lundi 26 janvier 2015

Père Pedro Opeka...

Il y a 25 ans ce prêtre lazariste argentin sortait les pauvres de la décharge d’Antananarivo pour créer avec eux des villages. Depuis, grâce à son association Akamasoa, 500 000 personnes ont pu retrouver toit et travail, joie et espérance.

Mai 1989. Une scène intolérable, cauchemardesque, se déroule sous mes yeux : par milliers, des adultes et leurs enfants errent dans la décharge de la capitale malgache, Antananarivo, au milieu des porcs et des chiens. Piétinant les ordures, ils se disputent le moindre bout de caoutchouc ou de plastique. Aucun mot ne peut sortir de ma bouche, je suis transi d’horreur et de colère. Le soir même, je ne peux trouver le sommeil. Me mettant à genoux sur mon lit, je lève les bras et implore Dieu : « Aide-moi à faire quelque chose pour ces enfants ! »

Le cri s’avère être une alliance, un pacte intérieur : je décide de rester auprès d’eux et de faire tout mon possible pour les sortir de cette misère, non pas par ma propre force, mais grâce à celle que Dieu me donnera et que je sens déjà germer en moi. Dès le lendemain, je retourne sur le terrain vague, déterminé : « Si vous voulez, nous allons, tous ensemble, vaincre la pauvreté par le travail, la scolarisation des enfants et par une discipline communautaire. » La première chose était d’unir ces pauvres entre eux, d’éradiquer la violence qui intoxiquait leurs relations. C’est comme ça qu’est née il y a 25 ans l’association Akamasoa, ce qui signifie en malgache « les amis fiables et sincères ».

Cela faisait déjà 15 ans que je vivais à Madagascar, dans le sud-est du pays. Curé de la paroisse de Vangaindrano, j’étais prêtre missionnaire auprès des villageois et des paysans. Voilà ce que je désirais plus que tout : être avec, partager le quotidien de ces personnes travaillant d’arrache-pied dans les rizières. Je ne pouvais pas supporter de les voir mourir de faim, abandonnés par leurs dirigeants. Durant cette période de ma vie, que je considère comme une seconde naissance, j’ai appris leur langue et ai tenté de m’adapter autant que possible à leurs coutumes. Moi, le prêtre argentin, je refusais en effet d’apporter des solutions toutes faites et d’imposer quoi que ce soit. Il me fallait vivre pleinement avec eux.

Ma vocation de missionnaire a été confirmée lorsque j’ai rencontré les Indiens mapuches dans la cordillère des Andes. J’avais 18 ans. Ils étaient là, reclus dans les montagnes depuis un siècle. « Pourquoi et comment a-t-on pu oublier ces frères et sœurs ? » me demandais-je, bouleversé. Depuis quelque temps, le désir de servir les pauvres, à l’exemple de Jésus, résonnait en moi, avec la conviction que foi et action étaient indissociables. Durant mon enfance à Buenos Aires, la vision des bidonvilles encerclant la ville me révoltait : comment pouvait-on accepter de vivre dans un monde avec tant d’injustices et d’inégalités ?

Ma foi et ma volonté ont d’abord puisé leur source dans celles de mes parents. Immigrés slovènes ayant fui Tito, ils étaient des exemples de courage, de droiture, d’espérance et de charité. Ma mère nous disait qu’un pauvre qui frappait à la porte ne devait jamais repartir les mains vides. Et ce qu’ils prônaient, ils l’appliquaient. Dès l’âge de 10 ans, j’aidais mon père, aux côtés de mes huit frères et sœurs, dans son métier de maçon. Ce travail physique m’a forgé dans l’exercice de la persévérance.

Jeune séminariste chez les lazaristes, j’ai commencé par étudier la philosophie en Slovénie, où je renouais avec mes ancêtres. Puis la théologie à Paris, après être allé pour la première fois à Madagascar, où j’ai aidé à la construction de maisons et joué au foot avec les jeunes, ma passion !

C’est une fois ordonné prêtre que je suis parti à Madagascar… pour y rester. Après mon expérience de 15 ans dans les rizières, je pensais pourtant quitter le pays, pour me remettre en forme. Les maladies que j’y avais contractées m’avaient en effet totalement mis à plat. La providence a voulu que je sois envoyé à Antananarivo pour m’occuper des séminaristes de la maison Saint-Vincent-de-Paul. C’est là que j’ai découvert la décharge. C’est dans cet état de faiblesse tant physique que spirituelle que j’ai retrouvé de la force auprès des pauvres.

J’ai tout de suite mis cartes sur table : « Vous êtes pauvres, mais c’est ensemble qu’on va combattre. » Il était essentiel qu’ils participent à leur propre relèvement. L’urgence : qu’ils aient un toit et un travail. Non loin de la décharge se trouvait une vaste carrière. En attaquant des milliers de tonnes de granit, nous avons pu exploiter le terrain et utiliser ce matériau pour construire de petites maisons. C’est comme ça qu’a poussé un premier village. Puis une ­vingtaine d’autres ont fleuri, avec leurs écoles, leurs cabinets médicaux… sans oublier le stade olympique ! Le dimanche, nous vivons aussi tous ensemble la messe, en chantant et en dansant. Près de 7 000 personnes viennent fêter l’eucharistie ! C’est à chaque fois une exultation, un cri de joie et de remerciement pour nous avoir sauvés de la mort, de l’asservissement à l’extrême pauvreté, à la haine et à la jalousie.

Durant ces 25 ans de combat auprès des pauvres, je n’ai jamais cédé au découragement. Aujourd’hui, j’ai 12 000 enfants qui ont besoin de nourriture, d’un logement, d’un travail. Face à leurs yeux suppliants, je n’ai pas le droit de baisser les bras ni de les décevoir : je leur ai donné ma vie ! Akamasoa relève du miracle, car, en amont de tout savoir-faire technico-scientifique, notre association a puisé son inspiration dans un esprit de fraternité, sur un terreau de violence et de misère.






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