jeudi 13 août 2020

Honorer le désir



Le problème ne vient pas de ce que nous désirons trop, mais de ce que nous ne désirons pas assez. Non pas en quantité, car c’est plutôt de l’éparpillement et du manque d’intensité qui en découle qu’il est ici question. En dispersant l’énergie tous azimuts, nous nous voilons la face sur les quelques désirs centraux que nous n’osons pas reconnaître et nous dilapidons une précieuse énergie qui permettrait justement de les accomplir. Il est, en ce sens, plus confortable de se laisser séduire par l’attrait d’expériences amoureuses aussi brèves que variées que de reconnaître en toute vulnérabilité la force d’un désir pour une union durable, empreinte de confiance et de complicité. 

Une demande aussi forte est comme une brûlure intérieure tant quelle n’a pas été comblée. Acceptons-nous de vivre dans l’inconfort de cette chaleur ? Acceptons-nous par avance le risque de souffrir si la vie ne devait pas satisfaire notre attente ?

Sophie Edelmann 
 "Dites-leur de viser haut !" 
 Ed. Le relié

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mercredi 12 août 2020

Réceptivité ou anesthésie ?


Dans le monde actuel, la recherche de stimuli de plus en plus nombreux et intenses est plutôt la marque d’un affaiblissement de la sensibilité et d’une incapacité à être réceptif à ce qui est délicat et subtil. Les impressions doivent être massives et grossières pour solliciter la perception, de la même façon qu’une personne devenant sourde aurait besoin d’augmenter le volume pour finir par percevoir quelque chose. C’est une sorte d’escalade sans fin, car l’augmentation exagérée du son contribue elle-même à la surdité.

La diminution de la réceptivité et de la sensibilité conduit le mental à rechercher des sensations fortes afin d’être amené à ressentir une intensité qui s’est émoussée progressivement. Cela explique en partie le succès à grande échelle d’un certain type de productions musicales ou cinématographiques. Les impressions doivent être exagérément accentuées afin de pouvoir dépasser le seuil d’insensibilité et traverser l’épaisseur cotonneuse propre à la torpeur ou à l’anesthésie. Nous mettons des remparts pour nous isoler de notre essence profonde et pour voiler les contradictions et les stratégies de l’ego.

Dans la perspective d’un cheminement intérieur, l’enjeu principal consiste à déjouer de tels tampons et, même si la difficulté est de taille, elle n’est pas insurmontable.

... Le chemin vers une plus grande réceptivité et une plus grande vulnérabilité est long et nécessite des efforts autant précis que persévérants. Redevenir comme de petits enfants est une tâche de longue haleine, car avant de retrouver une innocence première, il faut préalablement retrouver une capacité naturelle à être ouvert aux autres et aux circonstances. Une telle ouverture passe impérativement par la réceptivité à l’égard de ce que l’on porte en soi. 
 

Eric Edelmann
 "Dites-leur de viser haut !" 
 Ed. Le relié

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mardi 11 août 2020

Larmes d'ouverture

Ajahn Chah, le maître de Jack Kornfield, un bouddhiste dans la lignée du Theravâda, dit « qu’il y a deux sortes de souffrance : la souffrance qui conduit à encore plus de souffrance et la souffrance qui conduit à la fin de la souffrance. » On pourrait consacrer un chapitre sinon un livre entier sur ce thème... 

Pour évoquer cet abîme entre les deux façons de souffrir, je reviendrai une fois de plus aux larmes. On pleure dans toutes sortes de circonstances, quand on épluche des oignons, quand on est profondément joyeux, quand on est frustrés parce que les choses ne fonctionnent pas comme on le souhaite et quand on réalise notre complète impuissance à les changer. 

Au stade de la frustration, on cherche encore à modifier l’environnement et on est toujours dans le refus et la résistance. Lorsque les larmes deviennent des larmes d’impuissance, on cesse d’essayer de changer les choses. On sent très nettement la différence. Des chercheurs étudiant les larmes ont découvert que leur composition varie radicalement selon le type de pleurs. Les larmes d’impuissance sont très différentes de toutes les autres : elles sont saturées de toxines au point où, réduites à l’état de poudre, elles pourraient tuer un petit rongeur ! Cela explique d’ailleurs pourquoi, lorsque nous sommes confrontés à des circonstances difficiles, nous nous sentons si allégés après avoir pleuré. Souvent, après une crise de pleurs déchirants devant leur propre impuissance, j’ai vu avec stupéfaction mes enfants reprendre le cours de leur journée en chantonnant, plus créatifs et joyeux que jamais. 

Si j’ai pris l’image des larmes, je ne voudrais pas laisser entendre que le processus du surrender implique systématiquement que nous pleurions : pas du tout ! Mais il s’agit bien de se laisser affecter, y compris par les plus petites choses de l’existence, d’éroder ainsi peu à peu l’armure sous laquelle nous nous protégeons, payant un terrible prix pour cette pseudo-sécurité : elle nous prive de la souplesse et de la spontanéité, étouffant notre vitalité et notre joie intrinsèques.


Sophie Edelmann 
"Dites-leur de viser haut !" 
Ed. Le relié

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lundi 10 août 2020

"Non" est une phrase complète

Je vous propose une semaine avec Eric et Sophie Edelmann, sur le chemin exigeant de Swami Prajnanpad et d'Arnaud Desjardins.

Lorsque l’existence dit non, quand elle refuse ce qui nous semblerait tellement précieux, elle le fait bien souvent avec des phrases très courtes. Rarement recevrons-nous son message accompagné d’une justification, d’une explication, d’un bouquet de fleurs ou d’une boîte de chocolats pour faire passer l’amertume de la nouvelle !
Mais, comme l’enfant, nous nous obstinons, exigeons d’être convaincus par la logique ou par la justice des choses : nous revendiquons le droit de comprendre comme préalable pour accepter que ce qui est soit. C’est là notre erreur. 

J’ai entendu Arnaud [Desjardins] insister sur ce point plusieurs fois : acceptez d’abord et vous aurez - peut-être, mais dans un second temps - une chance de comprendre qui vous sera donnée au détour, sans que vous l’ayez nécessairement cherchée volontairement. Swami Prajnânpad invitait ses élèves à se laisser bouleverser et non à utiliser la raison pour atténuer l’impact des coups durs. « Ce qui se passe, c’est que les événements arrivent à l’extérieur ; vous ne vous laissez pas affecter par eux. Vous vous fermez. C’est pourquoi aucun changement ne se produit dans votre vie... Par contre, celui qui est affecté profondément par eux est obligé d’y faire face. Il n’a pas d’échappatoire. Il perd ses illusions et se libère. »

Sophie Edelmann
"Dites-leur de viser haut !"
Ed. Le relié

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dimanche 9 août 2020

Comment traverser les inévitables chocs de la vie


1. Ouvrez-vous au réel

Quand survient un choc douloureux ou une parole déstabilisante, le réflexe bien normal est de se fermer pour ne pas ressentir la souffrance. Au contraire, accueillez-les comme ils viennent : asseyez-vous sur votre canapé, sentez bien vos points d'appui, respirez profondément.

2. Accueillez-vous avec beaucoup de bonté

Soyez compatissant pour vous-même comme pour un enfant en souffrance qui viendrait vers vous. Prenez-vous en douceur et ressentez votre état émotionnel présent (tristesse, colère, peur, culpabilité...) sans vous identifier à l'émotion. Celle-ci est vivante et fluctue sans arrêt.

3. Observez les symptômes dans votre corps

Gorge serrée, ventre noué, mal de dos ou souffle court... sont caisse de résonance du passé. Souvent, la situation présente vient frapper sur la peau de tambour de l'enfance, réactivant une émotion non digérée. Prenez votre cahier et écrivez ce que vous ressentez. Peut-être un souvenir reviendra-t-il à votre mémoire ?

4. Identifiez votre besoin immédiat

Marcher pour évacuer le stress, taper sur un coussin avec un bâton pour vider la colère, allumer une bougie pour revenir à la source intérieure, jardiner, cuisiner, faire le ménage, causer avec un ami... L'essentiel est de rester dans la vie, et l'écoute du besoin nous garde au présent. Dans les sessions, j'invite les stagiaires à identifier l'attitude intérieure dont ils ont besoin pour respirer dans un autre espace en eux-mêmes (accueil, écoute, tendresse, acceptation, patience, etc.). Ceci participe du recentrage nécessaire, tout en accueillant la difficulté présente.

5. Rendez grâce pour tout ce qui va bien

Osez faire la liste de ce qui va bien, dans votre vie en ce moment ou dans la journée passée. Pour une chose qui ne va pas, écrivez-en trois qui vont bien, juste pour contrebalancer et rebondir dans la joie, au cœur même de la difficulté présente. Tout cohabite en nous ! Ce qui fait dire à Saint Paul : « En toutes circonstances, rendez grâce à Dieu » ( Thessaloniciens 5, 18).

Fondatrice de l'association Soteria-Formation, Maguy Ménichaud propose des sessions pour apprendre à se libérer du poids de son passé. Ancienne infirmière en réanimation et soins palliatifs et titulaire d'une maîtrise de théologie, elle tire son expérience des nombreuses épreuves qu'elle a elle-même traversées.

Source : la Vie
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samedi 8 août 2020

Expérience derrière les voiles

 Ce voilage qui couvrait les baies vitrées. Dans les années qui ont suivi, je suis venu souvent à Bayonne voir Marraine, parfois sans mes frères. J’y ai vécu la seule expérience mystique de ma vie - sans doute le mot n’est-il pas approprié, mais je n’en vois pas d’autre.

J'avais seize, dix-sept ans. Je m’installais dans la pièce qui avait été la chambre d’Annie, dans un fauteuil recouvert de satin vert d’eau, dont les larges oreillettes donnaient à celui qui s’y installait l’impression d’être coupé du monde. Et je restais là, des heures durant, à fixer le voilage frappé par le soleil, qui ne laissait rien distinguer de l’extérieur : une surface pâle et mouvante, étincelante, indécise. J’éprouvais alors la certitude puissante d’être au plus près d'une vérité sans âge. 

Jamais je ne me suis senti aussi vivant, jamais je n’ai approché d’aussi près le mystère de ma présence au monde. Cela peut paraître emphatique, j’en ai conscience, pourtant ces heures font partie des plus intenses et des plus limpides de mon existence. Je ne les ai jamais oubliées. J’y ai toujours repensé comme si elles étaient le moment d’un contact avec l’exacte vérité, l’aventure unique et définitive.

Jean-Marie Laclavetine
Une amie de la famille (chez Gallimard)


jeudi 6 août 2020

Un homme en méditation...


Un homme en train de méditer ! Peut-être avez-vous remarqué que deux statuettes, connues dans le monde entier, représentent un homme en train de méditer :

