mardi 24 décembre 2013

Avec Jésus, Dieu a choisi l'incognito


Théologienne protestante de renom, Elisabeth Parmentier porte un regard neuf sur Jésus, loin des clichés mièvres et sulpiciens qui ont cours, notamment lorsqu'on évoque l'enfance du Christ. Elle nous parle de sa jubilation de croyante devant "l'enfant", oeuvre inattendue de Dieu.


L’enfance de Jésus est très mal connue, ce mystère vous intéresse-t-il ?
Elisabeth Parmentier : "Avec Jésus, Dieu a choisi l'incognito"Les récits bibliques de l’enfance de Jésus sont bien plus tardifs, puisque les évangiles ont commencé par Pâques et la Passion, pour chercher ensuite à compléter les "blancs" de l’histoire, dans lesquels on veut surtout montrer le lien de Jésus à son peuple et aux annonces du messie (cf les généalogies, passionnantes dans leur organisation, différente chez Matthieu et chez Luc), d’autre part le destin particulier lié à l’intervention de Dieu. Il est précisément important que Jésus ne soit pas présenté comme spectaculairement "prouvé" et labellisé comme Fils de Dieu, mais comme un homme ordinaire, voire insignifiant. Sans les révélations des anges et des mages, sans les interprétations des rédacteurs des évangiles, rien ne le distinguerait d’un simple juif ordinaire. C’est précisément le chemin de la foi chrétienne, à la recherche et sur les traces d’un Dieu qui passe par l’incognito, par le chemin humain. Tout au contraire de ce que feraient les humains ! Ceci nous oblige à distinguer, à chercher des traces. Le chemin de la foi qui est montré nécessite la quête, la foi ne peut pas se baser sur un "voir".

Qu’est-ce qui pourrait vous fasciner chez l’enfant Jésus ?
Ce qui me fascine dans toute naissance est cette rencontre entre la conscience absolue de notre fragilité et vulnérabilité, toutes humaines (et Jésus ne fait pas exception, c’est même l’un des accents des textes), et l’espérance incroyable qu’ouvre chaque vie nouvelle. C’est par ce double sentiment qu’éprouvent tous ceux qui ont connu des naissances qu’on peut approcher ce qu’est le vrai "miracle", qui est tout simplement que la vie existe et se perpétue dans des conditions environnées de "mort" sous toutes ses formes. Le miracle est d’exister, alors que nous sommes environnés de toutes parts de la réalité du provisoire. Mais chez l’enfant Jésus cette naissance dit encore bien plus : pour les croyants elle dit l’incroyable, que Dieu lui-même prenne part à ces réalités de la condition humaine, et ce jusqu’au bout, jusque au-delà de la mort, pour ouvrir un chemin inédit qu’est la résurrection. Mais ce qui est encore plus important dans cette naissance-là, c’est qu’elle a besoin d’être "reconnue" comme unique pour toute l’humanité. Les textes montrent des témoins qui reconnaissent le salut arrivé, et ces témoins sont d’abord juifs, mais aussi païens (les mages). Donc la naissance de Jésus ne servirait à rien s’il n’y avait des témoins humains pour la reconnaître, la constater, la croire – ceci vaut de génération en génération – et le miracle absolu, c’est que cette chaîne de témoins a continué jusqu’à nous !

Comment imaginez-vous l’enfance de Jésus à Nazareth : son éducation, son quotidien, son rapport à sa famille, à la Loi juive ?
Au-delà de la puissance expressive de la naissance de Jésus, ce qui m’intéresse particulièrement dans les textes, c’est l’insistance sur la continuité de la vie de Jésus au sein de son peuple. C’est pourquoi j’imagine son enfance exactement comme celle de tout enfant juif de son temps. Les textes bibliques en disent très peu, donc d’autant plus on peut considérer que rien ne le distingua des autres enfants, car c’est précisément la continuité qui est marquée : c’est au sein de ce petit peuple, dans une petite tribu, dans un petit village, dans une famille simple, que naît celui qui va tout changer ! C’est important que les chrétiens n’oublient pas que leur messie est juif. Mais il y a un second accent qui m’est tout aussi important : les textes bibliques ne sont pas si intéressés par l’enfant Jésus, mais énormément par les effets de sa venue sur l’entourage. Cela commence par Elisabeth, Marie (qui annonce dans le Magnificat le leitmotiv de toute la bible : le renversement des réalités humaines), puis Siméon et Anne, et Jean-Baptiste. Ils représentent la première alliance qui se voit remplie d’une absolue nouveauté, qui ouvre une nouvelle alliance. Cela se fait à pas feutrés, à pas humains, et pourtant rien ne peut retenir la nouvelle vie. Comme dans une naissance : quand le travail est engagé, personne ne peut repousser l’enfant en arrière ! Ils sont ancrés dans leur religion et leur temps, mais ils discernent que leur espérance a abouti, le nouveau est en route et rien ne le retiendra.

Comment imaginez-vous Jésus enfant ?
Il est bon que les récits bibliques justement n’en parlent pas, car on en ferait une psychologisation : imaginez le caractère du Fils de Dieu, il faudrait qu’il soit parfait ! D’ailleurs on a des récits que la tradition chrétienne n’a pas voulu retenir, qui jouent dans le merveilleux et montrent le petit Jésus accomplissant de petits miracles !! Donc je n’imaginerai rien de son caractère, là n’est pas l’essentiel. Ce qui me frappe par contre dans les textes bibliques, c’est qu’il y a chez lui à la fois une obéissance à sa famille, et une prise de distance : lorsqu’’il s’installe au Temple pour discuter avec les responsables religieux ; et aussi tout au début de son ministère, lorsque sa famille veut le chercher parce qu’ils le croient fou (Marc 3/20-23 : "car ils disaient : il a perdu le sens") ! Cela dit la peur du scandale qu’éveillait son action. Et voici sa réponse à ceux qui lui disent d’aller trouver sa mère et ses frères : "Qui est ma mère et mes frères ?" : "quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là m’est un frère, une sœur et une mère" (Marc 3/31-35). Certes il n’est plus un enfant à ce moment-là, mais on quitte ici l’image idyllique d’un Jésus docile, fort égratignée à d’autres moments aussi ! Jésus est tout autre que l’image mièvre et doucereuse qu’on donne souvent de lui.

Comment l'enfance de Jésus peut-elle nourrir notre foi ?
Le "nouveau" vient à la manière humaine, sans ébranlement catastrophique et sans les événements cosmiques que nous prédisent d’autres cosmologies, comme pour cette année (2012) la fin du monde le 21 décembre ! Cette naissance-là n’est en apparence en rien différente de celle d’un enfant de milieu modeste. L’enfant fait jubiler car en tant que croyante j’y reconnais l’œuvre de Dieu, mais de manière si inattendue que je suis également émerveillée de l’audace de Dieu d’avoir choisi cette voie de l’incognito, où il risque à chaque génération que cette foi soit perdue. C’est une histoire folle, à bien y réfléchir !

Quel est pour vous le sens de l'Avent ?
L’Avent, grâce à ces textes bibliques, est une double préparation : à cette naissance de Jésus dans son peuple mais aussi dans ma vie et mon espérance ; mais aussi à cette "nouvelle création" ou ce "royaume de Dieu" qui existe déjà depuis Pâques. Si Pâques est arrivé presque incognito, comme cet enfant, et qu’il ne nous est attesté que par des témoins non érudits, c’est la même logique qui me fait espérer que la "Vie" au-delà des enfermements est déjà en gestation. On ne la distingue que par endroits, par épisodes, mais on ne peut pas repousser l’enfant quand le travail a commencé ! Je crois donc aussi que le Royaume de Dieu est déjà né, mais qu’il est encore très jeune. L’Avent véritable sera son âge mûr, mais en attendant je m’exerce à le reconnaître tel qu’il est et non selon les fantasmes humains.

Elisabeth Parmentier


source : La Vie (2012)

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