Première évidence, le corps sera réduit en poussière, en cendres, décomposé. On ne peut donc pas le considérer comme une réalité ultime. Mais, deuxième évidence, ce «précieux corps humain» - ainsi que l'appellent les Tibétains - est indispensable pour progresser sur la Voie de l'Éveil. En fait, le corps est comparable au véhicule qu’on utilise pour faire la route, et qu'on abandonne quand le but a été atteint.
Le paradoxe, c'est que les Chrétiens, pour qui le thème de l'incarnation est fondamental, ont beaucoup plus négligé le corps que les Hindous ou les Bouddhistes qui, eux, insistent sur son impermanence. Pour les Indiens, la conscience doit se libérer par rapport au corps, mais ceci ne les empêche pas de prendre très nettement appui sur ce corps, notamment dans la posture de méditation qui, en elle-même, constitue une relation consciente avec le monde des sensations. Dans l'anthropologie védantique des koshas, le premier des différents revêtements du Soi est le corps physique, fait de toutes les nourritures que nous avons absorbées. Or, tous les niveaux - somatique, psychique et spirituel - étant interdépendants, il suffit de demander au corps physique d'entrer dans la posture de méditation pour intervenir, à tous les autres niveaux. C'est d'ailleurs pourquoi beaucoup de maîtres se réclamant de l'Advaïta Vedanta pratiquent les asanas du Yoga. Cela dit, le débutant, pour sa part, court le risque, presque inévitable, que l'égocentrisme, avec ses peurs et ses désirs, ne récupère à son profit la démarche sur la Voie et développe une véritable idolâtrie de son propre corps, se faisant par exemple photographier dans toutes les postures de Yoga ou de Zazen... comme il peut d'ailleurs également se gratifier avec des idées métaphysiques non-dualistes ou se bercer avec une sentimentalité encore infantile concernant l'amour de Dieu ou de la Vierge Marie...
Le risque existe, mais l'important c'est d'être assez convaincu pour ne pas s'arrêter là, et aller plus loin. Ce risque, en tout cas, ne justifie pas de maltraiter le corps, ni de le négliger. Puisque, de toute façon, le corps existe, ne pas en tenir compte et ne pas l'inviter à la démarche spirituelle revient à en faire un obstacle !
Mais se désidentifier du corps
Si toute démarche spirituelle exclut de négliger le corps, l'Advaïta Vedanta considère aussi comme fondamental de s'en désidentifier, c'est-à-dire d'être de plus en plus lucide quant au fait que le corps n'est que changements, vieillissement, et qu'en fin de compte il se résume à une succession de sensations qui se présentent dans la conscience. Si je regarde un film qui me passionne, j'oublie complètement le corps physique. La perception du corps n'est donc qu'un enchaînement de formes changeantes se succédant à la surface de la conscience. Nous pouvons être tour à tour conscient d'un corps lourd et fatigué, d'un corps léger et plein de dynamisme, d'une douleur ici, d'une raideur là... le corps n'a aucune réalité fixe !
On doit donc cesser de s'identifier à ces perceptions changeantes. A cette condition, peu à peu, se révélera une «conscience témoin» qui ne sera pas affectée par les messages du corps, se contentant d'un simple constat : il y a une douleur ici, une impression générale de fatigue, une impression de dynamisme, une impression de raideur... Du point de vue de la pratique, ces perceptions et conceptions telles que : «je suis trop gros, je suis trop mince, je suis petit et j'aurais préféré être plus grand», sont systématiquement reconnues comme des sensations et des pensées qui se succèdent dans la conscience mais dans une conscience libre, non affectée, qui ne s'identifie plus, ici et maintenant, à ces «formes» limitées et impermanentes.
Cette désidentification suffit, en elle-même, à désengager la vraie nature de l'esprit, laquelle n'a pas de forme particulière et en laquelle se succèdent des sensations pouvant donner naissance à des émotions «oh non, pas encore cette fatigue», et à des pensées «pourquoi suis-je comme ceci et pas comme cela».
Voir et reconnaître tout cela permet de s'établir de plus en plus stablement dans cette conscience sereine qui ne réagit pas en constatant que des réactions se produisent en nous.
Revue Samsara n°18 janv-fév 2000
A lire : Les chemins de la sagesse - Trois tomes. A la recherche du Soi - Quatre tomes.
Le message des Tibétains. Yoga et spiritualité. Approches de la méditation.
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