souvent chez Bohler, il s’agit de thèmes connus, mais qui prennent ici une dimension scientifique : leur soubassement physiologique est dévoilé. Le fait de regarder un individu en battre un autre dans une compétition sportive nous donne un shoot de dopamine. Dommage que personne n’ait pensé à placer Jacques Chirac dans un scanner pendant qu’il regardait un match de sumo : on aurait vu son striatum s’illuminer chaque fois qu’un des gros bébés en projetait un autre au-delà du cercle sacré... Le Corrézien rêvait inconsciemment de se mettre dans le sillage d’une de ces montagnes de chair pour aller mettre une raclée à un autre chef de meute, François Mitterrand ou Édouard Balladur...

Dans une expérience réalisée à Oxford en 2018, on montre à des singes les logos de Nike ou de Coca-Cola, en leur donnant la possibilité de cliquer sur un bouton pour les revoir. Ils ne le font pas. Mais si on montre brièvement ces mêmes logos à côté de la photo d’un singe dominant, ils se mettent à cliquer de façon compulsive pour les revoir - même si la photo du mâle alpha n’y figure plus ! 
Ils « désirent » maintenant ces marques en elles-mêmes puisqu’elles sont associées à un rang social supérieur... Quant aux adolescents, leur cerveau est un pur striatum : les parties frontales qui seraient aptes à le freiner ont encore un temps de retard. On comprend que certains en arrivent à voler, voire à se prostituer, pour se payer le dernier modèle de Nike ou d’Apple.

La catastrophe consumériste résulte donc de cette combinaison fatale : le cerveau d’un primate et la technologie d’un dieu. Pendant des millénaires, les signes de statut social étaient réservés à une minuscule élite, et la planète pouvait supporter leur consommation superflue. Seul Pharaon avait droit à sa pyramide... Tout a changé depuis la révolution industrielle. Et le mouvement s’est accéléré au cours du xxe siècle.


Sortir de l’impasse

Il semble donc que, pris dans une spirale négative, nous finirons comme les habitants de l’île de Pâques, qui ont littéralement mangé leur île et ont disparu. À moins d’aller au plus profond de nous-mêmes : jusqu’au striatum. Le cerveau est malléable. Les techniques de « pleine conscience » peuvent permettre au cortex de prendre le dessus. Si une personne obèse s’astreint à manger en pleine conscience, elle commencera à perdre du poids : le circuit de récompense du striatum est détourné de la simple absorption de calories.

Seule une partie du propos de Bohler a été ici commentée. Il y a des pages fascinantes sur notre soif d’information et ses conséquences néfastes - « connaître la météo réchauffe la météo »; sur le fait que les cerveaux d’enfants ne supportent plus le calme ; sur l’expérience du marshmallow, si révélatrice ; sur le striatum de mère Teresa, qui donne lieu à des développements passionnants sur les notions d’égoïsme et d’altruisme, même si l’on regrette que l’auteur n’ait pas évoqué l’utilitarisme et Pareto ; sur une expérience « proustienne » de l’auteur, même si celui-ci oublie de mentionner Proust - il est vrai que sa « madeleine » est une odeur infecte d’égout... 

Tout cela procure un plaisir de lecture certain, mais le fond de l’affaire est évidemment très sérieux : avant qu’il ne soit trop tard, il faut arriver à ce que notre conscience soit à la hauteur de notre intelligence. Vaste programme. 


Le Bug humain, de Sébastien Bohler, éditions Robert Laffont, 268 pages, 20 euros.

source : Magazine La Revue (pour l'intelligence du monde)

dimanche 12 janvier 2020

Libérez la force de la tendresse


Marie de Hennezel nous fait part de sa réflexion sur cet élan émotionnel, cette éclosion du cœur que l'aventure de vieillir permet de déployer.


