samedi 28 janvier 2017

Fabrice Midal : Extraits de Foutez-vous la paix !


Voici un mode d’emploi pour être moins sage mais plus humain. En 15 courts chapitres, mêlant témoignage personnel et réflexion sociétale, le philosophe démonte une à une nos idées reçues sur la méditation. (Flammarion, 16,90€.)

« Je me souviens de mes grands-parents qui passaient de longs moments, en silence, à regarder crépiter le feu dans la cheminée. Communistes, ils avaient pris leurs distances avec la religion et la spiritualité. Ils étaient loin d’être des mystiques et n’avaient jamais entendu parler de méditation, mais leurs soirées devant le feu sont ce qui se rapproche le plus de la méditation telle que je l’entends. C’était, pour eux, une forme d’hygiène de l’esprit. Un acte naturel, banal mais indispensable.

Aussi naturel et banal que de marcher, de bouger, de se fatiguer, de pratiquer ce que nous appelons aujourd’hui le sport et que nous accomplissons, nous, selon des protocoles savants, avec des machines, des instructions, des appareils mesurant nos performances – et les comparant à celles du voisin. Nos arrière-grands-parents, eux, n’avaient pas besoin de faire leur jogging pour rester en forme.

J’avais 14 ans quand j’ai entendu parler pour la première fois de cette pratique (la méditation, ndlr) qui, à l’époque, était confidentielle. Elle m’avait fortement intrigué mais j’ai eu peur, en m’y engageant, de devenir une sorte de légume. Ne rien faire pendant un moment, n’est-ce pas une démission totale ? Par ailleurs, m’étais-je dit, si cette méthode si simple fonctionnait vraiment, tout le monde l’aurait adoptée. Je me suis replongé dans les livres que je dévorais et dans les poèmes que j’écrivais.

Mais au fond de moi, je restais intrigué… À 21 ans, j’ai sauté le pas. J’avais entamé des études de philosophie, et ma déception était à la hauteur de l’enthousiasme qui m’avait poussé dans cette voie. Pour tout dire, je n’y arrivais pas. Je m’y étais engagé en cachette de mes parents qui croyaient, eux, que j’étudiais le droit. Je ne me sentais pas très à l’aise avec mon mensonge, mais j’espérais réussir enfin quelque chose qui me plaise. Or mes résultats étaient médiocres. Je ne parvenais pas à lire les livres qu’il fallait et quand, au prix d’extrêmes efforts, j’en avais lu un, j’oubliais aussitôt les concepts que j’aurais dû maîtriser.

J’étais accablé quand j’ai sonné à la porte d’un groupe d’Américains dont on m’avait donné l’adresse. Un homme fort affable m’a accueilli et m’a introduit, en quelques mots, à la méditation : il me suffisait, m’a-t-il dit, de bien m’asseoir sur mon coussin et d’être juste présent, attentif à ce qui se passe. De mettre de côté mon savoir et mes compétences, et de ne pas essayer de comprendre, parce qu’il n’y a rien à comprendre. Je n’en revenais pas : cette fois, là, vraiment, je n’avais rien de compliqué à faire. C’est ainsi que j’ai médité pour la première fois. Sans savoir à ce moment que j’avais la chance d’être initié par Francisco Varela : l’homme affable qui m’avait ouvert la porte était en fait l’un des plus grands neurobiologistes contemporains.
(…)

Et là, pour la première fois, je n’avais rien à réussir : il me suffisait juste d’être présent à ce qui est, de revenir à ma présence corporelle, à mon souffle, à mes sensations, à mes perceptions, à ce qui m’entoure. (...)
Il m’a fallu du temps et des tâtonnements pour enfin admettre que méditer, c’est tout simplement se foutre la paix. Et que se foutre la paix, cette règle d’or de la méditation, devrait être le leitmotiv de toute notre existence. Nous sommes conditionnés à toujours « faire » : cuisiner, travailler, aimer, regarder un film, répondre au téléphone. Même quand nous disons « je ne fais rien », en réalité nous faisons plein de choses : nous zappons sur notre télé, nous bavardons dans notre tête, nous passons d’une activité et d’une pensée à l’autre, dans la discontinuité et la peur d’un moment de silence. Notre attention est fragmentée et nous avons réellement l’impression de « ne rien foutre », de perdre notre temps inutilement, de ne rien accomplir d’essentiel ni de nourrissant.
Méditer, au fond, c’est tout simplement le fait d’être. Le fait de s’arrêter, de s’octroyer une pause, de cesser de courir pour rester présent à soi, pour s’ancrer dans son corps. C’est une école de vie. (…)

Méditer est aussi simple que se laver les dents ou regarder un feu de cheminée.
Essayez. Asseyez-vous. Sur un coussin ou sur une chaise, peu importe : il n’existe pas de posture à prescrire ni à proscrire. Le fait de s’asseoir n’est pas une technique, c’est juste une manière très simple de réussir à ne rien faire, à ne se préoccuper de rien. J’y ajouterais un conseil de bon sens : tenez-vous droit pour rester alerte, présent, disponible. (…) La droiture de la posture ouvre l’esprit à l’entièreté du présent. (...) Méditer n’est pas se détacher ni se désincarner, mais, au contraire, s’ouvrir au monde à travers ses sens, donc à travers son corps. C’est sentir le contact de ses pieds avec le sol, de ses mains sur ses cuisses, des vêtements sur sa peau. C’est entendre une voiture qui freine, un passant qui parle, sans essayer de comprendre, sans juger, sans même y mettre de mots. En prenant acte, c’est tout : j’entends, je vois, j’ai faim, je suis en rapport, et bientôt le son devient plus ample, il devient infini, il devient poésie…

Nous sommes d’emblée des êtres relationnels, mais, dans la vie, nous nous coupons des relations, nous nous isolons, nous oublions cet acte généreux qui consiste à ne pas chercher à toujours expliquer, comprendre, justifier, critiquer. Je prends la méditation comme un entraînement très simple, très facile, à cette attitude généreuse que l’on devrait apprendre à appliquer, y compris à soi-même, ou plutôt d’abord à soi-même. Je ne conçois pas cet entraînement comme un exercice ni comme un travail sur soi. Il n’est pas une consigne ni un défi à relever, mais une invitation à se laisser entraîner. Il n’est pas une méthode d’introspection ou de bonification du moi, il n’est pas un « moi, moi, moi ». Parce que « moi » n’est pas un individu isolé qui médite pour regarder son nombril. En méditant, je découvre combien je fais partie du monde. J’entre en relation avec ce qui est, tel qu’il est, y compris avec moi, en un geste de bienveillance que la vie nous a désappris. Cessez de méditer… et respirez. Respirer est un acte naturel qui ne nécessite aucun effort. Mais c’est en même temps un phénomène extraordinaire, l’acte de vie par excellence : juste en me foutant la paix et en respirant, je suis vivant !

Méditer est du même ordre : c’est un acte naturel par lequel je laisse la vie revenir en moi, grâce auquel je redeviens vivant. C’est surtout un acte de tous les moments qui consiste en une forme d’attention et de bienveillance, en dehors de tout jugement. Je suis triste ou énervé ? Je prends acte de ma tristesse ou de mon énervement… et je me fous la paix. La méditation est une respiration sans consignes ni sanctions. Et c’est en cela que réside son pouvoir de guérison. Respirer, c’est se resynchroniser avec la vie. Méditer, c’est se foutre la paix et s’autoriser à redevenir humain... »

 +++

5 commentaires:

Fifi a dit…

C'est décidé, je vais me foutre la paix ! :-)

FRANKIE PAIN a dit…

merveilleux fragment et art de méditer y est parfaitement rendu comphréhensible et si juste merci Acouphéne je t'embrasse très fort. Françoise mon vraie prénom quand même !

Acouphene a dit…

Merci Françoise ! Bon dimanche !

Acouphene a dit…

Merci Fifi... va en paix...

Dominique a dit…

Simplement et bien dit.