Des bonheurs finissants
Tu essayais de bouquiner tranquille dans ton coin, mais il manquait un gardien de but pour la partie de foot. Tu as vaguement tenté de refuser, puis tu as cédé : après tout, pour être gardien de but, pas besoin de savoir jouer, il suffit d'agiter un peu les bras et les jambes quand on nous jette le ballon dessus. Et puis, gardien de but, c'est bien parce qu'on n'a pas besoin de courir tout le temps et qu'on peut regarder les autres.
C'est sans doute la dernière partie de foot de l'été : tout le monde boucle ses valises demain. C'est un instant à la fois gai et triste. Bizarre, ce petit pincement dans ton cœur, qui mêle bonheur et douleur. C'est Victor Hugo qui disait : «La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste. » Tu dirais plutôt (pardon, Victor) : c'est ressentir un peu de tristesse dans son bonheur ou un peu de bonheur dans sa tristesse. En cet instant de cris et de rigolades, tu es un peu mélancolique, donc, de cette mélancolie des bonheurs finissants. L'été n'est pas terminé, pourtant, il reste encore quelque temps avant la rentrée. Ce n'est pas fini, mais ça va finir. Comme un être vivant sait qu'il va mourir, nous savons que nos bonheurs prendront fin, toujours. Les pessimistes, du coup, s'interdisent d'être heureux (« A quoi bon se réjouir puisque ça ne durera pas ? »). Et les optimistes s'en trouvent doublement motivés (« Savourons de toutes nos forces tant que c'est là, puisque ça ne durera pas. ») C'est eux qui ont raison, bien sûr.
Bon, alors toi, tu fais quoi là, avec tes états d'âme ? Comment te résoudre à accepter sans pleurnicher de voir tes moments de bonheur prendre fin ? Tu le sais déjà : il faut savourer sans t'agripper. Il te faut vivre en suivant le précepte latin « carpe diem », et en t'inspirant de Goethe : «Alors l'esprit ne regarde ni en avant ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur. » Nos bonheurs, comme nos existences, sont fragiles et fugaces : cela doit juste nous donner le désir de vivre plus fort encore les bons moments et l'intelligence de les savourer en pleine conscience. Vivre nos bonheurs au lieu de les mentaliser et d'anticiper leur fin prochaine...
« Ouaiiiiiiiis ! » Ah, les adversaires ont l'air contents : ils viennent de te marquer un but. Zut alors ! Tu vas te faire remonter les bretelles : tu n'as même pas essayé de remuer les bras, ni de pousser des cris féroces pour intimider les attaquants. Il faut te concentrer : c'est le dernier match de la saison. Si tu veux être sélectionné pour le championnat de l'été prochain, il faut faire attention. Mais pas d'incompatibilité avec ton programme : tu vas te concentrer ET savourer l'instant présent. Dans toute sa richesse : la belle lumière de l'été qui s'achève, les galopades des joueurs et ce ballon que, désormais, tu ne quittes plus des yeux, ce vieux ballon usé qui roule dans l'herbe, prend des coups et toujours avance, toujours rebondit. Ce ballon à l'image de ton bonheur...
Source : La Vie
1 commentaire:
de toute façon, il n'y a que ça qui existe, le présent... comme un cadeau !
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