dimanche 22 octobre 2023

« Jeter de temps en temps un regard en arrière »

Le prêtre et écrivain nous livre sa chronique. Il part d’un fait divers le concernant (son rétroviseur vandalisé) pour en extraire une réflexion toute spirituelle inspirée de la relecture de vie. Et s’interroge : peut-on avancer dans la vie sans jamais regarder derrière soi ?

J’enrage. Un homme s’est introduit sur le parc de stationnement où je gare ma voiture et s’en est pris aux rétroviseurs de tous les véhicules. Il aurait pu s’attaquer à d’autres pièces : aux phares, aux autoradios, aux GPS ! Mais non, ce monsieur-là n’en voulait qu’à nos rétroviseurs. Cet homme ne doit pas aimer regarder en arrière : cela lui est peut-être insupportable. Aurait-il mal compris l’expression de Jésus : « Qui regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu » (Luc 9, 62) ? Ou craignait-il, comme la femme de Lot, d’être transformé en « statue de sel » si d’aventure il se prenait à regarder son passé (Genèse 19, 26) ? Peut-être : il serait dans ce cas excusable ; on aurait dû lui faire autrement le catéchisme !

La logique créatrice de Dieu


Si je le croise un jour, je lui apprendrai que le rétroviseur est un objet indispensable dans une voiture comme dans la vie, parce qu’il est nécessaire de regarder en arrière pour avancer correctement. Et je lui parlerai de cette « trouvaille » spirituelle développée il y a bien longtemps par Joseph Cardijn, prêtre belge, fondateur de la Jeunesse ouvrière chrétienne (Joc), pour aider des jeunes à bien poser leurs pas : le « voir-juger-agir »… Parce que non, la vie ce n’est pas un « casser-sourire-partir » que montrent les images des caméras de surveillance de mon immeuble.

Pour bien vivre, regarder de temps à autre dans le rétroviseur : sûrement pas pour s’enfermer dans le passé, mais pour y découvrir ce qui nous est vital, regarder les événements ou les rencontres dans la conscience que c’est de là que nous venons, et que le passé ouvre toujours un avenir. La vie est un chemin, donné et reçu, qui se dessine pas après pas, dans une continuité, jamais dans la rupture…

S’inspirer du « voir-juger-agir », c’est s’inscrire dans la logique de Dieu qui, dans le jardin d’Éden, se promène, contemple ce qu’il a créé au long du jour qui se termine, s’interroge et s’appuie sur cela pour s’aventurer ensuite dans une nouvelle étape de création. En se disant, soir après soir : « Mais que c’est bon ! »

Voir, juger, agir

Voir. Jeter de temps en temps un regard en arrière, faire mémoire d’une rencontre, d’un événement, même s’il est douloureux : il ne faut pas gommer le dur de l’existence. J’ai eu mal ? J’ai fait mal ? Même cela peut concourir à quelque chose de meilleur. Il est toujours possible de faire quelque chose de ce que nous avons fait ou de ce qui nous est arrivé.

Juger. Ce qui ne veut pas dire condamner le passé. Mais apprécier, évaluer, peser et mesurer. Trier les émotions qui n’ont pas à devenir nos maîtres. Dans un croisement avec la parole ouvrante de l’Évangile, y discerner l’appel à vivre. Ne pas vivre cette étape seul, car à vouloir avancer seul, les choses ne vont jamais très loin. Les autres nous aident à trouver la justesse et à regarder du côté où l’on peut vivre. Merveille : la sagesse de Jésus, mêlée à notre réflexion, provoque le mouvement, donne le goût du pardon et de la confiance. Elle sort de la tristesse et de la confusion. C’est là le signe de sa juste réception et de son efficacité.

Agir. C’est alors l’heure de la résolution. Invitation à avancer, à ne pas stagner dans l’amertume, dans le regret ou le remords. C’est l’heure de croire encore en soi et en l’autre. En se posant la seule question qui importe : le chemin que je dessine a-t-il un cœur ? S’il met en joie, c’est un bon chemin. Notre vie est trop courte pour qu’on l’habille tristement…

La vie est courte. La nôtre et celle des autres. Elle est fragile, précieuse. Nous serions sots de la gâcher. Avec saint Augustin, nous sommes faits pour chanter : « Au milieu des épreuves, ici, c’est l’alléluia de la route. Sans t’égarer, sans reculer, sans piétiner, chante et marche ! » (les Confessions).

Raphaël Buyse. Prêtre du diocèse de Lille, il est l’auteur notamment d’Autrement, Dieu et d’Autrement, l’Évangile (Bayard) et d’Il n’y a que les fous pour être sages (Salvator). Il vient de publier avec Chantal Lavoillotte, Visitation(s), vivre la rencontre à l’hôpital (Salvator).

Source : La Vie

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