Notre abricotier est mort. Ou tout du moins il en a l’air. L’hiver dernier, déjà, nous avions cru que c’en était fini – à tort. Nous l’avions planté en arrivant dans cette maison, au milieu de notre petit carré de pelouse. Le choix de l’essence avait déchaîné les discussions. L’un désirait un chêne, l’autre un palmier, le plus jeune ne voulait rien pour ne pas envahir son terrain de jeu.
Les nuances et les saisons
Moi je préférais un arbre à fruits : la perspective de tartes et de confitures colorées l’a emporté. Nous avons choisi un abricotier. C’est beau, un abricotier, ça dit les nuances et les saisons. Le dépouillement sombre l’hiver, l’espoir du vert au printemps, la vitalité du jaune orangé l’été, le rougeoiement d’un soleil couchant à l’automne.
Il est arrivé tout petit, adossé à son tuteur. Il a subi les assauts du chat, essuyé les tirs de ballon, fait face à la gourmandise des oiseaux. Mais il a grandi, il s’est déployé, un peu penché pour chercher la lumière. Et nous a comblés de ses bienfaits en abondance.
De beaux fruits, avec leur rose aux joues et leurs taches de rousseur, que nous partageons souvent avec les voisins. Et même avec un passant, une fois, dont la voix a porté au-delà de la grille. « Ils ont l’air bons, ces abricots ! »
Mais il a fait froid. Par deux fois l’abricotier s’est trouvé prisonnier d’une gangue gelée plusieurs jours d’affilée. Rien ne dit qu’au-dedans il n’a pas grelotté. Et je crains qu’il n’ait pas survécu. J’ai attendu le retour des oiseaux, pour venir l’ausculter. J’écoute, l’oreille collée contre le tronc. Réflexe de celui qui cherche la palpitation de la vie. Une circulation même alanguie, la sève qui coule engourdie. Mais l’écorce reste muette.
Le baiser du printemps
Ses branches décharnées, noires et sèches, grattent le ciel. Figées, dans une supplication muette. Seul le vent le fait osciller de temps en temps. Je laisse courir mes mains sur son branchage, une caresse, les yeux fermés pour mieux sentir les aspérités. Mes doigts rencontrent une tendresse, boursouflure souple au bout d’un rameau rugueux. Je palpe délicatement. Ça semble être, oui, ça semble être… un bourgeon ! C’est un bourgeon corseté, qui se fond encore dans les teintes du bois.
Un bourgeon, c’est la promesse d’une fleur, d’un fruit. C’est la vie. Cette vie qui avait déserté en apparence, mais qui a continué son chemin in petto, au ralenti. Comme elle le fait parfois quand elle se met à l’abri. Des coups du sort, des accidents, de la main de la mort. Belle au bois dormant, qui attend le baiser du printemps. Tout au long de cette dormance, la vie n’a jamais cessé. Pas un instant. Sinon, il n’y aurait pas ce tout petit bourgeon.
Je lui parle tout bas, pour que même les abeilles n’entendent pas. Je lui dis tout ce qu’il représente. L’espérance. Savoir qu’au cœur de nos hivers les plus rudes, la vie est là, qui bat. Toujours, même si on n’y croit pas. Et que dans ce froid qui glace le cœur, le bonheur n’est pas mort. Il est en sommeil. Et guette le printemps. La vie porte en elle, dans un même mouvement, tout le froid de l’hiver et toute la joie du printemps.
Anne-Dauphine Julliand
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