dimanche 12 octobre 2014

Dans la langue de Dieu avec Alexis Jenni

Après des années de quête spirituelle, entre bouddhisme et taoïsme, le prix Goncourt 2011 a découvert que le christianisme, sa première religion, répondait profondément à sa soif.

C'était il y a une dizaine d'années. J’accompagnais mes élèves chez les carmélites de Mazille, près de Cluny, pour une retraite. Une joie indicible, intense, émanait de ces religieuses aux sourires pleins de bonté. Lorsqu’elles se mirent à témoigner de ce qu’elles vivaient dans le silence, une évidence s’imposa à moi : toute ma quête, tournée jusque-là vers des spiritualités orientales, je la retrouvais là, à portée de main. Ce que je cherchais pouvait se dire en termes chrétiens et dans ma langue. Cette prise de conscience fut également alimentée par les jésuites que je côtoyais dans mon lycée lyonnais. Ces personnes, d’une grande intelligence et ouvertes sur le monde, me révélaient le côté éclairé de l’Église. Aussi, le quadra que j’étais se laissait peu à peu atteindre et toucher par le noyau constitutif du christianisme : l’amour et le souci de l’autre, puisant sa source dans le mystère d’un Dieu trinitaire.

Bien que baptisé, je n'ai pas reçu d'éducation chrétienne. Mes copains allaient au catéchisme, pas moi. La foi n’était pourtant pas absente dans ma famille, du côté de ma mère surtout, qui me lisait la Bible racontée aux enfants. Son père était un homme très pieux. Même s’il n’en parlait pas, je percevais bien que tout son être en était imprégné. À la maison, le sujet me paraissait lourd, pesant, quasi tabou : mes parents en ont fait une sorte de barrage mystérieux où s’entremêlaient à la fois de l’indifférence et de l’attirance secrète. La seule activité religieuse que nous pratiquions était la traditionnelle messe de minuit. Coincé entre mes grands-parents recueillis et mes parents se donnant l’air de l’être, j’observais, le nez en l’air, statues et tableaux immergés dans des volutes d’encens. Je ne comprenais absolument rien à ce qui se passait.

Vers 20 ans, j’ai commencé à m’intéresser à certaines philosophies comme le bouddhisme et le taoïsme et à pratiquer les arts martiaux. Je trouvais dans cette discipline une matière à penser extraordinaire pour une plénitude corporelle dans le rapport à soi et au monde. Plénitude où je goûtais à un mouvement, à une vitalité qui me dépassaient. En parallèle, je m’immergeais avec délectation dans des musiques islamiques, turques, iraniennes... toutes gorgées de mysticisme. Leurs mélodies me plaçaient dans une sorte de pulsation vivante et me permettaient d’accéder à quelque chose, à autre chose, relevant du domaine de l’absolu. Plus qu’une recherche de Dieu, j’aspirais à un bien-être physique, proche de l’extase parfois. D’écoute en écoute, j’ai découvert la mystique soufie médiévale. À force de parcourir les poèmes, imprimés sur les pochettes de disques, j’ai été amené à lire les écrits de grands spirituels, comme Rumi, puis à me réapproprier la Bible, source infinie de méditations, de rêveries et de réflexions. C’est par ce biais-là que je suis arrivé à Dieu.

Lorsque je me retourne sur mon cheminement intérieur, je me rends compte que le goût de Dieu est là depuis le départ. En fait, la question de son existence ne s’est jamais posée chez moi.
Il est là c’est tout. Par manque de culture et par un entourage familial et social indifférent à ça, c’est au bout de 30 ans que j’ai réalisé que cet éprouvé était une présence divine. Plutôt que d’être la réponse à l’angoisse d'un manque. Dieu est la jouissance d’un plein que je ressens et que je tente d’exprimer dans mon nouvel ouvrage, Son visage et le tien. Lorsque j’ai lu pour la première fois cette phrase de saint Jean « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu », tout s’est d’ailleurs éclairé pour l’écrivain que je suis : je comprenais qu'il y avait une équivalence entre Dieu, le Verbe, la Vie, la Lumière. Entre le Verbe et le langage.

J’ai toujours pensé que le sens de ma vie était l’écriture. Tout comme le musicien ou le peintre, la seule présence à mon art me fait vivre, car j’y fais l’expérience d’une présence, autre que la mienne. Au plus intime de moi, je sens que bat quelque chose de plus grand. C’est ce quelque chose qui me donne vie.
La biologie, que j’ai enseignée pendant près de 25 ans, me met dans un état de curiosité exaltante : observer et décortiquer les mécanismes naturels est passionnant ! Mais la science a cette grande limite de ne pas pouvoir dire grand-chose sur ce qui nous touche, nous fait vibrer, au plus profond de nous-mêmes.

Le tai-chi m'aide à donner un cadre à ma prière. Mais il ne s’agit en rien de syncrétisme ! J’emprunte au tai-chi le rapport au corps, aux gestes ; l'aspect purement technique en somme. Cela me permet de savoir me placer dans un état proche de la méditation, facilitant la prière. Prière que je vois davantage comme une mise en présence qu’une adresse directe à quelque chose, à quelqu’un.

Non pratiquant - je n’ai fait ni ma première communion ni ma confirmation - j’ai un rapport très solitaire à la foi. Mais, à la grande surprise de mes proches, j’ai tenu à ce que mes trois enfants reçoivent le baptême. Pour moi, c’était la plus belle manière de célébrer leur venue au monde.
Je me situe dans une pratique monastique chrétienne, dans laquelle je peux être en cœur à cœur avec Dieu. Comme le diraient nos frères musulmans, « il n'y a de Dieu que Dieu, le reste; c'est chose humaine ». Mais tout peut encore évoluer. Dans ce cheminement personnel, chaque étape vaut pour ce qu’elle est.





source : La Vie


Aucun commentaire: