samedi 7 mai 2022

Ta souffrance


Ta souffrance

est une maîtresse
exclusive
qui ne se laisse pas quitter
ni négliger
sans coup férir
fais tu mine de l’oublier
qu’elle produit ses dossiers
convoque ses affidés
elle te tient
tu lui es attaché
soumis en vérité
elle se rit
de tes velléités
d’émancipation
de tes résolutions
de liberté
voilà bien longtemps
qu’elle a pris ses quartiers
en ta demeure dévastée
prétendre l’en déloger
est osé
pas moins que présomptueux
elle en a vu défiler
des versions de toi
plus ou moins assurées
mais au final toutes
si peu armées
face à sa position
de reine
héréditaire
campée sur son bon droit
si sure d’elle
de ses lois
lui échapper
est malaisé
rare
inespéré
il y faut de l’innocence
de la pureté
et de la générosité
si par quelque grâce
tu viens à te sevrer
de sa passion triste
et féroce
tu n’en es pas pour autant
léger
comme plume au vent
il te reste la souffrance
plus la tienne, non
juste celle
du monde entier

Gilles Farcet

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vendredi 6 mai 2022

Le but d'être sans but ?

 Le mot méditation est aujourd’hui sur toutes les lèvres.

En 1967, Il y a plus de cinquante ans, je demandais à Graf Dürckheim ce qu’il entendait par méditation ?

« Méditation ! C’est un concept. Si vous posez cette question à vingt personnes je suis persuadé que vous aurez vingt définitions différentes. On ne peut pas dire la méditation c’est ça ! On peut décrire ce que l’on comprend en pratiquant soi-même un exercice proposé sous ce nom. La méditation que je pratique et enseigne est désignée au Japon comme étant zazen. »

Le maître Zen Hirano Katsufumi Rôshi, que nous avons eu l'honneur et la chance de recevoir au Centre au cours des dix dernières années, a toujours souligné que « Il y a mille et une façons de méditer mais qu'il n’y a qu’une façon de pratiquer zazen ».


Pour Graf Dürckheim, la visée du Zen est la découverte et la libération de la vérité de soi-même. Qu'est-ce que la vérité?

Jinen San, Maître Zen qui enseigne au Japon et en Australie, répond que "La vérité est la vérité sans vérité ! C'est la vérité. Et il ajoute que "Lorsque nous disons ou mentionnons simplement la vérité, c'est habituellement la vérité dans le concept. Il y a donc une séparation entre la vérité et la vérité conceptuelle".

On ne pratique pas zazen avec le mental. A la question - Pourquoi est-il si difficile de faire l'expérience de la vérité ? Jinen San répond: "Si difficile ? Parce que nous pensons! C'est une sorte d'habitude, nous pensons qu'il faut tout penser... voilà le problème. Nous pensons que nous ne savons pas grand-chose sur les choses sans les conceptualiser, sans les approcher par la pensée. Ce qui est la cause de beaucoup de problèmes".

- Vous voulez dire que la clé qui ouvre sur la vérité est donc la MÉDITATION ?

« C'est la raison de la méditation. Mais lorsqu'on dit "méditation" il serait plus juste de dire ZAZEN. Lorsqu'on dit "méditation", c'est une pratique à travers le concept. Zazen est hors concept. On utilise la même position assise pour zazen ou pour méditer, mais la manière de pratiquer est très différente si on médite ou si on pratique zazen".

Parmi les promoteurs d'une pratique méditative dite moderne - la méditation de pleine conscience -nombreux sont les initiateurs qui font l'amalgame entre zazen et méditation. En affirmant un tel assemblage ils attestent d'une vérité : ils n'ont jamais encore pratiqué zazen. La plupart des personnes qui pratiquent "la méditation de pleine conscience" cherchent à obtenir quelque chose. La liste des CENT bienfaits associés et promis à celles et ceux qui pratiqueront cette méthode est en totale opposition avec l'exercice essentiel du Zen - ZaZen - qui est pratiqué SANS but.

Je ne pratique pas zazen en espérant atteindre un but prémédité. Je ne pratique pas zazen en cherchant à me faire une idée de la vérité qu'il me faudrait atteindre.

Pratiquer zazen en ayant un but, serait faire de zazen un moyen alors que zazen, par lui-même, est l'activation des qualités d'être qui sont à l'origine, au commencement de notre existence : la paix de l'âme (le calme intérieur), la paix de l'esprit (la sérénité) et la simple joie d'être qui en est l'expression.

Le Maître Zen Daigu Ryokan (1758-1831) écrit que " Zazen n'est pas un moyen ; zazen est une preuve".

Une preuve ? Oui, la confirmation à travers un vécu intérieur, de la libération de notre vraie nature d'être humain hors des chaînes d'un moi mondain - l'ego - qui est devenu le domaine de l'angoisse et des états qui l'accompagnent (soucis, inquiétude latente, peur souterraine). Expérience libératrice qui, même lorsqu'elle a la douceur d'un souffle, est bouleversante.

Zazen est l'exercice au cours duquel s'opère une véritable métamorphose. "Lorsqu'on pratique zazen, le corps prend la forme du calme !" (Hirano Roshi).

Zazen est un exercice indubitablement corporel et spirituel. 

Corporel ! Ici encore il nous faudra distinguer la vérité dans le concept et la vérité vraie. Ce qui exige d'avoir un regard nouveau sur ce qu'on appelle : le corps.

Passage de l'idée d'un corps que l'homme —A — à l'expérience du corps que l'homme —EST—. Au cours de la pratique de zazen s'éveille la conscience de ce que les japonais désignent comme étant le corps du Chemin". Cela ne concerne pas le corps que nous avons (Körper) mais le corps vivant dans sa globalité et son unité. (Leib).

C'est dans l'attention à l'acte de respirer que nous expérimentons la métamorphose de notre manière d'être au monde. " La respiration est davantage qu'une alimentation de l'homme en oxygène. L'acte de respirer est ce geste vital au cours duquel l'homme peut se donner lorsqu'il expire et se recueillir lorsqu'il inspire" (K.G. Dürckheim).


Lorsqu'on pratique zazen il faut donc éviter de se concentrer sur quelque chose : la respiration. Ce qui importe est l'attention portée au fait que en ce moment, pour ce moment, "Je Inspire"!

Il serait plus approprié d'écrire —JeInspire— sans intervalle entre le sujet et le verbe. Parce que, en vérité, il n'y a ni distance ni écart de temps entre ce que je nomme "Je" et ce que je nomme "inspire". "Je respire" est la vérité dans le concept. "JeInspire" est la vérité vraie.

Spirituel ! Lorsque la vie spirituelle devient une profession de foi et donc, une vérité dans le concept et un objet de réflexion mentale ; la personne se coupe de sa racine essentielle, de sa propre essence, de sa vérité vraie. Le Maître Zen - qui n'est pas un maître de vie mais un maître dans la pratique d'un exercice - nous propose une Voie d'éveil à notre nature spirituelle à travers un chemin d'expérience et d'exercice. Les grandes formules abstraites, les grandes idées laissent place à un engagement : "Le chemin est la technique ; la technique est le chemin".

Jacques Castermane

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jeudi 5 mai 2022

A peine...

 A peine la journée commencée et… il est déjà six heures du soir.

A peine arrivé le lundi et c’est déjà vendredi

et le mois est déjà fini

et l’année est presque écoulée

et déjà 40, 50 ou 60 ans de nos vies sont passés.

et on se rend compte qu’on a perdu nos parents, des amis.

et on se rend compte qu’il est trop tard pour revenir en arrière.

Alors… Essayons malgré tout, de profiter à fond du temps qui nous reste.

N’arrêtons pas de chercher à avoir des activités qui nous plaisent.

Mettons de la couleur dans notre grisaille.

Sourions aux petites choses de la vie qui mettent du baume dans nos cœurs.

Et malgré tout, il nous faut continuer de profiter avec sérénité de ce temps qui nous reste.

Essayons d’éliminer les « après » …

Je le fais après,

Je dirai après

J’y penserai après

On laisse tout pour plus tard comme si « après » était à nous.


Car ce qu’on ne comprend pas, c’est que :

après, le café se refroidit …

après, les priorités changent …

après, le charme est rompu …

après, la santé passe …

après, les enfants grandissent …

après, les parents vieillissent …

après, les promesses sont oubliées …

après, le jour devient la nuit …

après, la vie se termine …

Et après c’est souvent trop tard…. Alors… Ne laissons rien pour plus tard…

Car en attendant toujours à plus tard, nous pouvons perdre les meilleurs moments, …

les meilleures expériences,

les meilleurs amis,

la meilleure famille…

Le jour est aujourd’hui… L’instant est maintenant…

 Jacques Prévert (1900-1977).

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mercredi 4 mai 2022

Acceptation

 


"Chaque fois que quelqu'un vous accepte complètement, sans condition, vous commencez à changer. L'acceptation vous donne un grand courage. Lorsqu'il y a quelqu'un qui vous aime tel(le) que vous êtes, remarquez-vous le miracle du changement se produire, combien rapidement cela se transforme ? Le fait même que vous soyez aimé et accepté tel que vous êtes, que rien ne soit attendu de vous, cela vous réchauffe, cela vous anime, cela vous intègre, cela vous donne confiance. Cela vous fait sentir que vous existez. Que vous n'avez pas à répondre à des attentes extérieures, que votre être vrai est respecté et aimé.

Même si vous trouvez une seule personne qui vous respecte complètement (parce que tout jugement prouve un manque de respect), qui vous accepte tel(le) que vous êtes, qui ne vous demande rien, qui dit: "Sois toi-même. Sois authentique. Je t'aime. Je t'aime toi, pas ce que tu fais. Je t'aime tel(le) que tu es au plus profond de ton être, je me fiche de ta coquille extérieure ou de tes vêtements. J'aime ton être, pas ce que tu as. Je ne me soucie pas de ce que tu as, une chose m'importe : ce que Tu Es. Et tu es extraordinairement belle/beau ! "

C'est l'Amour. C'est pourquoi l'amour nous accomplit si profondément. Aimez-vous et acceptez-vous d'abord et sachez que chaque fois que vous trouvez une Femme ou un Homme qui vous aime simplement sans raison, juste pour l'amour, ce genre d'amour transforme !

Il n’y a qu’une façon d’aimer les gens, c’est de les aimer tels qu’ils sont. Ici réside la beauté : lorsque vous les aimez tels qu’ils sont, ils changent ; pas en fonction de votre réalité - ils changent en fonction de leur propre réalité. Lorsque vous les aimez, ils se transforment. Ils ne se convertissent pas, ils se transforment. Ils sont renouvelés, ils se développent, ils atteignent de nouvelles dimensions de leur Être. Mais cela se passe à l'intérieur d'eux, selon leur propre Nature.

Tout à coup, vous devenez une personne différente, une personne que vous n’avez jamais vue, vous vous souvenez de VOUS, vous devenez VOUS. Soudain toute la tristesse disparaît, toutes les difficultés disparaissent. Vos Pas seront transformés en une danse et votre cœur chantera la chanson."

Auteur inconnu ⭐️

(Traduit de l'anglais par la page “L’armure et l’amour” de Unions Sacrées " Amours Solaires de la Nouvelle Terre.)

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mardi 3 mai 2022

Question sans réponse


 " Je ne pense pas que la nature connaisse la solitude terrible dans laquelle nous pouvons nous trouver.

Je suis parfois soufflé par la conversation incessante du pré qui fait face à la fenêtre devant laquelle j’écris. Je regarde, je n’entends rien, la fenêtre est fermée, et quand bien même serait-elle ouverte, aucune rumeur ne me parviendrait, mais je vois très bien l’agitation des brins. Ils sont comme huilés par la lumière.

Si j’avais le talent de regarder à fond – un talent qui me manque trop souvent -, je verrais, parce que je le sens, que chaque brin est différent du brin voisin. Ils sont sans arrêt pris dans un événement. Dans l’événement de la brise, de la pluie, dans l’événement des lumières qui vont, qui viennent, qui s’affairent on ne sait trop à quoi, du jour qui s’en va, du froid qui remonte de la terre.

Est-ce qu’il y aura encore un autre jour ? Le pré est rempli de mille questions qui sont sans impatience d’une réponse. "

Christian Bobin - Le plâtrier siffleur 

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lundi 2 mai 2022

L'essence des mains qui transforment

 

Il n'y a pas demain, il y a Main tenant ! 

Se laisser toucher comme on approche l'instant.

On est souvent à deux doigts du bonheur.

Paumé, juste alors ressentir au creux du cœur

Une palpitation qui s'incarne. Gasho !



"Grand-Maman, que faire avec la souffrance ?

- Utilise tes mains mon enfant ! Si tu utilises ton mental, la souffrance s’accentue.

- Mes mains ?

- Oui, oui ! Nos mains sont les antennes de notre âme.

Quand tu les utilises en cousant, en cuisinant, en peignant, en touchant le sol ou en les plongeant dans la terre, tes mains envoient des signaux d’amour au plus profond de toi et ton âme se calme. Et elle n’a plus besoin de la souffrance pour que tu prennes soin d’elle.

- Les mains sont-elles vraiment si importantes ?

- Oui, pense aux bébés, ils découvrent le monde en le touchant. Quand tu regardes les mains des personnes âgées, elles t’en racontent davantage sur leurs vies que n’importe quelle autre partie de leur corps.

Il est dit que tout ce qui est "fait main" est fait par le cœur, parce que c’est vrai, les mains et le cœur sont connectés. Les masseuses le savent. Quand elles touchent le corps de quelqu’un avec leurs mains, elles créent avec cette personne une connexion profonde. Pense aux amoureux, quand ils se prennent la main, ils subliment leur amour.

- Grand-Maman, depuis combien de temps n’ai-je pas utilisé mes mains de cette façon ?

- Utilise-les, mon enfant ! Crée de tes mains ! Et tout à l’intérieur de toi se transformera ! La douleur ne disparaîtra pas, mais elle se métamorphosera en la plus merveilleuse des œuvres d’art. Elle ne te fera plus souffrir. Parce que tu auras réussi à embellir ton essence."

Elena Barnabé

illustration : Emilia Dziubak

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dimanche 1 mai 2022

Le changement intérieur

 


"Il ne suffit pas de manger bio et de se chauffer au solaire. Il n'y aura pas de changement de société sans changement humain. Et pas de changement humain sans changement de chacun. J'espère que l'humanité comprendra enfin que la grande mutation sera celle de l'âme humaine." (Pierre Rabhi)

samedi 30 avril 2022

Un urgentiste en réanimation


De l'autre côté du miroir Témoignage d'Olivier Debas

Gilles Farcet : J'ai souhaité partager ici ce beau témoignage de mon ami de très longue date Olivier Debas , médecin urgentiste et hypno thérapeute, élève de François Roustang. Il évoque ici son incursion "de l'autre côté", juste avant le premier confinement. Rien de polémique ici, juste un magnifique témoignage de lâcher prise.

De l’autre côté du miroir,

Ma femme, effondrée, vient de me déposer sur le parking des urgences. Je me dirige péniblement vers l’interphone de l’entrée des Urgences réservés aux patients suspects de COVID-19 avant d’appuyer sur l’interphone. A cet instant, et avant même que la porte ne s’ouvre, cela ne fait plus l’ombre d’un doute, je viens de passer de l’autre côté. Je suis malade et n’ai pas été épargné du SARS- CoV-2 dont la présence s’est fait sentir depuis plus d’une semaine. Ceci très certainement dans les suites d’une expédition demandée par l’ARS dans un EHPAD pour effectuer des prélèvements avec la cadre de mon service cinq jours plus tôt encore. Et ce qui semblait de prime abord anodin, des céphalées, des courbatures, des frissons et une petite asthénie, s’est aggravé depuis quarante-huit heures. Beaucoup de fièvre, une fatigue inhabituelle, un peu de toux et un essoufflement dont j’ai à ce stade à peine conscience. C’est alors que j’ai décidé de prendre les choses en main, de sortir de mon isolement pour me livrer à l’expertise et aux soins de mes confrères. Je l’ignore encore mais je vais être hospitalisé 17 jours loin des miens puisque toute visite sera désormais interdite. En USC d’abord dans le pôle dont j’ai la responsabilité et après un scanner thoracique et des gaz du sang sans appel. Puis rapidement transféré via le SAMU à Chambéry en pneumologie, et même en réanimation où j’échapperais à la ventilation invasive avant de retourner en USC puis en pneumologie à nouveau.

