mercredi 22 mai 2024

La vie est une...

 


La vie est une,

une et différenciée, sans séparation (exclusion) et sans confusion (réduction).

Il n’y a jamais eu « deux » vies.

La vie est une où elle n’est pas.

La vie est une dans l’arbre et dans le singe, elle est une dans le singe et dans l’homme, elle est une dans le palestinien et l’israélien, une dans le russe et l’ukrainien…

Il n’y a pas de frontières entre une vie et une autre vie, si ce n’est dans la tête de ceux qui ignorent ou ne veulent pas savoir que la vie est une et différenciée, sans séparation (exclusion) sans confusion (réduction)…

Cette évidence nous tuera tous…

Heureusement la vie ne meurt pas, elle ne ment pas non plus, elle sera toujours vivante sous la cendre quand cessera le feu.

Que peut vouloir la vie si ce n’est vivre, simplement vivre !

La conscience et l’amour viendront peut-être par surcroît ?

À moins qu’il ne faille commencer par la conscience et l’amour, la vie viendra par surcroît ?


Ce que les chiens voient de leurs yeux, ce que les aveugles sentent sur leurs paupières et leur peau, pourquoi nos politiques ne le verraient-ils pas de leurs yeux, pourquoi ne sentiraient-ils pas la vie une, frémir sur leurs paupières ?

Pourquoi tant de morts avant de revenir à cette évidence : la vie est Une.

Il n’y en a pas deux !

Il n’y a pas de frontières pour ceux qui veulent vivre.

La vie monte plus haut que tous les barbelés et murs de séparation…

Mais c’est aussi une évidence : il y a des vivants qui ne veulent pas vivre, qui ne supportent pas que les autres vivent.

Ceux-là sont prêts à tuer ou à laisser tuer leurs propres enfants, avant de se faire tuer ou de se tuer eux-mêmes.

Les plaindre ou les combattre ne fait qu’ajouter à leur rage.

Peut-être nous faut-il apprendre à vivre et à aimer désespérément, silencieusement, à faire face à l’absurde et à ses abîmes, être conscients malgré tout ; derrière ces masques humains il y a de vrais visages, la vraie vie qui aime vivre encore, ce vieux moineau qui peut et qui veut renaitre de ses cendres.


 Jean-Yves Leloup, mai 2024

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mardi 21 mai 2024

Cheikh Bentounes: «Passer de la culture du 'je’ à celle du 'nous’»


Initiateur de la Journée internationale du vivre-ensemble en paix (JIVEP), célébrée le 16 mai, le cheikh Khaled Bentounes est présent à Genève pour sa 7e édition qui a pour thème «La paix au cœur de l’éducation». Guide spirituel soufi, il travaille à resserrer les liens de fraternité entre cultures, traditions et religions. Pour lui, le vivre-ensemble et le faire ensemble vont de pair et l’éducation à la paix est le germe d’un monde réconcilié.

Geneviève de Simone-Cornet, pour cath.ch

Vous êtes le guide spirituel de la confrérie soufie Alâwiyya. Quelles valeurs promeut votre confrérie?


Khaled Bentounes: Les valeurs que promeut le soufisme, et ce depuis des siècles, c’est d’abord l’expérience: goûter la réalité divine, qui nous dépasse, et essayer d’en être les témoins vivants. Ne dire et ne faire que ce qui passe par l’expérience sinon nous tombons dans le piège de l’ego: nous pensons que la vérité nous appartient alors que nous lui appartenons.

Puis, nous réfléchissons à la façon de maintenir les liens entre les cultures, les traditions, les religions. Pour nous, les êtres humains sont les lettres du même alphabet. Chacun est à respecter en tant que tel: il ressent l’appel divin à sa façon et on ne peut s’immiscer dans son intimité. C’est sa façon d’agir, son comportement, sa bienveillance, son humanité, qui nous montrent la réalité de son intériorité: un être humain se révèle par ses actions.

Comment assumez-vous votre rôle de guide spirituel?

Cette fonction m’a été léguée par les sages de l’ordre soufi. Je m’efforce de tout faire pour préserver ce patrimoine spirituel, qui a son siège dans le cœur, des troubles, des incertitudes et des doutes de notre époque. Car nous vivons une période de l’histoire de l’humanité où le matérialisme s’est incrusté dans nos vies au quotidien.

