vendredi 25 octobre 2019

La clef des champs


J'ai trouvé, l'an dernier, dans une brocante, une statue de saint Pierre en granite rose tenant, dans ses mains épaisses de pêcheur, la clé immense du Paradis. Tout avait attiré mon attention dans cette statue semble-t-il bretonne. La chevelure, la barbe et la longue tunique de saint Pierre qui ondoyaient au vent de mer. Ses deux yeux grands ouverts et sa tête légèrement penchée de côté qui invitaient à la méditation comme à un échange de paroles. Cette immense clé qui faisait la moitié de sa hauteur d'homme. Et puis, surtout, cette alliance et cet alliage de chair et de pierre.

L'accès à l'infini 

Au début de l'automne, j'ai surpris le grain de cette statue de granite rose prendre la lumière rasante du soleil de fin d'après-midi. Un moment bref, mais magique. Un mont Thabor. Depuis, saint Pierre et sa clé m'accompagnent. C'est face à cette statue que j'aime m'asseoir pour prendre mes temps de repos et me ressourcer. Elle creuse en moi une interrogation sur le mystère de la chair et de ce roc de pierre sur lequel nous pouvons fonder notre vie, et plus encore sur le mystère de la lumière et de la clé du Paradis. Cette clé serait-elle une clé des champs qui donne accès à l'infini et à la liberté ? La vie spirituelle est faite en effet d'instants de grande ouverture à soi, à la vie, à l'univers, à Dieu, suivis de renfermements tout aussi précieux. Comme les fleurs, nous nous ouvrons à nos heures, et nous nous refermons. Nous ouvrons la porte du Ciel, nous en franchissons le seuil, nous entrons dans l'écoute, dans le silence, dans la prière, nous y demeurons en amour, puis nous reprenons le cours de notre vie. Nous accostons sur des îles, pour nous laisser reprendre par le vent de mer du quotidien qui souffle là où il veut. À nous de garder la clé de ces instants et de laisser vivre en nous ces îles bienheureuses. Je crois que ma clé du Paradis à moi, c'est précisément la lumière. Peut-être parce que je suis une fleur d'ombre, que je suis née dans un nid de poussière, dans un grenier familial envahi de toiles d'araignées et de vieux meubles, où il m'a fallu faire la lumière. Les chats m'ont appris à voir dans la nuit, à ouvrir et dilater mes pupilles pour percevoir la moindre source de lumière et distinguer les ombres dans l'ombre. Les arbres m'ont appris à me nourrir et à me gorger de lumière, à en faire surtout une nourriture et un souffle de vie pour moi et pour tous. Guidée par la lumière, je me suis convertie à la vie.

L'enveloppe obscure 

Si nos chemins sont faits de jours de lumière, de jours sombres, voire ténébreux, et de jours de clair-obscur, notre erreur est de vivre peut-être trop souvent en enfants lune. La peau sensible, nous nous cachons du soleil, et du « soleil véritable », pour ne sortir qu'à la nuit tombée. Nous nous détournons de la lumière de la vie, nous éclairant seulement à des artifices humains. N'osant vivre la pleine lumière, nous créons notre propre nuit et nos aveuglements. Pourtant il suffit d'un regard d'amour et d'une lumière posée sur soi pour percer cette enveloppe obscure qui parfois nous recouvre et nous cache.
Alors pourquoi ne pas nous offrir les uns aux autres cette clé des champs vers l'infini et la liberté, qu'est la lumière ? Si, demain, la nuit tombe sur la Terre et sur l'humanité, notre nuit sera illuminée par les hommes et les femmes habités par la lumière. Ces personnes lumineuses passent inaperçues en plein jour mais, quand se fait l'obscurité, leur lumière se révèle aux regards. En vierges sages, elles s'illuminent et elles éclairent. Aussi n'hésitons pas à laisser notre chair prendre la lumière, comme la statue de saint Pierre le soleil d'automne. La lumière nourrit, et elle enseigne. Elle délivre, et elle « amorise ».
Charlotte Jousseaume
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