Dès mon arrivée ce jour-là aux Urgences, il me faut m’abandonner. Aux différents examens et soins prescrits, des plus inoffensifs comme la toilette aux plus redoutés comme les ponctions artérielles. Se laisser faire sans offrir la moindre résistance, s’effacer en quelque sorte au point de se réduire à être vivant comme l’a si bien explicité François Roustang. Abandon rendu toujours plus intense et nécessaire pour éviter une consommation accrue d’oxygène durant ces premiers jours où mon état respiratoire va s’aggraver dangereusement au point de me conduire en réanimation. Abandon suggéré et rappelé aussi par un manque cruel d’air, enfant d’abord lors d’une crise d’asthme puis beaucoup plus tard, lors d’une plongée sous-marine et de ce qui m’avait permis alors d’éviter le pire : ne plus rien faire, ne plus penser, attendre patiemment avant que le souffle reprenne son cours normal. S’abandonner donc, à plus grand à ce qui nous dépasse infiniment et avec confiance. Je me souviens alors en réanimation et en plein orage cytokinique comme on l’appelle désormais, m’être laissé aller à jouer de ces frissons intenses, de ces décharges comme des éclairs, à en ressentir les nuances et les embardées du début à la fin sans opposer la moindre résistance.

Mais aussi, après 23 ans passés en réanimation avoir pensé à ces patients intubés, ventilés profondément sédatés, curarisés au devenir incertain, sur le fil du rasoir, dont certains n’auront jamais eu l’occasion, ni eux, ni parfois leurs proches, de se dire adieu...

Une telle issue et son cortège de souffrance m’a traversée l’esprit mais sans s’y attarder. Une possibilité parmi d’autres et non comme une certitude. Les émotions sont un luxe que je ne peux me permettre, j’ai besoin de toute mon énergie. Revenir au corps ici et maintenant, tel qu’il est, voilà où je suis vraiment, seule certitude. Primum non nocere, ne pas nuire et en l’occurrence ne pas lui nuire. Lui permettre d’être installé aussi confortablement que possible comme lors d’une séance d’hypnose. S’assurer de la proximité de la sonnette, de l’urinal, du portable qui continue de me relier au monde et aux miens. S’évader aussi parfois en s’émerveillant d’un reportage animalier, de la force de la nature, de la vie. La vie encore et toujours, celle que le corps va finalement choisir de reprendre le cours. C’est lui bien sûr et pas moi, qui a “fait le job” et qu’il me faut remercier. Ainsi, bien sûr, que toutes celles et ceux qui ont pris soin de moi pendant ces 17 jours. Après les retrouvailles et sur la route d’un retour chez moi, chez nous, je regarde, émerveillé le lac du Bourget étincelant, avec de grands miroirs, calme et tranquille comme jamais.

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vendredi 29 avril 2022

Au fond de ma poche



 " Moi j'ai très peu de choses au fond de ma poche: un ou deux sourires, deux ou trois phrases glanées dans quelques livres.

J'ai une petite boite avec moi, qui n'existe pas mais qui ne me quitte jamais.

Elle ressemble à ces petites boites dans lesquels les enfants s'amusent à mettre des perles.

Dedans, j'ai mis quelques sourires et parfois je les regarde et ils sont aussi beaux et neufs qu'autrefois.

C'est l'amour qui est dans cette petite boite.

Ce qui existe de manière plus forte que le monde entier.

Je peux tout perdre mais pas ça.

Quand je l'ouvre, je retrouve le vrai sens, la vraie direction, l'unique certitude que je peux avoir.

C'est quelque chose de minuscule mais d'indestructible.

Je n'ouvre pas souvent cette petite boite.

Je ne l'ouvre que de temps en temps pour que rien ne s'évente mais le regard que j'y jette a cette durée très longue des éclairs et j'en ramène un sentiment d'éternité." 

Christian Bobin - La lumière du monde.


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mercredi 27 avril 2022

Comme un alcool fort...

 


Loin du temps de sa jeunesse où il s’évertuait à tenir le tragique à distance à grands renfort de méditations, de croyances et d’espérances, il cohabitait désormais avec lui.

Il ne se protégeait plus de la violence intrinsèque de la vie. Il la goûtait, la savourait, comme le palais apprécie un alcool fort dont les arômes subtils se révèlent à l’intérieur d’une brûlure.

Vers la moitié du chemin de sa vie, il avait entendu son ami spirituel, cet émetteur-récepteur qu’une confondante grâce lui avait permis de détecter pour ne plus jamais s’en éloigner, prononcer une parole : « si vous vous libérez de votre propre souffrance, vous héritez de celle du monde entier ». Plus il avait avancé en âge et en maturité, plus cette phrase lui était apparue comme vertigineuse de vérité.

Telle était donc désormais sa situation. Au fait de l’être-heureux, mais d’un être-heureux non dénaturé, non travesti en facilité et recettes d’un bien-être sourd et aveugle, il s’affranchissait peu à peu. Non de la souffrance mais ce qu’il y avait d’égocentrique et inutile dans sa souffrance. S’affranchissant de la sorte, il commençait à veiller, d’une veille modeste, presque insignifiante et pourtant combien cruciale, à l’écoute, poitrine nue, de la douleur ambiante.

C’était un insigne privilège, une terre de solitude aussi où l’on n’avait guère plus d’amis tout en étant très entouré. Et dans cette solitude, une sorte de ligne directe avec la source le maintenait debout.



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Ecouter le groupe de Gilles :
Ouais, tu es, bien coincée
Ouais tu es bien blindée
Ouais tu est bien shooté
Ouais tu es bien allumé.
M’entends tu donc frapper contre ta porte
M’entends tu donc frapper comme un damné.
M’entends tu donc frapper dans ta sale allée.
Tend moi la main laisse moi entrer
Je ne suis pas un étranger
Ne me traite pas en pariah
M’entends tu donc frapper ? Es tu endormie
M’entends tu donc cogner sur ton parvis
M’entends tu donc frapper ? Balance moi les clés.
Je te supplie à grand cris
Sors de ton lit je t’en prie
je suis par terre à genoux
Moi je me traine dans la boue
Entends mon cri
Qui te hante
Prends donc ma vie
Si ça te chante
Je suis à bout Je déjante
Je suis cramé, oui à cran. M’entends tu donc frapper contre ta porte
JE TE SUPPLIE A GRAND CRIS ...

M’entends tu donc frapper comme un damné
M’entends tu donc frapper dans ta sale allée

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mardi 26 avril 2022

Le sentiment « d’être moi-même » (2)


 Lorsque nous permettons à notre être essentiel de se mélanger ou de s’identifier aux qualités de l’expérience, son état naturel de paix et de bonheur se voile ou s’obscurcit.

De même que l’eau n’a pas de goût en soi mais acquiert le goût de l’ingrédient auquel il est mélangé pour sembler devenir, par exemple, du thé ou du café, notre être ou soi essentiel ne possède aucun attribut propre mais assume les qualités de l’expérience, paraissant ainsi devenir une personne, un soi ou ego fini.

Par exemple, lorsqu’un sentiment tel que la tristesse, la solitude ou l’anxiété apparaît, nous ne nous connaissons plus tel que nous sommes essentiellement : transparent, silencieux, paisible, comblé. Notre connaissance de nous-mêmes est mêlée à ce sentiment et s’en trouve modifiée. Nous faisons abstraction de notre être en faveur du sentiment.

En fait, nous paraissons devenir le sentiment en question. « Je ressens de la tristesse » devient « je suis triste ». Nous nous perdons dans l’expérience. Nous nous oublions. Toutefois, cet oubli n’éclipse jamais totalement le sentiment « d’être moi-même ». Celui-ci se voile partiellement car même les sentiments les plus sombres ne parviennent jamais à occulter l’expérience « d’être moi-même ».

Lors d’une dépression, par exemple, notre expérience est tellement entachée de noirceur que les qualités de paix et de bonheur qui nous sont innées se retrouvent presque totalement obscurcies. Notre soi semble terni ou enténébré.

Cependant, de même que la nature de l’eau ne bouge pas même lorsqu’elle est mélangée à du thé ou à du café, notre soi essentiel conserve son état de pureté même lorsqu’il est mélangé au contenu de l’expérience. Il suffit tout simplement de ne pas perdre de vue son être ou soi essentiel dans chaque expérience.

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Se sentant limité, le soi séparé ou ego est enclin à la vulnérabilité et à l’insécurité et va donc chercher à se défendre. C’est l’impulsion qui se cache derrière toute réactivité émotionnelle : une tentative de restaurer l’équilibre qui constitue l’état naturel de notre soi ou être essentiel.

Étant vulnérable, le soi séparé ou ego a tendance à se sentir peu sûr de lui, inférieur ou mal aimé, et pour tenter de rétablir la dignité inhérente à notre véritable nature, il chercher à se magnifier. C’est l’impulsion qui se dissimule dans la plupart des plaintes, des critiques et des jugements.