CET ARTICLE EST RÉSERVÉ AUX ABONNÉS
Et si, en ce début d'année, la tendresse était notre nouveau potentiel ? Une émotion à libérer en chacun au fur et à mesure qu'on avance en âge ? C'est la conviction qui est au cœur du livre Et si vieillir libérait la tendresse, écrit à deux voix par la psychologue clinicienne Marie de Hennezel et le psychiatre et psychanalyste Philippe Gutton. La première apporte son expérience d'accompagnement du vieillissement et les nombreux témoignages sur le vécu intime de couples âgés qu'elle a recueillis dans le cadre de séminaires et de groupes de parole. Le second pose le regard conceptuel de l'universitaire sur cet élan émotionnel que Freud a identifié mais que la psychanalyse a ensuite négligé. À l'arrivée, un même regard sur un potentiel d'amour que l'avancée en âge rendrait possible. Et qui touche à tous les plans de la vie. Marie de Hennezel s'en explique.
Pourquoi avoir choisi ce thème ?
La tendresse est au cœur de toute vie et de tout être et nous porte de la naissance à la mort. Mais cet élan émotionnel, s'il est très présent dès le début de l'existence, notamment quand on est enfant et vulnérable, est ensuite mis de côté. Comme si les règles de la société, la place du pouvoir et des contraintes sur la vie adulte rendaient la tendresse incompatible avec la pulsion d'emprise sur le monde qui souvent nous guide. Même la psychanalyse ne lui laisse aucune place à côté de la sexualité et des pulsions. Une ignorance qui, pour mon coauteur, Philippe Gutton, psychanalyste, a contribué à associer la tendresse à une forme de faiblesse, de mièvrerie. 
Pourtant, vous affirmez qu'en vieillissant, nous pouvons retrouver ce sentiment comme un potentiel...

Oui, lorsque nous passons de l'emprise à la déprise, que nous retrouvons une forme de vulnérabilité par rapport au monde, la tendresse peut se faufiler, reprendre sa place et même devenir une force. Car nous libérons en nous une émotion nouvelle. J'ai rencontré bien des hommes qui avaient occupé des postes de pouvoir et découvraient leur potentiel de tendresse, une fois à la retraite avec leurs petits-enfants. « Devant eux, je fonds », me disait l'un d'entre eux. C'est aussi le moment où changent la sexualité et le désir. Les transformations physiques peuvent nous faire évoluer vers plus de tendresse et de sensualité et ce n'est pas un pis-aller ! Le deuil du corps jeune ouvre la voie vers un autre éros. C'est une capacité ignorée, un élan du cœur et du corps qui vient tout seul, si on lui laisse la place. Il peut nous faire désirer, aimer et vivre autrement. Il ne faut pas avoir honte d'un regard tendre... 
Sommes-nous tous aptes à explorer cette émotion nouvelle ? 
Je continue à le constater, les personnes qui acceptent mal de vieillir, de perdre du pouvoir sur les autres, sur la société, et qui veulent garder le contrôle, se ferment à ce potentiel. On observe alors un repli sur soi, voire une forme d'agressivité et de violence. Pour franchir cette porte, il faut accepter le changement, un certain lâcher-prise. Je ne dis pas que c'est facile. Il faut sans doute passer par une prise de conscience, découvrir une forme d'intériorité.
C'est donc un travail à mener en soi et avec soi ?
C'est un chemin qui se fait progressivement et où l'on apprend à tenir ensemble la force et la tendresse. Le voyage vers l'intériorité est une conséquence d'une évolution psychique vers moins de contrôle, un deuil à faire de certaines postures de nous-mêmes. Il faut accepter de laisser partir l'homme extérieur pour mieux accueillir l'homme intérieur. Vieillir est toujours présenté sous forme de perte, de diminution, jamais en positif. Or, si l'on rapetisse sous la toise, on peut grandir sur un autre plan. Se découvrir, par exemple, plus libres, plus disponibles. Le temps est comme dilaté. Une femme me disait qu'en vieillissant et après avoir lâché des obligations professionnelles et son stress quotidien, elle s'était découverte bien plus gaie ! 
Les femmes sont-elles plus accueillantes à la tendresse ? 
La tendresse n'est pas l'apanage des femmes. Ce n'est pas une question de sexe, plutôt de tempérament. On ne peut pas catégoriser. Je vois de plus en plus de jeunes hommes qui sont dans une vraie tendresse, par exemple avec leur bébé qu'ils câlinent tout autant que leur compagne. C'est aussi le résultat d'une évolution de la société, d'un retour aux valeurs dites douces. 
Que voulez-vous dire ? 
Nous nous sommes construits sur l'illusion du progrès constant, vers une société toujours plus performante et dominante. Mais nous devenons de plus en plus conscients qu'il faut chercher d'autres voies d'innovation moins prédatrices de la nature et de la Terre notamment. On peut faire un parallèle avec l'évolution de l'être qui avance en âge et qui doit s'ouvrir à d'autres valeurs. Même les neurosciences l'attestent aujourd'hui : les valeurs de douceur et d'empathie font du bien à l'homme et à la société. La tendresse est un facteur de longévité heureuse. Ce ne sont pas les rapports de pouvoir qui protègent du vieillissement, mais les interactions positives, le plaisir de la rencontre qui agit sur nos gênes. 
Comment cultiver la tendresse et développer cette émotion bienfaisante ? 
Il n'y a pas à « cultiver » la tendresse, il faut plutôt lui ouvrir la porte pour la laisser venir. Comment ? En étant attentif à tout ce qui réveille cette émotion . La main de mon compagnon, la vulnérabilité d'un bébé, la beauté fragile ouvrent à la tendresse et dilatent le temps. C'est à chacun d'être présent à cette émotion en lui. Ma mère avait reçu un livre de photos familiales pour ses 90 ans et, à la fin de sa vie, le feuilleter tous les jours était devenu son rituel de tendresse.