Le Penseur ! L'une des plus célèbres sculptures en bronze d'Auguste Rodin est présentée comme étant un homme en train de méditer. Ce qui caractérise sa manière d’être —en tant que corps— est la puissance de sa musculature (Il doit éveiller la jalousie des adeptes du body-building !). Il n’est pas seulement musclé ; il est tendu, crispé, jusque dans les orteils. Penché vers l’avant, la tête lourde, il semble réfléchir durement. « Je pense parce que je suis un être pensant » écrit Martin Heidegger. Le penseur est enfermé dans cette part de lui-même, le moi-pensant qui fabrique l’ego, cette représentation mentale qu’on se fait de soi-même et à laquelle on s’identifie.
Le Penseur est conscient. Il semble même enfermé dans la pleine conscience DE…quelque chose. La conscience DE est l’usage que le moi mondain fait de la conscience SANS de, laquelle est une part de nous-mêmes dès l’origine de notre existence. L’usage de la conscience DE, est la source de la pensée dualiste, de notre conscience des choses. Il y a moi, n° 1 et ça, n°2. Et moi, je suis conscient DE ça.
Ça ? C’est tout ce qui n’est pas moi. Une mouche … la lune … l’être …un télomère ! Ça ? C’est ma main … ma respiration … mon estomac … mon cerveau !
Ça ? C’est l’opposition entre ce que j’appelle, ça, le jour et ce que j’appelle, ça, la nuit ; entre ce que j’appelle moi et ce que j’appelle mon corps ; entre ce que j’appelle la terre et ce que j’appelle le ciel ; entre ce que j’appelle la santé et ce que j’appelle la maladie !
Le Penseur, au cours de ce qu’on appelle sa méditation, est attaché à deux idées certes originales mais bizarres : « Moi, je suis, ce que je pense que je suis » et « cela est ce que moi je pense que cela est ! ».
Il est clair et incontournable que ces deux idées, qui concourent à l’élaboration de notre entendement, nous permettent de concevoir comment vivre dans le monde.
Comment vivre dans le monde ? A première vue, la forme qu’ Auguste Rodin a donné au Penseur est celle d’un homme tourmenté.

Le Bouddha ! Cet homme, qui n’était pas bouddhiste, est lui aussi en train de méditer. Mais de prime abord, il s’agit d’un homme paisible.
Par sa manière d’être assis, il témoigne qu’il est ouvert à sa forme propre. La forme voulue par la vie elle-même. Il n’est ni crispé ni avachi. Ce qui lui semble être important, ce n’est pas « Je pense parce que je suis un être pensant » ; c’est plutôt la première affirmation du philosophe allemand Martin Heidegger : « Je vis parce que je suis un être vivant ! ».
Le bouddha est-il plongé dans une sorte d’inconscience ou est-il en train d’expérimenter un état de conscience modifié ?
Absolument pas. Au cours de sa pratique méditative il se contente de se glisser dans la conscience SANS de ; la conscience sensitive, la composante sensible du tout corps-vivant (Leib) grâce à laquelle le nouveau-né, au cours des premiers mois, peut-être même des premières années de son existence, approche le réel.
Une approche du réel qui est pré-mentale, pré-philosophique, pré-psychanalytique, pré-scientifique. Zazen ? Se glisser dans le sentir ! Le sentir, cette action du corps-vivant qu’est la sensation, précède toute réflexion mentale. La forme corporelle du bouddha en train de méditer s’enracine dans ce qu’il y a d’essentiel en chaque être humain : sa propre essence (notre vraie nature, dit le maître zen ; notre être essentiel, dit K.G. Dürckheim). Notre vraie nature est insaisissable par la conscience DE, par la pensée, par le mental. La connaissance de notre vraie nature se présente dans une expérience ; par exemple le calme intérieur. L’accès à ma vraie nature nécessite une transformation soi-même.

L’approche du zen par K.G. Dürckheim
« Zazen, écrit K.G. Dürckheim, est un exercice de métamorphose (changement de forme ; transformation) grâce auquel l’homme libère sa nature profonde, sa vraie nature, hors des chaînes d’un ego dépendant du monde ».
Quelle est la place du corps sur ce chemin de transformation de soi-même ? Graf Dürckheim répond : « La première ».
Karlfried Graf Dürckheim Il ne s’agit pas de l’idée que le moi-pensant se fait du corps : un corps-objectivé, un corps-outil, un corps-performant, un corps-modèle conforme à la mode (Körper, dans la langue allemande). La première place est donnée au corps-vivant, au corps que l’homme EST dans sa globalité et son unité (Leib, dans la langue allemande).
L’exercice de l’absolue immobilité, propre au zazen, interdit la mise en œuvre de toutes les actions et activités qui sont du domaine du faire. Se présentent alors, à travers le sentir, les actions vitales, les gestes infaisables, qui ne sont pas du ressort du moi. Parmi lesquels : le va-et-vient qu’est le souffle vital.
La métamorphose, c’est dans l’acte de respirer que nous l’expérimentons. Cela ne signifie pas que le Penseur ne respire pas ; son erreur est d’opposer ce qu’il appelle moi, n°1 et ce qu’il appelle la respiration, n°2.
« L’acte de respirer est la signature de la vie » (Hirano Katsufumi Rôshi).
« L’acte de respirer est le geste vital absolu » (K.G. Dürckheim)
Devons-nous choisir soit le Penseur soit le Bouddha ? Certainement pas. Toute personne qui pratique zazen constate, plus tôt ou plus tard, que tout ce qui semble exclusif est, en même temps, inclusif.

Graf Dürckheim est très clair : « L’homme est dans cette vie confronté à une double tâche : d’une part il doit façonner et maîtriser le monde par ses œuvres, et d’autre part, il doit mûrir sur la Voie intérieure. Ces deux missions entretiennent une relation intime l’une avec l’autre. Cette mission exige que nous prenions en compte, non seulement ce que nous avons à faire dans le monde, mais aussi —aujourd’hui et chaque jour— ce que nous avons à réaliser intérieurement : devenir tels que, lorsque nous façonnons le monde, ce soit selon les intentions de l’être, de notre propre essence, que nous agissons ».

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mercredi 5 août 2020

Réponses de Jacques Castermane


1. Pourquoi avez-vous décidé de suivre l'enseignement de K.G.Dürckheim ?
 2. Quelle est l'expérience de K.G.Dürckheim ?
3. Quel style de méditation K.G. Dürckheim a-t-il proposé ?


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L'équilibre du Hara




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mardi 4 août 2020

Posture intérieure avec Christiane Singer


Une âsana, une posture parfaite, peut aussi, lorsque nous la vivons dans le paradoxe de son immobilité vibrante, manifester cet ordre amoureux, nous le faire sentir au niveau du corps. 
Lorsque le chevalet du violon est déplacé d’un millimètre, le son en est cassé ; de même, dans l’ordre du corps, lorsque l’empilement vertébral se vit dans sa perfection, dans sa tension et dans sa détente maximale, il engendre cette sensation d’ordre amoureux, d’ordre parfait. Il y a dans le corps une sensation aussi fugitive que l’éclair qui nous met debout, tendu et frémissant, à en mourir presque,  comme l’est la corde du violon dans la fulgurante évidence : un instant de cette divinité.
Dans la parfaite ordonnance des vertèbres, des tendons, des nerfs, se reflète un instant l’ordre du cosmos, cet ordre amoureux.
                    Le corps est cette œuvre d’un grand luthier qui aspire à la caresse de l’archet.
                        (Ou cours-tu ? p.130)

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lundi 3 août 2020

Retour... vers soi.


Quelques phrases pour la semaine :

A se demander régulièrement...

permet d'éclairer les souffrances du présent...

Ressentez plus, vous penserez moins...
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dimanche 2 août 2020

Maison de l'inspir


Au monastère bouddhiste de la Maison de l'inspir, en Seine-et-Marne, les nonnes pratiquent la méditation spirituelle. Elles reçoivent aussi des laïcs pour des journées de pleine conscience. Des rencontres devenues virtuelles avec la pandémie.

Elle est accueillante, à l'image du paysage environnant, collines verdoyantes baignées de douce lumière. Soeur Giac Nghiem, 76 ans, nous reçoit un lundi, « jour de paresse » pour les religieuses bouddhistes, libres de leur emploi du temps. À l'étage, un visage sculpté du Boudhha décore la salle consacrée à l'écoute du dharma (« enseignement »). Derrière une poutre de bois surmontée d'un rideau attendent les lits superposés destinés aux visiteuses françaises, belges et suisses, qui reviendront peut-être en septembre, après la crise sanitaire.
Au rez-de-chaussée, le garage est en travaux. À la cuisine, la confiture de groseilles, préparée par l'abbesse à la tête de la communauté, repose dans des marmites. « Presser les grains chauds dans un torchon est une méditation de gratitude, gratitude pour les ancêtres qui nous ont transmis ces gestes et pleine conscience du souffle. Chaque acte peut être méditation. Ce n'est pas seulement s'asseoir dans un fauteuil et respirer, posture qui sert à relier son corps à son esprit. Méditer, c'est être complètement là, le cœur ouvert, dans la joie », explique-t-elle. Avant le départ, elle m'emmènera près du grand potager pour m'offrir des groseilles mûres.

Séances de méditation en visioconférence

Au cœur de la vallée du Petit Morin, dans un hameau briard à l'écart du village de Villeneuve-sur-Bellot, en Seine-et-Marne, le monastère de la Maison de l'inspir semble assoupi. Il y a un an, les 10 moniales bouddhistes qui vivaient à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) sont venues s'installer ici. La demeure est en cours de réaménagement, transformée pour pouvoir accueillir la sangha : la « communauté » des laïcs férus de pleine conscience, qui passent ici un jour ou un week-end entier.
Je n'avais pas l'intention de devenir moniale. Mais j'ai toujours senti un appel religieux très fort.
– sœur Giac Nghiem, responsable de la Maison de l'inspir
Crise sanitaire oblige, les séances de méditation ou de lecture des sutras (textes sacrés) sont organisées en visioconférence grâce à Zoom. La première, à 6h ; la dernière, à 20h30. Parfois, le week-end, ont lieu aussi des retraites en ligne. Comme au Village des pruniers, en Dordogne, le centre bouddhique créé en 1982 par le maître zen vietamien Thich Nhat Hanh, dit Thay, et dont la Maison de l'inspir, ouverte en 1988, est l'antenne francilienne. Ou comme au monastère de la Source guérissante, dans la commune voisine de Verdelot, où depuis deux ans vivent les moines (uniquement des hommes) de la communauté - chasteté oblige, les deux maisons sont distantes de 45 minutes à pied !
Autrefois kinésithérapeute à Saint-Étienne (42), sœur Giac Nghiem - nom qui signifie « ornée d'éveil » - a été ordonnée novice en 1999 par Thay. Mère de deux enfants adultes, elle a rejoint les Pruniers pour se « guérir de la souffrance » de son divorce, après 31 ans de mariage. « Je n'avais pas l'intention de devenir moniale. Mais j'ai toujours senti un appel religieux très fort », confie-t-elle. Le bouddhisme a conquis cette chrétienne, qui évoque pourtant avec amour « son » Jésus, dont elle est « restée très proche ». Thay l'a choisie comme responsable de la Maison de l'inspir. Dans ce monastère discret, le silence est la règle de 21h à la fin du petit déjeuner. Et pendant les trois mois d'hiver. Une période mise à profit pour « étudier les textes et cultiver la joie et l'harmonie », prolongée cette année par le confinement, « expérience paradoxale de liberté et de privation de liberté ».

