jeudi 26 janvier 2023

Le Zen et le corps !

 

DE L'ORIENT À L'OCCIDENT

Le Zen et le corps !


L'homme occidental est conditionné à une conception mécaniste du corps. L'université m'a convaincu que le corps de l'être humain est la somme des objets qui le composent et qu'il est opposé à ce qu'on appelle l'esprit.

À son retour du Japon, où il s'est immergé pendant une dizaine d'années dans le monde du zen, Graf Dürckheim propose une vision du corps bien différente : le corps vivant dans sa globalité et son unité. Il écrit : « L'esprit occidental pense le réel comme étant un ensemble d'objets ; l'esprit oriental voit le réel comme étant un ensemble de processus, un événement ».

Ce constat conduit Graf Dürckheim à dissocier deux approches de ce qu'on appelle le corps : le corps que l'homme A (Körper) et le corps que l'homme EST (Leib). Il souligne que lorsqu'on pratique l'exercice appelé zazen, on engage le corps qu'on est et pas le corps-outil, le corps-objet, le corps objectivé.

D'où cette question qu'il posait régulièrement aux personnes qui pratiquent zazen : « Êtes-vous sûr que votre façon de pratiquer zazen ... c'est vraiment zazen ? »

Cette question devrait attirer l'attention des personnes qui pratiquent et enseignent le Yoga, le Taïchi-chuan ainsi que les disciplines artistiques, artisanales et martiales propres à la tradition japonaise.

Voici ce qu'a écrit Christian Bobin dans la préface du livre « L'art et la spiritualité au Japon » «L’Occident s’en va depuis quelques temps voler aux Orientaux ce qu’il croit être leur sagesse. Dans ce pillage il le dénature, le change en cela seulement qu’il comprend : des techniques, des recettes, des savoirs » 1

Si vous demandez à un maître Zen pourquoi il est bien de pratiquer zazen, sa réponse est abrupte :« À quoi bon pratiquer zazen ? Dans un seul but, l'éveil de l'homme à sa vraie nature d'être humain ». Notre vraie nature ! C'est quoi ça ?                                                            

Très simple. Avant de devenir un être de Raison, l'homme est un être de Nature. Un être de nature qui, comme tout être naturel (une fleur, un arbre, un animal) se développe et ne peut subsister que dans un être général, universel, qu'on appelle la NATURE.

C'est l'équation formulée par Martin Heidegger : « Je vis parce que je suis un être vivant » — « Je pense parce que je suis un être pensant ».

L'équation Orient-Occident est incontournable lorsqu'on enseigne ou pratique un exercice qui a ses racines en Orient ou en Extrême-Orient. Il s'agit moins d'adapter l’exercice (zazen, yoga, tir à l'arc, etc.) à l’esprit occidental que d’inviter l’homme occidental à s’ouvrir à l’esprit oriental.

« On ne pratique pas zazen pour maîtriser la vie mais pour s'unir à la vie ». (K.G.D.)

D'où l'injonction de pratiquer sans but. Sans but autre que l'éveil à notre vraie nature. Une entrée dans l'exercice qui pour l'homme occidental pose de sérieux problèmes et beaucoup de réticence. D'autant que nous sommes invités à nous ouvrir à une approche du réel qui nous est inhabituelle : une vision directe du réel, sans passage par la réflexion mentale, intellectuelle. C'est en ce sens que passer de l'idée - j'ai un corps - à l'expérience que -corps je suis- est primordiale. IchLeib, le corps que je suis est un champ de transformation.

Lorsque j'étais à Rütte (où j'ai séjourné cinq ans) Graf Dürckheim m'a régulièrement posé la question « Est- ce que vous voulez changer ? Est-ce que vous voulez vraiment changer ? » C'est une bonne question. Parce que ma réponse témoignait que je n'avais pas compris la question. Mon désir était de changer beaucoup de choses afin de mieux maîtriser ma vie. Alors que la question du vieux sage de la Forêt Noire concernait la transformation de moi-même en m'engageant sur un chemin de maturation afin de m'unir aux intentions de la vie.

Il me fallait passer de la question : « Qu'est-ce que moi j'attends de la vie ? » à la question « Qu'est-ce que la vie attend de moi ? » Une question qui concerne donc le futur ? Un après des années d'exercice ? NON !

Qu'est-ce que la vie attend de moi ... ici et maintenant. S'impose dès lors la question de la pratique de la Voie dans le quotidien ... Le quotidien comme champ de l'exercice. Un thème qui pourrait faire le titre de la prochaine lettre ?

Jacques Castermane

1 :  Comme la lune au milieu de l’eau, Art et spiritualité du Japon, Yoko Orimo. Ed. Le Prunier

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