Enfin, se sentant incomplet, le soi séparé ou ego verse dans un sentiment d’insuffisance, d’insatisfaction ou d’inadéquation. Et pour retrouver son état naturel de complétude, il cherche la plénitude dans l’acquisition d’objets, dans les drogues et l’alcool, dans des états mentaux spéciaux et dans une frénésie de relations.

Le soi séparé ou ego vit ainsi un sentiment de manque constant : un sentiment d’insuffisance chronique et insidieux, entrecoupé de périodes de détresse aiguë. Cette souffrance est l’inéluctable rançon de l’oubli ou de la méconnaissance de notre véritable nature.

La profondeur de notre souffrance dépend de notre degré d’amnésie. Jusqu’à quel point avons-nous permis au sentiment ou à l’expérience du moment de voiler la paix et le bonheur qui se trouvent au cœur de notre être ?

De même que la souffrance est inévitable pour le soi apparemment séparé ou ego, la résistance et la recherche constituent les deux activités qui régissent ses pensées, ses sentiments, ses activités et ses relations dans sa tentative de retrouver sa paix et son bonheur innés.

Le soi séparé ne réalise pas que sa véritable aspiration ne consiste pas à défendre ou à combler l’entité qu’il s’imagine être mais bien plutôt à se délivrer de ses apparentes limitations et de retourner à son état naturel.

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Cette perte de la paix et du bonheur amorce une recherche acharnée dans la sphère de l’expérience objective, recherche qui est tôt ou tard vouée à l’échec. D’ailleurs, aucun de nous ne serait en train de lire ce livre si notre quête n’avait pas, dans une plus ou moins grande mesure, échoué.

Lorsque nous sommes suffisamment revenus de nos illusions quant à la capacité de l’expérience objective à nous procurer la paix et le bonheur auxquels nous aspirons, beaucoup d’entre nous se tournent vers les traditions religieuses ou spirituelles qui semblent nous offrir une promesse de plénitude.

À cette fin, nous nous consacrons à des pratiques de méditation, de prière, de yoga, de visualisation, nous nous livrons à des régimes alimentaires spéciaux, à des régimes régis par la discipline et à des enseignements spirituels. Et tout cela peut, dans une certaine mesure, apaiser la souffrance provoquée par notre aspiration, et rétablir un certain degré d’équilibre et d’harmonie dans nos vies.

Or, si nous mettons un tant soit peu notre paix et notre bonheur à la merci de l’expérience objective, aussi raffinée ou noble soit-elle, nous pouvons être certains que le sentiment de manque continuera de couver sous le vernis de la paix. Et tôt ou tard, il nous incombera d’avoir la clarté et le courage de tourner le dos à l’aventure de l’expérience pour revenir à notre soi.

Les grandes traditions religieuses et spirituelles abritent en leur cœur un grand secret : il consiste à comprendre que l’expérience objective ne peut jamais nous apporter la paix et le bonheur auxquels nous aspirons tous. Nous ne pouvons les trouver qu’en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre être.

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Le soi séparé ou ego est l’entité apparente qui résulte du mélange de notre soi et des limitations de l’expérience. Lorsque notre être se dépouille des caractéristiques que l’expérience semble lui avoir conférées, la littérature traditionnelle parle alors d’« illumination ». Notre être perd les limitations de l’expérience qui avaient semblé l’obscurcir ou « l’enténébrer ».

Ainsi, l’illumination ne constitue pas en soi une expérience nouvelle ou extraordinaire à atteindre ou à obtenir. Elle consiste tout simplement en la révélation de la nature originelle de notre soi ou de notre être. Rien ne pourrait être plus familier ou plus intime que notre être, raison pour laquelle nous avons le sentiment de rentrer à la maison. Dans la tradition zen, on parle de la reconnaissance de notre visage originel.

Il n’y a rien d’exotique ni de mystique dans l’éveil. Il s’agit simplement de la reconnaissance de ce que l’on a toujours connu — de ce qui est en fait toujours connu jusqu’à ce que l’expérience vienne le brouiller.

Personne ne devient illuminé. Notre être est tout simplement délivré d’une limitation imaginaire, à la suite de quoi, sa condition naturelle de paix et de bonheur rayonne.

Extrait du livre "Etre moi-même" de Rupert Spira, editions Accarias L'Originel
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