Jusqu'à 800 méditants pendant le confinement

Assise dans un fauteuil d'osier, l'abbesse explique devant un thé fruité et des cerises comment la communauté a vécu la crise. À l'heure où « les gens étaient tenaillés par la peur », la méditation et le lâcher-prise ont semblé salvateurs. « Parmi nos amis laïcs, beaucoup ont pratiqué davantage. Partager notre spiritualité, même par Internet, nous a paru positif. Nous nous sommes mises à l'écoute des personnes en souffrance sans nous couper de la communauté de notre maître. » Mais elle a trouvé « merveilleux cet arrêt, ce ralentissement, la fin d'une course et d'une avidité » consommatrices. « J'ai vécu la période comme un cadeau inestimable, car, grâce à plus de disponibilité, est venue l'occasion de retourner à soi », résume-t-elle. En ligne, le public s'est pressé : jusqu'à 800 personnes par séance ont écouté les enseignements, en français et en vietnamien. Et les sœurs n'ont plus eu besoin de s'occuper des méditants, que la pandémie a tenus à distance !
Parmi nos amis laïcs, beaucoup ont pratiqué davantage. Partager notre spiritualité, même par Internet, nous a paru positif.
– sœur Giac Nghiem
Puisque le monastère ne vit que de dons, il a fallu vivre plus simplement qu'à l'ordinaire : salades de pissenlits ou pesto d'orties, glanés dans les champs. Les prières ont gagné en intensité. Plus que jamais, les sœurs se sont souciées de ceux qui souffrent : femmes victimes de violences, sans-domicile, Roms, enfants abusés, aides-soignantes, éboueurs, personnes forcées de travailler. Leurs méditations de compassion se sont portées sur les malades du monde entier. Elles ont aimé que la solidarité se manifeste partout, y compris dans leur village (1.000 habitants), où le maire s'est préoccupé de ses administrés âgés. « La souffrance est le meilleur moyen d'aller vers l'Éveil. Le besoin de réconfort s'est fait sentir, plus fort », ajoute sœur Giac Nghiem.
Pour chaque religieuse, l'abbesse a une « parole aimante », l'une des quatre nobles vérités que le bouddhisme incite à pratiquer. La religieuse applaudit à l'engouement actuel pour la méditation, spirituelle ou non, car source de paix. Elle sait que certains peinent à pratiquer. « Il ne faut pas lutter contre la dispersion de l'esprit, mais regarder passer les pensées comme l'eau qui coule, dit-elle. Et retourner toujours au souffle, une ancre, sans violence. Trouver un équilibre sans batailler. Méditer, c'est prendre refuge en soi, dans le repos physique. »

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Source La Vie

samedi 1 août 2020

Une totale disponibilité au monde


...Sur l’autre versant de la profondeur, la pratique méditative régulière rend disponible au monde, à sa beauté comme à ses contradictions. Elle aide à affiner son langage, à entendre les résonances entre le réel et l’intériorité, toutes « les correspondances ». Hervé Esnault, sophrologue et hypnothérapeute, met à profit les états modifiés de conscience des personnes qu’il reçoit pour leur lire un ou deux haïkus, ou l’Invitation au voyage, de Charles Baudelaire. « Je leur propose de se redire ces vers mentalement. Puis elles laissent parler leur imaginaire, se promènent dans de nouvelles manières de voir leur vie. » Pour ce public souvent contraint par le stress et l’anxiété, c’est comme une fenêtre inespérée, celle de la conscience, qui s’ouvre. « Je les encourage à garder les notes de ce qu'ils vivent à l’issue des séances, car les hàikus notamment aiguisent leur regard sur l’instant présent », se félicite le praticien.


« Quand vous entendez le mot océan, votre cerveau active la zone olfactive, celle qui perçoit l’odeur iodée. Aussi peut-on dire d’un poème qu’il transforme votre cerveau », s’émerveille pour sa part Pierre Lemarquis, neurologue, neuropharmacologue et président de l’association l’Invitation à la beauté, qui explore la notion d’« empathie esthétique ». « Écouter de la poésie, c’est être en amont du langage comme quand on écoute une symphonie », explique-t-il. Ce refuge dans l’instant présent et les plus petits détails de la réalité aide paradoxalement à traverser les périodes agitées, ou désolantes. Ce n’est pas toujours le rêve d’un ailleurs et le désir d’évasion qui nous portent alors, mais bien plutôt l’attention au « tout devant », la conscience de ce qui est simplement là. Comme beaucoup d’autres, je l’ai expérimenté pendant le confinement. Observer sur ma petite terrasse la floraison de l’hortensia ou de l’arbre d’à côté et transformer ces instants en haïkus suffisait à colorier les jours. 

Pascale Senk
(source : La Vie)

"face à l'ocean-
les pensées vont et viennent
par vagues
sur le rocher
mon ombre soudain hors
et dans le monde"

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