«Comment retrouver cette notion où chacun de nous fait partie du tout qu’est l’humanité?»

Je fais en sorte, avec mes faibles moyens et dans la mesure de mes possibilités, de tisser des liens entre les humains de cultures, de religions, de philosophies et d’intérêts divers dans un monde de plus en plus déstabilisé, traversé de crises sociales, politiques et de sens au goût amer. Sans oublier la crise climatique, qui menace l’humanité entière. Et les premiers touchés sont nos enfants et nos petits-enfants.

Vous êtes l’initiateur de la Journée internationale du vivre-ensemble en paix (JIVEP), adoptée le 8 décembre 2017 par l’Assemblée générale des Nations unies. De quelle intuition est née cette journée?

La JIVEP a été acceptée à l’unanimité des 193 Etats membres: c’est une chose exceptionnelle alors que personne n’y croyait!

L’intuition de cette journée remonte aux écrits philosophiques de mon arrière-grand-père, dans les années 1920. Il décrivait alors l’humanité comme un corps dont chaque être est une cellule et chaque nation un membre. Il disait que l’on ne peut accorder une prééminence à un membre, que l’humanité est un tout où chacun, en travaillant pour lui-même, travaille pour le corps entier.

Comment retrouver cette notion où chacun de nous fait partie du tout qu’est l’humanité? Cette question nous a poussés à oser l’aventure de la JIVEP. Et c’est au Congrès international féminin pour une culture de paix qui s’est tenu à Oran en 2014 sur le thème «Parole aux femmes» que la décision a été prise de demander aux Nations unies de célébrer une journée du vivre-ensemble en paix.

«Le vivre-ensemble est le faire ensemble: car le premier ne peut exister sans le second»

La JIVEP a bénéficié d’un concours de circonstances: car le 8 décembre 2017, alors que le monde vivait sous la menace d’un conflit entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, se réunissaient simultanément le Conseil de sécurité, qui débattait de cette menace, et l’Assemblée générale, qui statuait sur cette journée. Ce jour-là, j’ai senti que l’humain l’avait emporté sur l’aspect politique: la crainte d’un conflit qui pouvait être nucléaire a permis de faire l’unité. Ainsi, parfois, les chocs sont salutaires.

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source : Cath.ch

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lundi 20 mai 2024

Ce qui est


 Vous ne pouvez pas observer "ce qui est" si vous le critiquez sans cesse, si vous l'aimez ou le détestez.

Le conflit est le déni de ce qui est, ou la fuite de ce qui est. Il n'y a pas d'autre conflit à part celui-là. Notre conflit devient de plus en plus complexe et insoluble parce que nous ne faisons pas face à ce qui est. 

Il n'y a aucune complexité dans ce qui est, mais seulement dans les nombreuses évasions que nous recherchons. 

Le temps s'arrête lorsqu'il n'y a que "ce qui est". 

(Public Talk 3, Ojai, CA) - Jiddu Krishnamurti

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dimanche 19 mai 2024

« Seule la contemplation est révolutionnaire »

 Écologie, technique, ère de la « propagande » : Jacques Ellul avait-il anticipé les travers de notre époque ?

Tour d’horizon des principaux thèmes sur lesquels le monde actuel semble, hélas ! donner raison à la pensée d’Ellul.

Par Sixtine Chartier



Et si Jacques Ellul avait (presque) tout prévu ? C’est un journaliste du Canard enchaîné, Jean-Luc Porquet, qui l’affirme, dans un livre paru en 2003 au Cherche Midi. Lister les prévisions d’Ellul est une entreprise risquée, car la relecture a posteriori est propice aux biais de confirmation. Sans aller jusqu’à en faire un prophète – statut revendiqué pour nombre d’autres penseurs du passé –, ses grandes thématiques éclairent des logiques encore à l’œuvre dans notre société.

La critique de la technique

Clé de voûte de son œuvre, l’analyse du phénomène de la technique est sans doute le plus grand apport d’Ellul à la compréhension du monde d’aujourd’hui. Son premier livre, paru en 1954, mais rédigé entre 1948 et 1950, la Technique ou l’Enjeu du siècle, annonce la couleur. « Pour Ellul, ce ne sont pas les idéologies qui vont primer mais la technique, décrypte Frédéric Rognon, spécialiste du penseur, professeur de philosophie à la faculté de théologie protestante de Strasbourg. C’était inaudible à l’époque, mais aujourd’hui personne ne peut le nier. »

À l’aube des Trente Glorieuses, période d’accélération de la modernisation, Ellul révèle en effet la place centrale des techniques dans les sociétés modernes. Il n’est pas le seul, comme le souligne l’historien François Jarrige dans La modernité dure longtemps (Éditions de la Sorbonne, 2020), citant d’autres penseurs et écrivains comme Bernanos (la France contre les robots, 1947) ou le sociologue Georges Friedmann. « Ellul conteste la thèse de la neutralité de la technique, explique Frédéric Rognon. Il montre qu’elle est ambivalente. Tout progrès produit à la fois et de façon indissociable des effets positifs en termes de rapidité, d’efficacité, de confort… et en même temps des effets catastrophiques, comme des destructions des libertés et de la qualité de vie. »

Face aux innovations, Ellul nous invite donc à peser le pour et le contre avant de s’y engager. À l’heure des prouesses de l’intelligence artificielle ou des manipulations génétiques du vivant, cette invitation est plus que jamais d’actualité.

Un précurseur de l’écologie


Cette critique du « système technicien » dans lequel le monde semble aujourd’hui enferré mène tout droit à la pensée écologique. Ellul est souvent considéré comme un des précurseurs de l’écologie. « C’est à lui que l’on doit la formule : “On ne peut pas concevoir un développement infini dans un monde fini”, indique Frédéric Rognon. Son premier texte écologique date de 1935. À cette époque, il critique le modèle américain du productivisme et de la standardisation qui s’installe en Europe, tout en constatant que le régime soviétique emprunte le même chemin. Alors que le monde intellectuel français s’enflammait pour l’un ou l’autre de ces modèles, il estime que le problème réside plus profondément dans l’accélération du progrès technique. Il en appelle déjà à la sobriété. »

La pensée englobante d’Ellul prédit un chaos généralisé au niveau planétaire du fait de la conjonction des crises environnementales, financières, internationales et sanitaires. Lucidité factice de la pensée du pire ? L’actualité semble malheureusement encore une fois donner raison à Ellul.

L’ère de la « propagande »

Ce sont peut-être les travaux de Jacques Ellul qui sont les plus prémonitoires. Il adopte une définition large en désignant « une propagande horizontale, qui ne vient pas forcément d’un pouvoir politique autoritaire, mais se transmet les uns par les autres », explique Frédéric Rognon.

Pour le professeur à Sciences Po Paris David Colon, auteur de Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain (Belin, 2019), les analyses d’Ellul sont d’une actualité frappante. Il cite son livre de 1962 (Propagandes) : « En réalité, la multiplicité des informations n’éclaire nullement le lecteur et l’auditeur, mais le noie. Il ne peut ni les retenir dans sa mémoire, ni les coordonner en système, ni les expliquer : s’il ne veut pas risquer de devenir fou, il est obligé d’en retirer une image globale. Et cette image sera d’autant plus simpliste que le nombre de faits qu’on aura fourni aura été plus grand. » Une phrase qui semble écrite pour notre époque, à l’heure des réseaux sociaux.

---------------source : La Vie


samedi 18 mai 2024

Féérique

 La phrase à croquer :

Si vous êtes sur le flan, en mille-feuilles...
Alors, voici un conseil entre la présence religieuse et l'éclair d'éveil :
le goût du merveilleux ne vous dessert jamais !


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vendredi 17 mai 2024

La vie de l'ombre


 "Matin de printemps 
Mon ombre aussi 
Déborde de vie ! "
Issa



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jeudi 16 mai 2024

Cerveau de nuit et cerveau de jour

Comme des jardins sauvages ou des jardins travaillés, 
prenons le temps de regarder fonctionner notre cerveau :


mercredi 15 mai 2024

De la pratique en tant qu'abstinence

un nouvel extrait du "carnet"

« Voulez vous être libre de l’ivresse des intoxications émotionnelles et de l’engrenage sans fin des pensées ? » Swami Prajnanpad

Ce que nous appelons "la pratique" suppose d’ apprendre à peu à peu se connaitre soi même en tant que machine humaine, à de mieux en mieux cerner quels fils tirent la marionnette . 

Cette démarche n’est pas tant la pratique qu’un pré-requis à la pratique. 

Pré-requis en lui même pas si facile, pourtant. Cerner un peu mieux sa propre  sa « stratégie de survie » voilà qui peut demander pas mal de temps, de courage, de vulnérabilité. 

Honnêteté implacable vis à vis de soi même disait Lee (Ruthless Self Honesty) 

Cerner cette fameuse stratégie ne porte d’ailleurs pas tant sur le « pourquoi » que le « comment ». 


Pas tant « pourquoi » je fonctionne automatiquement de cette manière - même si le pourquoi n’est pas inutile - mais comment : comment marche cette machine, comment se met elle en mouvement, quels sont ses automatismes, qu’est ce qui les déclenche ? 

A partir de là commence la pratique qui consiste très précisément à, voyant et reconnaissant comme telle la mécanique quand elle se met en route, cesser de la justifier, de la cautionner, et de la perpétuer. 

Tout simplement faire autre chose que ce qu’elle m’ordonne de faire. De ce point de vue là, pratiquer consiste à s’abstenir. 

On peut parler d’une abstinence émotionnelle. Aspirant à être libre de « l’ ivresse des intoxications émotionnelles », je m’abstiens de consommer, c’est à dire de justifier, entretenir et manifester des émotions. 

Simple. Difficile. Et radicalement efficace. 

Le « problème » étant que la plupart des personnes sincèrement investies sur la voie ne croient pas que là réside leur salut. 

Elles espèrent toujours qu’un « travail » thérapeutique, des « lyings » ou toute autre forme d’introspection par ailleurs utile pour un temps aura pour effet de « déraciner » les mécanismes et donc au final de les dispenser de la pratique à laquelle de toutes façons, pendant longtemps, elles ne croient pas vraiment. 

Notons de surcroit que ce degré de pratique est assez avancé. 

Il suppose un fondement solide de présence, un entrainement à désamorcer les refus de ce qui est, à voir les pensées en tant que pensées, les émotions en tant qu’émotions…

Gilles Farcet

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mardi 14 mai 2024

Le Zen : une voie de l’action ?

 

Quelle étrange formule pour désigner ce qu’est la Voie du zen, qui semble bien en décalage avec l’idée que l’on s’en fait, à savoir le Bouddha (ou tout autre pratiquant), assis en méditation, impassible, serein et parfaitement immobile.

Une action, cette attitude qui semble bien passive ?

Cette appellation « Voie de l’action » est pourtant tout à fait justifiée, et concerne des niveaux de compréhension et de pratique qui, bien que très différents, sont intimement liés. Le zen :

1 Une voie de l’action dans la pratique régulière d’un exercice spécifique

2 Une voie de l’action dans notre vie quotidienne

3 Une voie de l’action dans la libération de l’infaisable acte d’être.

1 « On ne peut comprendre ce qu’est le Zen que si l’on pratique un exercice … »

Voilà le propos que K. G. Dürckheim a régulièrement entendu au Japon, alors qu’il manifestait un intérêt certain pour le zen. Sous-entendu, « lâchez vos livres, vos savoirs, votre besoin intellectuel de comprendre, et pratiquez un exercice auprès d’un maitre de l’exercice » !

Traditionnellement, les exercices sur la Voie ne manquent pas, qu’ils soient artistiques, artisanaux, martiaux ou issus de la vie quotidienne. Pour comprendre ce qu’est le Zen, l’élève doit donc choisir et pratiquer un exercice spécifique, toujours le même, de manière régulière, sous peine de ne jamais pénétrer le monde du zen.

Cela peut être le tir à l’arc, l’aïkido, la cérémonie du thé, la calligraphie … ou plus simplement za-zen (l’assise), kin-hin (la marche lente). Za-zen et kin-hin sont les deux principaux exercices que nous pratiquons au Centre Dürckheim lors des retraites et sesshins.

Apprendre un exercice, c’est répéter un geste, ou une série de gestes, en maitriser la technique, en maitriser parfaitement la technique … et reprendre ce même exercice.

Cette action sans cesse renouvelée demande discipline, courage, persévérance et forge, au fil du temps, une stabilité et une force intérieure qui nous permettent de continuer inlassablement l’exercice pratiqué et nous gardent sur la Voie.

C’est à ce prix-là que l’on peut, d’une part, découvrir que l’exercice spécifique « déborde » sur le quotidien et, d’autre part, qu’il révèle un autre niveau d’action, qui transperce et dépasse l’attitude d’effort et de volontarisme que l’on peut mettre en place dans une telle pratique.

« Grace à l’exercice, l’homme arrive à lâcher une attitude de repli sur soi, d’autoprotection, résultant d’un manque de confiance, et peut mettre en place un moi fort, lui permettant d’assumer le monde tel qu’il est, et de rester ouvert afin que la Grande Vie coule à nouveau dans sa petite vie » K. G. Dürckheim


2 « …Et plus vous ferez un exercice à fond, plus nombreux seront les domaines de votre vie fécondés par cette profondeur » D. T. Suzuki à Dürckheim lors d’une entrevue au Japon.

Un exercice spécifique, régulier, c’est par exemple la pratique de l’assise tous les matins au lever.

Mais cet exercice ne peut féconder notre vie quotidienne que s’il ouvre sur une rupture avec notre manière d’être et de faire habituelle, et peut se prolonger dans l’existence.

Il est donc important de se poser quelques questions quant à notre manière de pratiquer za-zen, ou tout autre exercice spécifique sur la Voie.

Est-ce que je considère cette pratique comme un surplus d’activité que je m’impose, rajouté à une journée déjà bien remplie ?

Dans ce cas, l’exercice devient une activité banalisée, noyée dans « le tas de choses à faire », et doit être utile, performant, et porter ses fruits en me rendant plus efficace.

Il n’y a pas rupture avec mon fonctionnement habituel, mon besoin de faire quelque chose.

Est-ce que j’effectue cette pratique comme une parenthèse hors du temps, n’ayant aucun rapport avec ma manière d’être au quotidien ?

Dans ce cas, il y a opposition, séparation entre l’essence et l’existence, entre une pratique dite spirituelle, hors du monde, et l’affairement quotidien, et c’est une impasse.

Le quotidien, c’est une pratique de chaque instant où des instructions comme :

- Tout faire un peu plus lentement - Pleine attention à ce pas, ce geste – Se reprendre -

Prennent tout leur sens : « Ralentissement » pour vivre la retenue, la non-dispersion dans l’action, et ainsi goûter une énergie plus fine, une force plus profonde, « Pleine attention » pour ne pas retomber dans le panneau des habitudes, attentif à l’inhabituel, « Persévérance et écoute » pour retrouver une forme, un rythme, une tenue plus juste, en accord avec ma profondeur et l’Ensemble.

Dans le flux du quotidien, il n’y a de changement possible que dans l’action engagée en ce moment, pour ce moment. Par exemple, si je sens que je suis précipité, trop rapide : je ralentis. Le changement est immédiat, ainsi que ses répercussions intérieures et extérieures.

Je quitte mon fonctionnement habituel, fait de réactions mécaniques, d’impératifs, de croyances imposées par le mental, pour découvrir une autre manière d’être et d’agir.

La modification immédiate de ma manière d’être, de mon geste, est un chemin de guérison radical, sans cesse à exercer, renouveler.

Selon maitre Dogen, c’est la pratique de zazen et des quatre attitudes dignes - être debout, être assis, être allongé, marcher - qui constitue le cœur du zen.

Ces attitudes concernent toutes nos actions, notre relation au monde et à nous-mêmes, en tout lieu et en toute circonstance ; elles révèlent ainsi notre manière d’être, d’assumer dignement notre existence, ou nous montrent nos mécanicités, nos résistances et nos peurs.


3 « Maitriser parfaitement un exercice signifie libérer l’action vitale infaisable, propre au corps vivant, que le moi conditionne, entrave, contraint »  J. Castermane

Pratiquer inlassablement un même exercice, ou pratiquer la vigilance dans nos faits et gestes du quotidien, c’est s’ouvrir à un autre niveau d’action que l’on appelle « l’infaisable ».

Cette ouverture, c’est la redécouverte du centre vital de l’homme, Hara, et, par le maintien et le développement de l’attention en ce centre, soumis aux lois du vivant avant d’être sous le joug de notre mental, redécouvrir notre appartenance naturelle à la Grande Vie.

Ces deux pratiques – exercice spécifique ou le quotidien comme exercice – se nourrissent l’une de l’autre.

Ce moment si particulier de l’exercice spécifique nous permet de nous habituer à goûter notre vraie nature, moments fugaces de « touchers de l’être », ou à reconnaitre ce qui nous en sépare. Sans cette discipline dans la pratique, la reconnaissance de notre être véritable nous échapperait, resterait inconsciente. La pratique des attitudes dignes au quotidien est la mise en œuvre dans l’existence de cette reconnaissance.

« La connaissance et la pratique du lien essence / existence est l’une des clés pour progresser sur la Voie » nous dit K. G. Dürckheim

Ce lien, « l’infaisable », sans lequel essence et existence s’opposent, c’est ce que nous ne pouvons pas fabriquer, obtenir à coup d’exercices, garder pour nous ou refuser, rejeter.

Ce sont toutes ces actions qui sont déjà là, depuis le début de notre existence, qui ont leur vie propre, qui puisent leur source dans le Tao, l’ordre des choses, « l’universellement humain ».

Ce contact conscient avec ce que je ne peux pas faire, Moi, me met en contact avec l’essence même d’être vivant, d’être respiré, mis en forme, en action par la Vie.

Des actions présentes depuis la fécondation : « cela » (cellules, embryon, fœtus) se transforme, prend forme, cela respire … sans arrêt et sans mental. Des actions qui continuent chez le bébé, le petit enfant : ramper, s’asseoir, se mettre debout, voir, entendre … Les lois de la vie sont à l’œuvre, sans la présence de ce que l’on nomme par la suite la volonté.

Des actions redécouvertes et révélées sur la Voie, dans la pratique d’un exercice spécifique : forme, tenue, respiration ; voir, entendre, ressentir … actions infaisables, déjà là.

L’acte d‘Être est avant la pensée ; de cette action découlent toutes les autres.

Agir, c’est porter attention à ce qui m’anime, en deçà du besoin compulsif de faire.


Par exemple, être en relation à ce geste du souffle, qui me modèle de l’intérieur, dans une forme, une tenue, un rythme plus juste … juste parce qu’en lien avec les lois du vivant, bien différentes des lois du mental.

Agir, c’est, dans toutes mes actions, sentir ce geste du tout corps vivant que je suis, s’insérant, participant à un évènement plus vaste que « Moi » ; évènement soumis aux lois du changement, de l’impermanence, de l’interdépendance.

Agir, c’est participer à ce geste, être porté par ce geste.

Agir en lien avec l’infaisable, c’est ne plus s’opposer à ce qui apparait et disparait, à ce qui respire, se transforme naturellement, à ce geste de transformation incessant qu’est vivre.

La vie nous oblige à l’action, la présence, la participation, tout le temps.

Agir, c’est répondre à cette obligation. Alors, za-zen : une action ?

Réponse de Tchouang Tseu : « La parfaite immobilité est une action supérieure à toutes les autres »

 Joël PAUL

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dimanche 12 mai 2024

L'île intérieure


Quand le Bouddha était très âgé, sur le point de mourir, il a dit : "Mes chers amis, mes chers disciples, ne prenez refuge dans personne qui vous soit extérieur.

En chacun de nous, ici, il y a une île très sûre où nous pouvons nous rendre.

Chaque fois que vous revenez à vous-même dans cette île, par la respiration consciente, vous créez un espace de détente, de concentration et de vision profonde.

Chaque fois que vous revenez dans votre île intérieure avec votre respiration consciente, vous êtes en sécurité.

C'est un endroit où vous pouvez prendre refuge chaque fois que vous ressentez la peur, l'incertitude ou la confusion."

Prendre refuge dans son île intérieure ne signifie pas que vous quittez le monde.

Cela veut dire que vous revenez à vous-même et que vous devenez plus solide.

Il est possible de marcher dans la ville en étant ancré dans son île intérieure.

Votre réaction à ce qui se joue autour de vous sera très différente si vous êtes solide et non submergé.

Il peut y avoir des tensions dans votre corps.

Il peut y avoir de fortes émotions.

Si vous pratiquez la respiration consciente, l'énergie de la pleine conscience aide à soulager les tensions dans votre corps et vos sensations, à diminuer la souffrance.

Après une ou deux minutes de cette pratique concrète, prendre refuge dans la sécurité de votre île intérieure, vous vous sentez calme - vous ne vous sentez plus pris au piège de la peur et du désespoir, ces émotions sont transformées.