> Comment la réveiller en soi ?

Le soir au coucher, en vous remémorant votre journée, cherchez à repérer ce qui a éveillé cette émotion en vous. Quand ai-je ressenti de la tendresse aujourd'hui ? En prenant la main de mon compagnon, en posant un regard ému sur un enfant au square, sur une personne âgée dans la rue, en découvrant de jeunes pousses vertes sur mon balcon ? La tendresse touche au désir et à la sensualité et peut naître dans l'intimité des rapports amoureux, mais aussi à tout moment de la vie, d'une parole lue ou même d'une seule belle phrase entendue à la radio ! La rencontre de la beauté à travers l'art, la lecture, la photo peut aussi éveiller en soi un élan de tendresse. C'est un autre rapport à l'existence qui se construit et auquel il importe d'être chaque jour attentif. 

> À lire 

Et si vieillir libérait la tendresse,  de Marie de Hennezel, Philippe Gutton, Old'Up. Connivence douce d'un couple comptant 60 ans de vie commune, jeunes amoureux de 70 ans... En partant de témoignages intimes sur la sensualité et la transformation du désir, le livre explore le lien entre la tendresse libérée et l'accomplissement d'une vie.

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vendredi 10 janvier 2020

Entrons en contact avec notre peau


La peau constitue l’organe le plus grand du corps humain : elle représente 16 % de son poids total.  D’un point de vue chimique, la peau comprend en moyenne : - 70% d'eau - 27,5% de protéines - 2% de matières grasses - 0,5% de sels minéraux et oligo-éléments.  Elle est constituée de trois couches de tissus : 
 - L’épiderme, la couche superficielle 
 - Le derme, couche intermédiaire 
 - L’hypoderme, couche profonde 
C'est grâce à la peau que nous avons toutes les informations sur la texture, la température ou encore la consistance. La peau fourmille de terminaisons nerveuses très sensibles. 

La peau est reliée au poumon.

La peau est en relation avec le monde extérieur : elle réagit aux agressions du monde environnant, qu'il soit physique ou psychologique. C'est la peau qui donne les premières indications (avec le nez... !)

La peau est en relation avec le système nerveux : elle est issue du même feuillet embryologique (l'ectoderme). Tous les dermatologues devraient être psychologues et inversement. Quand les relations sont tendues, la peau s'enflamme.

La peau est aussi en liaison avec les organes digestifs, vu sa peau s'altérer après une nourriture trop riche ou après un repas trop copieux. Les laitages semblent exacerber les soucis de peau.

Les grands points en shiatsu
40V (grand point de la peau), 
10RP « mer du Sang »,


17V Shu du Sang.

source : vade-mecum de shiatsu Thérapeutique
de Bernard Bouheret


La peau sépare le monde en deux parties
Côté couleur, côté douleur.
Paul Valéry


jeudi 9 janvier 2020

Emerveillement...


" Le monde ne mourra pas par manque de merveille mais uniquement par manque d'émerveillement."

 Voici des extraits choisis du document de la RTS sur Vincent Munier, photographe animalier :