 Thich Nhat Hanh

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samedi 11 mai 2024

La vie sauvage du cerveau

 Chaque matin, une de mes amies artistes note un des rêves qu’elle vient de vivre, et l’illustre d’un dessin aussi beau qu’énigmatique. Puis, elle publie tout ça sur Instagram, et le résultat est fascinant. Un peu embarrassant parfois, tant elle s’y livre avec sincérité. Elle m’a expliqué sa méthode pour ne pas oublier ses rêves : sortir tout doucement du sommeil, les laisser remonter à son esprit, et surtout les noter tout de suite, dès le réveil. Je m’y suis entraîné, et j’ai pratiqué quelque temps, ça marche très bien.


Mais au bout d’un moment, j’ai laissé tomber. Il y a tellement d’activités intéressantes à observer dans notre cerveau ! Moi mon truc, c’est plutôt ce qui s’y passe quand nous sommes éveillés : voir vivre les autres humains, tenir un journal pour comprendre mes émotions et réactions, méditer…

Et pour ce qui s’y passe la nuit, je préfère laisser faire ma cervelle ! Et observer le résultat sans trop chercher à creuser, un peu comme un jardin que je laisserais vivre, à l’état naturel, sans y intervenir. Bon, c’est vrai que c’est un univers incroyable, je suis d’accord avec ce qu’en disait l’humoriste Pierre Dac : « Les rêves, c’est pour ne pas s’ennuyer en dormant. » Effectivement, on ne s’ennuie jamais en rêvant ; et parfois, avec sa musique étrange, vient un songe qui nous marque pour toujours.

C’est ce que le psychanalyste Jung appelle les « grands rêves », il assure qu’on n’en ferait que quelques-uns dans sa vie. Pour ma part je me souviens très précisément de mon Grand Rêve, je l’ai vécu vers l’âge de 10 ans.

Ça se passe dans une immense pièce sombre, avec des femmes qui marchent en silence dans des coursives qui me surplombent ; moi je suis en bas, tout seul, allongé sur de grands lavabos collectifs, comme ceux d’une école ou d’une colonie de vacances ; j’ai froid, je me demande ce que je fais là, tout seul, ce que font ces femmes, et ce qui va m’arriver. Je ne cherche pas à fuir, à agir, à partir. J’attends, sans peur, calmement, mais avec l’impression que quelque chose d’important va advenir…

Bizarre, hein ? Et le plus bizarre, c’est que je m’en souvienne aussi précisément depuis si longtemps. Bon, pour l’interprétation, ne comptez pas sur moi, je vous laisse la faire, si ça vous amuse. Mais vous feriez mieux de vous plonger dans vos propres grands rêves, tiens…

Vraiment, j’adore les rêves : faire les miens, écouter ceux des autres. Mais j’adore de loin, comme j’adore la poésie hermétique, celle de Saint-John-Perse, par exemple, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1960. Un passage :

« Écoute, ô nuit, dans les préaux déserts et sous les arches solitaires, parmi les ruines saintes et l’émiettement des vieilles termitières, le grand pas souverain de l’âme sans tanière,

Comme aux dalles de bronze où rôderait un fauve.

Grand âge, nous voici. Prenez mesure du cœur d’homme. »

C’est beau, n’est-ce pas ? On peut en rester là, et laisser courir notre esprit à partir de ces images et de ces mots ; ou bien, on peut rentrer dans l’exégèse, et décoder peu à peu, puisque c’est un grand poème sur le vieillissement. Moi, bien souvent, j’en reste là, la musique des mots et la poésie des rêves me suffisent.

C’est passionnant les rêves que nous faisons la nuit, c’est émouvant, remuant, révélateur parfois… Mais il y a un truc encore plus passionnant, c’est la vie que nous menons de jour.

Et pour ma part, je préfère réfléchir à mes jours qu’à mes nuits, comprendre la veille plus que le sommeil. Je me sens proche du philosophe Diogène, quand il dit : « Nous sommes plus curieux du sens de nos rêves que des choses que nous voyons éveillés. »

Oui, de mes deux cerveaux, cerveau de jour et cerveau de nuit, je préfère jardiner le premier et laisser le second vivre sa vie sauvage, non sans admirer sa créativité !

Christophe André

 (source : le blog)

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vendredi 10 mai 2024

Les agrégats et la vacuité

 Mes chers amis,

Pour éclairer un peu le texte quelque peu énigmatique du sutra du cœur, je vous donne dans la vidéo ci-dessous quelques explications sur les agrégats et la notion de vacuité.

Avec tout mon amitié.

Philippe Fabri




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